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Affaire DSK. Injustice et perversion

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Daniel SIBONY

mardi 24 mai 2011

 

Affaire DSK

Injustice et perversion

Dans cette affaire, on n'a pas trop pensé parce qu'on est fasciné par l'instant crucial où se joue le destin d'un homme. On aime l'idée de voir toute une vie se trancher en quelques minutes - quitte à déplorer, s'indigner, s'apitoyer, s'offrir toutes les friandises mentales qui vont avec. Cette fascination et ce rituel macabres ont été voulus, organisés par la juge américaine, qui a d'emblée entériné la parole de la femme et qui, avec un sourire ironique (très visible sur la vidéo de l'audience) a décidé de traiter l'homme en criminel dangereux. Veut-elle venger sur un homme toutes les femmes qui n'ont pu faire juger leur violeur? (J'ai eu quelques juges en analyse et j'ai frémis devant ceux qui partaient bille en tête pour défendre le Bien.) Même la loi du Talion, qu'on évoque avec mépris, était un progrès sur la loi de la vengeance, puisqu'elle pose que lorsque, par exemple on crève un œil, on donne non pas un œil, encore moins sa vie, mais l'équivalent d'un œil ("œil pour œil"). Ici, le "crime" envisagé est très - très - improbable. Un homme ne tente pas de violer une femme dans un espace nullement désert, dans un lieu où elle peut appeler, menacer, porter plainte (cela suppose que cet homme est presque fou, violemment compulsif) sans avoir de sérieux antécédents. Or jusqu'ici, cet homme n'a violé personne. Une ou deux femmes se plaignent de lui, (elles cherchent avant tout la vérité, c'est clair), mais elles décrivent des dragues insistantes, voire un peu lourdes, pas des agressions. Et des journalistes rappelant qu'ils ont toujours pointé ce trait de son caractère, décrivent aussi un dragueur insistant, mais pas un agresseur, encore moins un criminel. Bref, si cet homme devait agresser dans un espace quasi public, une femme dont il peut deviner qu'elle se plaindrait, il faut qu'il ait déjà un passé d'agresseur. Or c'est un séducteur insistant, et cela n'a rien à voir: un séducteur jouit de rendre la femme consentante. Loin d'imposer un "je veux", son but est d'obtenir qu'elle veuille. On est forcé de penser qu'elle voulait, au départ, et qu'elle a pu changer d'avis, sans que l'homme intègre ce changement à la minute. La limite, plus qu'incertaine, a pu être franchie, mais y a-t-il eu coups et blessures? fellation? quelques griffures? (Si elle a dit "oui" au départ et que ce "oui" cache un "non", il faudrait voir ce que ça cache. Même le "oui" marital peut cacher des "non"…) Pour qu'il y ait forçage, il faut que la pulsion sexuelle du sujet, qui n'est pas dans une grande privation, l'emporte sur sa pulsion narcissique, celle de son image, de son avenir, de son prestige, etc. Il faut qu'il soit non pas dans la séduction, mais dans un état d'inconscience mu par le besoin de détruire l'autre, dans sa personne, son identité, son nom (c'est plutôt ce qu'a fait la juge envers lui, et sans risque). Il faut que notre homme soit dans une épreuve de force avec le "père" ou le symbole qui le représente, qui peut être la femme, la mère ou l'enfant... Dès lors, les détails scabreux du "crime" ne tiennent pas (il lui a par deux fois "touché la bouche avec son sexe") sauf si c'est un fétichiste de la fellation forcée, ce qui là encore exige des antécédents, et qui semble très risqué (morsure).

Une fois posé ce "crime", on interprète ses actes en fonction de sa culpabilité supposée: il est parti, donc il a fui, donc il est coupable. Or un fuyard ne rappelle pas pour qu'on le localise. De même, on a peur qu'il échappe à la justice, or il peut promettre d'être présent lors du procès, il peut donner sa parole; mais non, la parole d'un homme ne vaut plus rien, et de façon définitive, s'il est accusé d'avoir commis cette tentative. En somme, s'il a commis cette chose ou s'il en est accusé (ce qui semble revenir au même) on peut n'avoir aucun égard pour l'ensemble de sa vie.

L'acte pervers de la juge américaine (qui vise d'abord à briser l'autre tout en feignant de rendre justice) aura des effets pervers. Déjà, il suggère de traiter les femmes comme des enfants dont la parole, forcément vraie, prime d'avance sur celle de l'autre, de l'adulte tout-puissant, de l'homme qu'on pourra toujours suspecter. Assez d'hommes ont peur de la femme (vu le lien à leur mère) mais si la loi "justifie" cette peur, les rapports entre les sexes n'iront pas mieux. Les femmes seront ainsi suspectées. Déjà que la libido se raréfie, beaucoup d'hommes verront leur désir entamé par l'idée de risque, celui de la fausse accusation. On pourrait dire "bonjour la parano".

Autre effet pervers: on a ici très peu parlé de la femme supposée victime. Mais c'est que beaucoup de gens, très respectueux des femmes, beaucoup de femmes même, n'y ont pas pensé, tant elle est quasiment identifiée à deux blocs super-puissants, la police new-yorkaise et la justice américaine; cela a masqué son aspect victime au profit de l'aspect bourreau. Et elle redevient victime mais autrement, du fait d'être derrière des bourreaux, identifiée à ce drame pour longtemps.

Et si en fait, l'Institution judicaire nous lançait un message? du genre: il faut pas moins que ça, que cette justice terrifiante, pour assurer le vivre ensemble! Et comme, pour celui-ci, on ferme déjà sa gueule (consensure), on a des peurs variées mais qu'il ne faut pas montrer, sous peine d'être pointé "phobique" de ceux-ci ou de ceux-là, si on ajoute cette phobie-là (femmophobie? mais le nom est déjà là: misogynie), que restera-t-il pour vivre ensemble? Bref, il n'est pas bon qu'un homme soit "tué" sans jugement sur la parole d'une femme qui s'appuie sur l'hypothèse pathologique la plus extrême.

Daniel Sibony, 19/5/2011 

Psychanalyste, écrivain. A publié récemment: M arrakech, le départ , roman, et  Les sens du rire et de l'humour , (Odile Jacob)

  www.danielsibony.com  et  www.youtube.com/user/danielsibony

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