dimanche 10 juin 2018
PRÉAMBULE
Au sujet de l’accueil de « réfugiés », qui occupe régulièrement et à nouveau l’actualité politique et sociale de manière aiguë, le président de la République, Emmanuel MACRON, a exprimé qu’« accueillir les réfugiés est un défi immense » qui demande « une humanité immense et exigeante »[1]. Quant au premier ministre, Edouard PHILIPPE, il dira qu’« effectivement, il faut accueillir le mieux possible, c’est notre mission. La France est en effet la patrie des Droits de l’homme et du droit d’asile. (…) Mais il y a des réalités, et il faut équilibrer et peser ses mots. Les mots ont un sens, il faut faire attention (…). »[2]
Conservons à l’esprit ces deux déclarations.
Les raisons générant la problématique de ces flux migratoires sont multiples et circonstanciées. A priori, personne ne quitte son pays, ses repères sociaux, culturels, existentiels, si ce n’est pour une question de survie[3].
Bien qu’elles n’aient pas présidé à la rédaction de cette réflexion, ces raisons ne sont pas sous-estimées par l’auteur.
La question que l’on est en droit de se poser est la suivante :
1 QU’ENTEND-ON PAR ACCUEIL ?
Définir est par essence à la fois un art difficile et une gageure.
Quelle définition peut être globalisante sans être simplificatrice ? Exhaustive sans être incompréhensible ?
L’intérêt d’une définition, sa finalité même, résidant dans son exploitation pratique : rendre lisible et intelligible le réel afin de mieux l’appréhender et le comprendre.
Comment contenir l’ensemble de la réalité du sujet qu’une définition veut caractériser ? Elle en prend généralement une partie, fonction des points de vue et des points de référence invoqués.
Autant de définitions qu’il y a de disciplines et d’auteurs qui veulent saisir le sujet.
Selon leur spécificité : scientifique, linguistique, technique, politique, économique, mathématique, théologique, philosophique, etc., les définitions contiennent les critères relatifs aux domaines dont dépend l’objet défini. Chaque discipline, chaque courant de pensée possède ses systèmes de références, ses éléments sémantiques, ses systèmes conceptuels et idéologiques relatifs aux époques et aux contextes dans lesquels ils prennent forme.
L’intérêt de définir étant également d’éviter de polémiquer et d’entrer dans des querelles de chapelle.
De ce fait :
Pour de plus amples spécifications, le lecteur pourra se référer aux organismes habilités sur le sujet comme : France Terre d’Asile, la Cimade, Forum Réfugiés, Dom’asile, GISTI[6] entre autres.
2- CARACTERISTIQUES ENVIRONNEMENTALES PRATIQUES DE L’ACCUEIL
Le but de ce texte est de présenter une réflexion qui se veut pratique, proposant une grille de lecture, en tant que référentiel, concernant les caractéristiques environnementales pratiques de l’accueil des « réfugiés ».
Un référentiel qui se veut dans l’esprit d’un guide exploratoire pour comprendre et déterminer sur quel(s) plan(s) l’accueil peut être compris et envisagé.
Distinguons les six caractéristiques qui vont être proposées dans le référentiel en deux catégories :
J’appuie le référentiel proposé sur six caractéristiques majeures permettant d’appréhender les conditions environnementales de l’accueil :
De quelles caractéristiques en particulier les dispositifs mis en œuvre pour l’accueil devraient-ils se préoccuper ? Dans le sens, je le rappelle, d’un accueil digne.
Explicitons plus particulièrement les caractéristiques sur lesquelles nous pouvons agir :
Sur le plan pratique, les différents acteurs concernés : institutionnels, professionnels, bénévoles, sont confrontés aux réalités quotidiennes des situations, qui peuvent s’avérer être difficiles, critiques et urgentes.
Trois aspects sont à considérer :
Présentons ces trois aspects de manière détaillée, sans pour autant que cela soit exhaustif.
Avec les procédés et les manières d’accueillir à considérer. Accueille-t-on :
Ce qui pose les questions suivantes :
Quelle connaissance et compréhension le « réfugié » a du pays d’accueil ?
Ce qui induit l’apprentissage « obligé » des codes, usages, habitudes, conventions, explicites comme implicites.
Que celui-ci soit bénévole ou professionnel.
Certaines questions se posent, pour ne pas dire s’imposent aux acteurs, qu’ils soient professionnels ou bénévoles :
Si je suis capable de me comporter différemment selon qu’il s’agit de parents, de proches/d’intimes choisis, d’usagers dans un cadre social et professionnel, outre le cadre éthique professionnel à observer, comment interpréter les différents masques dont je suis capable ? J’entends par là : les masques (d’aucuns parleront de « rôles » joués) que je porte selon les circonstances et le statut des interlocuteurs ?
L’autre : l’usager, le « réfugié », le client, n’est pas dupe de la situation et ne demande pas à être objet de confusion mais d’être respecté et considéré.
Bien que ces trois aspects soient dissociés pour la présentation, ils s’interpénètrent et les acteurs intervenants ne sont pas toujours adaptés à la complexité.
Avec une précision à apporter : l’accueil et l’accompagnement ne sont pas du même ordre selon la situation de l’accueilli(e). Sur ce point, considérons les caractéristiques suivantes relatives aux « réfugiés » :
Autant de critères qui vont impacter le « projet » de vie à construire : dans un ailleurs à envisager, avec le propos souvent exprimé par les « réfugiés » de « repartir à zéro ».
3- LES ASPECTS EVALUATIFS
La démarche évaluative, qui se veut participative, associant concertation et collectif, repose sur un ensemble d’exigences structurées qui servent de référentiel, en tant que systèmes de valeurs, pour l’appréhension, la vérification et la compréhension d’un fonctionnement défini pour agir.
Nous retiendrons trois questions pour expliciter cette partie.
L’évaluation permet une compréhension à la fois qualitative et quantitative d’un fonctionnement.
Elle se doit d’être essentiellement objective.
L’intérêt d’évaluer se justifie au regard de buts associés à des finalités.
L’acte évaluatif vise la prise de décision des acteurs et la responsabilisation qui y est associée.
Une évaluation efficiente s’appuie sur un référentiel associé à des critères et des indicateurs évaluatifs pertinents.
Le référentiel constituant un cadre conceptuel rendant intelligible le réel. C’est-à-dire : les éléments, les situations, le fonctionnement à évaluer.
Évaluer l’accueil des « réfugiés », plus précisément les modalités d’action mises en œuvre, peut se faire d’après le référentiel proposé, avec les « caractéristiques environnementales pratiques de l’accueil » exposées dans le chapitre 3 :
Ce qui nécessitera d’établir pour chacun les critères et les indicateurs à partir desquels la démarche évaluative pourra devenir opérationnelle.
4- TEMOIGNAGES DE « REFUGIES » ILLUSTRANT ET APPUYANT LA REFLEXION
L’accueil, généralement contraint, dans un « nouveau monde », au terme d’un parcours d’exil souvent incertain, complexe, périlleux, n’est pas sans interrogations au regard des témoignages suivants de « réfugiés ».
Autant de réalités que peuvent raconter les intéressés de ce qui les a marqué lors de leur arrivée dans le pays d’accueil, y compris des années après, rappelant en filigrane ce que peut signifier d’être « réfugié ». Ce qui indique le soin à prendre dans les relations, que ce soit à l’accueil comme dans le cadre de l’accompagnement à l’intégration sociale.
Il s’agit d’extraits de témoignages, retenus par l’illustration qu’ils apportent à cette réflexion.
* Monsieur A, jeune tchétchène, célibataire :
Son projet était de reprendre ses études.
« Ce qui était compliqué c’était d’avoir la bonne information pour savoir comment faire pour mes études (…) pour être bien orienté. »
* Monsieur B, jeune soudanais, dont l’épouse est restée au pays :
« Quand je suis parti du Soudan, je devais avoir 19 ans. J’ai laissé mes études, j’ai quitté ma famille et je suis parti tout seul, avec un visa.
Je voulais aller en Egypte, mais j’ai entendu dire qu’en Israël ça serait mieux pour le travail, pour être aidé. Je ne parle pas Hébreu. Mais arrivé là-bas ce n’était pas comme on m’avait dit.
Je suis d’abord arrivé dans un grand centre où on a inscrit mon identité, relevé mes empreintes. (…)
Le problème c’est que je ne pouvais pas communiquer avec les autres. Il n’y avait personne pour m’expliquer et m’informer.
(…) Je suis arrivé en France l’année de mes 25 ans.
Aujourd’hui, j’ai toujours besoin qu’on m’explique et qu’on m’informe pour que je comprenne bien comment je dois faire, bien comprendre les procédures. »
* Monsieur C, libyen marié, un enfant :
« Au départ, nous ne pensions pas venir en France. Nous parlons couramment l’anglais – en Lybie, j’étais enseignant en Anglais.
Nous envisagions d’aller en Angleterre mais le visa était extrêmement cher. À l’ambassade en Lybie, il nous a donc été proposé de voir plutôt un pays européen.
Il y a la complexité du choix du statut et du pays d’accueil pour quitter son pays car tout l’avenir en dépendra : visa étudiant ? visa pour résidence ? Et selon le pays envisagé : ce à quoi y autorise le type de visa choisi.
Nous sommes donc venus en France, avec un visa touristique de 6 mois : nous n’envisagions pas d’y rester, ni d’y être réfugiés. (…)
À Paris, nous avons alors été en contact avec le Secours catholique. Le responsable a eu de la considération pour nous, ce qui a été important.
J’ai mal vécu des situations difficiles : par exemple on m’a demandé jusqu’à quel âge j’étais allé à l’école ? Il était préférable de me demander quelles étaient mes qualifications, mes diplômes, mes expériences professionnelles.
De même que les questions sont souvent : qui tu es ? D’où tu viens ? »
* Monsieur D, jeune soudanais, célibataire :
« Je voulais aller en Angleterre.
Je suis d’abord arrivé à Paris – quartier la Chapelle. Au début c’était très difficile : je dormais dans la rue. Puis il y avait plusieurs associations pour aider, avoir à manger et dormir.
Aujourd’hui, ce qui est difficile ce sont les papiers, car je suis toujours demandeur d’asile.
Des gens sont biens, d’autres sont méchants ; tu comprends qu’ils ne veulent pas que tu sois-là.
Au début tu es tout seul, on ne t’explique pas. La première fois, quand tu vas dans les magasins, tu fais des erreurs car tu ne comprends les prix, comment il faut faire. Après, tu apprends et tu comprends.
* Monsieur E, Afghan marié, trois enfants, épouse disparue :
« Nous sommes arrivés à Calais en 2016. (…)
Pendant 5 jours nous avons dormi dehors, sous les arbres. C’était très difficile : pour manger, pour se laver… (…)
Nous sommes partis d’Afghanistan, à huit. Il y avait aussi mon épouse et un autre fils. Nous sommes passés par l’Iran, puis la Turquie. C’est là que j’ai perdu de vue mon épouse et un de mes fils.
Nous avons poursuivi par la Grèce. De là, par bateau, dans un container, nous sommes arrivés en Hongrie, puis passage en Autriche, en Allemagne et nous sommes arrivés en France. (…)
Je parle couramment anglais, plusieurs langues même. Je pouvais communiquer en anglais mais pas en français.
En français, je ne comprenais pas. Et puis nous avons été accueillis dans un centre d’hébergement.
* Monsieur F, jeune soudanais, dont l’épouse et l’enfant sont restés au pays :
Je suis parti du Soudan en 2003/2004, passant par le Tchad, la Lybie, l’Egypte, pour arriver en Turquie. Là je suis resté 3 ans. Puis la Grèce, où je suis resté 6 ans. Après je suis arrivé en France en 2015, par l’Italie.
En Turquie, en quelques jours, c’est facile de trouver du travail. Tu vas dans une fabrique. Si il n’y a pas de travail tu vas dans une autre, ou quelqu’un téléphone car il connaît quelqu’un qui a du travail. Je ne suis pas resté en Turquie car c’est difficile d’avoir des papiers pour être réfugié.
En Grèce aussi le travail était possible. J’avais plusieurs mois de travail sur une année.
En Crête j’ai travaillé pour cueillir les olives. (…) La vie est moins chère qu’en France.
En France, suis arrivé directement dans la « jungle » de Calais. Ça c’était très difficile. La vie est très chère ; c’est très difficile pour se loger. Je ne parlais pas le français.
Ça fait 3 ans que je suis en France et je n’ai pas de logement, pas de travail. Ça fait 15 ans que je suis parti du Soudan. (…) Tous les réfugiés n’ont pas la même chance. C’est la vie !
CONCLUSION
Nous avons gardé à l’esprit les propos du président de la République, Emmanuel MACRON, sur le fait qu’« accueillir les réfugiés est un défi immense » qui demande « une humanité immense et exigeante » et du premier ministre Edouard PHILIPPE sur le fait qu’« effectivement, il faut accueillir le mieux possible, c’est notre mission (…) Mais il y a des réalités… »
Il y a une mise en tension entre « accueillir le mieux possible » d’une part et « les réalités » d’autre part. Une mise en tension entre les déclarations d’intentions faites et ce qui se passe sur le terrain.
Un terrain mouvant, avec ses contraintes, ses spécificités, ses problématiques propres qui n’ont rien d’abstrait.
Ce que les témoignages des « réfugiés » viennent rappeler[7]. Tous les beaux discours ne peuvent que tenter de voiler ces réalités, non de les supprimer.
En quoi le référentiel proposé dans ce cadre, en termes de grille d’analyse, permet la compréhension et une meilleure lisibilité de l’accueil ?
En quoi le référentiel fait-il apparaître les différents angles de lecture possible liés aux caractéristiques environnementales pratiques de l’accueil ?
Actuellement, sur le territoire national, nous semblons agir comme si le risque d’être « réfugié » était désormais « sous contrôle », protégés que nous pensons être par notre démocratie.
La possibilité d’être un jour « réfugié » à notre tour n’est plus dans les esprits, comme si nous n’étions plus dans une logique de migration. Or celle-ci n’est pas seulement du fait de problématiques économiques, politiques, militaires, confessionnelles, mais aussi climatiques.
L’avenir nous dira de quelles manières nous seront concernés.
Pau, le 18 Mai 2018
SIMONET François
Docteur en Sciences de l’éducation et de la formation
Chargé de cours à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Formateur dans le secteur social
Notes & Références bibliographiques
[1] « Le Canard enchaîné », mercredi 2 Août 2017, p. 8
[2] Discours d’Edouard PHILIPPE, Premier ministre, à Matignon, le Jeudi 11 Janvier 2018, in « Le Canard enchaîné », mercredi 17 Janvier 2018, p. 2
[3] Par exemple : Marie-José Tubiana, Une émigration non choisie ; Histoires de demandeurs d’asile du Darfour (Soudan), Paris, l’Harmattan, aresae, 2016.
[4] Michel Agier et Anne-Virginie Madeira, Définir les réfugiés, Paris, PUF, La vie des idées, 2017.
[5] « Le guide de l’entrée et du séjour des étrangers en France », Gisti, Paris, La Découverte, 10e édition, juin 2017.
« Le guide du Demandeur d’Asile en France », Ministère de l’intérieur, Direction générale des étrangers en France, novembre 2015.
[6] Groupe d’Informations et de Soutien des Immigrés.
[7] à titre d’information également, le texte de : Hannah Arendt, « Nous autres réfugiés », Pouvoirs, n°144, 5-12, 2013. Texte original : « We Refugees », in The Jew as Pariah. Jewish Identity and Politics in the Modern Age, New York, Grove Press, 1978, p. 55-66. Publié pour la première fois dans The Menorah Journal, janvier 1943, p. 69-77. Une précédente traduction de cet article a été donnée par Claude Mouchard dans la revue Passé Présent, n° 3, Ramsay, 1984. (NdT dans la revue Pouvoirs)
Copyright © par PSYCHASOC
n° de déclaration : 91.34.04490.34
— site web réalisé par Easy Forma —