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Au-delà de la demande d’asile

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Patricia Wartelle

dimanche 03 juin 2007

Un acte d’hospitalité ne peut être que poétique.” J. Derrida

C’est à partir d’un travail de supervision d’équipe de travailleurs sociaux pendant plusieurs années , accueillant et accompagnant des personnes en exil, et en demande d’asile selon la Convention de Genève, que ce texte voit le jour. Au cours de ces années deux textes avaient fait l’objet d’exposés, lors de journées de formation concernant les demandeurs d’asile. Les travailleurs sociaux avaient titré un de leur exposé: “les conditions de la demande d’asile”, renvoyant au parcours administratif auquel la personne exilée doit se soumettre afin de faire une demande d’asile en France. Depuis la réforme de 2003, le parcours s'est resserré, le temps est écourté pour déposer la demande (21 jours pour écrire un récit explicitant les motifs), les raisons pour accéder à son obtention sont réduites en fonction d'une liste de pays dits « sûrs » et la protection possible sur une partie du pays d'origine, le droit d'entrée sur le sol français est soumis à un contrôle rigoureux selon les Accords de Shengen. Là où le pays d'accueil apportait protection, il se protège maintenant des personnes en demande de protection. Si on ne peut faire l’économie pour le travailleur social d’être au fait des tenants et aboutissants de l'administration, ma position de superviseur d’équipe, m’amena à aborder la question sur le versant du sujet ; que peut-on dire en effet des conditions psychiques d’une personne en demande d’asile? Mais aussi à quoi est confronté l’intervenant social qui accueille l’exilé? Peut-on parler d’un au-delà de la demande d’asile ? On sait aujourd’hui que les questions de l’identité, de la langue sont à nouveau à l’ordre du jour; un passage par la case « tests de connaissance du français » est obligatoire, la langue devant être apprise avant l'entrée sur le territoire, corrélée à l'idée de l'identité française, et d'une immigration dite « choisie ». Ces nouvelles mesures viennent nous interroger, c’est pourquoi, il nous paraît nécessaire de relire quelques textes majeurs, leur lecture nous donne des indications précises sur ces questions actuelles. Un point d’orgue, dans l’après-coup de notre travail, vint plutôt ouvrir que conclure nos élaborations : je fus invitée à participer à une formation sur la question de “L’éthique dans les pratiques sociales”, avec Joseph Rouzel*, qui propose un nouage du travail social et de la psychanalyse orienté par la théorie lacanienne. En cette occasion, je remercie les travailleurs sociaux exerçant dans ces structures d’accueil de l’exilé, mais aussi de l’exclu, pour ce qu’ils m’ont transmis, pour nos échanges parfois vifs mais toujours considérés, sérieux et productifs, pour le travail qu’ils y accomplissent et la nécessité qui s’est construite pour eux au fil de nos réunions de bien dire leur pratique mise en oeuvre, tout en la questionnant. A l’occasion du thème des rencontres PIPOL 3 (Programme International de Recherches sur la Psychanalyse appliquée d'Orientation Lacanienne) de cette année : “Psychanalystes en prise directe sur le social”, sous l'égide de l'Ecole de la Cause Freudienne, à Paris les 30 juin et 1ER juillet, je propose d'inclure ce travail dans la rubrique : « Politique de l’acte », une articulation à partir de la question de l’Ethique, de la langue, des préoccupations qui ont ponctué mon année et qui croisent la question de la demande d’asile de différentes manières. I L’inquiétante étrangeté Poser la question de l’accueil de l’exilé c’est prendre en compte l'énigme qui gît au cœur de l’être humain, Freud ne manquant pas de la poser dans différents textes. Ainsi dans sa réponse à Einstein: “Pourquoi la guerre?”1, Freud acquiesçait avec grand embarras aux propositions d’Einstein, développant avec finesse le penchant meurtrier, destructeur, pouvant se mettre à l’oeuvre dans certaines conditions: “Vous vous étonnez qu’il soit si facile de susciter chez les hommes l’enthousiasme guerrier, et vous présumez que quelque chose agit en eux, une pulsion de haine et d’extermination, qui répond à une telle folie prédatrice. A nouveau je ne puis que vous donner raison sans restriction. Nous croyons à l’existence d’une telle pulsion et nous nous sommes efforcés, ces dernières années précisément, d’en étudier les manifestations.”2 Freud évoquait là la pulsion de mort qu’il va par ailleurs articuler avec le narcissisme, cette pulsion d’agressivité, de destruction que l’on retrouve dans la répulsion des autres et qui agit en chacun d’entre nous. Il s’agit alors d’accueillir par là même l’étranger en soi-même, quand il nous revient d’accueillir l’étranger ; Freud appelait cela aussi le “narcissisme des petites différences”. Dans “Psychologie des foules et analyse du moi”3, Freud développe cette idée, à partir de la parabole de Schopenhauer, que les hommes se comportent comme des porcs-épics transis : “ aucun ne supporte l’un de l’autre un rapprochement trop intime.”4 Ainsi voici la pente chez l’homme de ne pas supporter celui qui est le plus proche de lui et lui ressemble le plus, soutenu par le narcissisme des petites différences et par la pulsion de mort ; cet autre il le hait. S’ils se rassemblent dans une foule cela peut conduire les hommes à la disparition de l’intolérance jusqu'à la barbarie la plus impensable. Dans “ Malaise dans la civilisation”5, Freud pose que tant que l’on reste à un niveau moral de l’éthique, celui-ci pousse à la méchanceté. Ainsi avec l’exemple de cet idéal “d’aimer son prochain comme soi-même.”, Freud démontre combien c’est chez mon plus proche voisin, là où il y a si peu de différence, que mon intolérance peut-être la plus grande. Ainsi naissent les groupements en excluant les désignés ennemis, qui viennent satisfaire cette pulsion d’agressivité: “ Il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups.”6 Cela permet de résoudre le problème de l’inquiétante étrangeté en soi-même: ainsi on ne la perçoit pas chez soi mais chez l’autre. II L’exil L’exil est un acte qui s’impose à un sujet lorsqu’il est confronté à quelque chose d’insurmontable, d’impensable, à du non sens ; c’est bien souvent soit l’exil ou la mort. Ainsi la question de l’accueil de l’exilé croise en son fondement le paradoxe central du champ de l’Ethique que découvre la pulsion de mort. L’enfant-soldat de Sierra-Léone, l’homme ou la femme quittant le Congo, le Rwanda, la Jordanie, la Russie, parviennent, après un choix bien difficile qu’est la fuite, dans un pays où ils pourront, enfin vivre autrement. Fuir un état de non droit, fuir une résistance, une armée sans foi ni loi, puisqu' ils font partie de ce camp qui soulève dans l’autre camp des sentiments négatifs et hostiles. La destruction, les massacres, le viol, la torture, la peur, ..., la mort sont fuis, là où la pensée n’est plus de mise, il faut parvenir à trouver asile dans un pays de droit, s’en sortir. Sortir de l’horreur en somme, de l’impensable, l’innommable, l’irreprésentable. Lacan lira dans cette question de la pulsion de mort un des fondements de la ségrégation, dont il prédit dès 19677 la croissance corrélée à la domination du marché. Avec Lacan, c’est le réel qui est hors sens, impossible à dire, hors représentation, c’est bien la mort et le sexe qui sont à cette place là. On peut penser que le demandeur d’asile est dans un rapport particulier à la mort, il l’a frôlée, a été laissé pour mort, l’a donnée, il a franchi un seuil en somme qui ne peut pas se dire, qui fait trou dans le discours. Les travailleurs sociaux remarquaient lors de l'accompagement de l'écriture du récit de la demande d'asile combien des stratégies de fuite, d'évitement, de difficulté à dire étaient mises en place par le sujet quand il s'agissait de dire ces moments proches de la mort. L’exil de Freud lors de la seconde guerre mondiale est exemplaire de nous montrer combien il ne souhaitait pas partir. C’est contraint qu’il décida de s’exiler. Une phrase écrite dans une lettre à Ludwig Binswanger avant la seconde guerre mondiale : “Soyez heureux d’avoir une patrie.” l’annonçait déjà. Cependant il parvint à partir non sans laisser une marque d’ironie à la fin d’un document, qu’il signe sans rechigner mais en y ajoutant une remarque qui indique une des modalités de traitement face à l’exil, face à l’horreur, quand on ne peut rien dire, rien faire que se taire. Ainsi pour qu’il puisse partir on lui demandait de signer ce document : “Je soussigné, Pr Freud, confirme qu’après l’Anschluss de l’Autriche avec le Reich allemand, j’ai été traité par les autorités allemandes, et la Gestapo en particulier, avec tout le respect et la considération dus à ma réputation scientifique, que j’ai pu vivre et travailler en pleine liberté, que j’ai pu continuer à poursuivre mes activités de la façon que je souhaitais, que j’ai pu compter dans ce domaine sur l’appui de tous, et que je n’ai pas la moindre raison de me plaindre.”8 Freud demanda l’autorisation d’ y ajouter une phrase qui disait : “Je puis cordialement recommander la Gestapo à tous.” Ainsi, juste avec cette petite phrase ironique, il disait l’envers du décor que nous connaissons. L’humour qu’un exilé parvenait à utiliser n’était pas sans frapper les travailleurs sociaux ; comment peut-il rire, faire de l’humour après ce qu’il a traversé? Le traitement par l’humour, voire l’ironie, par laquelle on se refuse à la douleur est bien un processus qui peut maintenir une santé psychique. Un écrivain contemporain venu du Togo pour vivre en France, Kossi Efoui, a accepté de parler de son écriture à Amiens, et nous a transmis cette nécessité qu’il avait d’écrire avec une langue truffée de mi-dire. Mais aussi, il parlait de ce rapport à la pensée unique avec beaucoup d’humour, il rendait vivant ce rapport à cette langue de la pensée unique que l’on pourrait qualifier de langue morte. III L’hospitalité La question de l’Ethique et de la langue, je la poursuivrai par le biais du livre de Jacques Derrida, “De l’hospitalité”, qui recueille deux séances de son Séminaire de 1996 sur ce thème à l’invitation d’A. Dufourmantelle. Il développe l’aporie que contient l’hospitalité. Le travailleur social qui accompagne un sujet en demande d’asile s'y trouve confronté immanquablement. J. Derrida nous rappelle avec l’exemple de Socrate, que celui-ci demande à être traité comme un étranger devant un tribunal où il dit ne pas parler la langue des juges: “à l'âge de plus de soixante-dix ans; véritablement donc je suis étranger au langage qu'on parle ici. Eh bien! de même que, si j'étais réellement un étranger, vous me laisseriez parler dans la langue et à la manière de mon pays, je vous conjure, et, je ne crois pas vous faire une demande injuste, de me laisser maître de la forme de mon discours, bonne ou mauvaise et de considérer seulement; mais avec attention, si ce que je dis est juste ou non : c'est en cela que consiste toute la vertu du juge ; celle de l'orateur est de dire la vérité.”9 Socrate, citoyen exemplaire à Athènes, au V° siècle avant J.-C., pose un acte qui va marquer l’histoire, dans une ville où la première forme de démocratie a vu le jour et où son procès viendra ternir la réputation de tolérance athénienne. Socrate est accusé de subvertir la jeunesse et d’introduire de nouveaux dieux dans la cité alors que la guerre du Péloponnèse avait fait rage. Il accepte la condamnation à mort, refusant l’injustice, et ne voulant pas se situer au-dessus des lois, il pousse ses juges à la question. Il refuse de fuir la ville et boit lui-même la ciguë, afin de maintenir la liberté de penser. C’est à Athènes que les étrangers appelés métèques (qui a changé de maison) étaient les mieux traités dans la Grèce Antique. Ainsi chez Platon, élève de Socrate, on retrouve l’étranger comme figure de celui qui porte la question, redoutable, voire intolérable. L’étranger, dont les deux dérivations latines d’hostis comportent un sens et son contraire: hôte ou ennemi, son accueil repose sur la loi de l’hospitalité absolue, un accueil sans condition et sur les lois de l’hospitalité fondées sur les droits et devoirs, deux régimes antinomiques, mais aussi indissociables. L’hospitalité pose la limite, la frontière entre le privé et le public. Ainsi la réaction xénophobe surgit quand le chez-soi semble menacé. Il existe une tendance actuelle à gommer la limite entre le privé et le public, que J. Derrida appelle « la pervertibilité », entre le secret et le phénoménal, entre le chez-soi et le viol, rendant impossible l’hospitalité, puisque celle-ci n’est possible que lorsque la frontière, la limite fait bord. La langue est d’emblée une question quand on accueille un étranger, elle est selon J. Derrida un des deux “soupirs” que l’on garde lorsqu’on s’exile, la langue et les morts. La langue reste comme l’ultime patrie. Il prend l’exemple d’Hannah Arendt quand elle parle de sa langue maternelle: “Elle ne se sentait plus allemande sauf pour la langue.” Quand un journaliste lui demandait: “Pourquoi êtes-vous restée fidèle à la langue allemande malgré le nazisme?”, elle répondait: “Que faire, ce n’est tout de même pas la langue allemande qui est devenue folle! Rien ne peut remplacer la langue maternelle.”8 Nurith Aviv, réalisatrice, dont le dernier documentaire projeté à Amiens en sa présence s’intitule: “D’une langue à l’autre.”10 pose la question de ce qu’est la langue maternelle, et témoigne dans un précédent documentaire, du dernier mot prononcé par sa mère avant de mourir qui fut un mot allemand (alors que celle-ci parlait l’hébreu et vivait en Israël depuis la seconde guerre mondiale). C’est dans “Vaters Land”11, dont le titre condense l'équivoque entre le pays du père et la patrie, que N. Aviv pose la question de ce qu’est le pays du père après la perte, le vide. J. Derrida présente l’autre face de la langue maternelle, à la fois condition de l’appartenance et expérience d’une irréductible “exapropriation”, elle est avant tout la langue de l’autre. Ce qui n’est pas sans évoquer le bain de langage dans lequel on naît, situé par J.-A. Miller ainsi: “la langue maternelle qui est la langue qu’un autre parlait avant nous.”12 L’asile, l’accueil passent par la langue, Lévinas le dit ainsi: “Le langage est hospitalité.”13 Nous avons donc une hospitalité inconditionnelle, où demander le nom, le lieu d' où quelqu'un vient et où il va n’est pas nécessaire, et une hospitalité circonscrite par le droit et le devoir. C’est avec cette contradiction que l’on travaille quand nous accueillons les personnes en demande d’asile, une aporie irréductible. Langue et exil sont noués sur fond d’Ethique, et inclut “l’innommable d’une vérité”.14 Le langage fait de l’être humain un parlêtre, c' est une structure trouée, qui comporte en sa constitution même un trou, un intraduisible, permettant ainsi à la chaîne signifiante de se déployer. Renvoie-t-il à l’impossible à traduire de la langue étrangère ? Quand une personne en demande d’asile s’y trouve confrontée, à cet impossible à traduire: comment dire dans un mi-dire? Maintenir l’équivoque possible entre les langues, passer d’une langue toute, qui dirait la vérité vraie à une langue inventée, propre au sujet, poétique, qui ne dit pas tout, mais accueille le désir d’un sujet en exil. Ne sommes-nous pas chacun un exilé du langage, de la langue toute ? Mai 2007 * Joseph Rouzel, éducateur spécialisé, psychanalyste, a écrit de nombreux ouvrages, notamment “Le travail d’éducateur spécialisé, éthique et pratique.” 1 In “Résultats, Idées, Problèmes”, Tome II, de S. Freud. 2 Ibid, p. 209. 3 In “Essais de psychanalyse”, de S. Freud. 4 Ibid, p. 162. 5 “Malaise dans la civilisation”, de S. Freud. 6 Ibid, p. 68. 7 « Proposition du 9 Octobre 1967 sur le psychanalyste de l'Ecole. », de J. Lacan, in Scilicet n°1, p.29 8 In “Freud” de R. Jaccard, p.165 9 In “Apologie de Socrate” de Platon, 17d et 18a 10 “D’une langue à l’autre”, documentaire de Nurith Aviv. 11“Vaters Land”, documentaire de Nurith Aviv. 12 In la Lettre Mensulle de l’ECF, “Affaires de famille dans l’inconscient” , J.-A. Miller, p.9 13 In “De l’hospitalité” de J. Derridia, p.119 14 In “L’éthique”, d’A. Badiou, p.76

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