LES HEURES SOUTERRAINES DELPHINE DE VIGAN J .C. Lattès 2009 17 € 300 p
Metro, boulot, dodo, la vie ordinaire des gens ordinaires… et, pour faire bonne mesure, le harcèlement moral en entreprise.
Sujet d’actualité à l’heure de la sortie de « Rien de personnel » au cinéma, et de l’épidémie de suicides aux Télécom, qui défraie la chronique !
Dissection minutieuse de ce phénomène et de la souffrance qu’il engendre chez les victimes, sur fond de malaise dans la civilisation, lié au mal-être de la perte du lien social.
Analyse éclairante de comment on peut perdre son équilibre et sa force intérieure sous l’impact de la destruction de l’image de soi, grignotée, jour après jour, par la perversion de cette forme de maltraitance ; acharnement subtil sur une proie qui s’y prête, à tout le moins, volontiers…
Pour elle, trois enfants à élever seule, un poste de cadre dans un service de pointe en communication, une réussite professionnelle.
Pour lui, médecin de l’urgence, une longue chaîne de journées sans fin, visites à domicile, le nez dans le volant, à apaiser la détresse humaine qui s’avance sous couvert de symptômes physiologiques.
Pour elle, le Paris des souterrains, et des couloirs sans fin de l’anxiété et de l’agitation menant aux tours vitrées des quartiers d’affaires.
Pour lui, les artères embouteillées ouvrant une brèche dans le Paris des banlieues et barres d’immeubles sordides.
Pour elle, le succès jusqu’à l’effondrement de tout son monde doré.
Pour lui, une vue imprenable sur la grisaille de la détresse d’autrui qu’il tente d’occulter dans un amour où il se noie.
Parcours parallèle et sinueux où, pour l’un comme pour l’autre, la vie bascule dans ces moments d’étrangeté totale où une décision doit se prendre pour sortir de ce qui ne vaut pas pour soi
Pour elle, c’est une démission.
Pour lui, une rupture.
Elle y met beaucoup de temps.
Il tranche brutalement.
Pour chacun l’avant et l’après se déclinent sur des modes particuliers : n’avoir pas vu venir, pour l’une ; avoir trop bien vu, pour l’autre.
Elle peine avant ; il peine après ; elle paye avant, lui paye après ; on paye toujours là où l’on s’est aveuglé. La vie ne fait pas de cadeau. Il faut se détacher. La liberté est un choix : encore faut-il en payer le prix.
Une décision qu’il va falloir assumer, des conséquences qu’il faut affronter, vaille que vaille…
Comme disait Lacan : l’acte est acéphale mais le sujet doit pouvoir en répondre, dans l’après coup, et s’y assujettir.
Dans les deux cas : perdre, quitter, renoncer, et accepter, aussi, de retomber sur ses pieds pour pouvoir continuer à avancer quand même, malgré tout, pas après pas, jusqu’à ce que les batteries de la vie, et de sa pulsion, se rechargent… Ils prennent tous les deux cette option de se raccrocher à l’avenir, pour s’éloigner de la douleur du passé.
La sobriété de l’écriture met en relief les contours acérés de cet effroi de la solitude de chacun au milieu des autres, constat, amer, que l’on peut se croiser sans se rencontrer.
Florence Plon