lundi 02 juin 2008
Ils tournent dans nos rues et nous saluent. Nous, au départ, on a cru que c'étaient des flics ou des clients potentiels. Et puis on a appris par d'autres, par la rumeur, par le vent des couloirs des immeubles, que c'étaient des éducateurs. Alors depuis on est plus détendus en les voyant passer.
Mais ça n'empêche... qu'est-ce qu'ils nous veulent?
Nous éduquer? Qu'est ce qui les autorise à penser qu'on en a besoin?
Et plus, qu'on en aurait l'envie?
Nous, on n'a rien demandé. A personne. C'est ça, aussi. À force, on demande plus rien. À la Mission Locale, on a demandé du boulot, y'en avait pas. Pas pour nous. On a encore voulu nous éduquer. Nous proposer des dispositifs d'aide et d'insertion. Pour être sûr qu'on était bien capables de travailler. Pendant ces stages, pas de salaires. Parfois une indemnisation. La nuance, ça c'est un truc que t'apprend vite quand tu fréquentes les travailleurs sociaux.
A qui d'autre tu vas proposer de faire un stage gratos avant un emploi? Personne d'autre. Alors, tes égards, tes dispositifs spécifiques, c'est gentil, mais non. Non merci. Nous, en fait, on aurait rien contre le fait d'être traités comme n'importe quel clampin. Vraiment. N'en faites rien, ne vous creusez plus la tête pour nous.
Nous on n’a rien demandé. C'est ça aussi. À force, on demande plus rien. On se débrouille entre nous. Entre nous, le job qu'on a trouvé nous amène le plus souvent à passer par la case prison. Ça a fini par faire partie des règles du jeu, en quelques sortes. On y fait un tour de temps en temps. Après, on retourne bosser.
On le sait bien, va, que le jeu est dangereux. Qu'est-ce qu'on peut y faire, nous? C'est tellement verrouillé autour. On nous bombarde de gens qui nous veulent du bien, mais la plupart nous méprise avant même de nous connaître. Nous sous-estime.
Quand on a parlé de respect, ils en ont fait un mot à la mode. Vidé de sens. Pour finalement démontrer que nous n'en avions aucun et pour personne.
Quand on a essayé de se retirer du jeu, de faire entre nous, on nous a dit "c'est pas ça la vie, fais des efforts pour faire comme tout le monde". Dis-donc, tu crois pas que si c'est pour faire comme tout le monde, c'est un peu tard, après nous avoir claqué au nez toutes les portes des "tout le monde"?
Alors qu'est-ce qu'ils nous veulent?
Parler à quelqu'un qui soit pétri de l'idée que nous valons autant que lui, ça, ce serait nouveau.
Quelqu'un qui soit convaincu que ses dispositifs, ses associations, ses élus, ses travailleurs sociaux n'ont aucune supériorité sur nous. Humains, nous sommes.
Mais le ver est parfois dans le fruit. Dans l'axe-même choisi pour monter le projet. Quand on commence par "on est là parce que tu as besoin d'aide", moi je me marre. Et je me barre. J'aurais peut-être besoin d'aide. Mais je préférerais pouvoir en dire quelque chose. Avant que tu penses me connaître. Avant que tu saches ce qu'il me faut. Avant que tu ne me veuilles quelque chose. Avant de m'expertiser, de me diagnostiquer, de me dispositiver, de me travail-socialiser, avant de vouloir me prévention-spécialiser, m'éduquer, viens me parler. Moi, je n'ai rien demandé.
Avril 2008.
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