dimanche 20 novembre 2011
Ceux qu’on oublie en cours
Lettre au voisin des maisons :
« À l’attention de Philippe et de sa famille,
Quelques mots pour vous remercier…
Il y a quelques années, nous sommes arrivés avec notre beau projet d’éducateurs pensant intégration, socialisation des résidants… Il y a quelques années, nous avons loué ces deux petites maisons qui chacune est mitoyenne avec deux autres maisons. Vous habitiez dans l’une d’elles, et je me rappelle quand tu m’as raconté, il y a quelque temps que tu angoissais de nous voir arrivé. Et pour cause, les habitants de ces deux petites maisons prennent de la place, ils font du bruit, occupent l’espace chez eux, dans le jardin, sur le parking, parfois postés devant le grillage pour te dire bonjour.
Et finalement le temps a passé, nous avons fait notre travail en allant à ta rencontre, et toi tu as accueilli les résidants, tu les as acceptés et tu as appris à être avec eux.
Finalement toi et ta famille pendant ces quelques années, vous avez vécu directement à côté de notre groupe.
4 ans à se côtoyer, et depuis quelques mois nous commençons à parler du déménagement, d’ici à fin de l’année les deux petites maisons seront vides et d’autres viendront à notre place.
J’ai été surpris lorsqu’un jour tu m’as avoué t’inquiéter de qui pourrait venir habiter à côté de chez toi. En fait, je me suis rendu compte ce jour-là que les résidants et nous les éducateurs, nous vous avions beaucoup investis et que nous allions partir comme si de rien n’était. Alors je t’ai emmené visiter le nouveau logement en construction, et tu as été rassuré de voir, que le prochain logement des résidants serait un endroit où ils seraient sûrement mieux, car il est plus adapté.
Force est de reconnaître que de telles rencontres, même si pour nous, font partie d’un contexte tout d’abord professionnel, de telles rencontres ne nous laissent pas indifférents. Pour ma part, tu m’auras beaucoup apporté grâce à ton regard extérieur et pourtant directement au contact de notre groupe des petites maisons de Condrieu et par ton expérience professionnelle et personnelle que tu as souvent partagé avec moi.
Alors je finirais comme j’ai commencé, en te remerciant toi et ta famille, ainsi que tous les autres voisins qui nous ont supporté pendant ces 4 ans, je dis nous car il n’y a pas que les résidants qui sont fatigants ! »
Voilà j’ai envie de parler ici de ceux qu’on oublie dans notre travail, tous ceux que l’on sollicite indirectement mais qu’on n’accompagne pas forcément ensuite. Je prends ici l’exemple d’une lettre pour une de ces personnes. C’est en le rencontrant, et au moment du déménagement que j’ai pris conscience qu’on pouvait parfois oublier certaines personnes dans notre pratique d’éducateur.
Afin de fixer un contexte rapidement, je travaille en tant que moniteur éducateur dans un foyer occupationnel, et en 2007, le groupe sur lequel j’intervenais a été déplacé sur un site extérieur suite à l’acceptation d’un projet de mon équipe autour de l’autonomie et l’intégration dans un milieu ordinaire.
Une dizaine de résidants ont alors investi deux petites maison chacune mitoyenne avec deux autres où logent des familles. Notre travail d’éducateurs à mon sens a alors été au-delà du quotidien de rentrer en lien avec ces voisins, afin de répondre à leurs questions, de leur permettre de passer au-delà de leurs craintes éventuelles.
Cette situation géographique a été riche car elle nous a permis de travailler différemment, de créer des liens différents avec de nouvelles personnes.
Je me souviens un week-end avoir discuté pendant un long moment sur le parking avec le voisin, Philippe, qui au bout d’un moment m’a dit en rigolant « t’as quand même un beau métier, payé à discuter avec le voisin ! » Je lui ai alors expliqué avec un sourire que oui, c’était un beau métier mais que malgré ce qu’il pensait, pendant le temps où nous parlions certains résidants s’autorisaient à venir dire bonjour, rester un moment avec nous, et que c’est ainsi qu’ils pouvaient rentrer en lien avec lui.
À travers des petits gestes, un plateau de bugnes, un bouquet de jonquille, selon les saisons et les sorties du week-end, les résidants se sont faits acceptés. Les voisins aussi se sont fait accepter des résidants, en se déplaçant pour la crémaillère, ou pour certains évènements comme le départ à la retraite d’un de mes collègues.
Et voilà, nous sommes à quelques semaines du départ, et je me rends compte que les résidants au centre d’un dispositif institutionnel sont extrêmement accompagnés par les équipes, les psychologues, l’institution. Nous aussi professionnels, nous savons en partie où nous allons, nous sommes déjà plongés dans les futurs projets de groupe.
Mais au milieu de tout ça, il y a ceux qu’on oublie, ceux qu’on a tant sollicités.
Il y a de ça quelques jours, je discutais avec Philippe le voisin qui me racontait comment il passait des heures à observer une des résidantes. Celle-ci passionnée d’animaux, aime les regarder pendant des heures, les imiter ensuite. Elle passait des heures derrière le grillage à regarder Merlin, le chien de Philippe, et celui-ci me disait donc il y a quelques jours à quel point il trouvait cette personne attachante dans ses gestes, son comportement et que cette résidante ainsi que toutes ces personnes allait lui manquer.
Ces quelques lignes, je les partage car ce que Philippe a partagé avec les résidants des maisons de Condrieu, et tout ce qu’il a partagé avec moi, toutes ces choses méritent qu’on ne l’oublie pas. Il est aussi de notre rôle à mon sens à un moment donné de l’accompagner par des attentions simples ainsi que les autres voisins des maisons mais également toutes ces personnes que nous sollicitons indirectement dans le quotidien des résidants.
Finalement aujourd’hui je pourrais parler pour ma part de ceux que je n’oublierais pas…
Antoine PASSERAT, moniteur éducateur au foyer le Reynard (ADSEA 69) en formation d’éducateur spécialisé à l’ARFRIPS.
Paru dans le lien social n° 1039 du 17 Novembre 2011.
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jpierre meyer
mercredi 23 novembre 2011