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La pulsion de mort

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La pulsion de mort
Entre psychanalyse et philosophie
érès
31/12/2003

Lorsqu’en 1920 Freud inventa un au-delà, non religieux, c’est là qu’il logea cette puissance dénommée « pulsion de mort ». Beaucoup de ses élèves lui en voulurent et le quittèrent. Les explications produites visaient à minimiser l’invention freudienne : le pauvre vieux, après la mort de sa fille bien aimée Sophie, le chagrin l’accable, et voilà qu’il nous pond un concept causé essentiellement par le malheur qui le frappe ! Or l’invention de Freud n’offre rien de conjoncturel. Elle découle d’une construction logique. Dans L’Interprétation des rêves paru en 1900 - ou plus exactement en novembre 1899, Freud ayant exigé de l’éditeur qu’il imprime sur la jaquette de couverture « 1900 » pour bien marquer que sa pensée ouvrait le siècle- Freud avançait la thèse suivante : le rêve met en scène la réalisation d’un désir. Jusqu’en 1920 c’est sur cette voie royale qu’il chemine. Encore faut-il apporter une précision de taille à cette affirmation. A y regarder de plus près Freud écrit que « Le rêve est la via regia qui mène à la connaissance de l’inconscient ». Et non la voie royale de l’inconscient, comme on le dit trop souvent. Autrement dit il n’est de rêve qu’à partir du récit qu’en fait le rêveur. Cette remarque pèse de tout son poids quant à la pulsion de mort, puisque c’est à partir de sa clinique, notamment auprès de traumatisés de guerre, qui répétaient chaque nuit le même rêve terrifiant renvoyant à une scène par eux vécue dans la réalité : par exemple un camarade qu’ils avaient vu disparaître devant eux soufflé par une bombe, c’est à partir de ces récits de rêve traumatiques de guerre que Freud se pose une question qui met en défaut son hypothèse de 1900. Si le rêve répète ces horreurs comment peut-on continuer à dire qu’il réalise un désir ? Si oui alors quelle est la nature de ce désir ? Quelle est cet au-delà du principe de plaisir ? Freud en comparant différentes scènes répétitives, telle celle des jeux d’enfants, notamment ce jeu qu’il observe chez son petit-fils Ernst âgé de 18 mois, qui, lorsque sa mère s’absente joue avec la disparition et la réapparition d’une bobine de fil, en vient logiquement à déduire l’impératif d’une pulsion de mort signée par une compulsion de répétition. De cette pulsion - mais n’oublions jamais que pour Freud il s’agit comme il l’affirme dans une lettre à Fliess, d’une « mythologie », autrement dit une façon de parler de ce dont on ne peut parler - Freud fera la pierre de touche de sa métapsychologie. A partir de là il faut considérer la pulsion de mort comme paradoxale : c’est le mouvement de la vie lui-même qui anime tout être vivant dans l’univers qui aspire, sous la pression produite par le vivant, à une chute de tension, le plus rapidement possible. La vie est toxique pour l’homme, telle se présente l’aporie. Se pose alors, de façon clinique, la question du traitement de ce toxique. La pulsion de mort, véritable moteur de l’humain, du fait de son appareillage au langage –n’oublions jamais la définition de la pulsion datée de 1905 dans Les trois essais sur la sexualité : « la pulsion est le point limite entre le somatique et le psychique - se dérobe au passage obligé par la structure symbolique et cherche ses voies d’apaisement et de décharge dans ce que Freud nomme homéostasie : retour au niveau zéro, au sans-tension. C’est ce processus-même de décharge brutale que Freud nomme pulsion de mort, et non je ne sais quelle tendance suicidaire ou meurtrière comme on l’a traduit trop souvent, même si l’épuisement de la tension pulsionnelle peut prendre ces formes extrêmes. Du coup la pulsion de vie n’est qu’un détournement sans fin produit par la culture, l’éducation, le social, de cette force première. On peut comprendre alors que Lacan ait embrayé en ce point particulier de la théorie freudienne pour y enclencher son concept de jouissance. Résumons nous, au risque de caricaturer : le corps humain ça veut jouir, par tous les bouts et tous les trous, pour le dire de façon triviale, mais la vie en société, imposée par les lois du langage comme fondement de toute loi, est un empêchement à la jouissance. C’est pourquoi Lacan a beau jeu d’affirmer que la jouissance (entendons en sous-main la pulsion de mort) est impossible pour qui parle. Non seulement impossible mais inter-dite, l’impossible étant fondé de structure sur l’assujettissement aux lois de la parole et du langage.

On peut rendre hommage aux auteurs de cet ouvrage, réunis pour la circonstance en « conclave » au Château de Castries près de Montpellier, d’avoir non seulement rafraîchi ce concept difficile, mais de l’avoir fait travailler dans le contexte social actuel. On entendra mieux à partir des échappées du coté de la philosophie, la littérature ou la sociologie (car il existe bien une sociologie freudienne) ce qui fait répétition dans une cure, destinée fatale ou série de malheurs qui frappent un sujet, mais aussi ces flambées de jouissance explosant sur la scène sociale. Les passages à l’acte meurtriers d’adolescents, les attaques aux biens comme lors de la Saint Sylvestre 2004 à Strasbourg où une fois encore plus de 30 véhicules ont été brûlés, sont autant de signes de ce qui fait retour sur la scène sociale d’une pulsion de mort débridée. On ne peut que regretter que les auteurs de ce beau travail de recherche, n’aient pas plus exploré cet voie. Mais d’une part ce n’était pas vraiment leur champ de compétence et d’autre part ces Rencontres ont malheureusement trop fonctionné en circuit fermé (d’où mon terme de « conclave »). Le partage qui ne s’est produit qu’en dernière journée, n’a pas vraiment permis à un public plus large de participer à l’élaboration. On n’a jamais rien à gagner à laisser une soi-disant élite intellectuelle confisquer la réflexion aux dépens de processus démocratiques d’élaboration de la pensée. J’introduis ici un désaccord profond sur l’organisation de ces Rencontres. Seule la parole, soyons précis, le fait de se parler, quel qu’en soit le contenu, apaise la pulsion de mort. En cela les Rencontres de Castries d’où sont issus les textes de ce recueil sont un raté fondamental. La pulsion de mort, si on prend au sérieux ce concept freudien, ne saurait être rabattue sur quelques discussions d’intellectuels aussi brillants soient-ils. La pensée freudienne dans son éthique exige des mises en acte, des passages par l’acte pour faire barrage aux passages à l’acte.

Si le seul barrage à la jouissance se trouve dans le symbolique, il faut prendre la mesure de deux conséquences. Tout d’abord comme le précise Freud dans ses conférences de 1917 « tout de la pulsion n’est pas éducable », il y a sans cesse chez l’être dit humain de l’excès de jouissance : ça déborde. D’autre part on peut se demander dans un moment de la socio-culture tel que celui que nous vivons, comment peuvent se transmettre le « non absolu à la jouissance » qui fait barrage à la pulsion de mort et conditionne la survie de l’espèce humaine. Ce socle structurel de l’interdit de la jouissance constitue ce que Lacan nommait dans sa Note italienne « l’humus humain ». L’éducation que Freud définit comme « sacrifice de la pulsion » ne repose que sur l’autorité conférée par une société à ceux qui occupent les places de passeurs. La génération précédente, c’est là le fondement de la parentalité, ayant pour fonction d’introduire la génération montante à ce « non à la jouissance ». Jusque là cette fonction a reposé sur l’autorité conférée par le patriarcat, au prix d’un lourd tribut, il faut bien le dire, payé par les femmes réduites au silence et au prix d’une sexualité inhibée dans ses modes d’expression. La crise d’autorité actuelle n’est sans doute pas sans lien avec ce que Jean-Pierre Lebrun annonce comme l’avènement d’ Un monde sans limite . Un monde sans limite serait gouverné entièrement par la satisfaction de la pulsion de mort. Or c’est bien ce que la société capitaliste a produit : l’incitation permanente à faire sauter les limites. Alors que la vie n’est possible qu’au prix d’une lutte sans fin entre pulsion de mort (Thanatos) et pulsion de vie (Eros). Est-ce que les force d’unification d’Eros seront capable de contre-balancer les forces de dissolution de Thanatos ? Là est toute la question. C’est sur cette interrogation cruciale que Freud termine son Malaise dans la culture . Nous en sommes au même point…

Joseph Rouzel, directeur de psychasoc.

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