mercredi 12 mai 2004
Nous assistons au sein des services éducatifs de milieu ouvert à de véritables mises en demeure individuelles,, calquées sur le modèle ultra libéral. Les éducateurs sont mis en concurrence. Les critères d’efficacité retenus se calculent en terme de temps et de nombre. Ils doivent à tout prix répondre à la créance des puissances dominantes. Un véritable « prêt à penser » un formatage de haute technicité domine désormais les équipes.
Presque rien des réalités d’une population dont la précarité économique s’aggrave et touche en masse des milieux sociaux et culturels jusqu’alors hors du champ d’intervention habituel, ne sont interrogées par les pratiques..
Il devient presque incongru d’oser débattre dans les cercles professionnels très fermés du social, des questions renvoyées par les ‘usagers’, de rapporter leurs préoccupations d’ordre économiques en dominante, des méthodes de convocations qu’ils reçoivent, des condamnations financières immédiates fixées directement par des maires, élus avant d’être magistrats, taxées d’indemnités de retard en cas de non paiement dans les délais imposés par ceux-ci, .……. de l’in justice rendue sans principe de Justice, sans défense possible. Où en sommes-nous de l’Etat de Droit, de la séparation des pouvoirs aujourd’hui ?
Cela devient inconvenant de poser des problèmes de cette nature, de prendre en compte leurs témoignages de citoyens, leur considération dans la « cité » et d’en faire état aussi dans les écrits professionnels.
Nous serions immédiatement soupçonnés d’idéologie subversive mais nous y gagnerions un brin de confiance dans nos rapports avec les ‘usagers’ si régulièrement accusés de résistance, de méfiance, voire du refus d’intervention des travailleurs sociaux, ce dans la droite ligne des soupçons portés sur les chômeurs recalculés qui ont osé porter plainte. Ceux là ne sont pas loin d’être tenus pour responsables de la décadence à venir pour avoir réclamé justice, la reconnaissance d’un droit fondamental. Le travail n’est plus une valeur de cotation en bourse.
Ce qui compte, c’est la mesure de l’activité de l’éducateur qui serait en dette avec le modèle politique du moment. L’efficacité s’inspire sans complexe du modèle de marché. L’éducateur doit produire de « l’ordre éducatif », un résultat visible aux discours sécuritaires sur une jeunesse potentiellement dangereuse et des familles ciblées comme défaillantes et mises en accusation, sans qu’il n’y ait jamais de retour d’investissement qui serait d’interroger plus souvent le modèle lui-même. Nous n’étudions que des cas, comme le cas de l’éducateur en retour, positionné comme une action en bourse, interrogé sur le nombre de ses visites, sa quantité de temps utilisé, son organisation et son planning. La situation des jeunes, des familles devient périphérique, réduite à un simple objet mesurable de l’activité. Ce qui compte désormais c’est l’action institutionnelle elle-même qui résonne en capitalisations et intérêts d’actions d’un libéralisme avancé financeur de mises à l’écart.
Si les commandes sont fréquemment objet de critiques, elles paraissent bien abstraites et théoriques. L’idéologie libérale pénètre imperceptiblement, lentement mais très sûrement et directement les professionnels au quotidien, écrasés par cette pression permanente exercée à propos de cette jeunesse « sans foi ni loi ! », de leurs familles « démissionnaires », à qui ils ne sauraient plus répondre, au point d’en être persuadés à force de privation de moyens.- Exclusions scolaires, chômage, vide en matière de prévention, d’emploi,. ..Les méthodes libérales s’alimentent à tous les niveaux.
Il suffit d’écouter - parler l’évolution du langage et du jargon professionnel.
Il n’est plus question depuis longtemps d’utiliser le vocable d’éducation ou de ré éducation, concept qui sous-tend une action collective, l’idée de groupe, mais nous parlons de « l’éducatif », d’actes éducatifs , termes ô ! combien réducteurs et ramenant le problème aux seuls individus ! Il s’agit donc de traiter de relations entre individus, de mettre en œuvre des actes s’adressant à des personnes isolées, vocabulaire d’emprunt faisant référence à des professions libérales et médicales en particulier.. L’acte est en effet quantifiable, répertoriable, facturable.
Nous avons ainsi opéré discrètement depuis quelques années ce glissement vers une pensée libérale, portée si ce n’est librement consentie par les travailleurs sociaux.
« L’éducatif »est devenu une devise, une valeur ajoutée en matière de politique libérale appliquée. L’éducation ne fait plus recette dans les milieux professionnels. Par contre, il suffit d’inter caler le mot ‘éducatif’ entre ‘Centre’ et ‘fermé’ pour rendre moralement acceptable une société qui choisit délibérément d’enfermer ou d’exclure des enfants, dédouanée de toute mauvaise conscience dès lors que l’on rajoute de ‘l’éducatif’.
Le principe de délocalisations calqué sur le mode opérationnel des « actionnaires » industriels qui expatrient leurs usines, se pratique aussi dans l’exercice d’actes éducatifs –financements de séjours dits « de ruptures », expéditions sur le mode d’organisation de « cessions » pour délinquants- dont l’action et l’économie reposent sur l’embauche d’une masse salariale moins qualifiée, moins coûteuse, néanmoins capable de produire de l’efficacité de court terme, de « l’intérêt d’actions ».
Nous serions dans une « innovation pédagogique », un exemple de référence, un modèle éducatif retenu et valorisé aujourd’hui.
Sans nier le réel travail effectué à l’intérieur de ces structures en voie de développement, ne devrions-nous pas pour autant les observer dans ce qu’elles annoncent de l’évolution sociétale plus globalement au travers de ces orientations des prises en charges éducatives d’une jeunesse à problèmes ?
Ce qu’il y a d’inquiétant dans la mise en oeuvre de tels concepts, c’est que l’idée naît presque toujours de professionnels soient convaincus et acquis à la cause, soient privés d’outils d’analyse, aveuglés ou paralysés par la pression environnante, en toute réciprocité consciente ou non avec l’idéologie en cours.
De l’union libre, nous atteignons maintenant la consommation effective d’un mariage sous le régime d’une communauté de bien , la pensée libérale partagée. Non seulement L’éducatif en atténue de moins en moins les dégâts mais participe en toute « bonne foi » à son élargissement.
Références Auteur : ouvrages pour renfants
Editions JYD / L’Harmattan 99-2000
Site : enfant-et-droit-.com
Centre fermés, Prisons ouvertes
De Yann LE PENNEC
Editions L’Harmattan Avril 2004