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De l'écriture aux écrits professionnels

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De l'écriture aux écrits professionnels
Contrainte, plaisir ou trahison?
L'Harmattan
31/12/2004

La question de l’écriture chez les travailleurs sociaux est soumise à deux rengaines : ils n’écrivent pas ; ou alors, quand on admet que ce n’est pas le cas : oui, certes, il écrivent, mais ce n’est pas de l’écriture. C’est quoi d’autre alors ? Il y a bien longtemps que j’ai tordu le cou à ces objurgations malveillantes.

C’est pourquoi sur ce fond de soupçon et de mauvaise foi, face à des professionnels dont les actes se déploient forcément sur un fond constant d’écrits et d’écriture, tout ouvrage de réflexion qui aborde la question de biais, disons avec une certaine sympathie, loin des serpents persifleurs, ne peut qu’être bien accueilli, comme un petit pas de plus.

Paulette BENSADON est éducatrice spécialisée depuis 1975. Elle est actuellement chargée de mission Prévention auprès du Conseil Général des Yvelines. Son approche est soutenue par une référence à la psychanalyse. Son ouvrage offre la particularité de déplacer le questionnement sur l’écriture dite professionnelle. Loin des plaintes stériles teintées de mépris, « ils ne savent pas écrire », antienne que malheureusement, trop souvent les directions d’établissement entonnent, Paulette BENSADON met au travail la fonction du scripteur et le réseau de places et d’écritures dans lesquels il s’inscrit. Pris de façon aporétique entre la relation de confiance à l’usager et les devoir de rendre compte que la loi leur impose, quelle marge de manœuvre pour les intervenants sociaux? Comment donner à lire ce qui n’est pas à lire, comme dit Lacan? Jusqu’ou va t-on dans ce donné à lire ? Quelles sont les limites ? Une fois posé le cadre législatif et juridique qui borne le champ de l’expression écrite des travailleurs sociaux, l’auteur peut aborder ce qui fait le fond de son propos : à savoir ce qui se joue dans la lettre comme espace de mise en scène de l’inconscient du scripteur et du transfert qu’il soutient en relation professionnelle. Cette partie centrale de l’ouvrage est de loin la plus originale et la plus dense. Se profile ici le fond de scène sur lequel se déroule les actes d’écriture dite professionnelle : qu’est-ce qu’écrire , en effet ? « Une trace pour conjurer la mort » répond Michel Foucault. Toute écriture évolue sur un fond de « lettre volée » où le déplacement de la lettre troue l’espace dans un effet de réel tout en faisant supporter à chacun, disons, le poids des mots, ce que Lacan désignait comme « féminisation » produite par le déplacement de la lettre. La lettre cerne un trou dans lequel le regard se perd : circulez, là il n’y a rien à voir ! C’est de ce point d’opacité, à cent lieu des idéologies totalitaires de la transparence qui battent aujourd’hui le pavé de l’intervention sociale, qu’un éducateur, un assistant de service social, etc tient la main courante d’une rencontre humaine. C’est de ce lieu qui n’a pas eu lieu qu’il s’élève vers les lieux de l’inscription sociale. Alors pourquoi écrire ? Pour penser, disait Fernand Deligny. Et longtemps avant lui, Cicéron d’écrire à son neveu ce conseil : s’il ne se passe rien, écris-le ! C’est peut être ce rien qui se passe qu’il s’agit d’inscrire, un point d’échappée en quelque sorte. Capter dans les rets de l’écriture le miroitement infini d’un sujet de l’action sociale (que l’on dit usager et parfois bien usagé), pour ensuite, dans l’après-coup, rendre compte à qui de droit , direction, juge, organismes de contrôle, partenaire, famille… non de ce qu’objectivement il s’est passé, mais de ce que le professionnel a senti passer, exige des types d’écritures différenciées : les notes prises à la hâte à la suite d’un entretien, les gribouillages au téléphone, les préparations de synthèse, les brouillons qui portent bien leur nom... C’est cet écheveau multiforme, d’écritures ratées, raturées, lit et rature, pour reprendre le titre d’une belle revue surréaliste des années 20, c’est cette constellation qui maille les écrits circulant dans une institution, écrits qui s’enchevêtrent, se heurtent, se captent, se déchirent et se plient, c’est ce réseau , ce tissage, cette trame, que la lettre fait frissonner, qui seuls permettent cette construction singulière : celle d’un écrit faisant écho dans une langue imposée de ce qui ne cesse de ne pas s’écrire : le sujet. Il y a bien alors, comme le distinguait Lacan, ce qui ne cesse de s’écrire qui enchâsse ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Dans l’écriture professionnelle pas d’objectivité possible, l’objectivité, c’est la subjectivité : il s’agit d’y mouiller sa chemise, et d’apprendre à jouer avec une perte irrémédiable : tout du sujet ne sera pas capté, encore moins rapté. Convoquant pour soutenir sa réflexion, ces artisans de la lettre que sont Hélène Cixous, Samuel Beckett, Marguerite Duras et quelques autres, l’auteur illustre bien ce travail de labourage qu’impose à la jouissance la lettre en exercice dans son sillon. Ce que Lacan tentait de cerner, dans Lituraterre, rentrant du Japon, comme « ruissellement ». La lettre sépare et dans cette séparation produit un espace vide d’où jaillit la création, car toute création jaillit du néant. L’écriture, Freud le mettait en scène dans la lettre 52 adressée à Fliess, s’élève sur cet espace d’effacement, cet « effaçon ». Ce point d’ urverdrängung , de refoulement originel qu’impose l’arrimage du corps biologique au corps du langage, inscrit dans le même temps la matrice même de ce qui s’écrit : un corps s’écrit et s’écrie dans le corps des lettres.

Certains professionnels se récrieront : pourquoi aller chercher si loin, ce qu’on veut c’est des techniques d’écriture ! Cette réduction instrumentale de l’écriture à un usage professionnel n’est pas digne, éthiquement parlant, de ces fantassins avancés de la cause sociale, que sont les intervenants sociaux. L’écriture met en travail, et parfois met à mal, l’ensemble des coordonnées culturelles qui soutendent le lien social. Remercions Paulette BENSADON d’avoir été creuser l’écriture au cœur de sa structure, pour en faire retour dans son usage professionnel. Quelles retombées peut-on envisager de cette réflexion dans l’écriture, ou les écritures quotidiennes, vécues souvent comme harassantes, des travailleurs sociaux ? Il me semble que cette avancée soulève avant tout la question des lieux et de la nature des inscriptions, de la place et de la responsabilité des professionnels qui s’y livrent. Messagers, passeurs, colporteurs de ce qui s’inscrit en lui du lieu d’une relation engagée avec un usager, le professionnel ne peut échapper à soulever la question, pour soutenir ses actes, y compris d’écriture : qu’est-ce que je fais là ?

Joseph ROUZEL, Directeur de l’Institut Européen Psychanalyse et Travail Social.

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