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Du normal à l’optimal

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Adrien LEFEBVRE

mercredi 06 mars 2019

Du normal à l’optimal

L’homme n’a de cesse de chercher des réponses sur sa conditions d’existence, sa raison d’être et souffre de son rapport à la Vérité. Lacan dans ses séminaires fait la part belle à la philosophie, s’appuyant sur les écrits de certains d’entre eux pour déconstruire leurs concepts et apporter une relecture de la psychanalyse inventée par Freud.

Le premier texte sur lequel je m'appuierai, c’est Ethique à Nicomaque. Ce texte est exemplaire pour rendre compte à la fois de ce que la recherche de la Vérité en philosophie produit. En effet, ce qui doit guider l’Homme est le Bien. Il décrit alors comment il convient d’agir en homme de bien tentant de cerner les bons affects qui permettent d’atteindre la finalité du bien suprême. Malgré des paradoxes dans cette tentative de définition, le texte rend compte absolument des processus d’aliénation sociale de la philosophie qui tente de faire un sort à l’Être de l’Homme en tant qu’être de langage, être en acte et être politique. C’est déjà un sacré pas de mettre en continuité le langage, l’acte et la politique pour essayer de déterminer des modes de vies orientés vers les plaisir, les honneurs ou encore la contemplation.

Dans ce qu’Aristote préconise comme “mieux” reste une austérité et une rigueur. Il occulte, mais peut-on le lui reprocher, que le Désir créé un désordre créatif dans cet idéal aussi séduisant que moralisateur et culpabilisant. Si Aristote échoue en mettant en évidence une logique biaisée et exogène du Sujet par un postulat de départ erroné, il nous montre en quoi l’articulation du Bien comme finalité, fixe une éthique pleine qui ne nous avance pas plus dans notre quête de vérité.

Le néologisme de l’A-vérité, ou varité ou dans celui que je propose Ⱥ-vérité permet de saisir ce qui se dit dans le symptôme dès lors que l’on en propose une lecture spécifique.

Car la médecine n’échappe pas non plus à ses limites en tant qu’autre science de la Vérité. La Médecine constitue l’un des appareils idéologies d’Etats (A.I.E.), en tant qu’elle fonde par son discours une lecture du symptôme comme signe d’une maladie contre laquelle elle se propose des moyens pour lutter. Dans le champ du somatique, il n’y a pas grand-chose à lui reprocher mais dans la santé mentale, la question devient plus problématique. 

Par le glissement des logiques de traitement du somatique au psychique, elle définit des conditions d’existences en nommant et normant des processus subjectifs en catégorie psychopathologique.

Dans l’ordre normatif, l’infraction est première. C’est donc l’anomalie qui fonde la norme. Sur ce point nous pouvons citer Foucault qui définit la norme comme “ dispositif de savoir qui énonce comme vérités de nature des conduites prescrites par le pouvoir disciplinaire  ». Il affine avec trois processus qu’il distingue alors : 

  • La normation comme fait de rentrer dans la norme, comme modèle posé d’avance - Prédicatif/Aliénation sociale
  • La normalisation : comme norme en évolution avec le sujet non posé d’avance.
  • La normativité : création de nouvelles normes qui découle du processus de subjectivation.

L’idée serait de rendre les “corps dociles”, c’est-à-dire des corps qui peuvent être transformés, perfectionnés, utilisés. Le corps comme négation de la subjectivité réduit à sa force de travail dans le néo-libéralisme capitaliste, une masse de corps sans parole… Sachant que le sujet foucaldien n’est pas le sujet de l’inconscient freudien, il est plus à rapprocher de l’individu.

1 L’anomalie est donc ce quelque chose qui ne va pas, ce quelque chose que je ne peux pas ou ne peux plus faire, cette gêne, cette incapacité à. Fondement d’une plainte qui amène une personne à demander de l’aide, la psychiatrie par sa réponse, participe à transformer le symptôme en pathologie. Elle crée par contamination le normal chaque fois qu’elle promet réparation ou éradication : 

  • D’une part, dans ses solutions hors-sujet comme les prescriptions médica-menteuses qui restent sourdes à la logique freudienne. 
  • D’autre part, par l’identification du sujet à la perception psychiatrique de son symptôme et l’illusion de guérison.

Le malade et son symptôme ne font plus qu’un. Pire encore quand elle se justifie dans le traitement de la souffrance. Si rien ne vient infléchir la notion de souffrance, celui qui ne fait rien est un salaud et celui qui agit un sauveur. Les dits progrès de la science perpétuent ce déplacement de frontière dans ce qu’elle fait miroiter d’amélioration, de réductions des troubles causés par le symptôme, miroir aux alouettes à double tranchant : tout ce qui gêne devenant  trouble,  la souffrance de l’être écrase la subjectivité dans son indifférenciation du pataud-logique et transforme le normal en optimal dans une nouvelle logique encore plus perverse.

Si le manque-à-être est constitutif de la subjectivité, l’optimisation de son être redéfini le manque comme résorbable et la thérapie comme moyen d’accomplissement de soi, voire de super-accomplissement. Dès lors que le curatif s’acoquine avec le normatif par le politique, l’aliénation sociale bat son plein. Ce veau d’or de l’au-delà de la normalité creuse encore plus l’écart. Toutes anomalies désubjectivisent un peu plus la personne et nécessite une surveillance constante, l’attention étant toute portée sur sa pathologie.

Il suffit d’écouter quelconque expert « psy » évoquer la perte d’un proche ou la systématisation du traitement psychologique de traumatismes et autres cellules de crises qui poussent comme des champignons au moindre événement. 

«  Tous les experts sont médiatiques-étatiques, et ne sont reconnus experts que par là. Tout expert sert son maître, car chacune des anciennes possibilités d’indépendance a été à peu près réduite à rien par les conditions d’organisation de la société présente. L’expert qui sert le mieux, c’est, bien sûr, l’expert qui ment. Ceux qui ont besoin de l’expert, ce sont, pour des motifs différents, le falsificateur et l’ignorant. Là où l’individu n’y reconnaît plus rien par lui-même, il sera formellement rassuré par l’expert . »(Guy Debord dans  commentaires sur la société du spectacle)

La médicalisation des humeurs justifie le traitement de troubles inhibiteurs de la capacité optimale de l’humain. Et les enjeux financiers n’en sont pas moindres pour l’industrie pharmaceutique qui s’accouple parfaitement avec le discours psychiatrique comme fabrique médicale de l’existence ordonnée par les intérêts économiques et sécuritaires. Cette civilisation où tout le monde est susceptible d’être un  anomalique qui s’ignore, justifie les dispositifs de contrôles sociaux pour repérer les vulnérabilités et maîtriser alors les trajectoires individuelles déterminées par des prescriptions médicales prédicatives qui réduisent sans cesse les cadres catégoriels nosologiques en troubles adaptatifs. Ce que la science tente de prédire et de réduire, c’est la notion de risque. Est-ce tant celui que coure l’individu dans la société ou la société qui accueillerait ce dernier en son sein? Sans contre point, l’individu a tendance à entretenir lui-même ce culte de la performance en essayant par tous moyens d’optimiser ses propres normes. Il s’identifie à ses manques assimilés à sa servitude. La boucle est bouclée.

Adrien LEFEBVRE

1 Partie extraite de prise des notes de l’intervention d’Ali Benmakhlouf -  https://www.franceculture.fr/conferences/ecole-normale-superieure/triste-ou-depressif-turbulent-ou-hyperactif (2016)

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