Les éducateurs n'écrivent pas. Voilà une assertion à laquelle il est grand temps de tordre le cou. Les professionnels du champ de l'éducation spéciale exercent en fait à partir d'un socle d'écriture permanent. Même si cette pratique n'est pas visible dans un premier temps, elle est intimement liée à l'élaboration constante d'une clinique qui bouleverse profondément ses acteurs. Rencontrer tous les jours des êtres démunis, dérangeants, hors-langage, étranges, qu'une dynamique sociale de plus en plus impitoyable, rejette le plus souvent dans l'exclusion du tissu social, conduit les éducateurs à des pratiques d'écriture d'urgence. Il faut écrire pour survivre, pour ne pas perdre la tête, pour conserver un minimum de sens et de cohérence dans les actes éducatifs. Écrire pour faire face au morcellement, pour tisser sans cesse du lien social. Mais aussi écrire pour n'être pas seul. C'est pourquoi l'écriture des éducateurs est individuelle, mais se réalise dans la circulation des écrits dans un collectif de travail, l'équipe et au-delà, l'institution sociale ou médico-sociale.
L'écriture des éducateurs parcourt des chemins très complexes: notes de services, mots aux collègues, cahiers de liaison, rapports de synthèse, lettres diverses et variées, écritures des projets etc... Sans compter que depuis quelques années certains éducateurs, de plus en plus nombreux ont à coeur de donner à lire leur pratique dans des articles ou ouvrages à un public élargi.
Pour les éducateurs l'écriture offre un enjeu clinique. Avec la parole, elle est le media qui permet d'organiser, de construire et de faire circuler une pensée sur des actes éducatifs, d'élaborer et de confronter des hypothèses et des explications, et de dégager des projets opératoires.
Sur le plan institutionnel l'écriture est le maillage permanent dont se tisse le lien social. Elle perdure, fait trace, et autorise des allers-retours évaluatifs où les actes de chacun sont questionnés à la relecture des projets engagées. Les pratiques d'écriture modifient en permanence le tissu institutionnel en offrant à chacun des possibilités multiformes d'expression, qui mettent en oeuvre des rapports de pouvoir et de contre-pouvoir. L'écriture constitue de fait le laboratoire vivant où se se fabrique une équipe d'intervenants éducatifs.
Sur le plan professionnel le travail d'écriture représente un autre enjeu: il s'agit de viser, dans la destination aux autres métiers du social, l'articulation avec les partenaires, voire pour un public élargi, la reconnaissance d'une profession de l'ombre. L'acte d'écriture est donc pour le métier d'éducateur, la passerelle vers l'extérieur, le point de retour où les éducateurs, chargés d'oeuvrer auprès des plus démunis, répondent de cette mission que leur confie la société. L'écriture des éducateurs en soulevant des questions de société participe alors d'une position citoyenne. Les actes éducatifs pour prendre tout leur sens doivent être forgés au feu de l'écriture pour être communicables. Autrement, dans l'apparence, rien ne se voit de la profondeur du travail engagé dans la relation inter-humaine. Il faut pour faire comprendre et sentir la complexité du travail éducatif, expliquer et expliquer encore, donc écrire et écrire encore.
Le souci de cet ouvrage sera doublement pédagogique. En direction des éducateurs en formation, il dégagera les conditions d'acquisition de compétences dans l'écriture de mémoires, rapports de stage etc. Pour les professionnels, il constituera un point d'appui pour la pratique d'écrits liés à l'exercice éducatif sur le terrain. Il s'agira de repérer finement dans les différents types d'écrits, les places et la contrainte des codes socio-linguistiques, afin d'acquérir une réelle efficacité. Les écritures éducatives, parce qu'elles mettent en scène et en jeu des observations et des décisions concernant les personnes prises en charge, procurent un pouvoir sur des populations le plus souvent en grande souffrance. Il convient d'en faire bon usage et de déboucher sur une position éthique dans les actes d'écriture. L'écriture faute d'une telle réflexion sur sa mise au service de personnes qui souffrent, risque de produire un redoublement de l'aliénation. A qui faut-il communiquer les écrits? Dans quelle mesure et à quelles conditions doit-on parler aux usagers de ce que l'on écrit à leur propos? Quels types d'écrits faut-il mettre en oeuvre selon les interlocuteurs auxquels on s'adresse et la place que l'on occupe? Jusqu'où peut-on aller dans l'écriture ? Quels sont les limites à ne pas franchir? Mais aussi quels sont les obstacles à dépasser?
L'auteur a fait la démonstration de l'intérêt de prendre en compte la chose écrite dans les pratiques éducatives, à travers divers ouvrages et articles parus dans la presse spécialisée. Il a parcouru depuis longtemps l'ensemble des ces écritures, comme éducateur d'abord, ensuite comme formateur. Il est souvent intervenu sur des formations spécifiques aux écrits professionnels dans les institutions, dans les formations initiales et les formations continues. Auteur de travaux divers en ethnologie et en psychanalyse, notamment une thèse en cours sur l'usage de la lettre dans la littérature et la cure analytiques, il a aussi produit des poèmes, des nouvelles et des essais. Il a toujours considéré que l'écriture au delà de sa transmission (et souvent de sa mise au pas) à l'école et à l'université, au delà des écritures des clercs et des savants, offrait aux professionnels du champ social un tremplin pour mettre en forme leurs actes et les communiquer. A condition de prendre la mesure d'un certain nombre de contraintes, l'écriture en situation professionnelle peut vite se révéler une source d'enrichissement personnel et collectif. Faire savoir ce que l'on fait en l'écrivant et en le communiquant est la condition dynamique d'un renouvellement permanent des savoir-faire.
A la différence de travaux existants - et qui ont leur intérêt - sur l'écriture des éducateurs, sur le versant de l'ethnologie ou de la sociologie, ou bien de manuels explorant le "bien écrire", cet ouvrage offre la particularité d'être construit de l'intérieur de la pratique, là où le mouvement d'écriture épouse les nécessités liées à l'exercice d'un métier difficile, dans toutes ses dimensions.
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