jeudi 23 juillet 2009
" l'histoire continue est le corrélat indispensable à la fonction fondatrice du sujet : la garantie que tout ce qui lui a échappé pourra lui être rendu ; la certitude que le temps ne dispersera rien sans le restituer dans une unité recomposée (…). Faire de l'analyse historique le discours du continu et faire de la conscience humaine le sujet originaire de tout devenir et de toute pratique, ce sont les deux faces d'un même système de pensée. Le temps y est conçu en termes de totalisation et les révolutions n'y sont jamais que des prises de conscience "
Michel Foucault,
L’archéologie du savoir
C’est peut-être dans cette partie de ma réflexion que j’ai fait appel à un travail particulier très cohérent et construit, il a fait largement écho à mon expérience ; il s’agit de coup de cœur et Euréka de l’esprit .
Le récit de ma formation 1 m’avait permis de faire apparaître ce qui m’avait guidée tout au long de ces années. Cela se résumait en quelques mots : Est-il possible que ma vie ait à ce point un sens ? C’est dans ce chapitre que va se révéler ce sens.
une re-découverte
Avec Alain Didier-Weill j’ai tenté de comprendre ce qu’est ce rapport à la Loi. Comme pour les autres liens que j’ai pu faire, mon expérience particulière m’a servi de « fil rouge ». Jusqu’à présent les réponses que j’ai apportées aux épreuves que j’ai traversées ont convergé vers un processus de mise en forme de moi-même, ce qui m’a permis de comprendre le sens que je donnais à ma vie. C’est cette auto construction que je vais confronter au travail de Alain Didier-Weill.
Les trois temps de la Loi (1995) explique que « La langue française privilégie le « coup de tonnerre » pour parler de cette expérience subjective de l’étonnement » (p.13). L’épreuve d’un événement soudain a le pouvoir de faire apparaître une brèche, une faille, un abîme, une rupture dans la reproduction d’une attitude figée, comme le coup de foudre fend le tronc de l’arbre ou explose la roche qu’il frappe.
En relisant l’histoire de ma vie je peux repérer quelques étapes qui font dates parce qu’elles ont ouvert des béances :
- A l’âge de 15 ans, la cohérence des deux institutions famille et école a affaibli en moi la source d’une certaine vitalité 2 .
- A l’âge de 18 ans (la majorité était alors à 21 ans), s’est produit un autre événement en classe de philo qui m’a ôté l’envie de prendre la parole. Durant un cours notre professeur a parlé de musique. Ce jour-là j’ai cru pouvoir répondre à la réflexion proposée. Le professeur m’a demandé alors si je faisais moi-même de la musique, à quoi j’ai répondu par la négative. La réponse qu’il m’a faite me brûle encore aujourd’hui. « Si vous n’êtes pas musicienne, vous n’avez rien dire ! ». Ce que j’ai traduit : si vous n’êtes pas experte en la matière, vous n’avez rien à dire ! Silence. A 18 ans on est rarement expert en quoi que ce soit. Aujourd’hui cela peut encore se produire sous des formes plus insidieuses (lire les courriers du 2 décembre en fin de chapitre).
Ce qui aurait pu me permettre à ce moment là de comprendre ce que je vivais, aurait été la possibilité de poser une question :
§ pourquoi est-ce si grave de manquer la classe et de parler avec son amie ?
§ pourquoi ne puis-je pas parler musique si je ne suis pas musicienne ?
Mais l’attitude des adultes interdisait la pensée même d’une question. J’ai compris qu’il y avait des questions à ne pas poser. Cette injonction au silence m’a poursuivie très longtemps.
Ses effets ont commencé à se dissiper lorsque, avec ma fille, j’ai pu vivre un hiatus. Elle a été définitivement levée lorsque j’ai décidé de la défendre face aux abus de pouvoir d’une autorité qui s’était rendue illégitime.
Myriam Revault d'Allonnes m'a permis de comprendre ce qui s'est passé grâce à l'article paru dans la revue Esprit d'août/septembre 2004 « De l'autorité à l'institution : la durée publique » : dans « La distinction du pouvoir et de l'autorité : ... ce que les deux termes ont en commun, c'est la relation « hiérarchique » (dissymétrique)… » (H.Arendt, 1989, Qu'est ce que l'autorité ? p.123). La relation est donc dissymétrique. L’un , celui qui détient l’Autorité doit acquérir, parfois conquérir, la position la plus haute, l’autre peut accepter cette position à certaines conditions : reconnaissance, légitimité, précédence 3 , trois éléments qui dépassent la relation commandement / obéissance. Le « coup de tonnerre » disloque cette unité, séparant la personne de ses attributs ; « le roi est nu », l’auréole de son pouvoir a disparu, il ne reste qu’un « simple mortel » occupant une place qu’il ne mérite pas.
Aujourd’hui je suis sortie de ce silence imposé et je comprends mieux à la lumière du travail de Alain Didier-Weill le processus que j’ai vécu.
Dans un premier temps tout se joue au niveau de l’inconscient : si l’inconscient ne connaît pas le temps cela ne signifie pas qu’il le refuse. Au moment du hiatus le sujet a la capacité de revenir au point de départ du temps où il n’était pas encore soumis à la sidération et de faire un nouveau choix. A partir de ce point d’où un nouveau départ est possible « le sujet peut cesser de répéter pour recommencer autrement » (Didier-Weill A., 1995, p.18). Si l’on cherche une analogie, on pourrait dire que le disque était rayé jusqu’au hiatus et se répétait indéfiniment, désormais au lieu de réentendre la même phrase musicale, le sujet a pu enfin passer au sillon suivant et le morceau de musique va pouvoir se déployer à nouveau. La spirale a vaincu le cercle !
Le processus que je vais décrire a donc permis, à plus de trente ans d’écart, que je sois confrontée à des situations un peu semblables, remettant en jeu certains positionnements, réactivant certaines émotions, ce qui m’a donné la possibilité « d’effacer l’ardoise », de « redistribuer les cartes », de rejouer autrement ! J’ai déjà évoqué ce phénomène dans le chapitre « Le hiatus tel que je l’ai analysé » avec Daniel Sibony qui parle de « briser le cadre ». Je vais tenter un rapprochement entre Alain Didier-Weill et Daniel Sibony.
Si la sortie de la domination que l’on fait subir à l’autre est possible grâce au hiatus « sans parole », la sortie de la domination que l’on a soi même subie va se faire selon un processus qu’Alain Didier-Weill décrit dans le chapitre 2 – Les trois surmoi – en laissant advenir une parole singulière. Alain Didier-Weill se pose beaucoup de questions tout au long de son livre ; les réponses que j’apporte sont étayées par la connaissance intime de mon évolution qui résonne à la construction théorique qu’il propose. « Les trois coups qui, en coulisse, annoncent l’entrée en scène imminente de la parole, nous avertissent que la parole sur le point d’être dite par un sujet est prédite par un esprit frappeur qui frappe trois fois » (p.29).
J’invite le lecteur à se plonger dans un ouvrage d’une grande densité. Il est difficile c’est vrai, mais si on parvient à y entrer en retrouvant « la clé » de sa propre évolution, il devient source d’enrichissement extraordinaire. Voici « la clé » qui m’a permis de comprendre le cheminement qui fût le mien en écho à la réflexion de Alain Didier-Weill.
J’ai eu le plaisir pendant quatre ans de travailler, en tant que présidente du conseil de parents d’élèves du collège de mes enfants, avec une principale particulièrement dynamique. Notre coopération était très active. Lorsqu’elle a quitté l’établissement, le principal qui est arrivé était trop différent pour que son installation se fasse sans problème. J’étais alors dans une dynamique qui ne pouvait pas le comprendre. Mais était-ce admissible ? La seule place à laquelle nous, parents d’élèves, étions supportables, c’était derrière le portail de l’établissement !
Après plusieurs mois d’infructueuses démarches, nous en étions venus à un conflit déjà difficile à assumer. Il n’y avait pas encore d’abus de pouvoir flagrant, mais une multitude de questions. Pour éviter d’envenimer les choses et sortir, peut-être, d’un conflit qui se personnalisait et d’une difficulté à l’assumer pour moi, j’ai donné ma démission au conseil local. J’ai clairement dit « Je ne peux pas aller au-delà » c’est-à-dire dénoncer son attitude. Parler ! C’est le refus de ma démission par les parents et leur engagement par un courrier expliquant au principal leur position qui m’ont permis de dépasser ce moment de doute très fort, même si je pouvais voir la justesse de notre attitude.
Il y a là une difficulté à s’imposer comme sujet pouvant répondre « oui, j’ai quelque chose à dire » face à un appel intérieur très fort, pendant que les peurs qui nous animent nous renvoient de manière tout aussi forte à un « non, tu ne dois pas parler ! ». Daniel Sibony parle de détours marquants, de mouvements d’entre-deux, de traversées où l’on est rattrapé-relâché.
C’est à ce moment là que j’ai eu besoin d’avoir recours à des séances d’entretien, dans le cadre de ma formation en développement personnel 4 , à raison d’au moins deux rencontres par semaine. Mes sentiments d’incompréhension de ce que je vivais et mes émotions en lien avec ma peur de parler sont revenus en force. Cela a été un moment très difficile de mon évolution. D’autant que les enseignants, dans l’ignorance de ce qui se passait, commençaient à prendre parti pour le principal alors que nous avions longtemps travaillé ensemble, dans la confiance, sous l’ancienne direction.
C’est donc bien le groupe auquel j’appartenais et la mise à distance de mes émotions durant les entretiens qui m’ont permis de rester debout. Seule, j’aurais abandonné certainement et me serais défaite intérieurement.
Cette deuxième forme surmoïque qu’est la censure met en scène la survenue d’un lapsus ou d’un mot d’esprit. En ce qui me concerne ma réponse à la censure s’est traduite par le mot : « je suis contente ». Je me suis souvent demandée pourquoi j’avais pu dire ce mot là, dans les circonstances où cela s’est produit !
- cette année là, en mars , le principal veut aménager la semaine différemment ; à la demande des parents élus au conseil d’administration du collège la modification, collège ouvert le mercredi, fermé le samedi, est repoussée. Un sondage avait été réalisé auprès des parents et des jeunes, il était négatif. L’établissement était en pleine restructuration.
- Au mois de juin suivant , le principal fait voter en CA une disposition contraire à la première (collège ouvert six jours avec des cours sur cinq jours).
- La rentrée de septembre se fait avec des classes de 4e et 3e ayant six jours de cours dans la semaine.
- Après une mobilisation des parents, une grève, l’appel à l’autorité supérieure, au Préfet pour non respect des textes 5 , le principal a dû se résoudre à convoquer un nouveau CA extraordinaire pour revoir la situation. Ce jour là le principal a proposé au vote l’ouverture du collège du lundi au vendredi. Toute référence au samedi avait disparu. Les parents ont refusé de participer à ce simulacre, la disposition a été entérinée et le principal a clôturé le CA. Aucun des commentaires qui ont été fait après n’ont été consignés dans le compte rendu. Les autorités supérieures ont considéré que les règles avaient été respectées.
- J’ai tenté ce soir là d’expliquer aux enseignants et aux élus présents comment de telles relations étaient possibles. J’ai lu la lettre de démission que j’avais conservée pour montrer que le problème était ancien, mais la tension du moment a été si forte pour moi que je me suis levée pour sortir. C’est à ce moment-là que j’ai pu dire, debout, que je n’avais pas réussi à régler ces tensions, que « je pleurais mais j’étais contente ». J’étais contente et en même temps je me contentais de ce qui avait été fait, sans honte de ma part parce que j’avais pu rester intègre .
Alain Didier-Weill nous dit qu’il est difficile de comprendre la position de celui qui a parlé. La parole émise ne le permet pas. C’est le sentiment de honte, que Freud repère comme étant le paramètre du lapsus, qui nous introduit dans l’essence de ce qui différencie le mal-dire du lapsus du bien-dire du mot d’esprit. Malgré la pression du moment, libre de tout sentiment de honte, ma parole était donc un mot d’esprit !
liberté et solitude
Le groupe FCPE a éclaté après cet épisode. L’ampleur du conflit a fait ressortir les clivages parents et parents-enseignants, parents impliqués depuis longtemps et parents plus « récents » qui ne pouvaient pas comprendre la tension existante.
Il s’est passé à ce moment là certains évènements qu’il peut être intéressant de décrire, dans la mesure du possible puisque le temps a passé depuis.
Les parents-enseignants n’ont pas accepté que de « simples » parents se permettent de discuter les prérogatives du Principal et les leurs en arrière fond probablement. Les parents plus récents ont pensé quant à eux que j’avais été trop intransigeante et qu’il y avait sûrement moyen de négocier encore. Qu’était enfin venu le temps où ils pourraient collaborer avec le Principal ! Un an après, les mêmes, avaient aussi beaucoup de difficultés.
Entre temps je me suis posé la question d’aller devant le Tribunal Administratif, d’associer la FCPE départementale à notre cause, la secrétaire générale d’alors était prête à nous suivre ; je ne l’ai pas fait pour la seule et simple raison que je savais qu’alors je mettrais à mal ces parents qui n’étaient plus disposés à continuer, à part une ou deux personnes. Les temps avaient changé.
Si j’avais eu le plaisir de faire partie d’un groupe battant, soudé, après le « je suis contente », exprimé lors du conseil d’administration extraordinaire, je me suis retrouvée pratiquement seule en ligne. Les parents avaient fait un pas en arrière. Le vide s’est fait autour de moi. C’est alors le désert, et c’est un peu effrayant. Je n’ai pas réagi aux critiques qui rejetaient sur moi la responsabilité du conflit. Le groupe à ce moment là n’était plus du tout porteur. J’ai quitté ma place de responsable du conseil local et je me suis tenue éloignée de ceux avec qui j’avais connu des années si exaltantes et si précieuses.
Là encore, comme pour mon expérience du hiatus, j’ai choisi de « sacrifier » mon ego, j’ai fait le choix de ne pas chercher à imposer « ma » volonté. J’ai préféré me taire pour ne plus blesser personne. Les « autres » n’avaient pas, comme moi, la possibilité d’exprimer leurs émotions grâce à une formation en développement personnel. J’ai eu, là aussi, de nombreuses séances d’entretiens pour dépasser ma profonde déception et ma colère. Je vois bien aujourd’hui où se cachent ces « fameuses » valeurs de la pédagogie autoritaire que je cite dans la première partie du livre : « humilité, modestie, pauvreté, mortification de l’esprit et des sens »… momentanément choisies et non pas subies lorsque l’on se sent obligé d’obéir à une injonction !
Si le premier surmoi se traverse grâce à la protection du groupe, le deuxième surmoi permet de prendre de la distance par rapport à ce groupe et de sortir de la confusion qui règne en son sein, chacun « tirant la couverture à soi ». J’étais contente et je ne reniais pas ce que nous avions vécu ensemble. Il n’y avait pas de honte à avoir, au contraire, nous ne pouvions qu’être fiers d’avoir respecté nos engagements dans le temps malgré la dureté de la situation. Nos enfants n’avaient plus un emploi du temps sur six jours de cours dans la semaine. Là était l’essentiel de l’action collective.
Neuf mois plus tard les choses allaient encore évoluer.
A ce niveau de prise de distance d’avec l’Autorité du Principal va se poser une question cruciale : si le bien-dire du mot d’esprit a pu transgresser l’action de la censure, si l’insistance du désir de se dégager de l’arbitraire a pu passer, quelles sont les conditions qui permettront de persévérer dans ce sens ?
Ce troisième surmoi me renvoie à la lettre que j’ai adressée au collège pour refuser une punition donnée à ma fille pour un chewing-gum en cours de gym (voir à la fin du chapitre la lettre du 15 juin).
Dans un premier temps j’ai tenté de faire comprendre à l’enseignant qui avait donné cette punition qu’il serait peut-être préférable de faire un rappel à la règle et à la sécurité plutôt que de punir. Il me semblait que cette démarche était plus éducative. L’injonction à « la règle est la même pour tous », cherchant à justifier la punition a été le révélateur d’une situation inacceptable à ce moment là pour moi : « … l’existence impensable d’un choix inconscient ? » (p.168) était là ; je ne l’ai absolument pas repéré comme tel.
A cette époque je n’étais plus présidente du conseil de parents d’élèves depuis neuf mois et je posais inconsciemment un acte qui allait satisfaire un désir très fort. Celui de désobéir à une injonction que je pensais émaner de celui qui détenait l’Autorité dans l’établissement, au-delà de mes interlocuteurs par lettre interposée : à « La règle est la même pour tous » j’exposais l’essence de ma critique : « La leçon que je tire de cet épisode est que « les plus petits » devraient toujours respecter les lois alors que les « autorités supérieures » peuvent composer avec », avant d’affirmer en trois temps mes convictions ; j’ai pris conscience trois ans plus tard qu’elles s’enracinaient dans les principes qui me constituent, ceux de la République et non d’une théocratie :
« Je refuse cette façon de penser |
Désobéir à une injonction |
qui est absolument contraire |
Opposition radicale |
à mes valeurs fondamentales » |
Les racines profondes de l’estime de soi |
Si dans la vie nous avons des moments, rares, où l’unité se fait en nous, je crois pouvoir dire que ce jour là, conscient et inconscient se superposèrent parfaitement.
C’est dans la solitude assumée que j’ai pris position. « … par le commandement sidérant, le sujet renvoyé à ce temps originaire qui précède le temps de l’interdire est replacé dans une position originaire où, la loi n’étant pas là pour lui dire où est le bien, et où est le mal, il a à faire un acte de discrimination entre le bien et le mal qui doit être compris comme une authentique création de sa part car, en ce point de sidération, il n’y a plus aucun prêt à penser pour l’orienter éthiquement » (p.185).
Lorsque j’étais adolescente j’étais moi-même « la plus petite » face à l’autorité du père, de la directrice du collège et de l’enseignante au lycée et j’avais répondu par le silence et la peur. C’est probablement ce choix d’agir autrement que « ce à quoi » l’Autorité pouvait s’attendre (consentir à ce que quelqu’un décide pour moi, opiner du chef !) qui est repéré comme une authentique création par Alain Didier-Weill. Daniel Sibony dit qu’il y va d’un certain enjeu, d’une liberté à conquérir pour franchir l’épreuve. J’ai pu rejouer autrement à ce moment là. Plus tard la conclusion de mon travail m’a permis d’afficher « fin de partie ».
« Que le moi parvienne à consentir à renoncer à cette culpabilité pour assumer, en la regardant en face, l’angoisse du non-savoir, c’est là la condition pour que le sujet puisse sortir de la sidération » (p.228). Refuser de me sentir coupable de ne pas accepter cette punition m’a permis de dépasser mes peurs ou plutôt de les assumer et d’accepter, par contre, que je ne savais absolument pas ce que ce choix allait entraîner pour moi et pour ma fille.
Je crois que nous n’avons pas réellement conscience de ce que représente le pouvoir d’une institution qui ne nous laisserait aucun choix. J’ai bien peur que certaines d’entre elles ne s’arrogent ce pouvoir. Je laisse à chacun le soin de réfléchir à certaines situations dans lesquelles l’Etat se veut éducateur et s’immisce, par institution interposée et plus particulièrement par représentant de l’institution interposé, dans l’éducation que donnent les parents à leurs enfants. Je ne prétends pas que c’est toujours à mauvais escient, mais les conditions de mise en pratique de cette prérogative et ceux qui en ont la décision sont à évaluer et à contrôler avec beaucoup de rigueur. Dans le cas de l’Ecole c’est l’instruction qui est obligatoire et non la présence au sein d’un établissement scolaire.
Je n’avais plus personne à protéger à ce moment là ; ma fille avait été mise au courant de mes intentions et s’y était associée. Elle a eu à cœur de retourner au collège pendant quinze jours encore après ma lettre de refus. Je l’ai admirée pour son courage.
La suite est une aventure qui se construit chaque jour et permet d’accéder au « savoir inconscient sur les deux faces de la loi que sont l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (p.353) . La Loi a donc deux faces ! l’une informe sur ce qui est Bien et Mal, mais je comprends désormais que cette Morale est essentiellement destinée à celui qui est chargé de transmettre cette Loi tant les enjeux sont grands ; l’autre permet d’accéder aux espaces qui nous font grandir : l’éthique, la connaissance des besoins fondamentaux, la Parole qui libère.
Depuis j’explique ce que j’ai compris de ce processus et ce livre est l’aboutissement « normal » de cette évolution.
« Il faut penser une histoire « qui ne serait pas système,
mais dur travail de la liberté »
Michel Foucault,
L’archéologie du savoir
Voici le texte d’un courrier que j’ai adressé au collège suite à la punition de ma fille. A ce moment là je ne pouvais pas avoir d’autre comportement malgré mes peurs bien présentes encore. Il « matérialise » ce qui se passe lorsque la prise de conscience est réalisée.
Le 15 juin ….
A l’attention de la C. P. E.
A l’attention de Monsieur…
Madame, Monsieur,
J’ai lu le mot que Mr…. a marqué dans le carnet de correspondance de ma fille. Il m’a fait réfléchir et je vois mieux ce qui me déplaît dans cette punition. Je vais vous l’exposer.
Elle sanctionne le manquement à une règle du collège. Je suis d’accord pour accepter une règle qui s’applique à tout le monde. Mais pour moi ce monde ne s’arrête pas aux seuls élèves, il concerne aussi ceux qui font les règlements. Or au collège de ….., les règles sont imposées aux plus jeunes pour des questions évidentes de rapport de force. Les adultes chargés de les éduquer les contournent ou les aménagent pour leur plus grand profit (rappel du C. A. de Mars …. dont les décisions ont été détournées) ce qui me paraît autrement plus grave qu’un simple chewing-gum dans un gymnase.
La leçon que je tire de cet épisode est que « les plus petits » devraient toujours respecter les lois alors que les « autorités supérieures » 6 peuvent composer avec. Je refuse cette façon de penser qui est absolument contraire à mes valeurs fondamentales 7 .
Ce que je veux que ma fille retienne dans la vie, c’est que nous sommes égaux (jeunes et adultes) devant la Loi, et, si elle n’est pas respectable 8 , de ne pas se sentir obligé d’obéir à une chose avec laquelle elle ne serait pas d’accord.
Je viendrai au collège ce soir à 16 h 30 pour emmener ma fille. Dans le cas contraire j’avertirai les autorités académiques et plus s’il le faut.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, mes salutations distinguées.
- o -
Lettre à un professeur (classe de 2de)
Le 2 décembre ….
Madame,
Je viens de regarder le devoir corrigé de ma fille sur le roman de René Barjavel « Ravage ». Je n’ai rien contre la notation, je ne connais pas vos barèmes ni votre façon de noter, mais vos remarques, que je ne peux m’empêcher de ressentir comme méprisantes, me posent question et je souhaite vous faire part de mes réactions.
« du délire ! » Je n’apprécie pas du tout cette réflexion. Ma fille n’a rien d’une agitée, d’une exaltée. Elle cherche à comprendre ce que son professeur lui demande, avec beaucoup de bonne volonté, mais la difficulté « à faire » est là.
« que tout cela est creux ! » - « nous voilà bien renseignés ! » - « de quoi parlez-vous ? » - « quelle victoire ? parce que vous connaissez la famine, vous ? » - Qu’est ce que cela veut dire dans le langage « enseignant » ?
« quand on ignore le sens d’un mot, on le cherche dans un dictionnaire ! » - Je ne comprends pas le pourquoi de cette annotation.
Le travail que vous avez proposé aux élèves sur ce roman me paraît très intéressant, mais je regrette le peu de temps qu’ils ont eu pour le réaliser. L’apprentissage de l’analyse d’une œuvre littéraire demanderait, je crois, plus d’accompagnement. Ce n’est pas facile pour tous les élèves.
Je reconnais sans difficulté les problèmes de ma fille, ce qui rendrait votre aide particulièrement bénéfique. Elle ne comprend pas ce qu’elle a à faire dans ce genre de travail. Je ne vois pas où est la faute ! Il s’agit d’un apprentissage qui peut être long. Je pense d’autre part que les appréciations vexantes ne permettent pas la mise en confiance sans laquelle l’apprentissage est impossible, sinon très difficile. Je sais que nous ne pouvons échapper aux notes, mais je pense que des appréciations constructives aideraient nos enfants.
Il se peut que cette année de seconde se termine pour ma fille par un redoublement, voire une ré-orientation. Je n’en tiendrais pas rigueur à ses enseignants. Une année de maturité en plus ne pourra que lui être bénéfique. Aussi je vous demande de bien vouloir croire que ma fille fait ce qu’elle peut, même si cela vous paraît insuffisant. Nous lui faisons confiance. Elle a « simplement » besoin de temps pour comprendre et mettre en pratique des façons de faire plus propices à un travail mieux construit.
Je reste à votre disposition pour vous rencontrer et vous prie de croire, Madame, à mes sincères salutations.
- o -
Le 2 décembre ….
Monsieur le Proviseur, (du lycée)
J’ai eu le plaisir de vous rencontrer il y a quelques temps pour vous parler de ma fille et n’avais pu, ce jour-là, cacher toute l’émotion qui m’habite lorsque je parle d’elle et de ses possibles difficultés. Je vous remercie encore de votre écoute. Nous avions convenu de nous re-contacter, ce qui n’a pu être fait jusqu’à présent.
Aujourd’hui je vous demande de bien vouloir remettre ce courrier à Madame Y, professeur de Français de ma fille, après en avoir pris connaissance.
Ma fille est suffisamment réservée pour que je n’accepte pas que, par ses propos, un enseignant contribue à ce qu’elle « s’enferme encore un peu plus dans sa coquille ». Je vous serais obligée de bien vouloir essayer de l’expliquer à Madame Y.
Je ne nie pas la difficulté du métier, mais lorsqu’un jeune ne pose pas de problème de comportement il me semble que c’est plus facile. J’imaginerais volontiers que la valeur, la richesse, et la récompense de ce métier soient dans la réussite des élèves qui présentent des difficultés, ceux qui réussissent « naturellement » (j’ai deux enfants dans cette situation) ne le doivent souvent qu’à une certaine facilité de compréhension que tous n’ont pas.
Je vous remercie de votre aide et vous prie de croire à mes sincères salutations.
Josiane Blanc
Quand l’université et la formation réciproque se croisent, 2004, collectif, l’Harmattan, p. 116.
« j’étais alors en 3e. Avec une copine de classe nous avions « séché » les cours un après-midi et nous étions réfugiées, pour discuter, sur un banc au fond du parking des professeurs ! Et bien sûr nous avons été repérées et reconduites en cours. Je me souviens de la peur que j’ai ressentie alors, peur de la réaction de mon père. Une peur énorme, immense, suffisamment pour que prise de panique j’essaie de m’ouvrir les veines. En pleine classe, je ne sais même plus avec quoi mais qu’est ce que ça coupait mal ! C’est le cri de ma voisine de bureau qui m’a réveillée de cet état, je me suis effondrée. Je ne me souviens plus du tout de ce qui s’est passé ensuite. Je me souviens avoir eu un sentiment de solitude infinie , je ne savais plus vers qui me tourner pour trouver de l’aide, une T. S. ? »
on reconnaît ce type d’autorité au fait qu’elle vient de plus loin que celui qui l’exerce.
Voir note de bas de page n° 24.