jeudi 14 août 2003
Actes du séminaire « violence pulsionnelle, violence sociale : parlons-nous ! » animé par Joseph Rouzel, au cours du colloque sur les violences organisé par Cultures en mouvement à Montpellier du 4 au 7 juin 2003..
« La violence est un commencement »
Georges Balandier, Civilisés, dit-on . PUF, 2003.
Un groupe d’éducateurs qui ont, comme on dit, de la bouteille. Au fin fond de la Bretagne. Ils savent y faire avec des enfants mâchés par les saloperies de la vie, massacrés par des parents à l’amour vache, le rejet de l’école, la misère... Mais là c’est nouveau. Le juge leur ordonne de prendre en charge deux enfants fous. Sur le papier, c’est pas marqué fou, mais un gros mot : psychotique à dysharmonie évolutive. Le chef de service et les éducateurs se grattent la tête, qu’est-ce que ça veut dire ce charabia ? En fait ça veut dire que la folie rentre dans l’établissement. Au début, le premier matin, on trouve qu’Antoine, un gamin de 10 ans, est plutôt tranquille : il se lève, se douche, s’habille et prend paisiblement son petit déjeuner après un joyeux « bonjour » émis à la cantonade. Puis il file à l’entrée de l’institution et s’assoit sur un banc. Il dit qu’il attend le bus. Mais il n’y a pas de bus. Au début, tous trouvent son comportement un peu étonnant, mais les éducateurs ne veulent pas le brusquer. Il quitte son banc entre midi et deux pour le repas et reprend jusqu’à 5 heures, heure à laquelle il rentre au pavillon. Voila quelque chose de bien organisé, mais à quoi on ne comprend rien. Passent quelques jours et le directeur s’en mêle en s’adressant aux éducateurs : qu’est- ce que fait ce garçon livré à lui-même, vous ne pouvez pas le prendre à l’atelier ? Un éducateur sous la pression s’exécute et tente, d’abord gentiment, puis un peu plus pressant, de mener Antoine à son atelier. Celui-ci se lève et déployant une force insoupçonnable, massacre l’éducateur. Résultat : 15 jours d’arrêt maladie pour le professionnel. On se réunit : il faut punir l’enfant, ne pas laisser passer. On décide d’aménager une chambre de contention. Punition : 15 jours d’enfermement. Le psychiatre approuve : « contention thérapeutique », précise-t-il, ça fait mieux. 15 jours plus tard, l’enfant retourne sur son banc !
Cette petite scène de la violence ordinaire dans une institution médico-sociale nous en apprend long sur les facteurs déclenchant un tel déferlement de violence. A ne vouloir rien entendre de la violence faite par la psychose à cet enfant, à ne rien entendre du traitement qu’il a inventé lui-même contre cette violence interne, on déploie une série de passages à l’acte du directeur aux éducateurs, en passant par le psychiatre. Cet enfant, leur a dit, le formateur que j’étais, appelé à la rescousse, fait son travail, aussi étrange que cela puisse paraître. J’ai juste suggéré que de temps à autre un éducateur vienne l’accompagner sur son banc, qu’il le soutienne dans sa lutte acharnée à maintenir un ordre du monde sans cesse menacé : et il est comment ce bus ? Quelle couleur, quelle compagnie ? Il passe à quelle heure ? Et le chauffeur, il a des moustaches ? Les éducateurs se sont écriés : mais c’est une histoire de fous votre truc. Eh oui…Une histoire de fou, pleine de bruit et de fureur, comme toute vie humaine, si j’en crois Shakespeare.
Dans la foulée de cette anecdote tirée de mon expérience de formateur bien ordinaire en institution, je partirai de cet axiome d’entrée de jeu : l’être humain est animé d’une violence fondamentale. M’appuyant sur la théorie freudienne, force est de constater qu’il y a, à la base des pulsions, une violence irréductible. De fait « ...l’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité... L’homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. » Voilà ce qu’affirme sans ambages le père de la psychanalyse en 1929 dans Malaise dans la civilisation . L’histoire lui donna raison dix ans plus tard. Pour comprendre la violence nous pouvons partir de cette proposition : l’être humain est violence. Mais cette violence, selon les circonstances, s’exprime dans des formes et surtout des usages qui peuvent être constructifs ou destructeurs. Qu’un enfant de dix ans, comme un travailleur sérieux, attende tous les jours un bus qui n’existe pas, ne met pas fondamentalement en péril une institution. Il me semble qu’on peut le tolérer. C’est en tout cas un savoir-faire avec cette violence qu’on nomme psychose, plus intelligent que de la retourner contre soi ou de la déployer contre autrui. Il faut faire des choix.
Mais d’un autre coté, confrontée à cette violence fondamentale, toute société a développé une autre forme de violence : la culture transmise par les différentes voies de l’éducation. « La nature humaine par ci, la nature humaine par là, fait dire Paul Claudel à un des personnages de Tête d’Or , la nature humaine demande avant tout qu’on lui fasse violence. » Violence contre violence, telle est la condition de survie de toute communauté humaine. Les impératifs de vivre ensemble, obligent les êtres humains à céder sur leur satisfaction immédiate, à faire le sacrifice de leur pulsion, pour la « shunter » dans des dispositifs de médiation symboliques. Le traitement de la violence par les sociétés humaines a toujours relevé de cette tentative jamais achevée de métabolisation. A l’immédiat de l’exigence pulsionnelle fait barrage la médiation de la loi qui laisse se profiler le désir. Ce qui fait de l’homme un être parlant en fait aussi un être social. La parole et le langage, ses ramifications dans la culture, sont au bout du compte le seul mode d’apprivoiser la violence. Celle des sujets, comme celle des sociétés. Les sociétés occidentales se sont construites sur la confiscation de l’usage de la force par l’Etat. A cette violence légitime s’oppose une violence illégitime, celle des citoyens. Autant dire qu’on entrevoit là un équilibre précaire, jamais assuré. Mais il faut ici interroger ce qui arrive à Antoine et aux différents membres de cette institution bretonne. Appareiller la violence du sujet, quelle qu’en soit la manifestation - ce qu’on appelle psychose n’en est qu’une forme parmi d’autres - à des règles de vivre ensemble, passe par des médiations, des rencontres, des façons de s’apprivoiser l’un l’autre. La contention, physique ou chimique, cette violence extrême qui laisse filtrer sur la scène institutionnelle les remugles d’une « fliciatrie » d’avant Esquirol, non seulement est inacceptable, mais s’avère inefficace. On ne peut permettre à Antoine de se brancher sur d’autres formes de traitement de sa violence qu’en partant de cette trouvaille qui est la sienne et qui témoigne d’un savoir-faire avec sa vie. On ne peut s’en tirer qu’en se mettant à son école pour, petit à petit, lui permettre de se brancher éventuellement sur des formes de vivre ensemble socialement plus acceptable. Mais cela ne saurait se produire par la force. Le choc des deux violences, pulsionnelle et sociale, exige des espaces de médiation pour être contenu dialectiquement. Cela exige des professionnels un retournement à 180°. Il s’agit d’effectuer un pas de coté face aux ségrégations produites par le discours de la science sur le corps d’un sujet à partir d’une nomination (« psychotique »), pour se laisser enseigner par lui. On n’a pas assez mesuré l’effet de violence produit par le discours scientiste sur un sujet. Assigner un sujet à résidence sous une étiquette : psychotique, délinquant, cas social etc, a un effet d’illusion de savoir pour les professionnels, mais surtout de réification, de ségrégation du sujet dans le corps social. Autrement dit on produit une exclusion contre laquelle on somme ensuite les travailleurs sociaux de lutter. Se « désempéguer » comme on dit dans le Midi, de ce gel du savoir et de la ségrégation, constitue le premier pas de résistance contre le déferlement de violence et de jouissance du social sur les sujets. Et pour cela, il faut se parler… Si comme le dit Freud dans une conférence de 1917 2 , « l’éducation, c’est le sacrifice de la pulsion », c’est bien qu’il n’y a pas plus d’éducation sans violence que de naissance sans violence. Entrer dans le monde des humains et y grandir ne vont pas sans mal. Encore faudrait-il se souvenir ici de la dimension humanisante et socialisante du sacrifice, pratique rituelle dont nos sociétés post-modernes ont perdu la clé, quand ils ne la rejouent pas sous ses formes les plus horribles. Dans les guerre et l’exploitation, on sacrifie au dieu Moloch des populations entières, là où d’autres peuples animés par l’intelligence rituelle du sacrifice, immolaient un animal, ou des biens de consommation, comme dans le potlatch. Le sacrifice qui met en œuvre une perte, vise un déplacement de cette perte dans un effet de transcendance qui unit la communauté des hommes. J’accepte de perdre quelque chose pour qu’entre nous … ça crée. Etymologie au plus radical du mot sacrifice : faire sacré. Faire que ça créée.
Nous débouchons sur une interrogation cruciale. Si la violence subjective de la pulsion qui taraude chaque sujet n’est vivable que si elle trouve dans son entourage familial et social ses moyens de traitement, qu’en est-il aujourd’hui des capacités de notre société post-moderne, à transmettre les formes symboliques où trouvent à s’appareiller violence subjective et violence collective? Qu’en est-il de l’autorité aujourd’hui et de ses fonctions de pacification des violences quotidiennes? Le discours de la science qui a peu à peu infiltré le lien social ne met-il pas gravement en cause les modes de traitement symboliques de la violence? La virtualisation des violences ordinaires ne fait-elle pas peser sur la cohésion des sociétés occidentales une grave menace? Il faudra, dans les années qui viennent, prendre la mesure du déclin de la fonction paternelle dans tous ses modes d’expression : autorité parentale désavouée, représentation sociale dévalorisée des enseignants, des juges, des politiques, des éducateurs... pour essayer de répondre à ces questions. Ce n’est pas le retour de manivelle des Sarkozy et consort, ni les nostalgiques des pères-la-matraque d’antan et autres petits pères des peuples, qui peuvent nous rassurer. Un père, entendons la fonction qui permet la transmission du symbolique, donc de la culture, du langage, du social, c’est justement ce qui sert à un enfant pour appareiller sa violence pulsionnelle, disons corporelle, pour ceux que le vocabulaire freudien gène aux entournures, à la violence du vivre ensemble. S’il s’agit d’une fonction, elle peut donc être occupée par différents types de… fonctionnaires. On peut voir, à l’issue des derniers enseignements de Jacques Lacan, se profiler les conséquences de ce déclin par lui annoncé dès 1938 dans Les complexes familiaux 5 . En 1963 dans la séance unique de son séminaire Les Noms-du-Père , Lacan annonce déjà la couleur, la pluralisation de la fonction paternelle, tout en précisant que cette ouverture, il la fait trop tôt pour être entendu. Jacques-Alain Miller repère dans son cours à la Section Clinique de Paris, sous cette appellation, les Noms-du-Père, une première entame à la consistance de l’Autre. En pluralisant les Noms-du-Père, Lacan ouvre la voie, dans l’aboutissement de son enseignement, à la forclusion généralisée, point d’arrêt du Nom-du-Père totémique tel que Freud a pu le penser. S’ouvre à partir de ce point un au-delà de l’Œdipe. 6 Cette avancée sert de socle à la formulation par Jacques-Alain Miller de l’inexistence de l’Autre. Il n’y a ni dieu, ni maître, qui puisse répondre de l’énigme vivante d’un sujet. Du coup ce n’est plus le père, ni ses substituts, en tant que tels qui peuvent faire barrage à la violence de la jouissance corporelle, sa pluralisation l’a diffusé à l’échelle de la culture. La fonction subsiste au-delà des ses fonctionnaires : du père on peut alors s’en passer, à condition de s’en servir. Il s’agit en ces temps obscurs de voir par quels chemins dans la culture passe l’appareillage de la violence pulsionnelle. Mais chacun sait que pendant la mue, le serpent est aveugle…
Le réel de la pulsion n’est traitable que par le symbolique. Plutôt que de glisser vers le type de slogan qui fleurit à chaque fois qu’une violence explose dans le corps social : « la violence (avec ses variantes : des jeunes, des villes, des « détraqués » sexuels, des hommes contre les femmes, des parents maltraitants etc.…) parlons-en », on pourrait détourner l’injonction en invitation : « La violence : parlons-nous ». Autrement dit face à la violence inhérente à la nature humaine, peut-être pouvons-nous faire le pari de la conversation généralisée ? 7
Je retrouve bien, autour de l’histoire que m’ont confié les éducateurs d’Antoine, les même impressions que j’ai pu vivre pendant des années sur le terrain comme éducatuer ( ?!). Impressions mêlées de désarroi et de colère. Un petit lapsus d’ordinateur vient d’ailleurs de me faire produire cet « éduc à tuer », cet éduc lourdement menacé de mort. Le travail éducatif est un métier dangereux, où l’on part au front tous les matins, quand ce n’est pas toutes les nuits, en internat. Le front c’est aussi la confrontation, voire l’affrontement avec des personnes en grande souffrance psychique et sociale. Est-ce qu’on imagine envoyer au front des soldats sans aucune protection, sans arme et sans armure ? C’est pourtant ce qu’on impose bien souvent aux éducateurs : combattre à mains nues. Je rencontre trop souvent en formation ou dans mon cabinet d’analyste, des professionnels qui disent leur ralbol devant des conditions de travail inhumaines. Ils disent combien ils sont démunis et en souffrance. Dans maint institution il n’y a aucun lieu pour élaborer ce qui travaille l’éducateur, dans son corps, dans son esprit et (osons) dans son âme, aucun lieu de parole, quelle qu’en soit l’appellation : instance clinique, analyse de la pratique, supervision… Non seulement il n’y pas de lieu pour parler de ce qu’on vit avec les usagers, pour donner du sens à l’action quotidienne et se construire « une bonne distance » dans la relation éducative, mais il n’y a même plus de lieu où l’on se parle entre collègues, pairs ou chargés d’assurer « la direction » (c’est à dire le sens et l’orientation) du travail commun, ou encore avec les usagers. Des années de pratiques de formation en stage ou en institution me font apparaître le secteur de l’éducation spéciale comme humainement sinistré. On fait des gains de productivité : on ne se cause plus ! Bien sûr on s’anesthésie dans l’absorption sémantique des projets institutionnels, projets individuels et autres drogues douces, mais au bout du compte nul n’est dupe : c’est bien souvent de la poudre aux yeux, des mots ronflants comme cache-misère. Car un collectif humain ne survit à la violence qu’il ne peut faire autrement qu’engendrer, qu’au prix de susciter et de respecter chacun dans une parole qui lui est propre. L’institution n’est jamais acquise, jamais finie, puisque c’est ce processus permanent d’avènement de la parole qui la constitue. On a bien raison, à la suite de l’enseignement de la psychanalyse, d’invoquer la dimension de l’inconscient et de mesurer la force du transfert et de la pulsion de mort, présents dans toute relation éducative : comment les institutions sociales et médico-sociales y échapperaient-elles ? Ce n’est pas le psychanalyste que je suis qui va récuser ces concepts qui fondent le socle de la cure analytique. Mais comment les mettre au travail dans l’intervention éducative ? Il n’y a que dans et par la parole et le langage que puisse se médiatiser la violence de chaque sujet, liée à l’exigence increvable de jouissance de la pulsion, comme la violence de l’institution. Vivre et travailler avec les autres ça ne va pas sans violence ! Ouvrir et défendre de tels espaces de médiation et d’élaboration dans la parole est-ce trop demander ? Peut-être ne faudra-t-il pas alors se contenter de se plaindre de ce manque vital d’outils de base pour exercer ce métier à risque? Peut-être faudra-t-il imposer, jusque dans une épreuve de force, aux directions trop souvent aveugles et sourdes, pétrifiées par les soubresauts du plan comptable, aux organismes de contrôle trop souvent tétanisés par le discours du maître-bureaucrate aux yeux et au cœur vides, nourris au petit lait des statistiques, ces espaces vitaux pour sauver sa peau et continuer à travailler avec ceux qui souffrent ? Comme le disait Deligny, juste avant de mourir : « Il s’agit de produire de l’humain… ». Encore faut-il s’en donner les moyens. Dans un monde où l’humain a été réduit à une marchandise ou une bête de cirque, c’est pas gagné, de produire de l’humain : ça va même à contre-courant. Et Fernand Deligny de rajouter : « …c’est autrement difficile que de monter un expédition au pôle Nord avec des chiens de traîneau… »
Joseph ROUZEL, psychanalyste, directeur de l’Institut Européen Psychanalyse et travail social. Texte d’appui pour le séminaire du colloque Cultures en mouvement du 6 juin au Corum de Montpellier.
Aujourd’hui, nos sociétés « modernes » et policées sont de plus en plus gagnées par la peur, le désespoir, et la violence . A côté de la violence brutale qui se répand dans le monde et qui se décline par des guerres avec leur cohorte de massacres et de génocides, il est d’autres formes de violences plus subtiles, plus discrètes qui paraissent moins visibles et plus acceptables parce que plus quotidiennes.
Partout, nous sommes confrontés aux mêmes angoisses : la perte du lien social, le manque de confiance en soi, le manque de confiance à l’égard de son groupe d’appartenance…. Tout cela favorise le ressentiment et l’invention des coupables.
Pourtant, l’Occident a depuis plus de sept siècles, tenté de domestiquer ses pulsions violentes pour engager les sociétés vers un processus de rationalisation, tendant ainsi à substituer à la violence physique une sorte d’auto contrainte, de censure intérieure, ce que Max WEBER appelait l’acceptation du monopole de la violence légitime, inventant ainsi des formes violentes euphémisées sublimant au sens freudien la violence physique.
Cette mise en forme de la violence physique a une vertu cardinale : elle permet, comme le rappelle P.BOURDIEU, de codifier à travers les rites, les règles de civilité, les normes de comportement les relations sociales, c’est à dire « de mettre des formes et mettre en forme » afin de contrôler plus efficacement la violence physique en imposant la force de la forme, c’est à dire la violence symbolique. On mesure alors les effets délétères dans le champ social de ce processus civilisateur : on constate en effet par exemple l’insistance des politiques à œuvrer à la « pacification » des relations sociales dans les quartiers déshérités, expression qui charrie derrière elle l’histoire inavouée des méandres glauques de la pacification de nos propres indigènes au temps de la colonisation.
Nous pensions alors que les sociétés occidentales abandonneraient à jamais en raison du fait civilisateur lui-même, la barbarie guerrière, renonceraient à jamais à ce que HOBBES appelait « l’entremangerie universelle ». Or, il n’en n’est rien. Cette violence qui se déploie sous nos yeux présente plusieurs visages :
1) dans les pays pauvres, dépendants 8 ou qui attirent la convoitise des pays riches, le glaive est à l’ordre du jour dans ses manifestations les plus tragiques et les plus brutales (Yougoslavie, Irak, Afrique, Amérique latine…). Cette pulsion destructrice paraît alors sans limite. La barbarie guerrière parfois au nom d’une mission civilisatrice (cf les nouveaux croisés en Irak) libère toutes les pulsions agressives et meurtrières, génère les passions les plus ténébreuses et les plus irrationnelles.
2) Dans les pays riches dits civilisés, le bulletin de vote supplante le glaive et nous offre le spectacle affligeant d’une démocratie de surface, mettant en scène ces « dieux de pacotilles que sont les hommes politiques, qui ont fait disparaître le débat politique pour lui substituer le combat des gladiateurs » pour reprendre les propos d’ Eugène ENRIQUEZ.
Nous sommes plongés dans une sorte de paradoxe. En effet, dans la culture freudienne (cf. malaise dans la civilisation), l’accès à la civilisation fut un effort considérable pour domestiquer les pulsions agressives aux exigences de la collectivité, elle se révéla alors comme un facteur indispensable à l’entrée des sujets dans un ordre symbolique, dans une chaîne signifiante ou le rapport de force n’avait plus seul force de loi. Dans cette perspective, « la violence se situe du côté de l’interdit, du langage et du refoulement et non de celui de la censure, du corps à corps et de la répression » . Or, aujourd’hui, du refoulement à la répression, de l’interdit à la censure, de la loi à l’arbitraire, les passerelles sont allègrement franchies.
Les Etats « démocratiques » ne sont-ils pas alors devenus comme l’écrit E.ENRIQUEZ : « la forme moderne et sophistiquée de la horde, bafouant ses propres lois, instituant l’injustice comme mode normal de gouvernement, prenant tout et ne donnant rien, ivre d’une force démultipliée par le développement des sciences et de la technologie ». Ici, prend tout son sens les effets dévastateurs de ce malaise dans la civilisation qui provoque une civilisation des malaises d’un monde moderne qui dessine au quotidien des trajectoires de vie brisée et en souffrance (dépression, solitude, misère sociale, errance, déréliction….). Mon propos est de montrer que le sentiment de mépris et l’absence de pouvoir réel sur sa vie entraînent une profonde dévalorisation, une perte du sentiment de confiance en soi et une perte de sens.
J .ELLUL décrivait cette tragédie : « Or je dis que le fait de vivre dans un monde incompréhensible et sans aucune signification, le fait de vivre dans un monde où je ne puis faire et vouloir aucun projet, est une dimension essentielle du malheur de l’homme ». L’histoire récente de la culture ouvrière traditionnelle illustre précisément avec acuité le désastre d’un monde qui se défait sous nos yeux et qui dépouille des milliers de petites gens de toute dignité. En effet, la culture ouvrière traditionnelle est lourde d’enseignement car elle dessine les contours des trajectoires sociales et permet de mieux comprendre les destinées humaines dans les tiraillements, les décalages, les contradictions entre les générations qui se déploient aussi bien sur le plan psychique qu’au niveau du système familial et d’interroger par exemple comment les différents registres de la filiation ont pu se désarticuler aussi profondément.
Je pense notamment aux secteurs traditionnels des mines, de la sidérurgie, du textile, des verreries que j’ai connus enfant qui ont été historiquement socialisés sous la contrainte du capitalisme et qui ont historiquement retourné le collectivisme subi en une communauté de vie pratiquée sous les formes aujourd’hui en pleine déliquescence de la solidarité et de l’entraide, de la lutte pour la dignité, pour la conscience fière, pour l’identité légitime. C’est là, précisément dans cette filiation et donc dans ce monde qui en est le support, que les enfants venaient chercher pour vivre le viatique de leur identité, laquelle ressort du commerce familial, de l’histoire parlée, des récits de vie…Ce que l’enfant emporte avec lui de ce monde, c’est une culture, une histoire, l’histoire d’un texte, « l’histoire du texte », dit P.LEGENDRE qui institue l’ordre généalogique, sanctionne notre appartenance, fonde notre identité.
C’est pourquoi, lorsque j’évoque à propos de cette culture ouvrière cette dimension de la transmission, je pense aux groupes d’appartenance, à l’existence de liens denses, d’une communauté vivante. 9 Evoquer la transmission, c’est parler famille, voisinage, sociabilité, c’est évoquer son histoire, son nom, son identité, son sexe. Tout cela a singulièrement volé en éclat sous le poids des paupérisations liées aux politiques économiques et a entraîné des désaffiliations aux effets de violences multiples : pas de qualification, plus de métier, pas d’emploi stable, pas d’ancrage ni de structuration, ni d’identification du côté d’une vie sociale. On connaît fort bien les thèmes concernant le passage brutal du monde ouvrier au monde populaire, de la communauté ouvrière à la cité dortoir. Tout cela a supposé le renoncement à cette forte exigence de dignité, de conscience fière, de valorisation par le travail…
On voit ainsi se profiler sous l’effet conjugué de la pauvreté et de la désaffiliation, de singulières trajectoires où la figure emblématique et quelque peu prophétique et idéalisée de la culture ouvrière, se défait et plonge dans une sorte de désorganisation : la famille et avec elle la figure du père dans un renoncement de sa fonction de transmission.
Dans la relation père-enfant, cette perte de confiance en soi ne pouvait qu’induire une perte de confiance envers le père : s’il n’a plus confiance en lui, s’il ne s’estime plus, s’il ne s’aime plus tel qu’il est dans son rapport au monde, à quoi bon lui faire confiance !
Ce que l’enfant ne trouve plus chez lui, notamment une signification, une orientation à son existence, il le sollicite de façon métaphorique ; Comme le rappelle D.LEBRETON : « là où il n’y a plus de limites de sens, on cherche des limites de fait » , c’est à dire que l’on s’affronte au monde, d’où ces conduites de risque à répétition qui exposent le corps à défaut de limites symboliques.
Ainsi dans ce monde défait, la violence sociale se traduit par la soumission de ces ouvriers au mépris social qui sape les fondements même de l’idée qu’ils peuvent se faire de leur propre valeur.
Comment alors ces petites gens relégués dans des quartiers abandonnés, pourraient-ils être préservés du sentiment d’être des « inutiles au monde » ?
Comment un tel déni de reconnaissance pourrait-il conduire à autre chose qu’au sentiment qu’ils n’ont plus leur place, que la société les dépossède de tout ce qui fait la valeur et le sel de leur existence ?
Le sentiment d’être méprisé et l’absence de pouvoir réel sur sa vie peuvent entraîner une profonde dévalorisation de soi, et ainsi ouvrir une voix royale aux engagements des extrêmes pour une nation, un territoire, un quartier, un immeuble…Comme le rappelait M.PIALOUX, « ce qui reste d’abord, c’est l’expression d’une haine violente contre la société, ses chefs, une hostilité qui se nourrit de toutes les humiliations subies, du sentiment global d’un échec, de la peur d’une sorte de paupérisation irréversible ».
Mais ce qui est dominant aujourd’hui c’est l’intériorisation de ces violences qui impose de façon insidieuse et sournoise les interdits, celles qui ruinent l’esprit critique et légitiment l’arbitraire. L’analyse des violences urbaines à la lumière du mépris social permet notamment par exemple de rappeler que ces violences ne sont jamais gratuites et qu’elles sont la plupart du temps une réponse à une situation violente qui – comme le rappelait O.PASQUIERS - est d’autant plus insupportable qu’elle est celle d’une violence symbolique banalisée, rendue quasiment invisible, parce que routinière.
Au fond, au principe de la stigmatisation des classes « dangereuses » du 19 siècle, ne faut-il pas voir dans les violences urbaines (rodéos…) des réactions légitimes face à la souffrance vécue, phénomène qui congédie une lecture en termes uniques de comportements guidés par des pulsions auto destructrices.
Problème majeur aujourd’hui : l’absence de démocratie réelle ne conduit-elle pas inévitablement au despotisme et à l’asservissement ?
Il est à craindre que les hommes réduits à l’infantilisation, au mépris et à la frustration de leurs besoins les plus importants : amour de soi, valorisation et reconnaissance, verront monter en eux, au delà d’un sentiment d’impuissance, un mixte curieux de retrait et de rage, une alchimie explosive d’aliénation et de violence aveugle et destructrice.
Les violences sociales en se conjuguant entre elles peuvent (si elles ne trouvent pas une réponse sociale et humaine) enfanter ou réactiver des violences pulsionnelles mortifères et incontrôlables.
Olivier Filhol, formateur en travail social, sociologue.
Communication de Jean- Christophe BARBANT
Directeur Adjoint
Institut Régional du Travail Social du Languedoc Roussillon
1011 rue du Pont Lavérune
34150 Montpellier
Colloque « VIOLENCES »
04 JUIN 2003 MONTPELLIER
Je vais essayer de développer ce qui me parait être quelques grandes figures des violences dans l’éducation, se trouvant être à la fois causes et conséquences d’un mal contemporain : « la course au progrès ». Ces violences apparaissent comme l’exercice de formes de liberté qui oscillent entre « dénonciation » et « résistance » entre « enfermement » et « ouverture ».
Le déchaînement de ces violences peut trouver ses fondements à travers :
Un homme contemporain étouffé par un monde d’objet
Un rapport fusionnel entre « savoir et pouvoir »
Un homme qui a perdu son humanité pour devenir un joueur d’échecs « Un homo calculator »,
Mais aussi une recherche effrénée de la performance l’entraînant dans les abîmes de la dévalorisation de l’autre
Je terminerai par ce qui me semble être une clé possible de compréhension pour concevoir la fonction de la pulsion de violence dans l’éducation
La violence comme une forme de respiration ; de liberté
Et je conclurai par ce qui me semble être quelques pistes pour déjouer ses mauvais sorts
Ø Pour introduire mes propos, je souhaite faire quelques détours par un certain nombre de remarques d’ordre philosophique :
Nous avons rompu avec les fondements des sociétés traditionnelles ce qui a entraîné la sécularisation de notre société. Nous avons pensé pouvoir nous émanciper de l’emprise des dogmes religieux par la maîtrise des systèmes techniques, économiques, sociaux et politiques ; ce que l’on a nommé « le progrès ». Cette rupture avec « le sacré » laissait à l’homme l’espoir d’éprouver sa propre « liberté » à travers la réalisation de ses désirs. « La liberté » dans toutes ses formes individuelles et collectives, est devenue le leitmotiv des sociétés « modernes » pour s’organiser. Il n’y a pas de grandes luttes qui ne brandissent la bannière de la liberté. Mais paradoxalement, cette liberté est devenue un terme que l’on n’ose plus employer parce qu’il renvoie chacun à son devenir dans une société gangrenée par l’individualisme. Cette liberté est devenue enfermement et ciment d’une illusion sociale. En conséquence pour s’adapter « l’homme » développe des stratégies de contournement dans sa relation à l’autre et au savoir pour aller se perdre dans le monde des objets, de la recherche de la performance et de son développement individuel.
L’éducation comprise comme un processus d’humanisation intègre « la liberté » comme principe fondateur de « la condition de l’Homme moderne » 10 . Ici la liberté est prise au sens comme nous le propose M.Soetard : « l’homme est capable de répondre de ce qu’il devient » 11 .
L’éducation et la liberté relèvent de la même réalité anthropologique. Il s’agit pour l’homme d’exercer sur lui-même une action qui l’amène à se transmettre tout en se transformant. Cependant ce travail d’humanisation se fait aujourd’hui à travers le filtre d’une réalité sociale où l’éducateur (dans le meilleur des cas ) se bat pour socialiser, pour favoriser l’adaptation, pour lutter contre l’atomisation tout en favorisant l’émergence du plus bas niveau de liberté : l’autonomie. De ce fait, l’éducateur instrumente l’enfant pour lui permettre d’entrer dans l’univers technologique dont il aura besoin pour s’adapter. Cette « croisade » pour l’adaptation devient le creuset de différentes formes de violences car elle nie la possibilité d’émancipation de l’homme. La mise à distance de l’homme du monde sensible est la condition pour favoriser l’émergence d’une position de liberté : une position « d’homme-sujet ». .
La violence devient alors le mode privilégié pour échapper à un monde d’objets
La société technologique dans laquelle nous évoluons est faite d’innovations. Celles-ci sont sacralisées par des objets toujours plus complexes dont l’objectif premier est de nous faciliter notre vie quotidienne. Même si il est vrai que la machine à laver le linge, la télévision ou encore les formes les plus avancées de la communication ont transformé les rapports sociaux, cette course infernale du progrès, nous concentre sur le monde des objets. L’enfant est très rapidement envahi par les objets. A l’école, dans sa chambre… les jouets éducatifs sont partout . Le développement de l’enfant n’est à ce moment que le prétexte à une intégration précoce dans ce monde. L’adulte a lui aussi ses objets : voitures, ordinateurs…. dont il fera le sens de tous ses efforts. Se poser (voir se concentrer) est devenu dans un monde où tout doit être stimulant, attractif et ludique un événement impossible. Les « objets de savoir » ne sont pas épargnés de ces pratiques de consommation. L’homme-moderne a beaucoup de mal à élaborer une pensée (essence même de sa liberté) parce qu’il consomme du savoir et que toutes frustrations se transforment en agressivité. L’issue n’est pas de mettre à l’abris l’homme des objets qu’il créé mais bien de l’éduquer pour être responsable de ses créations. L’accès à la culture doit se faire par l’apprentissage de cette responsabilité sociale. Les champs des possibles ouverts par la science sont autant d’occasion pour rappeler notre responsabilité face à nos créations. Ici la liberté de l’homme face à sa violence est une question de maturité anthropologique.
Le rapport fusionnel entre « savoir et pouvoir » mérite d’être interrogé
Comme nous l’avons vu, nos environnements valorisent : la stratégie, le calcul, l’anticipation… peu importe, apprendre doit être rentable. « Apprendre » est ici non pas considéré comme un processus mais une stratégie pour phagocyter un savoir, ludique, didactique et utile. Nous ne pouvons apprendre l’anglais pour aborder un jour la culture anglo-saxonne. Nous devons apprendre l’anglais pour communiquer afin de nous adapter. Le savoir n’est pas l’objet de la communication car celle-ci s’est constituée en savoir et est devenue une fin en soit. Les médias (au sens des technologies de l’information et de la communication) occupent une place prépondérante dans la démarche d’apprentissage. Le savoir doit être attractif à déconstruire, à pré fabriquer ou encore à « pré digérer ». L’accès au savoir doit être facilité pour permettre d’évacuer toutes frustrations et ainsi de consommer le savoir comme n’importe quel produit. Ce qui explique que le zapping est le mode privilégié pour aborder la connaissance et que se poser, c’est s’exposer, prendre un risque dans un collectif, dans une communauté et cela est devenu d’une grande violence.
Les expressions les plus convenues dans le champ de l’éducation et du social comme: « l’autonomie de l’enfant, l’usager au centre du dispositif… » concourent de la même façon à détruire les communautés et « le vivre ensemble » nécessaire à l’apprentissage : tout doit être au centre….Cette position est renforcée par la tyrannie du développement personnel : le culte du facile. Ceci engage « l’homme moderne » dans le refus d’être enseigné, dans l’impossibilité d’être formé et dans la voie du formatage. « La liberté d’apprendre » s’est métamorphosée en nécessité d’apprendre, ce qui entraîne le plus souvent un désengagement des situations d’apprentissage, un déferlement de positions autoritaires, un creuset de la violence.
(« Un homo calculator », un homme qui a perdu son humanité pour devenir un joueur d’échecs)
L’adaptation nécessaire au progrès et à cette société technologique, nous mutile d’une possibilité de faire de notre vie, un art, une œuvre. Il s’agit d’élaborer des stratégies, des calculs pour s’adapter et se développer : « l’homme moderne » est un joueur d’échecs. Ces rapports sociaux sont basés sur un principe : « au moins un coup d’avance ». En conséquence, seules les capacités d’anticipation et de projections sont requises pour être accepté, pour faire « partie ». « L’homme moderne » transforme sa vie en échiquier. Chaque « sujet » de son terrain de jeu devient par manipulation « objet » de convoitise. La perversité du joueur d’échec l’amène à sacrifier ses meilleures « pièces » au profit de l’altérité et de la solidarité, dans un seul but :gagner. Un sentiment de toute puissance et de scepticisme émerge de la posture de cet « homo calculator » qui n’attire qu’agressivité et répulsion. Au nom de la rationalité, le processus d’humanisation oscille entre barbarie et humanisme, entre indifférence et altruisme. La culture et l’éducation sont ainsi reléguées au rang de la technicité.
(La perfectibilité par opposition à la performance)
« La liberté est bien avec la perfectibilité, ce qui distingue l’homme de l’animal, mais cette singularité entraîne pour lui tous les risques de la corruption et qu’il devienne à la longue « le tyran de lui-même 12 ». La singularité dont parle JJ Rousseau est à concevoir dans l’interrogation d’un état premier de l’homme qui porte en lui tous les symptômes de l’enfermement animal notamment de la violence et de la domestication liée à l’entrée en civilisation. L’éducation comme vecteur de transmission ne peut renier ses deux dimensions et bien au contraire doit en faire ses finalités. La perfectibilité comme principe éducatif est à aborder non par l’ordre du savoir et de la technique comme le fait « la recherche de la performance » mais par l’ordre du sens. La sacralisation de la connaissance n’a fait que de renforcer le couple fusionnel « savoir-pouvoir » sur lequel repose la structuration hiérarchique de nos sociétés. Il s’agit ici de rendre perfectible la responsabilité morale de l’homme pour qu’il fasse de sa vie une œuvre et de l’éducation un art. En favorisant « la performance » comme seul repère d’une éducation comprise comme un processus de socialisation, nous ne faisons que de provoquer des phénomènes de jugements, de disqualifications et de générer à termes des frustrations. Poser en principe la perfectibilité comme principe d’humanisation revient à construire autour de l’homme une perspective humaniste et ainsi transformer nos univers de performance en univers de compréhension.
Pour conclure :
Ø (La violence comme seule « respiration »)
Comme nous l’avons vu, la liberté de « l’homme-sujet » est trop souvent étouffée dans ce monde d’objets, rationnel et stratégique. Cette entrave à la liberté peut se transformer en différentes formes de violence. Ici la violence est vécue comme une forme de respiration (non comme une forme d’expression) qui n’a de sens que dans le non sens. Hors la violence, à cet instant, échappe à la quête de sens et au discours de la raison : c’est la seule liberté de « l’homme sujet » dans une société où plus l’homme se veut au centre de sa vie, plus sa vie lui échappe.
Ø (Cela serait trop simple si les choses se passaient comme cela !)
Notre argumentation se rapproche beaucoup du discours philosophique pessimiste « post-moderniste ». Il n’y aurait pas d’issue dans cette société moderne condamnée au chaos. Il me semble que bien heureusement les choses ne se passent pas comme cela. Le progrès scientifique nous a libéré des tâches les plus difficiles et aliénantes. La condition humaine continue inexorablement à évoluer et à se transformer vers plus d’humanisme. La violence a toujours été présente dans toutes les sociétés humaines et idéaliser les sociétés traditionnelles serait de les méconnaître. C’est le regard porté sur la violence qui est le signe de maturité d’une société. Il ne s’agit pas de pacifier nos espaces de vie. Ces espaces ont besoin de l’énergie du conflit pour alimenter le moteur de notre évolution et de notre liberté. Il s’agit de faire de cette énergie disponible un vecteur de transformation sociale.
Ø (L’issue culturelle, le rapport entre tradition et modernité)
Notre difficulté réside donc à rompre avec l’idée selon laquelle le passé n’est plus valable et que le futur n’est que progrès. La prise de conscience de ce que nous sommes à partir de ce que l’on nous a enseigné, nous aidera à mieux transmettre dans une logique de transformation et non de reproduction. Les arts, les sciences, les langues, les modes de vie sont autant de vecteurs culturels dont nous avons besoin pour aborder notre vie et y trouver une cohérence. La rupture entre tradition et modernité n’a plus de sens dans cette perspective car il s’agit que l’homme entretienne avec le temps et les générations un rapport de filiation.
(Vers une pédagogie sociale)
L’évolution des rapports sociaux repose sur notre capacité à construire des climats de compréhension mutuelle dans une société multiréférentielle qui n’accepte pas et c’est bien une chance, le jugement rapide. Nous devons faire du « vivre ensemble », le véritable « objet » d’une pédagogie sociale pour les enfants, les adolescents mais aussi pour les adultes. La contrainte sociale sera le passage obligé de nos libertés mais elle doit être l’émanescence d’un choix : l’altérité.
MOTS CLES :
Ø Liberté
Ø Violence
Ø Savoir
Ø Relation
Ø Pédagogie
Ø Education
Ø socialisation
Repères bibliographiques :
Arendt .H (1983) « La condition de l’Homme moderne ». Paris Calman Lévy (ed°61)
Fullat .O (chap 9) « Le sens et l’éducation »Paris ESF
Hameline.D (1977) « La liberté d’apprendre. Situation II ». Paris. Les éditions ouvrières
Hameline.D(1986) « L’éducation, ses images et son propos ». Paris ESF
Hameline.D (1999) « L’autonomie » Questions pédagogiques.Paris Hachette
Houssaye.J (1996) « Autorité ou éducation » Paris ESF
Savater.F (1994) « Pour l’éducation » Paris. M.Payot
Soetard.M (1999) « Nature et liberté en éducation » Paris ESF
Soetard.M (2001) « Qu’est ce que la pédagogie ? » Paris ESF
Les enjeux psychiques de la violence chez les scotchés
Approche psychoclinique de la violence chez les sujets présentant des troubles consécutifs à l'usage d'hallucinogènes*
Par Fred FLIEGE**
S’il est généralement admis que les désordres psychiques résultant de l’absorption d'hallucinogènes sont actuellement en recrudescence, en revanche aucune recherche psychologique (mise à part la recherche ici poursuivie) ou médicale, quant à la nature, l’étiologie et les conséquences de ces troubles n’a été effectuée jusqu’ici.
Jusqu’à présent, de jeunes gens, notamment dans le milieu estudiantin, utilisent des hallucinogènes.
L’on peut se demander s’il ne s’agit pas là d’un rite d’initiation sauvage, dans un monde qui manque de repères symboliques, pour amorcer la sortie de l’adolescence.
Certaines données psychologiques et sociologiques, établissant un prolongement indéfini de l’adolescence, semblent corroborer cette hypothèse.
1. Le lien social dans les communautés de « scotchés » :
Pour introduire la question de la violence chez les « scotchés », ainsi que se désignent souvent eux-mêmes les sujets souffrant de troubles procédant de l’ingestion d’hallucinogènes, j’ai choisi de vous présenter les modalités du lien social dans les communautés fondées par ces personnes.
Mon travail d’intervenant psychoclinicien auprès de ces sujets, ainsi que mes recherches, portant sur l’articulation psychanalytique de ces désordres, m’ont permis de visiter un grand nombre de ces collectivités, notamment dans le département de l’Hérault.
En tentant d'aborder les répercussions de l'expérience hallucinogène sur le lien social, j’ai d'abord envisagé le lien intra-communautaire (entre individus au sein d'une même communauté), puis les liens inter-communautaire (entre différentes communautés de "scotchés") et extra-communautaire (entre ces communautés et leur environnement social actuel).
1.1. Le lien social intra-communautaire :
Dans un premier temps, je tenterai de vous exposer les modalités principales du lien social intra-communautaire.
En se rendant dans une communauté de scotchés, l'on est tout d'abord frappé par une sorte de "surmorale" qui semble commander ici les rapports sociaux.
Ainsi, ces collectivités ont mis en place un ensemble de règlements, plus ou moins explicites, censés éviter la crise. Il pourrait s’agir ici d'une tentative de maîtriser l'impact de l'objet pulsionnel, en garantissant ce que l'on pourrait appeler une conformité spéculaire des comportements. Je reviendrai ultérieurement (cf infra, 1.1.2.) sur cet aspect des enjeux inconscients de l’organisation intra-communautaire.
_________________________
*Communication du 6-6-2003, dans le cadre du Colloque «Violences», organisé à Montpellier par la revue Cultures en mouvement .
**Psychologue, fondateur de SOS-PSY; ATER en psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire de psychologie clinique, psychopathologie, psychologie de la santé, Université de Paul-Valéry, Montpellier III.
1.1.1. Etayage motivationnel du lien intra-communautaire:
Quant à l’étayage motivationnel du lien intra-communautaire, l’on peut tout d’abord mentionner le fait que, le plus souvent, l’idéal de départ de ces sujets (précédant l’expérience hallucinogène) repose sur une démarche explicitement non-violente.
Par ailleurs, leurs attentes à l'égard du produit paraissent d'abord s'étayer sur l'investissement imaginaire - consistant à pallier une défaillance au niveau de l'idéal du moi - d'un initiateur idéalisé.
Celui-ci semble se référer souvent expressément à la quête spirituelle promue par le mouvement psychédélique des années soixante et soixante-dix.
Tout se passe dès lors comme si le sujet cherchait à acquérir une identité d'emprunt, en reprenant à son compte, sur un plan imaginaire, l'ambition qu'il suppose à cet Autre social (ici souvent incarné par le courant "hippie").
Or, au niveau symptomal, le défaut d'ancrage, dans le présent, du mouvement hippie me paraît susceptible de compromettre, d'emblée, l'articulation entre cette quête et la réalité.
En outre, la composante anachronique de l'adhésion du sujet à ce mouvement (qui a connu son apogée voici trente ans) pourrait correspondre à une manière d'éluder la possibilité d'une confrontation "authentique" (c'est-à-dire symbolique) du sujet à la réalité présente.
Face à la chronicisation des troubles, chacun semble avoir tenté de se resituer parmi les autres, en adoptant une position de réclusion à l'égard du monde et/ou d'identification imaginaire et/ou symbolique au groupe.
Cependant, le point commun de l'ensemble des communautés de scotchés réside en une définition, par la négative, de leurs objectifs.
L'enquête que j’ai menée à ce propos, auprès de cinquante-trois sujets, m’a permis d'inférer la présence d'une hiérarchie entre les différentes fonctions de la collectivité:
1) Le but communautaire le plus fréquemment évoqué par les personnes interrogées, consiste en une protection du sujet contre son milieu d'origine et, à un degré moindre, contre son environnement social actuel, fréquemment surnommé "société normale".
La plupart des sujets ici présentés attribuent à ces deux formes de milieu social une hostilité, censée se manifester notamment à travers le regard et la parole, à leur égard.
Afin d'illustrer ce sentiment, l'on peut d’abord citer Bob (44 ans, communauté de St.-Martin de Londres) qui décrit sa perception du monde extra-communautaire en ces termes: "Les gens te matent comme des fous, méchamment, jusqu'à ce que tu craques, et ils se gênent pas à faire des remarques, même devant toi. C'est insupportable. C'est ce qu'il y a de pire, c’est d'être exposé nu à ça."
L’on peut aussi rapporter le discours de Fabienne (20 ans, communauté de Sète) qui évoque ainsi son impression concernant l’impact de cet environnement social sur elle: "Tu craques, c'est tout. On s'en fout. Les gens te regardent tranquillement crever. Alors que c'est justement ça qui te fait crever. Qu'est-ce qu'on va faire?"
Le vécu, ici restitué, du regard et des remarques d’autrui, correspond avant tout à l’éprouvé subjectif d’une violence subie.
Par ailleurs, tout porte à croire que cette perception des conduites sociales « ordinaires » en tant que manifestations d’une violence agie à l’endroit du sujet renvoie à un évanouissement des limites entre intérieur et extérieur, corrélatif à une certaine délocalisation du moi. Le sujet tenterait alors de conjurer l’angoisse, libérée par ce processus, en mettant en place une sorte de délire d’intrusion (proche de la projection paranoïaque).
2) En seconde position vient le motif de la protection contre l'institution (i.e. l'hôpital psychiatrique), invoqué par quarante-sept des interrogés.
En effet, les sujets, majoritaires, ayant subi un traitement médicamenteux en milieu hospitalier, décrivent, avec une concordance remarquable, l'angoisse aiguë qu'ils ont éprouvée au cours de la chimiothérapie (surtout après l'ingestion de neuroleptiques):
A ce sujet, l’on peut citer Jeanne (29 ans, communauté de Cournonterral) qui décrit son expérience en ces termes: "J'ai flippé pendant 24 heures, après les acides. Puis, ils m'ont chopée. J'ai jamais été aussi mal, aussi bas, de ma vie. Je me sentais impuissante. On m'a empêchée de gueuler.
Puis, avec les médocs, ça amplifiait l'angoisse parce que je n'avais plus de force pour réfléchir. Mon frère m'a aidée à m'échapper au bout de deux jours, sinon je serais devenue folle.
C'est des criminels, les psychiatres, j'avais l'impression qu'ils voulaient me vider de moi-même,... sans se soucier de moi. J'y retournerai jamais, je me taillerais les veines avant. Pourtant, j'ai jamais été suicidaire."
L’on peut encore mentionner les propos de David (37 ans, communauté de Montpellier) qui évoque son hospitalisation: "J'y étais allé de mon propre gré, quand j'y pense. [Il rit.] J'étais pas bien, c'est vrai. Mais, ils m'ont légumisé en quinze jours. Après, ils voulaient plus me laisser partir. C'est à croire qu'ils aiment ça.
Enfin, j'ai rarement ressenti une peur pareille que sous ces putains de neuroleptiques. La panique absolue. Même scotché au plafond, c'est pas aussi grave. Du coup, j'ai mis d'abord deux ans à me remettre de ce pseudo-traitement de chimiste à la manque, oui, avant de penser à me remettre du scotchage, ce que je suis en train de faire avec vous.
J'aurais bien envie de leur faire leur fête à ces psychiatres. S'ils sont incompétents qu'ils se gênent pas pour le dire."
La forme de violence ici invoquée, attribuée à l’institution et au personnel soignant, serait pratiquée par le biais de la contrainte physique et notamment par l’administration forcée de produits psychoactifs qui priveraient le sujet de son autonomie. Par ailleurs, l’on s’aperçoit que l’incapacité du sujet à faire part verbalement au thérapeute de son opposition à ce traitement se trouve (provisoirement et partiellement) compensée par des constructions imaginaires (dont le statut topique ne semble d’ailleurs pas coïncider avec celui du fantasme), portant sur des passages à l’acte violents à l’endroit du praticien.
3) La troisième fonction de la collectivité, signalée par quarante-et-un sujets, renvoie à la protection "contre soi-même".
D'après les interrogés, il s'agirait essentiellement de "distraire" le sujet de sa souffrance, c’est-à-dire, dans une certaine mesure, de pallier au défaut de l’instance tierce (permettant, entre autres, le refoulement).
4) Quant à l'investissement individuel de l'hostilité communautaire à l'égard du monde extérieur, tout porte à croire que la projection de l'angoisse sur autrui consiste ici à éviter le débordement pulsionnel caractérisant l'issue pathologique de l'expérience hallucinogène.
En effet, si, suite à l’ingestion du produit, une certaine ouverture du conscient à l’égard du matériau refoulé peut être observée, en revanche, l’intégration subjective des conflits inconscients s’avère, à ce moment-là, le plus souvent impossible, de sorte que les mécanismes symboliques ne suffisent plus à contenir les processus pulsionnels. Ceux-ci s’actualisent alors fréquemment sous forme de présentifications objectales (i.e. des manifestations idéo-verbales de nature « subvocale »), ou encore par l’angoisse ou la violence. Or, dans une telle situation de blocage du système signifiant, vécue comme comportant le risque d’un véritable anéantissement du sujet (renvoyant ici à l’actualisation d’un positionnement subjectif à une place d’objet), le recours à la violence apparaît fréquemment comme étant la seule issue possible.
Notons toutefois que le surgissement des passages à l’acte violents est fréquemment précédé d’une demande, plus ou moins travestie, de reconnaissance par l’autre.
Ainsi, certains de ces sujets, se sentant (momentanément) déboutés de leur exigence (permanente) de reconnaissance, se sont livrés à de véritables prises d’otage, dont l’enjeu était tantôt la réclamation d’excuses (i.e. portant sur des attitudes considérées comme humiliantes à l’endroit du sujet), tantôt le refus d’une rupture affective, ou encore la revendication d’un soutien psychologique ou médical (qui semble ici revêtir la valeur topique d’un appel au père, comme je tenterai plus loin (cf infra, 1.5.2. et 2.2.).
Les communautés concernées ont, par la suite, expulsé ces sujets - venus majoritairement de l’extérieur du groupe dans lequel ils avaient exercé leur menace -, généralement sous prétexte qu’ils avaient omis de soumettre, au préalable, leur requête à une décision collective.
Ajoutons que, par la suite, plusieurs de ces personnes se sont engagées dans des activités semi-terroristes (i.e. vandalisme, incendies, etc.), généralement motivées par leur refus des défaillances du système, considérées comme produisant des injustices, telles que l’exclusion d’individus ou de minorités, ou encore l’absence de consultation démocratique. Enfin, certaines de ces conduites violentes semblent relever d’une sorte d’agir des idéaux communautaires.
Or, il faut rappeler que l'action apaisante du lien social sur le symptôme individuel procède d’abord de l'instauration, par le sujet, du groupe à une place d'idéal du moi. Toutefois, tout se passe comme si la collectivité se trouvait ici investie comme tenant-lieu non pas de l’idéal du moi (de nature symbolique), mais comme celui du moi idéal (imaginaire), déterminé par ses exigences spéculaires, duelles, en ce qu’il renvoie à l’instance issue du besoin de plaire à la mère.
La mise en place de ces procédés imaginaires, censés suppléer à la faille symbolique et compenser ainsi certains effets de la défaillance des processus de refoulement, aurait pour conséquence de prévenir l’agir violent et de réduire l'angoisse.
Afin d’illustrer l’actualisation de ce mécanisme, l’on peut citer Marie (42 ans, communauté de Bédarieux) qui déclare: "Seule, c'était terrible, tout le temps avec cette pensée qui devenait plus forte, qui me laissait plus exister du tout. Ici, dès que ça me prend, je cours voir les autres. Il faut vraiment courir, parce que ces pensées, c'est trop rapide."
L’on peut également rapporter les propos de Bernard (28 ans, communauté de Bédarieux) qui dit: "Depuis les acides, il y a dix ans, j'ai passé deux ans à bosser, dans la société. C'était l'enfer, puis six mois à l'hosto parce que je voulais me faire guérir, c'était pire.
Puis un an dans la garrigue avec les grillons jusqu'à ce que je ne sache plus qui j'étais. Enfin, je le sais toujours pas. Mais tous les jours, je conquiers un peu de terrain, au fur et à mesure que je vis ici."
1.1.2. Objectifs communs et enjeux du consensus:
Les objectifs sous-tendant le lien social intra-groupal me paraissent correspondre globalement à l’ambition d’exercer un contrôle exhaustif sur les relations inter-individuelles, en supprimant toute éventualité de conflit.
Or, il apparaît que la violence, sous-jacente à cette organisation sociale, n’est ici que réprimée, interdite, collectivement refoulée, sans véritable prise en charge par la parole, sans résolution symbolique.
L'accomplissement de ce contrôle, correspondant à la mise en place d'une sorte d'administration collective des mécanismes de projection, repose le plus souvent sur l'adoption d'une réglementation interne, rigide et détaillée, et censée promouvoir une sémiologie des conduites sociales en fonction des exigences défensives du sujet "scotché".
A titre d'exemple, dans les huit communautés de l'Hérault que j’ai pu visiter (parmi les seize existantes dans ce département), l'on affiche des règlements définissant les obligations des membres ("sourire", "dire bonjour", "s'excuser à chaque malentendu quelle qu'en soit la source", "valoriser l'autre"), dont le non-respect est considéré comme une agression caractérisée, et, en cas de récidive, sanctionné par l'expulsion du fautif.
A ce propos, l'on peut citer Paul (36 ans, communauté de Lodève) qui s’exprime ainsi: "Si tu souris, c'est super, le monde est beau, t'es beau et tout. C'est si simple. Quand tu souris pas, c'est pas cool, tu vas me déchirer à coups de couteau ou quoi? C'est tellement simple d'être cool et ça évite l'horreur. Ici, heureusement, tout le monde a pigé. Quand même. Il était temps, non?"
Ces énoncés illustrent le contraste existant entre les tendances violentes latentes, qu’il s’agit de dénier (« déchirer à coups de couteau »), et l’intention manifeste que véhicule le discours conscient (« être cool »). La paix sociale, n’étant réalisée qu’en apparence, est ici suspendue à la stricte obéissance aux prescriptions figées par le miroir, par les exigences spéculaires de la dualité.
L’on peut également citer les propos de Sarah (27 ans, communauté de Béziers) : "Il y avait une connasse ici. Elle arrivait pas à comprendre l'évidence, le règlement, la base naturelle. Cette connasse, elle te matait à longueur de journée, comme les gens de l'extérieur, tout ce qu'on a fui, le jugement, tout ça.
Enfin, quand on lui parlait, elle disait rien. Pourtant, elle était pas malade, ni débile, juste scotchée à bloc, c'est tout, comme nous tous ici, mais c'est pas une excuse.
On y a beaucoup réfléchi, on peut tous être gentils les uns avec les autres. Il y a que comme ça qu'on sait qu'on existe.
Pour revenir à cette nana, on l'a pas virée. On lui a dit de partir pour réfléchir et de revenir quand elle aurait changé."
Ici aussi, l’on perçoit l’hostilité et la violence latente (« connasse ») poindre sous le vernis de la revendication en apparence légitime d’une attitude accommodante.
Mentionnons encore le témoignage de Jean-François (46 ans, communauté de Vendargues): "Quand on parle trop, on rend l'autre dingue. Déjà, on a assez à faire avec toutes ces pensées, ces impressions, qui viennent des trips.
Donc, on a dû mettre un règlement supplémentaire pour les temps de parole. En fait, on l'appelle règlement pour qu'on comprenne qu'on peut pas passer outre. Mais c'est plutôt des accords sur des trucs évidents, dans les rapports entre les gens. En général, c'est beaucoup plus les nanas qui abusent, c'est pénible.
Là, ça va un peu mieux quand même, depuis que Bob a pété les plombs un jour. Il a frappé dur la fille. A quelque chose malheur est bon. C'est très important tout ça.
De toute façon, ici on sait ce que l'autre pense, c'est le lot des scotchés. Donc, on doit faire un effort supplémentaire pour montrer du respect. Il faut être attentif à l'autre, mais ça ne marche que si tout le monde est attentif. Puis, bon, on va pas s'entre-tuer, non?"
Ce message semble traduire de manière saisissante l’écart séparant l’idéal communautaire d’harmonie sociale (« respect », « être attentif ») et la problématique inconsciente, sous-jacente à cette organisation collective, et relevant d’une symptomatologie aux composantes violentes (« il a frappé dur la fille. A quelque chose malheur est bon. »).
En effet, tout se passe comme si tout le fonctionnement communautaire consistait ici à réprimer un déchaînement violent (« on va pas s'entre-tuer, non ? »), à peine endigué par les dispositions décrétées ad hoc.
De manière générale, l’on peut assigner aux procédures de gestion collective ici employées d'abord une fonction défensive à l'égard du symptôme individuel, à l'encontre d'une éventuelle (ré-)actualisation de la faille de l'Autre.
Ainsi, l'on peut supposer que, au niveau de sa signification inconsciente, la démarche communautaire consiste ici à
1) annuler la différence (irréductible et donc non maîtrisable), en abolissant l'autre en tant que différent de soi, c'est-à-dire en le réduisant au même;
2) stipuler que seul le conscient, et les actes qui en procèdent, importent, puisque aucune signification ne doit échapper à l'interprétation et que toute conduite doit être avalisée par une décision collective;
3) attribuer une nature exclusivement collective au psychisme, l'attitude individuelle étant ici subordonnée à l'approbation générale, voire réglée d'avance par voie consensuelle;
4) récuser l'étayage historique de la position subjective, dont la détermination est ici conçue comme tributaire des seuls paramètres collectif et synchronique.
1.1.3. De l’imaginaire au symbolique - Le nom:
En troisième lieu, j’aimerais aborder les corollaires imaginaires et symboliques de la dénomination de « scotché », qui se voit employée autant par ces sujets eux-mêmes que par les autres, pour désigner une personne souffrant de troubles issus de la prise d’hallucinogènes, et dont la modalité originelle semble être «scotché au plafond».
Il me semble que l’on peut inférer une forme de violence, au sens de la violence de l’interprétation (cf Piera Aulagnier), de la dénomination de "scotché", désignant une personne souffrant de troubles issus de la prise d'hallucinogènes, et dont la modalité originelle semble être "scotché au plafond". Cette expression se voit employée autant par ces sujets eux-mêmes que par les autres.
Par ailleurs, l'on peut signaler le succès qu'a remporté jusqu'ici ce terme, face à ses synonymes "collé", "bloqué" et "perché" (ainsi qu'à leurs équivalents en verlan, notamment "kéblô" et "chéper"), en ce qu'il reste le seul à s'appliquer aux communautés formés de personnes présentant les perturbations en question.
Néanmoins, l'on peut avancer que, face à l'extension actuelle, parmi la population globale, de l'expression "perché" ou "chépère", le nom de "scotché" risque de tomber en désuétude dans un proche avenir.
Sur le plan du signifié (c’est-à-dire de l’imaginaire), cette appellation, censée dénoter une sorte d'"adhésivité" du sujet à l'endroit des effets du produit, n'est pas sans évoquer la proximité caractéristique du sujet "scotché" à l'égard d'une position d'objet.
Or, si la plupart des sujets ici interrogés attribuent une connotation essentiellement dépréciative à ce terme, les données empiriques paraissent également établir un aspect structurant de cette appellation, en ce qu'elle est susceptible de constituer un support à l'identification symbolique.
En effet, ce nom semble présenter un trait différentiel, à valeur purement formelle et relevant de sa nature signifiante.
D'un autre côté, les éléments issus de l'écoute clinique tendent à montrer que les sujets accordant une dénomination sociale à leur souffrance ont tendance à s'identifier davantage à leur symptôme.
1.2. Le lien social inter-communautaire:
Les relations entre collectivités sont généralement très relâchées.
1.2.1. Enjeux métapsychologiques des divergences inter-communautaires:
Afin de citer un exemple de disparité inter-communautaire, l'on peut d'abord mentionner la divergence entre les groupes de Bédarieux et de Montpellier, quant à leurs objectifs explicites respectifs.
Ainsi, dans la communauté de Bédarieux, le tour de parole et l'obligation d'écoute représentent des impératifs absolus, minutieusement réglés ("une phrase chacun, quelle que soit le lieu, l'occasion ou le nombre de participants"), alors que dans celle de Montpellier, les recommandations se limitent à "rester cool" et à ne "pas se prendre la tête".
Notons que la tolérance manifeste, affichée par la communauté de Montpellier, se trouve démasquée dès que l'un de ses membres se voit confronté à une situation concrète, impliquant une différence inter-communautaire et/ou -individuelle.
A ce propos, l’on peut citer Pierre (39 ans), un adepte de ce groupe, qui, à ma question de savoir ce qu’il en était des rapports inter-communautaires, répondit d’abord qu’ils étaient excellents, pour ajouter aussitôt : "Ici, les gens d'autres communautés, on les supporte aussi mal que les gens de l'extérieur. Non, là j'exagère. Mais ici, il y a un code. Il est pas écrit, mais il est clair. Mais bon, tout le monde le comprend pas. Il faut le sentir. Il faut en saisir la vibration. Bon, on le sent quand même. Par exemple...mais bon...c'est difficile...ça me gêne presque d'en parler, parce que ça doit être évident pour quelqu'un qui veut venir ici.
Bon, par exemple... il faut pas trop parler, mais, bon, il faut pas non plus rester silencieux.
On a des mots-clés pour se faire comprendre. Ici, tu dis 'yessaï', puis 'respect', et c'est réglé. Pas besoin d'aller plus loin. Ah non, ici les bavards, on les jette, mais avec un coup de pied au cul, et ceux qui se la jouent aussi."
Selon ce sujet, la condition d'admission à la communauté reposerait donc sur la capacité du candidat à deviner la présence et le contenu de règles communautaires inexprimées.
Il faut ajouter que le discours d'une dizaine d'autres membres du groupe confirme cette définition, notamment quant aux contraintes tacites régissant les relations inter-individuelles au sein de la collectivité.
De manière générale, les sujets ici présentés ne semblent admettre aucune divergence inter-individuelle ni inter-communautaire.
Par ailleurs, en vue d'illustrer les conséquences potentielles des divergences inter-communautaires, l'on peut mentionner le fait que trois Montpelliérains, en visite dans la communauté de Bédarieux, en ont été expulsés "pour non-respect d'autrui", alors qu'un membre de la communauté de Bédarieux a vécu une crise d'angoisse dans celle de Montpellier, où il avait perçu un "chacun pour soi".
Or, l’on constate ici la mise en place de procédures collectives qui – tout en consistant à maîtriser la présentification pulsionnelle – contribuent à actualiser une violence contenue, essentiellement intra-psychique, et à instaurer un climat social explosif.
Par ailleurs, dans cette situation de crise permanente, l’on assiste fréquemment à des altercations sous prétexte d’un non-respect de règlementations internes, renvoyant souvent à l’incompatibilité entre les normes de communautés différentes. L'on peut inférer de ces observations que les fonctionnements collectifs reposent, sous des formes et à des degrés divers, sur un déni de la différence, correspondant à une tentative de maîtriser l'actualisation des objets scopique et vocal, en suppléant au défaut symbolique.
En d'autres termes, les procédures communautaires, tributaires des besoins défensifs individuels, et consistant notamment à éviter les effets de l'intrusion du réel, visent à apprivoiser la présentification objectale en instaurant un palliatif à la fonction de l'Autre.
1.2.2. Les relations inter-communautaires:
Les relations inter-communautaires, cultivées de façon sporadique et principalement en fonction des coordinations requises par la semi-clandestinité, relèvent d'une portée assez restreinte.
En vue d'interpréter ce déficit d'échanges inter-communautaires, l'on peut d'abord noter que, conformément aux exigences constantes des différentes collectivités, cette pratique suppose un accord de principe quant à la forme des rapports inter-individuels.
Or, en dépit de nombreuses ressemblances entre les codes régissant ces différents groupes, les ambitions collectives divergent, sur certains points, d'une communauté à l'autre.
D'autre part, le sujet "scotché" éprouvant généralement des difficultés à gérer les conflits, toute disparité, aussi minime soit-elle, entre les objectifs respectifs des diverses communautés est susceptible de compromettre l'entente.
Enfin, rappelons que si la confrontation du sujet à l'altérité se trouve être au départ des troubles, elle est également susceptible d'aggraver les perturbations une fois celles-ci déclenchées.
Par conséquent, le déni de la différence (irréductible et donc non maîtrisable), supposant la réduction de l'autre au même, rendrait ici inacceptable la perspective d'une controverse (potentiellement présente dans toute communication).
L'on peut conclure de ce qui précède que l'impossibilité d'exprimer des points de vue divergents débouche ici sur une alternative à trois termes, à savoir la discorde, le mutisme ou le simulacre .
1.2.3. Solidarité inter-communautaire:
Quant à la question de la solidarité inter-communautaire, l’on constate que le principal point de cohésion entre collectivités porte sur les rapports qu'elles entretiennent avec le monde extérieur.
Ces relations avec l'extérieur font l'objet d'une gestion assez rigoureuse de la part des communautés, notamment en ce qui concerne la préservation du secret de leur emplacement géographique, de leur fonctionnement et de leur composition.
Pour des raisons évidentes, je ne m’étendrai pas sur ce sujet.
Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de s'affirmer face à l'extérieur, notamment en cachant les évadés d'hôpitaux psychiatriques, les communautés montrent une solidarité remarquable.
Le troisième facteur du lien inter-communautaire renvoie à l'aspiration commune - n'ayant pour l'instant donné lieu à aucune initiative concrète - d'homogénéisation des projets, ce qui n'est pas sans évoquer les rapports "du même au même" caractérisant le lien social intra-communautaire.
Enfin, depuis le renforcement, récemment ordonné par décret ministériel, des contrôles de police, l’on observe un début d’entente quant au projet d’une résistance armée aux forces de l’ordre. Si les stratégies de riposte actuellement mises en place impliquent une certaine coordination avec le grand banditisme, en revanche, les mobiles de cette résistance sont ici bien spécifiques :
Le motif le plus fréquemment invoqué concerne l’entrée en vigueur des « Lois Sarkozi », interprétées comme une déclaration de guerre à la marginalité, et comme un recours délibéré, de la part du gouvernement, à la violence.
(A ce propos, rappelons au passant que la plupart des politologues s’accordent pour attribuer le niveau actuel de la violence aux Etats-Unis au renforcement de la répression policière, et à l’escalade qui s’ensuivit, dans le Chicago des années vingt.)
1.3. Le lien social extra-communautaire:
En ce qui concerne le lien social extra-communautaire, en dépit du manque de renseignements dont je dispose à son propos, mes observations quant aux fonctionnements intra- et inter-communautaire m’ont permis d'en inférer certains traits élémentaires.
Ainsi, l'on constate tout d'abord l'absence de relations régulières entre les communautés, d'une part, et l'univers extérieur, de l'autre côté, de sorte que, sur le plan manifeste, tout se passe comme si ce lien était effectivement inexistant.
Par ailleurs, à l'heure actuelle, la seule concrétisation du lien extra-communautaire semble relever de "contraintes matérielles", telles que l'approvisionnement en nourriture, en tabac, en alcool et en médicaments.
1.3.1. Le point de vue des sujets « scotchés » :
Cependant, au niveau fantasmatique, le monde extérieur se trouve investi en tant que menace indéterminée (dont les effets subjectifs peuvent être ici rapportés à l'ascendant du père imaginaire).
A titre d'exemple, l'on peut signaler le fait que près de la moitié des sujets interrogés appréhende une mesure d'hospitalisation "d'office" ou "à la demande d'un tiers".
Enfin, notons que, comme dans bien des situations socialement marginales, les motifs imaginaires d'inquiétude semblent coïncider, dans une certaine mesure, avec les éléments d'un risque réel (certains des fugitifs, ayant jadis été hospitalisés à la demande d'un tiers, ont été repris, des années après leur évasion, lors d'une excursion au-dehors de l'espace communautaire).
Par ailleurs, la confrontation au monde extra-communautaire donne fréquemment lieu à des manifestations de violence, sur les plans intra- et extra-psychique.
Au niveau interne, l’on assiste alors souvent à de véritables « implosions », se manifestant notamment par une syncope de la conscience, précédée et/ou suivie d’angoisse, de délires aiguës ou d’hallucinations (i.e. idéo-verbales aux composantes surmoïques persécutrices), et traduisant l’effondrement des assises moïques.
Sur le plan extra-psychique, ces rencontres de l’altérité sont susceptibles de déclencher des explosions de violence, concrétisées par des passages à l’acte et se soldant parfois par des drames. Ainsi, on a dû déplorer un certain nombre de blessés graves, voire un décès, lors d’altercations entre scotchés et personnes extérieures aux communautés (telles que celle ayant eu lieu devant une communauté montpelliéraine, qui s’est dissoute par la suite).
Enfin, j’ai abordé la question de l’interprétation, par les sujets scotchés, des comportements dits « ordinaires » (ici, décrits comme caractérisant la « société extérieure »).
Afin d’illustrer les conséquences potentielles de cette interprétation à l’égard des manifestations violentes, je vous propose d’abord un extrait du discours d’Adrien (34 ans, communauté de Vendargues): « Pour moi, le pire, c’est la violence froide. Là, je pourrais tuer. Quand je parle gentiment à quelqu’un et qu’il me regarde sans sourire, froidement, comme un mort, j’ai l’impression de tomber dans un gouffre. Je trouve qu’on n’a pas le droit de faire ça à quelqu’un. C’est comme essayer de le tuer, par le mépris… C’est là où la haine et l’indifférence reviennent au même. Ca se rejoint.
C’est laisser tomber quelqu’un, laisser crever quelqu’un. Mais là, ça peut arriver quand tu laisses approcher quelqu’un, quand tu lui fais confiance, c’est pourquoi c’est encore pire, quand il te répond pas, quand il te regarde d’un air froid.
Mais il y a aussi ceux à qui j’ai rien demandé et qui me jettent des regards méprisants, sur mes habits, sur ma gueule. Je suis pas assez branché pour eux.
Il y en a qui font des commentaires, des femmes, des ados, des enfants, parfois même des mecs jeunes,… ils sont comme des vieilles mégères, ou alors souvent c’est des vieux, des fachos,… mais il y a des jeunes qui sont tout aussi fachos,… c’est la Gestapo,… c’est ceux-là qui dénoncent les gens pour qu’ils finissent dans un camp, c’est ça la France, la vraie France,… mater, juger, condamner des gens qui ont rien fait, qui voudraient juste avoir un peu de paix.
Un des ces quatre, je vais craquer, je vais péter les plombs, je risque de tuer quelqu’un. J’ai jamais réagi, j’ai trop peur de ma réaction, je sais que si je dis quelque chose, si l’autre me manque de respect, ça va dégénérer sec, il va finir les tripes à l’air. J’ai deux cutters sur moi, en permanence, et j’ai un fusil (à canon scié) chez moi. J’ai peur qu’un de ces quatre, si ça continue comme ça, il y ait un bain de sang.
Les gens se permettent tout, puis ils sont protégés par la loi , parce qu’on a le droit de se foutre de la gueule des autres, mais on a pas le droit de se défendre . »
L’on s’aperçoit qu’Adrien rapproche l’indifférence (qui signifie ordinairement l’absence d’affect) de la haine (qui dénote un affect), puis du crime (qui désigne habituellement l’acte prohibé, hors la loi, par excellence, et notamment le meurtre).
Par ailleurs, à l’instar de beaucoup de ses compagnons de souffrance, Adrien tend à assimiler aux crimes nazis l’usage irréfléchi (non modulé par la loi communautaire) du regard. En effet, il semble dénoncer tout maniement « irrévérencieux » du regard (c’est-à-dire non ajusté aux exigences de la sensibilité objectale du scotché) en tant qu’instrument maléfique (qu’il paraît concevoir en tant que véritable « arme scopique ») au potentiel destructeur considérable, et dont la manipulation inconsidérée et/ou malveillante mettrait en péril la vie du sujet.
Enfin, le sujet s’octroie un droit à la légitime défense, en invoquant le caractère illégitime de toute conduite contraire à loi communautaire.
C’est ainsi que l’on peut envisager cette perception des conduites sociales « habituelles » en tant que facteur déclenchant de l’actualisation violente.
Or, la mise en place d’un tel système d’interprétation des comportements paraît correspondre à l’instauration, par le sujet, d’un Autre de la Loi imaginaire, censé pallier au défaut de l’Autre symbolique, et régissant les rapports sociaux selon les exigences tyranniques d’un surmoi maternel, archaïque, dont on perçoit ici la sévérité.
Remarquons également qu’Adrien considère qu’il encourt le risque de réaliser son fantasme de légitime défense au travers d’un passage à l’acte violent. L’on peut conjecturer que cet agir n’est, pour l’instant, empêché que par les effets surmoïques susmentionnés, qui s’étendent, bien entendu, à l’ensemble de l’expérience relationnelle du sujet. Du reste, le conflit, d’ordinaire inconscient, entre les besoins narcissiques du moi et les exigences moralisatrices du surmoi devient ici quasi manifeste.
Cependant, l’absence d’instance régulatrice intériorisée, d’ordre symbolique, aboutit à la nécessité permanente de réactualiser, de réajuster le rapport à l’autre, en l’occurrence en fonction du critère imaginaire d’une harmonie absolue, parfaite, excluant la différence et l’altérité, et reposant sur les seules exigences imaginaires de la mêmeté.
1.3.2. Le point de vue du public sur les scotchés :
En vue de compléter cette exploration du lien social extra-communautaire, l’on peut y ajouter quelques observations concernant la perspective du public sur les scotchés.
Or, il me semble nécessaire de souligner, au préalable, qu’il ne saurait être ici question d’inférer, à partir des assertions des scotchés, une violence provenant de leur environnement social, et qui serait homogène à celle que ces sujets tendent à lui imputer.
En effet, rien ne permet de stipuler, a priori, une telle symétrie entre les interprétations respectives (des côtés émetteur et récepteur) des conduites sociales en question.
Aussi, afin d’étayer par des données empiriques l’approche du point de vue « extérieur », ai-je mené une enquête auprès d’une cinquantaine de personnes, portant sur la perception des scotchés par les interrogés, et comportant deux questions : « Que signifie pour vous le terme « scotché »?» et « Qu’éprouvez-vous à l’endroit des scotchés ? ».
Ainsi, l’on peut rapporter les propos d’Etienne (cadre, 51 ans) qui déclare: « Mon fils les appelle les « perchés ». Je ne comprends pas que l’Etat ne fasse rien par rapport à ça. A Montpellier, c’est un fléau. Mais, on m’a dit qu’il y en avait aussi pas mal à la campagne. Pour moi, honnêtement, c’est une gêne. Je les supporte pas. C’est des gens qui ont dû se foutre en l’air avec des drogues, du style acides. Ils peuvent plus rien faire, ils servent à plus rien, ils ont l’air hagard, complètement largué. Il faudrait les enfermer. Honnêtement, je pense que pour certains d’entre eux, il vaudrait mieux l’euthanasie plutôt que de végéter comme ça, en public. »
L’on peut également citer Armelle (femme au foyer, 40 ans) qui énonce: « Les scotchés, c’est comme ça qu’on appelle des personnes qui sont restées bloquées sur un trip. Ils me font surtout pitié. Je me demande surtout pourquoi on ne fait rien pour eux. On voit qu’ils sont flippés, ça doit être terrible. Mais, je sens aussi un malaise quand je les regarde, surtout les jeunes derrière la gare là. C’est des gens perdus, et ça m’angoisse. Alors, il y a des moments, quand je suis stressée, où je me dis que ça devrait pas exister, ça, tout simplement. Il faut dire que je ne supporte pas les mecs passifs, alors, parfois, j’ai des impulsions un peu vives, alors, je dois montrer mon dégoût, je pense. »
Enfin, citons encore Evelyne (secrétaire, 24 ans) qui rapporte cette anecdote: « Dans mon groupe d’amis, il y a eu plusieurs scotchés, parce que, à un moment donné, on est allés un peu fort avec les champignons. Je trouvais ça assez flippant. Je préfère les extasy, surtout pour le sexe, c’est pas mal. Non, les scotchés, ça me fait flipper. Je les comprends pas, moi, à leur place, je me serais déjà flinguée. Un jour, un scotché est venu pleurer devant ma porte. J’étais sortie avec lui pendant un mois ou deux, puis il s’est accroché. Il y a un voisin qui est sorti, il a cru que le mec m’embêtait, je l’ai pas contredit, et il lui a fracassé la tête. J’allais intervenir, mais, après, je me suis dit que ça lui ferait du bien de se prendre une bonne râclée. Non, vraiment, les scotchés, je peux pas les saquer. »
L’on s’aperçoit tout d’abord que les données empiriques ici recueillies révèlent la présence d’une hostilité, à peine voilée, du public à l’égard des scotchés et de leurs communautés.
En effet, ces discours semblent assez bien représenter l’attitude de la plupart des interrogés à propos des scotchés, allant de la pitié jusqu’à la violence agie (ici, au travers du refus de porter assistance à personne en danger) en passant par la destruction fantasmatique de l’autre (« euthanasie »), et souvent extériorisée par le regard (supposé véhiculer, par exemple, du « dégoût »).
Or, tout semble indiquer que cette position - à l’instar des fondements inconscients du lien social communautaire (cf supra, 1.1.-1.3.) - reflète, elle aussi, un refus de l’altérité, avec ses corollaires de phobie, de haine et de violence.
1.4. Enjeux thérapeutiques de la vie communautaire :
Tout porte à croire que la communauté, investie du rôle de palliatif de l’idéal du moi, consiste essentiellement à soulager les souffrances psychiques de ses membres, en leur permettant un minimum de vie sociale.
Si le projet communautaire n’inclue aucune mission explicitement thérapeutique et qu’aucun des sujets ne semble s’en remettre au dispositif collectif pour se soigner, en revanche, tout espoir d’évolution individuelle et/ou collective se trouve ici subordonné à l’objectif de guérison (dont l’accomplissement incombe, selon ces sujets, à la science).
Par ailleurs, l’on constate que ces personnes, n’acceptant pas leur état comme une fatalité, se résignent rarement au diagnostic de l’irréversibilité de leurs troubles.
L’on peut inférer de ce qui précède que le destin, délibérément éphémère, du dispositif collectif se soutient d’abord du désir de guérir de ses membres.
Les cas de rémission nous permettent de constater que les sujets délivrés de leurs troubles (se désignant alors en tant que «déscotchés») quittent systématiquement les communautés, mais conservent à l’endroit de celles-ci une profonde reconnaissance (laquelle n’est pas sans évoquer la dimension de l’amour du père, soulevée par Freud, en tant que moteur du lien social).
Enfin, si une révolte plus ou moins explicite contre l’ordre social sous-tend les objectifs de l’ensemble des communautés de scotchés, l’on observe que les sujets une fois remis («déscotchés») s’engagent fréquemment dans des actions collectives contestataires.
Ainsi, ces sujets éprouvent souvent la sensation de mener une double vie, partagée entre, d’une part, une insertion «pragmatique» dans la vie sociale et, de l’autre côté, une révolte sublimée et/ou se traduisant par des engagements politiques (par exemple, dans les mouvements dits alternatifs).
Dans une certaine mesure, l’on peut concevoir que le sujet se positionne alors en référence au clivage irréductible entre le désir (tendant à se réaliser) et la réalité (représentée ici par l’acceptation des contraintes sociales, et supposant l’intégration subjective du manque, c’est-à-dire de la castration).
Enfin, sous certaines réserves épistémologiques, i.e. à l’égard du caractère non-linéaire de l’articulation entre les domaines psychique et social, l’on peut avancer que la propension à la contestation - que l’on observe fréquemment chez ces sujets - constitue un argument en faveur d’une constance relative de la structure (en l’occurrence, quant aux paramètres ayant trait à la Loi).
1.5. Topismes :
En vue d'aborder les enjeux structurels du lien social dans les communautés de scotchés, l'on peut recourir à la méthodologie de modélisation analogique inspirée du procédé freudien, illustré dans Malaise dans la civilisation et consistant à rechercher des équivalences entre les fonctionnements individuel et social.
Dans la perspective freudienne, le lien social se constitue autour d'un leader venant occuper la place de l'idéal du moi, à ce point précis où le sujet projette son moi idéal.
L'idéal du moi se différencierait du surmoi, en ce qu'il inaugurerait la sublimation en conciliant les exigences libidinale et culturelle.
Du point de vue de J. Lacan, l'idéal du moi organise d'abord la structure imaginaire du moi. Cette instance relèverait de la régulation des projections agençant les rapports au semblable. Lacan distingue entre l'identification imaginaire, établissant les assises du moi, et l'identification symbolique, fondatrice du sujet.
Or, afin de situer les enjeux du lien social communautaire, il convient de rappeler que les sujets ici présentés semblent être concernés, à des degrés variés, par les mécanismes propres au noyau fusionnel, renvoyant à une logique forclusive.
1.5.1. L'idéal du moi :
Dans les communautés de scotchés, aucune personne réelle ne semble incarner la figure de chef. Bien entendu, en forçant le modèle, l'on pourrait concevoir ici une figuration idéique - incarnée par le souci partagé de rapports strictement égalitaires - d'un statut de leader.
1.5.2. L'instauration de l'Autre :
Si le sujet psychotique tente d'assigner une consistance à l'Autre, l'on pourrait envisager - en recourant à l'analogie préconisée par la construction freudienne - l'éventualité d'un procédé similaire de la part de la communauté de scotchés, conçue en tant que sujet social.
Dans cette optique, si, au moment de la décompensation, le sujet psychotique (qualificatif que nous n'employons ici que dans son acception relativiste) se substitue à l'Autre du langage défaillant, le groupe composé de sujets psychotiques opérerait de façon équivalente, en instituant une loi contractuelle (des frères) là où la Loi (du père) fait défaut.
Or, l'on constate que tout se passe comme si aucune véritable règle ne préexistait au fonctionnement actuel des collectivités, lesquelles, à l'instar des modèles anarchistes (i.e. celui promu par Kropotkine), ne se plieraient qu'aux lois par elles-mêmes édictées.
Soulignons toutefois que l'Anarchisme (cf Bakounine: "L'anarchie, c'est l'ordre moins le pouvoir") aspire essentiellement à une organisation sociale égalitaire, basée sur la répartition homogène du pouvoir (i.e. politique, économique et social) parmi les membres de la société.
Au contraire, l'objet visé par les collectivités ici considérées porterait plutôt sur une gestion "contra-phobique" des enjeux imaginaires de la relation à l'autre.
1.5.3. L'objet a :
Cette réglementation minutieuse du rapport au semblable, portant sur les détails subtils et concrets de la vie quotidienne, est censée permettre une véritable "intendance" de l'espace projectif.
A ce propos, il nous semble intéressant de noter que la teneur (à valeur surmoïque) de ces directives collectives n'est pas sans évoquer celle des injonctions parentales rapportées par certains sujets ("sourire", "une phrase chacun").
De manière générale, les relations intra-communautaires semblent être réglées sur un mode spéculaire soigneusement agencé et consistant à protéger le scotché contre les conséquences d'une confrontation éventuelle à l'altérité (i.e. à celle du "père réel").
Or, il semble s'agir là d'une véritable gestion de l'imaginaire, en tant que mesure "contra-psychotique" collective, à la fois empirique et improvisée, et censée empêcher la possibilité d'une décompensation (dont les conséquences mettraient en péril les fonctionnements individuel et collectif).
Enfin, l'angoisse qu'il s'agit de maîtriser ici, traduit les effets de la jouissance libérée à l'occasion de la présentification des objets pulsionnels.
Or, en inventant un fonctionnement ad hoc des conduites sociales, les scotchés s'évertueraient à discipliner l'impact de l'objet a (se manifestant ici i.e. sous ses formes scopique et vocal).
1.6. Enjeux métapsychologiques du lien social dans les communautés de scotchés :
Ces communautés visent à bannir, en la figeant par l'imaginaire, la dimension de l'inconnu, qui, n'étant ici pas symbolisable et relevant d'un espace hors limite, est vécue comme périlleuse pour l'intégrité du moi et la survie de la communauté.
Ainsi, elles semblent s'efforcer d'instituer une "loi de pairs", décrétant les modalités du rapport à autrui et excluant toute spontanéité - dont les conséquences potentielles (i.e. la rencontre symbolique de l'altérité) seraient susceptibles de déclencher le défaut de structure.
Or, la soumission radicale, dans l'acte, aux exigences de la projection imaginaire implique la négation de l'altérité, de sorte qu'une application scrupuleuse de l'idéal communautaire résulterait en la réduction pure et simple de l'autre au même.
Formellement, en exigeant l'extension de l'ordre privé au domaine public, ces procédures ambitionneraient la coïncidence parfaite entre les espaces individuel et collectif.
Par conséquent, une application conséquente de ces procédés aboutirait à l'abolition des sujets individuel et collectif en tant que tels.
Toutefois, tout en tentant de coordonner les implications psychiques et sociales de ce que l'on peut désigner, sous certaines réserves épistémologiques, comme un "état-limite", ces communautés risquent de basculer, dans le cas où la faille symbolique s'actualiserait, vers un fonctionnement social aux traits proprement psychotiques.
En effet, au lieu d'être organisé autour de l'instance, solidement ancrée dans le symbolique, de l'idéal du moi, l'espace intra-communautaire consisterait en un système de défenses imaginaires - habituellement intra-psychiques, mais traduites ici en un acte (pacte) social - à l'encontre des angoisses archaïques.
Tout se passe ici comme si la fonction communautaire résidait principalement en une défense dirigée contre l'actualisation de la jouissance Autre - consubstantielle au "manque du manque", c'est-à-dire au retour de l'objet a ou à l'avènement, dans le réel, d'un signifiant "partiellement forclos", et à la fusion relative entre les places respectives du sujet et de l'objet.
Ainsi, les objectifs partagés de ces communautés semblent d'abord porter sur une protection du sujet - au travers de la poursuite d'un idéal répondant aux exigences du surmoi maternel (n'ayant ici rien perdu de sa férocité primitive) - à l'encontre des effets de jouissance.
En élaborant et en respectant un ensemble de règles, les membres de ces communautés paraissent rechercher une maîtrise de l'abord objectal, tout en instaurant une suppléance à l'idéal du moi.
Par ailleurs, quant à la question du degré d'intégration de la structure, notons que la capacité de ces sujets à se conformer à une réglementation semble corroborer l'hypothèse de leur accession partielle à la métaphore paternelle, c'est-à-dire à la castration symbolique.
Cependant, sur le versant de la béance structurelle (et des mesures palliatives déployées à son encontre), la mise en place de principes collectifs - censés couvrir la totalité des rapports interindividuels - paraît faire ici office de suppléance à la métaphore paternelle.
2. La violence thérapeutique :
2.1. La question de l’urgence :
L’on constate que nombre de praticiens refusent de répondre à toute demande d’intervention en situation d’urgence. Ils justifient ce refus, en argumentant que ce type de prise en charge comporterait le risque d’introduire une composante maternante – incompatible avec la prérogative principale du dispositif thérapeutique, à savoir le placement du patient en position de sujet.
Or, s’il faut reconnaître une certaine pertinence épistémologique à ce principe, l’on constate également, dans l’expérience clinique, qu’un pur et simple refus peut mettre en danger la vie du patient ou, du moins, être interprété en tant que négation du sujet. Par ailleurs, en ce qui concerne les sujets ici présentés, j’ai pu constater que, loin d’être nocive, l’acceptation prompte, par le thérapeute, d’une prise en charge du patient peut s’avérer essentielle pour éviter la chronicisation des troubles.
Enfin, la réussite des interventions «in situ», liée notamment à la rapidité de l’acte thérapeutique, semble remettre en question le postulat selon lequel répondre à la demande entraverait, en devançant le désir, le bon déroulement de la thérapie.
Par ailleurs, cette observation semble suggérer la nécessité de réexaminer le statut de la notion d’urgence au sein de l’appareil conceptuel psychoclinique.
2.2. Relations aux médecins :
La plupart des sujets ici présentés ont effectué des recherches plus ou moins systématiques quant aux possibilités de traitement de leurs troubles.
Par ailleurs, l’on s’aperçoit que, dans leur quête de thérapeutique, les sujets s’adressent d’abord aux médecins, auxquels ils soumettent alors une véritable demande de guérison.
Le psychiatre se voit ici souvent attribuer un rôle palliatif, censé suppléer à la défaillance de l’Autre.
Tout d’abord, tout porte à croire que le praticien - étant convié à répondre à la demande et à contenir l’angoisse du sujet - est appelé à incarner l’Autre dans sa dimension maternelle.
D’autre part, l’on peut supposer que le sujet - en attendant de la part du médecin une réponse permettant de qualifier ses perturbations - investit celui-ci à la fois comme un «sujet-supposé-savoir», mais encore en tant que protecteur symbolique à l’encontre du réel, c’est-à-dire sur son versant paternel.
Notons au passant que les médecins prescrivent fréquemment, à ces patients, des produits neuroleptiques, lesquels n’entraînent non seulement aucun allégement des troubles, mais contribuent, au contraire, à accentuer la souffrance. Aussi, la plupart des patients décident-ils, de leur propre chef, d’arrêter cette forme de médication.
La majorité des patients finissent par se rendre compte, d’une part, de l’absence de remèdes à l’encontre de leurs perturbations, et, de l’autre côté, de l’ignorance des spécialistes en ce domaine. Ils se sentent alors trahis, abandonnés, ce qui traduit l’effet de la confrontation au défaut de l’Autre.
Par la suite, les sujets concernés font preuve d’un investissement négatif à l’endroit des représentants du corps médical.
Enfin, rappelons que, d’un point de vue méthodologique, aucune intervention du psychologue à propos du médecin - susceptible d’incarner le support à l’instauration imaginaire de la consistance de l’Autre - ne saurait être justifiée.
En outre, l’on peut mentionner le risque pour tout thérapeute, entrant en conflit avec un médecin par patient interposé, de se voir destitué de sa place.
Or, selon les témoignages ici réunis, certains médecins s’avanceraient sur ce terrain, en négligeant les prérogatives de leur position.
Tout se passe dès lors comme si ces praticiens énonçaient des préceptes consistant à agir un transfert négatif et témoignant d’une rivalité imaginaire à l’endroit de l’«autre thérapeute». En émettant ces injonctions - à valeur potentiellement surmoïque - le médecin passerait à l’acte d’un contre-transfert.
D’ailleurs, d’un point de vue psychoclinique, il s’agit là d’une erreur déontologique et méthodologique, que l’on ne saurait faire valoir pour justifier une réponse sur le même plan.
L’agir du contre-transfert correspondrait ainsi à ce que l’on pourrait désigner en tant qu’actualisation d’une violence thérapeutique à l’endroit du patient.
2.3. La "violence épistémologique":
La prise en charge psychiatrique des sujets scotchés repose, le plus souvent, sur une épistémologie objectivante, plaçant le patient en position d’objet (ce qui revient à nier sa subjectivité) – en l’occurrence, en tant qu’objet de la connaissance médicale, à sens unique et excluant la dimension transférentielle.
Sur la base épistémologique de la psychanalyse, impliquant la prise en compte de la position subjective, j’ai tenté d’élaborer ailleurs ((3), 2002) une réflexion théorique sur le fonctionnement de l’inconscient dans les désordres ici explorés, ainsi qu’un instrument diagnostic adapté à leur éventuelle spécificité.
Par ailleurs, j’ai cherché à circonscrire les conditions de la prise en charge thérapeutique de ces désordres.
Or, à ce propos, l’on peut tout d’abord rappeler le bannissement du but énoncé de «guérison», depuis que Lacan stipulait qu’en psychanalyse celle-ci était censée advenir de surcroît.
Lacan avait clarifié sa position quant aux enjeux épistémologiques et méthodologiques de cette question, à l’occasion de la polémique autour de l’ego-psychology qui assimilait l’objectif de «guérison» à celui d’une thérapie du moi.
Selon moi, cette précaution à l’égard d’une pratique - comportant le risque de ramener le sujet au «pire» en renforçant son symptôme - s’avérait alors parfaitement légitime.
D’un autre côté, tout se passe comme si l’usage même du concept de guérison, étant, par la suite, exclu du débat psychanalytique, se voyait dès lors frappé d’un tabou de la part des praticiens.
Or, il me semble que cette omission n’est pas étrangère à l’immobilisme de l’investigation psychanalytique dans certains champs cliniques (i.e. la psychose et les états-limites).
Corrélativement, l’on s’aperçoit de l’inertie de bon nombre de cures, lorsque le praticien confond rigueur et rigidité, en escamotant en quelque sorte ce qui du discours subjectif (fût-ce la demande de guérison) ne viendrait pas conforter l’exigence théorique.
Enfin, dans une optique spéculative, l’on peut se demander si cette lecture des textes lacaniens par nos contemporains, faisant parfois passer la lettre (fétichisée) avant l’esprit (impliquant l’assimilation symbolique du texte par le lecteur), n’est pas susceptible de ramener également au pire (cf ma remarque ci-dessus).
En effet, l’abandon systématique de la mention de «guérison» - n’étant pas sans évoquer l’effet d’une obéissance à une proscription imaginaire et éliminant d’emblée un pan de la recherche, à savoir la réflexion sur la souffrance et la demande de l’analysant - parmi les objectifs énoncés de la psychanalyse, me paraît sinon déplacée, du moins exagérée.
Aussi, en plaidant pour une certaine mission thérapeutique de la psychanalyse, tout en tenant compte de la restriction épistémologique émise par Lacan, me semble-t-il indispensable de réhabiliter le statut de la «guérison» en tant que but avoué du procédé analytique.
En légitimant la demande, envisagée du point de vue de son contenu - ici fonction des exigences de la pulsion de vie -, l’inclusion résolue de cette dimension parmi les objectifs explicites de la psychanalyse me paraît susceptible de consolider le potentiel curatif de celle-ci, en rétablissant son ancrage dans une démarche thérapeutique et en restituant au sujet la possibilité d’articuler son désir à l’égard de la cure.
En d’autres termes, l’énonciation de la vocation thérapeutique parmi les cibles de la psychanalyse me semble être à même de soutenir la fécondité théorique et l’efficacité curative de cette approche du sujet.
3. Causalité et structure :
3.1. Position d’objet :
Avant l’épreuve hallucinogène, la plupart des sujets «scotchés» se considèrent affectés d’une impuissance foncière, liée à leur position d’objet et s’exprimant au travers d’une inhibition radicale quant à la relation à l’autre.
Tout se passe comme si, en absorbant la substance hallucinogène, ils avaient tenté de forcer les limites imposées par cette position subjective.
L’on constate d’abord la difficulté des sujets à se situer par rapport à leur désir, c’est-à-dire à appréhender leur existence sur le plan symbolique.
De l’autre côté, l’on note l’espoir délirant de remanier leur identité grâce au pharmakon.
Ainsi, la prise d’hallucinogènes semble s’inscrire dans la quête d’un objet d’identification.
Cette attente - basée sur un investissement du pharmakon en tant que potion magique - viserait la résolution de certains conflits inconscients et l’ajustement des traits de personnalité en fonction d’images idéales.
Par ailleurs, si cette quête relève d’une faille identitaire, c’est précisément à ce niveau-là que les effets de l’épreuve hallucinogène s’avèrent être les plus déstructurants.
En effet, l’on observe régulièrement, à la suite de l’expérience, un vécu dépersonnalisant (le plus souvent lors de la confrontation à l’image spéculaire) corrélé au vacillement de la position subjective.
En d’autres termes, l’une des conditions communes des complications consécutives à l’épreuve hallucinogène correspond à une «fragilité topique», renvoyant aux implications de l’indifférenciation précoce d’avec la mère.
3.2. La demande :
Les sujets se sentent pris dans une demande dont ils se croient l’objet et dont ils attribuent l’origine à l’autre présent au moment de l’expérience hallucinogène.
En vue de rendre compte de cette constellation, l’on peut d’abord rappeler que l’objet a , en tant que cause du désir, étant d’abord désiré dans ou par l’Autre, le désir se constitue à partir du désir de l’Autre.
A l’instar de ce qui se passe chez le névrosé, le fantasme, organisant fondamentalement le rapport du sujet à l’objet a ($à a ), et sur lequel s’appuie le désir, se voit ici renversé par la primauté de la demande. Du coup, le sujet semble se retrouver dans l’espace de la pulsion, exprimée précisément par le rapport subjectif à la demande ($àD).
Si le névrosé tente de faire passer l’objet de son désir dans la demande via l’articulation symbolique, en revanche les sujets ici présentés paraissent endosser à l’égard de la demande - face à laquelle ils ne se situent pas dans un rapport fantasmatique - une position d’objet (versant imaginaire).
3.3. Le défaut de reconnaissance:
Du point de vue métapsychologique, la reconnaissance du sujet implique la mise en perspective de sa position comme sujet grammatical. Celui-ci comporte toutes les potentialités discursives d’un point d’énonciation, celles syntaxiques de régir le prédicat et celles sémantiques d’agent.
Le sujet se différencie du prédicat et de l’objet en ce qu’il échappe, en partie, à l’Autre du langage.
Or, en sollicitant l’acquiescement de ses semblables, le sujet «scotché» paraît actualiser un défaut initial de reconnaissance. L’impression, à valeur imaginaire, d’un consentement d’autrui serait censée opérer cette reconnaissance, dont l’absence sur le plan symbolique motiverait la réitération indéfinie de la demande.
Si l’interlocuteur réserve un accueil favorable à cette demande, la cohésion du fonctionnement psychique semble se maintenir sous l’effet de ce support imaginaire (réalisant un simulacre de reconnaissance).
A l’inverse, l’on peut se demander dans quelle mesure un tel accomplissement de la reconnaissance - ayant pour condition la perception, par le sujet, de son approbation par l’autre - aurait pu éviter la décompensation.
Bien entendu, cette carence quant à la désignation de la position subjective correspond à une défaillance de la fonction de l’Autre.
L'on peut se demander si, chez ces patients, un défaut conjoncturel d'amour, dans le présent, n'a pas actualisé les implications d'un défaut de reconnaissance, supposant à son tour une régression vers le stade où l'extérieur, en soi, était haï.
Notons que tous les sujets ayant participé à cette recherche font état, à des degrés variables, d’un défaut de reconnaissance de la part de l’instance parentale.
Or, si ce déficit de reconnaissance est susceptible d’entraver l’accession satisfaisante à une position de sujet, il peut aussi constituer l’expression (fût-elle négativée) de la violence.
A ce propos, j’aimerais ajouter à ce chapître la réflexion proposée par Serge Vallon dans sa communication d’aujourd’hui (intitulée « Violence et institution »), à savoir que, au niveau du fonctionnement de l’inconscient, ce serait précisément ce qui n’est pas parlé qui ferait violence.
Du refus de parole découlerait un vide symbolique, auquel le sujet pourrait, dès lors, assigner le sens d’une violence subie.
Autrement dit, il n’y aurait pas nécessairement lieu de rechercher ici une relation causale, au sens habituel du terme, entre non-dit et violence, mais plutôt un rapport d’identité structurelle, de telle sorte que le défaut de parole impliquerait, en soi, la subsistance d’un espace réel (ou pulsionnel) - dont la signification subjective équivaudrait exactement à celle d’une violence agie à l’endroit du sujet - au sein du fonctionnement psychique.
Conclusion
Dans ma communication de ce jour, j’ai tenté de vous exposer un point de vue métapsychologique sur les enjeux inconscients de la violence chez les personnes souffrant de troubles consécutifs à l’usage d’hallucinogènes. Dans cette optique, j’ai essayé de vous présenter certains aboutissements de mes investigations psychocliniques quant à la place de la violence dans le lien social, quant à ses effets en psychothérapie et quant à ses fondements individuels.
Dans les communautés de « scotchés », l’on constate un contraste entre des tendances violentes, qu’il s’agit de dissimuler, et une quête explicite de paix sociale laquelle, n’étant accomplie qu’en apparence, est assujettie à la stricte obéissance aux exigences duelles de la mêmeté. En décrétant des règles destinées à niveler les rapports sociaux, les scotchés semblent tenter de parer à un danger imaginaire, attribuée à une possible «non-conformité spéculaire» des conduites. Le dispositif collectif, censé maîtriser les mécanismes de projection, traduirait ici l’ambition de subjuguer l’actualisation violente et/ou l’emprise pulsionnelle. En effet, tout se passe comme si tout le fonctionnement communautaire consistait ici à réprimer un déchaînement violent (« on va pas s'entre-tuer, non ? »), à peine endigué par les dispositions décrétées ad hoc.
Cette organisation sociale, sous l'auspice des besoins spéculaires, consacrée à démentir l’altérité en identifiant l’autre au même, impliquerait l’autoproclamation d’un sujet instaurant une loi des pairs en l’absence du père (symbolique).
Par ailleurs, ces sujets éprouvent fréquemment, de la part des institutions et du personnel soignant, l’exercice d’une violence « thérapeutique », qui serait pratiquée notamment par l’administration forcée de produits psychoactifs. Or, certaines prises en charge psychiatriques des sujets scotchés, reposant manifestement sur une épistémologie objectivante et ignorant notamment la dimension transférentielle, semblent placer le patient en position d’objet (en l’occurrence, celui de la connaissance médicale).
Enfin, tout se passe comme si certains praticiens, en énonçant des injonctions - à valeur potentiellement surmoïque -, passaient à l’acte d’un (contre-) transfert négatif.
Cet agir du (contre-) transfert relèverait de ce que l’on pourrait désigner comme l’actualisation d’une violence thérapeutique à l’endroit du patient.
Enfin, face aux conséquences symptomales d’un positionnement subjectif à une place d’objet (qui semble constituer la principale défaillance topique des sujets « scotchés »), le recours à la violence apparaît fréquemment comme étant la seule issue possible.
Toutefois le surgissement des passages à l’acte violents est souvent précédé d’une demande, plus ou moins déguisée, de reconnaissance par l’autre.
En sollicitant l’acquiescement de ses semblables, le sujet «scotché» paraît actualiser un défaut initial de reconnaissance. L'effet, à valeur imaginaire, de l’approbation d’autrui serait censé accomplir cette reconnaissance, dont l’absence sur le plan symbolique occasionnerait une répétition incessante de la demande.
L'on peut se demander si, chez ces patients, un manque conjoncturel d'amour, dans le présent, n'a pas déclenché les implications d'une carence au niveau de la reconnaissance, actualisant à son tour une régression vers le stade où l'extérieur, en soi, était haï.
Or, si un déficit de reconnaissance est susceptible d’entraver l’accession satisfaisante à une position de sujet, il peut aussi constituer l’expression (fût-elle négativée) de la violence.
J’aimerais conclure cette intervention par la réflexion de Serge Vallon, à savoir que le défaut de parole peut impliquer, en soi, une signification subjective équivalant précisément à celle d’une violence subie.
Bibliographie :
(1) Assoun P.-L., Zafiropoulos M. (dir.), La haine, la jouissance et la loi, Anthropos/Economica, Paris, 1995.
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(5) Freud S., Totem et tabou (1912-1913), Payot, Paris, 1977.
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(10) Lacan J., «La paix du soir» in: Quarto - Revue de l’école de la cause freudienne N° 54, (De la voix) , pp 7-8, ECF, Bruxelles, 1994.
(11) Lacan J., «D’un Autre à l’autre», Séminaire inédit, Séance du 26 mars 1969.
(12) Lacan J., «Proposition sur le psychanalyste de l’Ecole», in: Scilicet N°1, 1963.
(13) Lacan J., Ecrits, Seuil, Paris, 1966.
(14) Lacan J., Le Séminaire , Livre III, Les psychoses, Seuil, Paris, 1981.
(15) Lacan J., Le Séminaire , Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse Paris, Seuil, 1973.
(16) Lalonde P., «La personnalité psychédélique» in: Toxicomanies N° 6, pp 343-357, 1973.
(17) Leary T., The Politics of Ecstasy, Paladin, Londres, 1970.
(18) Le Boulengé, Editorial, in: Quarto - Revue de l’école de la cause freudienne N° 54, (De la voix) , p. 5, ECF, Bruxelles, 1994.
(19) Le Poulichet S., Toxicomanies et psychanalyse. Les narcoses du désir, PUF, Paris, 1987.
(20) Miller J.-A., «Jacques Lacan et la voix» in: Quarto - Revue de l’école de la cause freudienne N° 54, (De la voix) , pp 47-52, ECF, Bruxelles, 1994.
(21) Moreau de Tours J., Du haschisch et de l’aliénation mentale, Fortin-Masson, Paris, 1845.
(22) Pierrehumbert B., Halfon O., Ansermet F., Laget J., (dir.), Sens et non-sens de la violence, PUF, Paris, 2002.
(23) Poizat M., Variations sur la voix, Anthropos, Paris, 1998.
(24) Poizat M., Vox populi, vox Dei, Editions Métailié, Paris, 2001.
(25) Poulmarc’h, «De Clérambault. Des délires passionnels à l’automatisme mental, une clinique possible des psychoses» in: Fondation Européenne pour la Psychanalyse, 1958-1993, L’abord des psychoses après Lacan, Point Hors Ligne, Paris, 1994.
(26) Zafiropoulos M., Le toxicomane n’existe pas, Coll. Psychanalyse et pratiques sociales (dir. Assoun P.-L.), Anthropos, Paris, 1996.
Le traitement social de la violence (Résumé)
En me plaçant délibérément au sein d'un courant critique (peut-on parler d'une "ethnologie critique" ?) présent au sein du Laboratoire d'Anthropologie Urbaine depuis ses débuts et illustré par exemple par les travaux de Colette Pétonnet ou plus récemment de Daniel Terrolle, et considérant que la violence légitime d'Etat est probablement l'un des plus puissants (car simultanément le moins visible et le plus efficace) processus de violence à l'oeuvre dans les sociétés contemporaines, je me propose d'analyser et d'évaluer rapidement la nature et les effets du "traitement social" dont font l'objet certaines populations urbaines aujourd'hui.
J'essaierai de dégager les grands axes et les étapes de ce "traitement social", puis concluerai en montrant que l'usage de la violence légitime comme traitement social vise à légitimer plutôt qu'à atténuer les processus de désocialisation à l'oeuvre dans nos sociétés et revient à engager avec les populations visées un dialogue fondé sur l'échange de violence, dialogue ou plutôt confrontation dont l'Etat sait qu'il ne peut que sortir vainqueur (puisque ses forces sont infiniment supérieures et qu'il est seul à pouvoir recourir légitimement à la violence) mais au prix d'une institutionnalisation accrue de la désocialisation individuelle et collective dont la prison constitue in fine le moyen et l'horizon.
Plan :
1) Je me situe dans le cadre d'une sociologie (ou d'une anthropologie) critique.
2) L'intérêt d'une approche sociologique de la violence peut être de distinguer violence légitime et violence illégitime en rappelant que notre société est le siège de luttes ou d'affrontements dont l'enjeu est d'une part de légitimer certaines formes de violence (qui cessent alors être perçues comme des violences à part entière) et d'en délégitimer d'autres (qui apparaissent alors comme insupportables), d'autre part de décider qui sera, au bout du compte, en situation d'imposer sa propre vision des choses.
3) Un bon exemple du succès récent d'une entreprise de "moralisation" (au sens de H. Becker) des moeurs est la création du concept d'"incivilités" qui en jouant d'habiles glissements de sens a pour but ou pour conséquences :
- la disqualification des comportements des Jeunes de cité.
- la justification de la répression et de l'intervention policière comme "retour du droit" et répression légitime des incivilités.
- une violence symbolique et une stigmatisation accrues qui ont pour effet ou but ultimes la disparition de la visibilité des "problèmes sociaux" dans les cités et leur requalification en activités délinquantes.
- l'émergence de la prison comme horizon institué de la cité et outil indispensable d'un traitement social fondé sur l'invisibilisation des situations sociales les plus difficiles, et la désocialisation carcérale instituée comme réponse possible aux difficultés que rencontrent les jeunes de cité pour se socialiser de façon satisfaisante.
Conclusion : l'usage de la violence légitime comme traitement social vise à légitimer plutôt qu'à atténuer les processus de désocialisation à l'oeuvre dans nos sociétés et revient à engager avec les populations visées un dialogue fondé sur l'échange de violence, dialogue ou plutôt confrontation dont l'Etat sait qu'il ne peut que sortir vainqueur (puisque ses forces sont infiniment supérieures et qu'il est seul à pouvoir recourir légitimement à la violence) mais au prix d'une institutionnalisation accrue de la désocialisation individuelle et collective dont la prison constitue le moyen et l'expression.
Une logique de guerre et d'affrontement donc, non pas contre les processus de désocialisation qui affectent certaines populations mais à l'égard de ces populations elles-mêmes jugées responsables de cette désocialisation et face à laquelle il convient effectivement d'augmenter le nombre et la capacité d'accueil des prisons. Car si toute guerre fait des morts, elle fait aussi des prisonniers qui tous ne libèrent pas rapidement les lieux en se suicidant.
4) Derrière la question de la violence légitime et du monopole de la désignation de la violence comme légitime, c'est en réalité la question de l'ordre social qui se profile, ordre qui n'est pas immuable mais socialement construit et dont l'anthropologue urbain est, sur ses différents terrains (bidonvilles, culture sourde, vie et mort des S.D.F....) souvent le témoin (plus ou poins impuissant) de la progression et des "avancées".
5) Penser le rapport des travailleurs sociaux à la violence, c'est d'abord percevoir que ceux-ci sont, qu'ils le veuillent ou non, des relais de la violence (symbolique) légitime, situation dont ils ont souvent une conscience diffuse et malheureuse mais qui impose précisément une prise de conscience sans laquelle aucune autonomie et émancipation (symboliques) n'est possible.
Yves Lacascade, ethnologue
« L'enfant : un diable ? Un ange ?
Ou de l'agressivité à son apaisement »
L’enfant : un diable ? Un ange ? Agressivité, caprices, colère… Des images, des paroles me viennent à l'esprit. Regardons, écoutons.
Un enfant en colère, hurle, se roule par terre, il est baptisé capricieux, la moquerie est souvent présente ; il tape, l’étonnement est là : « que lui arrive-t-il ? ».
Ressent-il des émotions dites négatives ?
La réponse est fréquemment non : « des enfants, si petits, ils n’ont aucun problème ! ». Ils doivent rire, vivre heureux, être des anges ou des icônes.
Pourquoi l'adulte a-t-il tant de mal à entendre qu'un tout petit puisse éprouver de la colère, de la rancune… ? A-t-il besoin de se sécuriser ? de nier que ses pulsions agressives « s'originent » dans son enfance ? Quel bouclier efficace le refoulement.
L’agressivité est pourtant là bien présente et dès le plus jeune âge. Que signifie-t-elle ?
L’enfant parviendra-t-il à l’apaiser, la canaliser ? À acquérir des outils le protégeant de celle-ci qui à terme, non pacifiée, « ronge, mine, désagrège, châtre…conduit à la mort » (1) ?
En déroulant pas à pas le développement du tout petit, je vais vous transmettre les quelques réponses que j’ai trouvées.
Une agressivité bien présente
Que vit le bébé ?
Dès la naissance, il se confronte à un dur principe de réalité : l'écart entre la satisfaction attendue et celle obtenue. Sa mère n’est pas « comblante », des vides s’installent.
Il a très peu de moyens corporels ou langagiers pour lutter contre les émotions qu’il ressent. Le sentiment d’abandon ressenti par l’enfant lors de la perte d’objet (la mère) le confronte à la passivité à laquelle il est soumis. Cette dernière se transforme en agressivité.
Au fil du temps, il va concevoir des fantasmes de vengeance souhaitant faire disparaître les obstacles entre lui et l’objet aimé (sa mère) : le père, le frère, la sœur… toute personne pouvant être source de désir pour sa mère.
L’agressivité ressentie par le tout petit est une intention d’agression mais aussi une crainte et image de dislocation corporelle. Une phrase violente de Jacques Lacan me vient à l’esprit : il parle d’«images de castration, d’éviscération, de mutilations, de démembrement, de dislocation, de dévoration, d’éclatement du corps" (1).
L'observation des jeux ou des dessins d'enfants montre la justesse de ces propos : tête de poupées arrachées, bouche grillagée, bras dans le plâtre, personnages écrasés... visualisez certains jeux vidéo où l'hémoglobine est quasi constante, les corps sont effectivement démembrés, disloqués, mutilés… La violence s’associe souvent à ces corps qui explosent.
L’agressivité est une résurgence de la perte visuelle de l’objet, maîtrise, vengeance contre la mère partie loin de lui.
C/ L’agressivité échappe à la raison, elle n’est pas rationnelle, elle résulte de la discordance entre le désir de la permanence de l’objet et sa nécessaire mouvance.
Elle est à l’œuvre au cœur de l’être humain et le rend étranger à lui-même car elle fait référence à des émotions profondément enfouies.
Fonction s pacifiant es
Toutes ces pulsions d'agression, difficiles à gérer pour l'enfant, peuvent-elles se pacifier ? Y a-t-il des éléments de structuration qui aident l'enfant à les canaliser ?
Un des premiers temps de sécurisation est ce temps d'unification corporelle où l'enfant est regardé comme corps différent par la mère, premier espace d’individualisation.
Le tout petit tente d’apaiser ou de maîtriser ces temps de séparation avec sa mère par différents moyens : « doudou », jouet qui disparaît et réapparaît, s’éloigne et revient…
Pour dé-fusionner, devenir sujet, ( sujet barré pour Lacan), un tiers doit apparaître afin que l'enfant puisse canaliser ses pulsions débordantes.
Le Tiers - La Loi - Le Refoulement
Qu’est-ce donc que ce tiers tant parlé, tant galvaudé et parfois si mal compris ?
La fonction du père, et la parole à laquelle elle donne accès, détourne l’enfant de la satisfaction fusionnelle avec la mère. Elle sort l’enfant de cet espace maternel qui devient source de tension agressive et d’angoisse si le père n’intervient pas.
Voilà certains éléments posés, présents dans les revues d’éducation ou de psychologie mais fréquemment mal assimilés. Les pères sont trop souvent pourchassés par un monde social ou… féminin. Alors essayons d’approfondir.
Je vous livre ces propos: « La présence du père élèverait le royaume des soins et besoins au jeu subtil du désir… Il ne suffit pas … d'instaurer la loi pour que le petit d'homme en vive, il faut encore décider d'en jouir et cette opération n'est pas volontaire puisque la mère ici se doit de faire valoir les qualités de son partenaire » (2).
La mère introduit l'enfant à la Loi par sa parole, au nom du père, de leur commun désir. « Aliéné » bébé à l’Autre maternel, l’enfant se confronte alors à « une femme, ma mère », qui a du désir ailleurs.
C’est la parole maternelle qui ouvre la place du père, même si celui-ci doit « soutenir sa place comme membre du trio familial» (1).
L’interdit se met en place, vient pacifier l’enfant, sa mère n’est pas toute-à-lui. Le refoulement est là, voilant, cachant ce désir du sujet.
L’enfant a maintenant sa place au sein de la sphère familiale, il intègrera ensuite le monde social. Ces espaces sont régis par des règles, une morale, l’enfant y est soumis pour en devenir membre à part entière : « normativité culturelle, liée... à l'imago du père » (1).
La présence du tiers ouvre l’enfant au langage, à une parole propre, à la symbolisation. Passage d’une aliénation au désir de l’Autre (généralement incarné en premier lieu par la mère) vers une séparation où il pourra inscrire subjectivement sa place vis-à-vis de l’Autre.
Le sujet n’habite son corps, celui en chair et en os, que par la médiation du langage et de la parole de l’Autre. Le langage inscrit de la distance, donc du tiers.
Ce qui donne tant de pouvoir à la parole est qu’elle structure. Elle pose un sentiment d’unité, institue le rapport à la réalité du sujet, le manque toujours présent est masqué.
Ce manque fondamental ouvre alors la porte au désir. « Le langage véhicule une donnée sociale, une culture, des interdits et des lois… Les signifiants primordiaux viennent occulter l'affleurement du vide de la pulsion de mort, ils instaurent le désir et donnent au sujet sa cohérence organique et psychique » (4).
Jacques Lacan (1) pose clairement la parole comme un bouclier protecteur de la violence :
· "Le domaine de la violence commence aux confins où la parole se démet".
· "Le dialogue paraît en lui-même constituer une renonciation à l'agressivité".
Les échecs de la fonction pacifiante
Le « traumatisme » peut être réveillé à tout moment, mettre en jeu le mécanisme de répétition et l’agressivité s’exprime.
Est réactualisé ce que l’enfant refuse de voir, ce qu’il méconnaît des émotions qu’il ressent. « Les incidences morcelantes des imagos de l'identification originelle, imagos du père, du corps maternel, des frères réels ou virtuels ressurgissent. La réévocation de certaines personae imaginaires peuvent entraîner de l'agressivité. Ces incidences morcelantes sont réactualisées » (1).
Un enfant névrotique et un enfant psychotique ne sont pas soumis de la même façon aux décharges pulsionnelles.
· Dans une structure névrotique où la métaphore paternelle, le refoulement sont en place, les moyens que possède le sujet pour tenter de juguler cette émergence pulsionnelle peuvent s’avérer inefficients et les émotions de la petite enfance l’envahissent.
- Levée trop brutale du refoulement,
- Le langage est barré, il se tarit ou n’est plus outil de lien, d’échange. Une vague émotionnelle coupe facilement la parole.
Des symptômes peuvent apparaître pour tenter de juguler, de déplacer le flot pulsionnel : réactivation de peurs pour un enfant à structure phobique, boulimie de rangement pour un enfant obsessionnel, plaintes pour un enfant hystérique…
Une des expressions fréquentes d’échec de la pacification est le verrouillage dans le corps, la somatisation : eczéma, quel malaise donne-t-il à voir ? ; crise d’asthme, qu’est-ce qui étouffe ?....
Le refoulement est actif, tentant de masquer l’agressivité dévorante qui s’exprime dans le corps du sujet.
Parfois elle est tournée vers l’extérieur.
Le désir, espace de sublimation, peut se démettre.
· Structure psychotique - Quand l’enfant demeure « l'« objet» de la mère et n'a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet » (5), la structure psychotique est là. L’enfant se met à la place du symptôme de la mère, il « reste ouvert à toutes les prises fantasmatiques » (5).
Le tiers ne fait pas séparation, le langage avec son écran symbolique est absent (même si l’enfant a acquis la parole), le refoulement ne peut se créer, la pulsion de mort est à fleur de surface susceptible d’émerger à tout moment, l’agressivité est prête à surgir.
Il y a moins d’obstacle entre l’agressivité et sa mise à jour. Débordant plus facilement l’enfant, son surgissement nous déconcerte souvent par son arrivée inopinée et sa violence.
L'adulte doit prendre acte de cette pulsion de mort à fleur de surface, respecter certains espaces de sécurisation, aider l’enfant à trouver sa « suppléance », instrument dynamique et individuel d’apaisement.
S'occuper d'un enfant psychotique, c’est faire preuve d’écoute et d’invention.
Conclusion
L’enfant, tout petit, est confronté à un corps morcelé, au manque, à l’émergence de pulsions qui le submergent. Il tente de gérer ses émotions, de se construire.
Confronté au manque, aliéné à l’Autre, parviendra-t-il à sortir de l’aliénation ? A s’engager dans la séparation ? À juguler ce « diable » toujours prêt à surgir ? À gérer le plus harmonieusement possible pulsions de vie et pulsions de mort ?
Arrivera-t-il à canaliser cette agressivité afin qu’elle devienne source de vie et non de destruction ?
Un enfant n’est ni ange, ni diable, il est comme tout un chacun soumis à des pulsions « s’originant » dans son histoire. Il les gère avec les espaces d’apaisement qu’il a à sa disposition.
Il est nécessaire de « distinguer une agressivité normale, qui maintient le « un par un » d’une agressivité pathologique, narcissique, qui s’y oppose » (6).
Restons attentifs, ne « normons » pas les enfants sur un modèle standard. Aidons chacun d’entre eux à passer « de la norme à l’écart », à faire un pas de côté, à s’individualiser en trouvant ou en utilisant ses fonctions d’apaisement, langage, suppléance…
Toute histoire, toute construction est unique.
Danièle Cuilleret, Psychologue clinicienne, Psychanalyste
(1) Jacques Lacan – « les Ecrits »
(2) - « Le Père chassé … petit essai sur la fonction paternelle »
(3) Jacques Lacan - «Les formations de l'inconscient»
(4) Anika Lemaire – « Lacan »
(5) Jacques Lacan – « Note sur l’enfant » dans « Les Autres Ecrits »
(6) Philippe Cullard – « Variations sur deux notes »
LA VIOLENCE DE L'INTERVENTION SOCIALE. L’AVENIR D’UNE DESILLUSION.
La violence de l’intervention sociale a été entraînée par la succession d’un certain nombre de désillusions qui ont fondé le travail social jusqu’à ce jour.
La violence a toujours été le pendant (si ce n'est la mamelle) de l'intervention sociale. Jusqu'à ce jour cette question se déclinait entre professionnels d'un côté, marginaux ainsi que sauvageons de l'autre et auditeurs des média et politiques à la tribune centrale. Aujourd'hui, il nous est demandé (citoyens et travailleurs sociaux) de choisir notre camp : tolérance zéro et judiciarisation des mineurs ou prise du maquis (corse nous vous le conseillons) pour ceux qui défendent encore le projet d'une prévention plutôt que d'une pénalisation.
Freud nous l'avait déjà annoncé : la société, la socialisation ou la domestication des pulsions est déjà une violence exercée à la libido du sujet pour le bien social (malaise dans la civilisation et autres). Ne voulant adhérer à aucun discours politique ou scientiste, je vous invite avec moi à réfléchir au "faire société", à "l'être en société", au "devenir en société aujourd'hui", face à toutes les pressions qui en font programme. Sans être ni pour ni contre, une issue peut être de penser les paradoxes et ambiguïtés dans lesquels nous sommes plongés vis à vis de la violence, pour se positionner en tant que sujet et non pas objet de l'actualité d'une violence annoncée.
Comme le titre de cette communication l’indique, la violence pour moi se dévoile autour d’une succession de désillusions dans l’histoire du travail social. Je me propose de reprendre ces désillusions, de mettre en lumière les violences qui en ont été conséquentes et de faire un état comptable de où en sommes nous aujourd’hui à ce sujet ?
Si nous remontons à la genèse du travail social, l’illusion prépondérante de l’époque est l’ illusion rédemptrice religieuse . Les travailleurs sociaux n’existaient pas, les congrégations religieuses (ce qui est encore le cas aujourd’hui pour certaines fondations) prenaient en charge les démunis et déployaient leur énergie à les endoctriner aux fondements de la gnose, de la croyance catholique ou protestante et aux valeurs morales confessionnelles. Nous n’étions pas à l’époque dans le karma bouddhiste mais pas loin, le pauvre, le fou et le miséreux avaient forcément fauté d’en être là. Violence exercée sur le sujet par le biais de la confirmation de sa faute, c’est à dire du pêché et ce n’est pas pour rien que le prêche se suffit d’un « r » de plus pour éradiquer le pêché. Le prêche religieux étant à l’époque la rééducation de la faute source de l’état amoral du sujet. Nous ne sommes pas si éloigné encore à ce jour de l’illusion rédemptrice, il suffit de voir combien la stigmatisation des populations est encore active (stigmatisation qui est un terme choisi tout à fait en lien avec les stigmates religieux), mais aussi la culpabilisation médiatique des parents d’enfants amoraux tel que les lois ou décrets actuels les désignent.
Puis grâce à la pression militante et égalitaire issue de la république et qui s’est étendue dans l’après guerre, certainement en lien avec le traitement infamant des nazis à l’égard des minorités et de de la culpabilité collective qui en a découlé, nous sommes passés à l’ illusion égalitaire . Fous aliénés, caractériels, miséreux, alcooliques et autres, nous sommes tous égaux. Cette illusion encore une fois n’a pas tenu et a entraîné un certain nombre de violences pour deux raisons :
1° violence : un certains nombre de populations dans un mouvement de protestations identitaires avaient besoin d’être reconnus dans leurs différences, donc dans leurs inégalité de traitement ou d’identité (réf. aux migrants actuels en france, aux ados dans leur nécessité de contre identification à l’adulte et la société, etc.)
2° violence : légalité souhaitée et supposée de populations non égalitaires à un niveau socio économique et culturel est une utopie. Les travaux de Bourdieu et d’autres l’ont démontré. Demander à une classe d’age l’échec zéro au baccalauréat alors qu’ils n’ont pas les mêmes atouts ni les mêmes moyens est une violence en soi.
Puis nous sommes tombé dans l’ illusion communautaire , qui est encore présente non seulement dans le travail social mais aussi dans l’éducation nationale. D’après Bernard Defrance, il n’existe pas un projet d’établissement, de collège, de lycée ou de propos d’enseignants qui ne se réfère à la « communauté » éducative. Nous avons été nous aussi plongé dans cette illusion de la communauté éducative. Ceci est encore aujourd’hui confirmé par l’existence même de l’ANCE (association nationale des communautés éducatives). La communauté comme le décrit B.Defrance c’est le rassemblement de personnes qui ont choisis d’être ensemble pour partager et réaliser un but commun. Tel est le cas d’une chorale, d’une association, mais pas le cas d’une MECS (maison d‘enfants à caractère social), d’un IR (institut de rééducation), d’un foyer de délinquant, d’un CEF (centre éducatif fermé très à la mode aujourd‘hui), ils n’ont pas choisis d’être ensemble. Cela fait partie des violences institutionnelles dont nous parlait encore Tomkiewicz à soulac lors de l’université d’été du travail social : d’obliger des enfants, des jeunes à restaurer, de vivre dans un milieu plus encore pathogène que leur milieu d’origine. Un enfant délinquant dans sa famille dépassée, que peut on attendre de lui dans un internat répressif ou le clan et la horde font la loi.
L’ illusion de la relation . Partant des connaissances et meilleurs intentions basées sur la psychologie génétique, nous en avons déduit que c’était la relation qui fondait la construction identitaire du sujet. Ce qui n’avait donc pu se construire dans l’être en relation de l’enfant, il suffisait de lui proposer une relation privilégiée, un référent comme on l’appelle chez nous, qui serait voué (dévoué) à lui pour que les choses se restaurent. Cela a entraîné deux violences distinctes :
La première a été une culpabilisation des parents des sujets concernés en étant désignés comme incapables d’avoir offert à leurs enfant une relation structurante.
La deuxième violence a été l’instrumentalisation d’une relation des travailleurs sociaux dans le faire avec au lieu de l’être avec. Du moment que l’éducateur était avec le sujet, le résident, cela devait fonctionner, quid de la qualité de cette relation. Comme le rappelait Tomkiewicz, il manquait les 3 A ( Attitude Authentiquement Affective), ce qui a amené l’appellation caricaturale des éducateurs en « édu-tchatcheurs », du moment qu’ils étaient présent auprès du sujet et lui causaient ou le faisait causer, tout aller bien.
L’illusion groupaliste, je faits à ce niveau référence au travail de Freud dans psychologie des foules et analyse du moi. Pour revenir à Freud comme le disait Lacan, le groupe a toujours été le parent noble ou l’ennemi du sujet. La prolifération d’études et de controverses à ce sujet durant les 3O dernières années nous désignent combien le sujet est fécond ( travail de D. Anzieu sur le groupe et l’inconscient - de Racamier sur le groupe familial - des psychosociologues, etc...)
A une certaine époque, le travail social a privilégié et développé un grand nombre de projets d’accompagnement sociaux à partir de ce que j’appelle le « groupalisme ». Hérité de la rédemption religieuse, de l’utopie égalitaire, de l’idéologie communautaire, l’ illusion groupaliste venait dans notre secteur se technocratiser pour la rééducation dans et par le groupe. Cette focalisation groupaliste était légitimée par les théories spontanées (comme les appelle Fustier) qui prédictent le diagnostique suivant :
puisque le sujet que l’on traite est en inadaptation de part une mauvaise insertion groupale (familiale - scolaire - sociale - culturelle ou institutionnelle), il suffit de le plonger dans une rééducation de lien avec un groupe pour que se réadapte ses capacités de négociations et de soumissions aux normes auxquelles il faut qu’il adhère. Plus encore si l’on se réfère au volet métapsychologique, la violence de cette illusion groupaliste a donné lieu à une désubjectivation des usagers eux mêmes fragilisés déjà dans leur subjectivité. En effet pour faire corps groupal (le groupe en tant qu’organisateur psychique conf. Anzieu) il faut que chaque sujet délègue temporairement et quelques fois définitivement une partie de son identité à l’instance groupale. Cette délégation entraîne chez certains une amputation identitaire alors que leur symptôme réside déjà dans une fragilité du soi ou du « soi social » comme je l’ai décrit dans une communication passée.
Une autre illusion, plus encore d’actualité est l’illusion évaluative . Elle est encore de rigueur aujourd’hui et a donné lieu à un rejeton très en vogue qui est l’ illusion technocratique managériale uniformisante avec laquelle je terminerai mon propos. Nos experts après avoir déduit que dans le travail social, le pardon confessionnel, la relation, le groupalisme etc. ne fonctionnait pas ou ne suffisait pas, se sont mobilisés pour évaluer nos interventions et ce afin de les rendre productives. EVALUER, intention tout à fait louable à l’origine s’il il s’agit d’obliger les acteurs sociaux à rendre compte de l’effort financier que les contribuables investissent en eux. Mais pour évaluer, cela nécessite des outils de mesure et des objectifs clairs de à qui doit profiter l’audit (terme très à la mode dans l’illusion évaluative).
L’intention était noble mais le résultat observé entraîne encore une fois des violences à l’égard des populations concernées alors qu’il s’agissait justement de rendre plus lisible et plus productif les prestations du social pour leur bénéfice. Violences car l’évaluation s’est beaucoup plus souciée de l’équilibre financier des organisations, du rendement économique des établissements que des bénéfices pour le public concerné. Résultat de l’évaluation dans notre secteur : il faut gérer les lits par exemple dans le champ hospitalier (c’est à dire en éliminer car cela est coûteux), il faut amortir les investissement, favoriser l’auto financement, rentabiliser les infrastructures, et je ne vous parle pas de la mise en concurrence des marchés. Conclusion on ne se préoccupe plus du sujet du social, du social du sujet car il devient un des paramètres sur lequel agir pour l’équilibre du système économique de production. La caricature de cette illusion évaluative pouvant se confirmer dans une des conclusions de la démarche qualité dans l’hospitalier psychiatrique : combien de temps faut-il pour dire bonjour à un paranoïaque, évaluation qui doit conduire à l’affectation du nombre de personnels x pour un service. Il s’agit là encore une fois d’une violence désubjectivante, les sujets concernés passant d’un statut d’identité singulière à celui de bénéficiaire de prestations puis de marché captif ou cible selon les pressions électoralistes. L’autisme par exemple chez les adultes vieillissant est devenu ces dernières années le marché juteux du social sous la pression d’associations puissantes de parents. Le marché des jeunes délinquants est aujourd’hui le marché béni pour entrer des subventions, comme l’est la ménagère de 5O ans pour l’audimat.
Enfin dernière illusion que j’ai nommé ci avant et qui découle de l’illusion évaluative : L’illusion technocratique managériale uniformisante . Dans cette dernière, le social doit être géré et se gérer comme le marché économique libéral. Appel d’offres - mise en concurrence - autofinancement - gestion des flux (référence au problème des lits en psychiatrie ou en maternité par exemple), tels sont les leitmotivs qui président aux budgétisations aujourd’hui. Le sujet du social devient alors définitivement une marchandise. Désignation qui confirme une désubjectivation ultime des populations visées et introduit une injonction à une rentabilité à partir de ces matières premières. Et oui, le marginal, l’handicapé ou le jeune incivil est à ce jour une matière première qui doit prouver sa capacité de rentabilité visible. Nous en sommes actuellement (et mon passage en fac d’économie me l’a confirmé) au point où l’usager (et donc aussi le travailleur social) doit confirmer par des éléments tangibles son seuil de rentabilité pour continuer à être source d’intérêt. Tout cela est la suite logique de la démarche managériale entreprenariale. Là où la violence est dans mon analyse majorée réside dans l’aspect symbolicide de cette dernière illusion. En effet, pour Pierre BENGHOZI, coordinateur du rapport du CSTS (Conseil Supérieur du Travail Social) sur la violence dans le secteur social, la violence la plus grave pour lui ne réside pas dans les actes d’agressions, les passages à l’acte multiples et variés qui font la une des média, mais dans la violence désubjectivante et symbolicide, celle qui tue les symboles qui sont les fondements de l’identité psychique, sa source d’énergie. Dans les diverses illusions que j’ai listé avec vous, les violences qu’elle entraînaient entachaient peu jusqu’à présent ce que j’appelle la symboliphilie qui est le moteur du travail social. Effectivement, la garantie d’un accompagnement singulier de chaque sujet réside dans une promotion des capacités de symbolisation quelles que soient les populations concernées. L’illusion technocratique managériales uniformisante va dans le sens inverse, elle fait fi du symbole, de l’invisible, de l’indicible pour se focaliser uniquement sur le mesurable, sur le concret, sur le quantifiable. Il faut que cela se voit pour être mis à l’aune de la productivité. D’oû un risque de mort de la symboliphilie qui est l’essence de notre travail. Le préventif n’étant plus productif, c’est le curatif visible sur les symptômes qui importe nos commandeurs et décideurs.
Pierre LE ROY, psychanalyste, psycho-pédagogue, Président de l’association des formateurs du secteur social sanitaire et éducatif, co-directeur de collection du travail social « Tains sociaux ».
Mesdames, Messieurs,
A partir de deux expériences, je vais essayer d’analyser le mécanisme de la violence au travers d’une position d’animateur d’atelier d’écriture avec des personnes qui souffrent de pauvreté endémique, d’isolement chronique ou d’errance absolue. Par le biais des liens et des lieux, il s’agira d’une insertion par le texte.
Puis, je tenterais dans un deuxième temps, de montrer comment la violence est inhérente à l’humain par rapport à l’observation méthodique d’une cour de récréation avec des enfants de cinq à douze ans.
La pulsion et la jouissance n’attendent pas le nombre des années : la vie est violence…
C’est dans un de ces lieux du banissement en position « d’assis » que je me . retrouvais à Montauban en tant qu’animateur d’atelier d’écriture. Durant toute ma carrière, j’essayerais par le biais de l’écriture de travailler l’insertion par le texte pour redonner droit de cité à ceux que la machine à broyer capitaliste a exclu du système néo-marchand, d’un monde ou il s’agit d’avoir tout, tout de suite.
Le discours capitaliste secrète ses propres semblants.
Il faut voir la traversée du discours de la science : « un SDF mort sur un banc », ce n’est plus un homme qui meurt ! Pas de sous à faire, pas de bénéf, SDF !
C’est par le biais des liens et des lieux que j’abordais l’écriture. Une autre insertion apparaît qui se fait par et dans le signifiant. Ces hommes et ces femmes sont bien vivants et, au monde, ils y participent malgré l’exclusion économique chacun y trouve un rôle à jouer. Mettre Duras, Becket, Céline, Cendrars, Baudelaire, Rimbaud ou Lautréamont dans l’oreille d’un public dit défavorisé, c’est mettre dans cette oreille là des choses qui n’auraient pas du y rentrer.
Proposer un atelier d’écriture, quelque soit la population, c’est proposer un cadre, ici, avec une population de SDF et pour les plus chanceux de RMIstes, c’est également faire le pari que la culture et l’expression peuvent être un moyen de lutter contre l’oppression. Je n’entends pas par là une réinsertion économique mais simplement aider ces personnes à trouver l’énergie de vie suffisante pour tenir debout.
La question de la forme de tels ateliers se posait également. Rien ne convenait, je devais réfléchir sur la notion d’exil, une poésie de l’exil, un exil de la poésie, pour trouver peut-être le fil du langage, le fil d’encre, le fil d’encrage que nous allions minutieusement tisser ensemble, fil qui nous lie et nous aide à être un parmi d’autres, à trouver la sortie du poème.
Je pensais à Armand Gatti, j’ai relu « la Parole errante », toute sa vie il a travaillé sur cette parole errante que rien n’a su fixer. Armand Gatti, exilé dans les camps de la mort, tandis que ses bourreaux le torturaient, il improvisait sur Nerval, ou Beaudelaire pour oublier son corps, il savait, lui, qu’il devait y arriver avec sa tête, pour sauver sa vie, il lui a fallu être plus fort que son corps.
C’est ainsi que m’est venue l’idée des lieux d’écriture, reprendre l’écriture sur des lieux ouverts autour de la ville. Les jours de froid, dans le musée Ingre, en aménageant des petites scènes ou les statuts parleraient : histoire de faire tomber le poids de la culture.
Exil et lieux d’écriture pour appréhender une forme neigeuse de l’esprit aussi par des lectures à haute voix : fragments de romans, poèmes, nouvelles. Crire : tous les lundi, 10 – 12 heures : a – te – lier d’écriture. Deux heures avec comme règle que chacun devait lire son texte à haute voix, avec obligation de ne porter aucun jugement sur le texte de l’autre. Il est important alors de repérer ce qui se noue, ce qui ce nous, entre les participants durant la lecture des textes. L’imaginaire tombe, on s’apprivoise l’un l’autre. Ce qu’ils avaient tous compris, c’est que je n’étais pas là pour les juger, s’ils étaient présents c’était du fait de leur libre choix.
Je ne leur voulais rien, simplement, à travers les mots tenter de développer une autonomie morale et subjective.
Parfois, Jacques Prévert venait nous visiter, il nous glissait à l’oreille « J’écris pour faire plaisir à quelques uns et pour en emmerder quelques autres ».
C’est sur l’adhésion d’un noyau dur que l’atelier a pu fonctionner.
Voici deux participants parmi les plus assidus, que je vais tenter de vous présenter.
Jean-Louis qui a rejoint la transparence.
Jean-Louis, petit marin de l’âme, dont l’enfance se plaisait à veiller dans ses yeux bleus, une prunelle pétillante collée aux étoiles. Parfois il apportait ses photos de Bretagne, sa maison d’avant, son bateau d’avant… Ha le bleu de ses yeux, je le revois encore. Sa mauvaise humeur aussi, qui recouvrait une tendresse infinie. Des fois, il picolait, une façon de régler le manque, un de ses trucs préférés était de diviser ses copains, toujours un déshérité et de toute façon le seul héritage dont il se faisait le maître chanteur c’était l’amour.
La mort est venue sans le surprendre, il avait réglé toutes ses affaires avant de partir. Le mois précédent, il avait obtenu un prix d’écriture. Le jour de la remise de son prix, il avait sorti le costume et la cravate, il devait bien avoir vingt ans son costar, un type digne Jean-Louis. Il ne savait pas écrire graphiquement, cela va sans dire ! J’étais devenu son scribe studieux avec un désir d’apprendre !
Les yeux me piquent en écrivant, je pense à Apollinaire : « J’ai cueilli ce brin de bruyère, l’automne est mort, souviens-t-en nous ne nous verrons plus sur terre ».
Reste la Bretagne et l’océan, il y a l’océan Jean-Louis.
Cette mer que tu construit que tu déconstruit, quand tu veux avec cette acuité qui laisse désirer le rouleau vert de ta mémoire vers la lumière. Le temps s’est arrêté, le temps n’est rien que l’éclair à l’orage, que le vent qui nous porte, que la lumière qui se fait océan.
Mer divine dis moi, que je devine et que je crois…
Je laisse la parole à Jean-Louis, lorsqu’il n’y a plus de mots… ce n’est pas le silence.
Je vais te montrer une fontaine. Regarde, il y a un diable !
« Cesette l’Innocent
pays et paysage
Nouvelles réalistes
Jean de Jeanne
Le vœu d’être chaste
Petites âmes
Chante pleure
L’image »
C’est un monument religieux. Il y a des moutons et des brebis. On ne les voit presque pas.
Il faut imaginer le sujet.
Je décris les choses à ma manière.
Cette eau, on peut la boire, c’est une source, elle est dessous.
C’est aussi une vierge qui a été sculptée à la main : elle est ancienne, elle n’a plus de pieds.
Je n’ai pas envie de rester sur une chose car tout correspond dans ce jardin ;
C’est ce qui en explique la beauté.
Cette bâtisse, à côté, c’est une école et elle démolit la beauté du jardin.
Par contre, derrière, les toits que nous voyons sont anciens, ça se voit à la toiture,
Il y a des sujets, des pigeonniers…
Là, ce gros chêne, il est énorme et il a du être coupé car les branches tombaient sur les gens.
Il y a de grosses racines.
Il a au moins cent ans, ça se reconnaît aux racines qui ressortent. »
Jean Louis
Progrès, évolution technique, désert pollué et embouteillé… Infractions des lois de la nature par l’homme.
L’homme cet « humain » qui en cet instant n’apparaît pas. Existe-t-il seulement ?
L’homme, toi l’inconscient Dévastateur égoïste imagine ; ne regarde pas et repens-toi de ton suicide.
Allez viens ! Assieds-toi sur la vie. Surtout ; ferme les yeux… Ce spectacle n’est pas une exhibition.
Reconnais le poids de ton impuissance devant ce frêle oiseau qui te nargue de ses ailes.
Cet être impavide bien que fragile te défit. « Sa maison est fragile ! » Fragile tu as dit ?
Non, l’humain car la puissance qui le materne ne craint pas tes mains assassines mais ses instruments complices. J’ai vécu, attendu longtemps ce retour du bien éternel de l’homme.
Enfin ! Cet instant d’attente inconnue.
La punition de mon alliance avec l’artificiel est là, qui me juge. J’attends la sentence avec rémission impossible de nier l’évidence.
La vie commence là, maintenant, à jamais (mon esprit pense pour moi).
AH ! SI SEULEMENT L’HOMME ! ! !
N.
Démarche chaloupée, aidant les autres quand ils n’arrivaient pas à remonter quelque chose, un humour qui n’était pas s’en rappeler le philosophe Diogène, toujours près à l’invective mais poli dans la forme : « Assez de mots ! les mots ce sont des actes dissimulés par des masques menteurs. Ce qu’il nous faut, c’est l’immobilité. Infusons-nous comme bonne tisane aux cent parfums distillés par la nuit. Fécondons-nous, l’obscur est notre ami. »
Il avait organisé pour une grande part, la fête ou un de mes amis Philippe Berthaud, musicien et poète devait donner une lecture publique des textes écrits en atelier pendant deux ans, c’était le 21 juin, jour de l’été. N. était à la fois très romantique au sens le plus noble du terme rêve et révolté. Avec lui, jamais de problèmes, toujours bien mis malgré ses cheveux longs, une certaine noblesse du cœur émergeait du personnage.
Parfois, je l’imagine tel « l’homme aux semelles de vent » dans les rues de Montauban courant après ses rêves et ne trouvant que « mauvais sang ». Dans ses yeux, des bateaux, des roulottes en partance vers des paysages merveilleux qui défilaient. Le drame de l’être poète qui n’écrira peut-être jamais. Mais quand bien même, je n’arrive pas vraiment à m’y faire, je sais trop au fond ce que cela cache.
Il est une voix que je reconnais toujours et qui vient du plus loin que de moi même, tantôt tendre, tantôt violence.
Le souffleur de verbe
Le souffleur est là et il frôle ma nuit
Cette nuit prometteuse sous des milliers d’étoiles
Et cette voix qui perce au moment ou je fuis.
Je fuis dans les mots qui m’arrivent lumière
Quand ce souffleur de verbe m’aspire dans son verre
Et me souffle à l’oreille ce rien de l’être qui transgresse
Je suis ce rien vengeur d’ou naquirent quelques étoiles.
Je vais essayer maintenant de décrire, plutôt que d’écrire une micro société que représente une cour de récréation, on y assiste au jeu mais aussi à la déferlante de la jouissance des enfants. On voit bien que la violence est inhérente à l’humain. « Il n’est besoin que d’écouter la fabulation des enfants, isolés ou entre eux entre deux et cinq ans pour savoir qu’arracher la tête et crever le ventre sont des thèmes spontanés de leur imagination que l’expérience de la poupée démantibulée ne fait que combler » signale J. Lacan 13 dans l’agressivité en psychanalyse.
Comme tous les jeudis, je regarde les enfants de sept à treize ans. Un véritable scénario politico social se déroule sous mes yeux. Il y a déjà toute la civilisation, la structuration de l’être dans sa forme la plus élaborée, de déboires, de soumissions, de pouvoirs, de partages de territoire.
Là, tout se crée, se recrée à la récré. On est rien, on naît rien, on sait rien... Nous ne sommes que des poussières d’étoiles qui tombent sur les montagnes ou les rochers de l’océan, en Afrique, en Asie, au Soudan, en Laponie, en Europe, dans tous les coins du monde et cette bribe de Cosmos, cette poussière d’étoiles possède la parole et dit « je ».
Que dis-je ? … Curieuse histoire quand même.
Là, je suis obligé d’arrêter mes diversions pour mettre Bébé requin sur le banc, Bébé requin mange les autres, les baffres, les baffe, les tyrannise, Bébé requin est sans loi, peut être est-il moins fou que nous ? Mais je me dois de faire mon boulot, Bébé requin restera sur le banc pour le protéger de lui-même et protéger les autres.
Instantanément, je siffle un coup franc à des adeptes du vélo qui veulent absolument faire le tour de la cour au milieu des terroristes du bac à sable et des adeptes du football, tiens, R. vient de prendre le ballon en pleine figure. En cinq secondes un syndicat autonome et parfaitement illégal constitué de cinq membres vient revendiquer la légalité du vélo dans la cour de récré. Je ne peux expliquer mon acte, me voilà gendarme appliquant bêtement la loi sans avoir le temps de l’expliquer. Serai ce un zeste de morale judéo-crétine ou un relent surmoïque qui s’empare de moi ? C’est l’envers de la loi, je ne peux accompagner ma sanction par les mots, cela me déprime, les autonomes s’effilochent dans la cour en quête d’adeptes susceptibles de pouvoir grossir le syndicat.
Je reprends mes dérives, je vois toute la société qui se crée, se recrée, dans cette création cette récréation.
Il y a un obsessionnel qui rentre dans mon atelier chant en se bouchant les oreilles alors qu’il crie comme un malade… nous lui donnons des stylos qui vont avec son obsession, les bleus avec les bleus, les rouges avec les rouges, les verts avec les verts. Les goûts et les couleurs, les coups et les douleurs…
Il y a quelques gamines hystériques qui foutent le bordel entre les mecs et qui changent d’idée comme moi de pull-over. Elles élisent des messies qu’elles prennent après pour des gens ternes.
Il y a C., un pervers qui, passant outre la loi, ne trouve pas son inscription de sujet, il n’y est pour rien, le déni de la castration, il joue avec l’autre, il jouit de l’autre. Il est tellement mignon… c’est moi son référent.
Tout le territoire est partagé entre deux leaders qui s’évitent et se rencontrent deux fois l’année pour se repartager la cour de récréé, T. et C.. Quand ça a lieu ça fait mal, j’ai été témoin, ils se giflent, ils se gigotent, ils se turbulent, se dévissent la tête dans la flaque d’eau, se roulent dans la fange.
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur leur tête » Dans le match un round suffit à chaque fois nous ne voyons que la fin car ils profitent d’un laps de temps sans adultes ; le temps qu’un humaniste actif vienne chercher l’éduc. « Mon Dieu ! » s’écrit Suzanne, l’infirmière, et là, ensanglantés, ils attaquent la source du langage ou cesse même un nom : « fils de pute, nique ta mère ! » enfin personne ne fait jamais ça ! et l’autre de répondre : « si j’avais couru plus vite que le chien je serais ton père », voyez toujours des familles à histoires…
Ils sont entrés dans le cœur du langage et ne parlent enfin plus pour ne «rien dire ». Rendez-vous dans six mois, deux fois par an vous dis-je. En attendant, ils ne se verront pas. L’un pour l’autre ils sont redevenus transparents, juste la moitié du territoire, pas question d’empiéter chez le voisin…
Tout, il y a tout dans la cour de récréé, il y a les fayos a qui on casse la gueule car ils ont été bassement lâches en classe.
Il y a des insignifiants qui veulent pas d’histoires.
Tout est en place pour ce «livre de la jungle » qui s’appelle la vie.
Que me veut cet autre qui est à la fois mon double, mon frère, mon semblable, mon rival, mon ami et mon pire ennemi. Il y a le meilleur et le pire avant qu’il fasse rire.
Nous sommes des particules du cosmos, ensemble, séparés, qui s’éteindront un jour.
Mais la nuit n’est pas toujours bordée d’étoiles pour ce style d’enfants.
A la fin de la récré, une pause de vingt minutes m’est donnée et parfois, l’enfant qui dort en moi se réveille.
L’être humain n’est pas là, il est ailleurs,
Et l’orpailleur creuse la divine parole,
Qui fera émerger son âme et sa lueur
Car cette quète git en sa faveur.
Dans cette brume qui se prostitue
Le poète s’en va, revient, se bat
Et l’encre de sang noir qui coule dans ses veines
Invente des musiques qui éloignent les rats.
Un oiseau qui s’envole, vers des idées nouvelles,
Un cheval qui broute des étoiles.
Une biche qui pleure les hommes du regard,
Ces hommes au semblant de croyance et celui là en état de voyance
L’étrange jardinier qui ordonne les saisons.
L’orpailleur plus que tous acquiert la transparence
L’or n’est pas spirituel quand il est cher payé,
L’image diabolique te mets l’âme en vacances
Tu roules dans la fange chez un Dieu qui est bien né.
L’orpailleur refait le chemin du retour
Ce chemin qui fait l’âme arc en ciel.
L’or est à l’intérieur, il doit se le gagner
L ’origine du verbe est si près du soleil.
Cet or sans rides du savoir qui nous guide dans les ténèbres vers la lumière.
Afin que la souffrance devienne connaissance
Musique du cœur, loi d’éternité
Jacques Loubet
Juin 2003
Formateur en travail social ,
Cet article est en lien avec :
Le savoir faire éducatif, Ed ERES, 2000
Les Paupières de l’Ame, Ed Cosmose, 2000
VIOLENCES PULSIONNELLES VIOLENCES SOCIALES, PARLONS NOUS
Joseph Rouzel m’a proposé d’intervenir pour évoquer la place du très jeune enfant dans la question de la violence. La question posée concernait aussi celle des médiations chez les petits, ce qui en y réfléchissant ne me semble pas d’actualité chez de si jeunes enfants (en tous cas ceux que j’évoquerai ici, qu’on nomme « bébés », ceux d’avant l’école maternelle, ceux d’avant 2/3 ans). J’étais bien embêtée par ces questions : bien sûr il y a le problème indéniable des violences faites a l’enfant que nous imaginons tous, il y a aussi celles qu’on ignore, qu’adulte on n’arrive pas à considérer, celles dues en général a des demandes décalées de la part des adultes.
J’ai affirmé de surcroît, un jour a quelques travailleurs sociaux rassemblés, que le très jeune enfant violent n’existe pas, ce fut un tollé. Je viens donc ici justifier et confirmer cette certitude et là, il me semble que notre société actuelle s’y entend bien qui prétend socialiser les tout petits humains, dès deux ans à l’école mais aussi dès 10 semaines à la crèche ou chez une nourrice, un assistant maternel, une société qui se targue de pouvoir adapter au plus vite l’enfant à la séparation d’avec sa mère (j’entendrai par « mère » bien sûr tout au long de cette intervention les «bras qui portent l’enfant »); tenter d’habituer l’individu à l’école dès la crèche, à la crèche dès la conception (en instaurant des inscriptions en collectivité dès le début de sa vie fœtale) me semble être une société qui oublie que chacun naît sujet singulier et que le très jeune enfant est longtemps non différencié de sa mère, c’est il me semble une société qui d’emblée induit de la violence en effet la socialisation forcée semble entraîner chez l’enfant un sentiment d’insécurité (et donc de violence?)…On n’oubliera pas combien ces situations, qui peuvent être traumatiques, rappellent parfois à l’adulte, de manière bien sûr inconsciente, que lui même était un tout petit enfant (victime de certaines formes de violence ?)
Les apprentissages précoces et forcés me semblent répondre au même type de questions : que ressent l’enfant que l’on assied d’emblée coincé par de jolis coussins colorés, ergonomiques, alors qu’il n’est pas encore capable de trouver équilibre et sécurité par lui même ? A quoi servent les objets, outils- jouets, proposés par les fabricants et surproducteurs de sollicitations sensorielles, a quoi sert d’installer l’enfant qui ne sait pas se déplacer seul dans un siège roulant ou fuyant dont il ne pourra maîtriser les mouvements et qui ne correspond même pas a son encombrement corporel ? a ce titre les travaux concernant l’observation du très jeune enfant me semblent incontournables (Loczy entre autres : expérience d’après guerre en Hongrie qui a permis a de très jeunes enfants, orphelins, de survivre alors qu’auparavant , selon les observations de Spitz ,de soignants ,de nurses ces mêmes enfants mourraient d’hospitalisme ou entraient en grande souffrance psychique, de nombreux lieux d’accueil ont choisi de travailler dans une attention particulière et respectueuse des besoins et des rythmes spécifiques au nourrisson privé de sa Mère pour quelques heures, quelques jours ou parfois longtemps)
Le professionnel en utilisant les techniques d’observation (ou /et d’attention particulière) pourra plus facilement répondre au plus près aux besoins du très jeune enfant
J’ai souhaité aborder cette question de la Violence pulsionnelle, violence sociale du côté des pratiques ; Psychopédagogue je suis avant tout professionnelle de la petite enfance : J’ai commencé ma carrière auprès des très jeunes enfants il y a 25 ans environ, ces bébés sont devenus les jeunes adultes ou adolescents, souvent issus des banlieues du « 9/3 » ou assimilées et aujourd’hui les médias, les politiques, certains enseignants et travailleurs sociaux décrient leurs comportements, souvent je m’interroge sur ma part, notre part, de responsabilité et le bien fondé de cet étiquetage ; je ne peux pas oublier qui ils étaient, et je ne crois pas seulement ce que j’entends.
Violence et insécurité envers qui? faite par qui? retour de bâton d’une société qui tente de forcer le développement lent, progressif, spécifique à chacun et naturel de ses jeunes enfants?
L’enfant pris en charge hors de sa famille doit pouvoir trouver sécurité (de base) dans la structure qui l’accueille, l’adulte chargé de son quotidien réfléchira pour répondre au plus près a ses besoins de « continuité, stabilité, dépendance », il s’agit de rendre l’absence de la mère et l’attente de son retour, supportables.
L’absence de sécurité, affective, matérielle…tout autant que la socialisation forcée semblent générer chez le jeune enfant qui ne comprend pas les demandes inadaptées une réaction de protection très souvent interprétées par les adultes comme agressive, d’autant que ce contexte inconfortable génère bien souvent un climat de violence ainsi qu’un sentiment d’insécurité et donc de violence. Les questions de l’aménagement des espaces tout autant que celle de l’individualisation nous paraissent centrales.
L’adulte il me semble a pour rôle de se placer en tant que médiateur dans la sphère du très jeune enfant, en l’accompagnant afin que celui ci puisse évoluer et se construire en toute sécurité dans son rapport au monde matériel, affectif, social et psychique
Winnicott qui affirme que « l’agressivité est présente avant l’intégration de la personnalité…» démontre qu’il est important pour l’enfant que soient instaurés des substituts familiers pour qu’ainsi il puisse déplacer sa relation d’attachement ;ainsi les premières expériences de sécurité et de relation seront maturantes ou destructurantes .Nous savons par ailleurs que les états de stress du jeune enfant (faim, fatigue, maladie, chagrin….) augmentent ses angoisses lorsque sa mère s’éloigne, qu’un bébé qui à obtenu qu’on s’occupe de lui, peut s’intéresser a d’autres personnes de son entourage et s’en rapprocher.
Il me semble donc que nous nous devons de réfléchir à partir des apports théoriques et de diverses expériences quant aux besoins du très jeune enfant afin que celui ci pris en charge puisse trouver sa nécessaire sécurité (de base) dans la structure qui l’accueille en l’absence de sa famille. La réflexion et l’accompagnement des professionnels de la petite enfance se doit donc d’être de qualité.
Afin de pouvoir vivre et rester psychiquement « entier » le très jeune enfant va devoir se construire : si nous l’observons en train de téter nous pouvons parfois le voir donner des coups de tête déterminés et «violents » Tentons d’imaginer ce qui se passe pour lui qui prend le sein (même si c’est sa mère qui le lui donne) : il le prend, tète, se rassasie(c’est ici une question de survie), il y prend du plaisir, puis non suffisamment satisfait (a priori physiologiquement) il cherche à combler ce manque, donne un coup de tête parfois vécu comme « violent »vers ce qui n’est toujours que sa propre sphère et obtient une réponse qu’il ne maîtrise pas : ainsi se construisent les premières références de l’enfant a une certaine notion de relation et donc d’entrée en civilité
· Le sein (ou le biberon) a un débit trop peu rapide
· L’«objet» ne peut se dérober
· La mère est dans un moment de flottement (il la rappelle) rappelée à l’ordre
· La succion du bébé est a ce moment douloureuse ou surprenante la « mère » réagit, pousse un cri, s’agite, se rebiffe, change de ton de voix, de gestuelle et éloigne parfois l’enfant
……La « mère » réajuste la tétée….
C’est par la bouche par le «sein» et/ou son absence que le bébé a la plupart de ses toutes premières sensations (le bon , le moins bon, le mauvais. La bouche devient tout naturellement la sphère principale des émotions, des pulsions, des affects)
La mère, le père ou l’adulte qui accompagnent l’enfant ont alors en fonction de leur histoire, de leurs savoirs…des interprétations différentes en général portées par des mots, des gestes ou des regards, qui induiront différentes réponses .
A ce moment la réponse de l’adulte va participer a l’accession aux relations sociales : la civilité elle n’est donc pas innée, le jeune enfant va devoir apprendre les règles, les coutumes, les lois et traditions de son groupe social….
Il me semble que l’accueil du jeune enfant nécessite une réflexion fine quant à la mise en place d’un environnement rassurant (« stable, fiable et continu ») permettant à la mère et à l’enfant de vivre ces temps comme suffisamment bons, pas trop dangereux et introduisant une séparation acceptable
C’est pourquoi il est nécessaire de réfléchir et de travailler à :
L’enfant que nous évoquons n’est pas encore être de langage( malgré une évidente immersion pour la plupart)Il s’exprime avec son corps : sa bouche est très certainement souvent l’un des premiers lieux de plaisir : le petit d’humain y joue ses première émois naturellement (on peut observer la reptation du nouveau né vers le sein maternel),les émotions telles que celles provoquées par le fait de manger, boire, fumer, embrasser, mordre, parler, chanter…… sont par la suite intimement liés a la notion de plaisir .
L’enfant très longtemps ne maîtrise pas l’utilisation du langage verbal, il l’entend, baigne dans un univers sonore spécifique qui petit à petit devient familier (encore faut il que celui ci serve à quelque chose «il me semble que tu as faim, je vais te donner à manger et ainsi tu seras peut être rassasié et moins inquiet, moins en colère» mais l’adulte en mettant des mots sur leurs agissements et en utilisant des «il me semble que»a propos des situations va peu à peu aider l’enfant à identifier certains de ses affects.
Petit a petit l’enfant apprend à « gérer » et se différencie de l’autre
Le rôle de l’adulte « accueillant » est donc de tenter de préserver l’intégrité de chacun en organisant les espaces…, en rassurant par exemple le mordeur et le mordu dans une situation que l’on ne peut je crois étiqueter état de violence chez les enfants n’ayant pas encore accès a la pensée symbolique (petit à petit vers 2 ans et demi nous verrons par moment apparaître la mise en place d’activités symboliques), alors l’enfant entend là que l’adulte s’intéresse a son mal être(ou/et a son être) en le nommant, en le différenciant, en tentant d’y apporter une réponse très différente de celle qui consisterait à dire «tu es en colère»( puisque ici on dirait a l’enfant «c’est toi tout entier qui est en colère» l’enfant devenant alors la colère, s’y identifierait ,s’y enfermant et la faisant sienne).
Pour préserver l’indispensable sécurité et les besoins fondamentaux de sécurité du jeune enfant, l’adulte qui l’accompagne met en place,(au moment du change de couches, des toilettes, repas, « portages »), des conditions suffisamment bonnes.
Mais malgrè tout il me vient parfois quelques idées à méditer :
· de congés parentaux plus longs
· de modes de garde plus adaptés aux besoins de chaque famille
· aux programmes de formation de tous les professionnels intervenant auprès des jeunes enfants (formation initiale et formation continue),
· au développement du travail de réflexion et de distanciation que permettent par exemple les analyses de pratique en groupe, équipe ou plus individuelles animées bien entendu par des intervenants extérieurs aux structures, administrations…
· de la notion de prévention et des concepts de bienveillance/ bientraitance et ainsi tenter de prévenir d’éventuelles violences futures (lors de l’adolescence, l’âge adulte…..)
· de l’enfant, adulte en devenir afin qu’il ait envie d’aller de l’avant, sache et puisse préserver son intimité, son intégrité, se protéger
· de préserver l’enfant de toutes formes de violences en collectivité en réfléchissant aux propositions pédagogiques sus citées
L’enfant naît sujet singulier,
Tant qu’il ne parle pas il ne semble pas en capacité de civilité, de l’agressivité innée à la violence acquise le bébé n’est pas encore en capacité de civilité et utilise son corps-pulsion .
C’est en « portant » au plus proche de la continuité du «portage» de sa mère que celui ci se sentant en sécurité, pourra petit à petit se sentir suffisamment capable de s’éloigner Au contraire l’enfant que l’on éloignera, que l’on contraindra aura besoin d’énergie pour aller dans le sens du désir de l’adulte et de son regard
Travailler avec des enfants ce n’est pas seulement organiser des jeux et activités (pourtant nécessaire a la mise en place de la symbolisation et donc de l’acquisition du langage) c’est aussi réfléchir a la mise en place de contextes favorables et permettant à l’enfant de grandir en sécurité avec l’idée qu’il est adulte en devenir
L’adulte répondra aux besoins du très jeune enfant qui possède à l’état naturel et normal un patrimoine de pulsion agressive, besoin vital
en instaurant un environnement de repères, en aidant l’enfant petit à petit à mettre en mots: le corps parle, on comprend bien alors que la violence et l’insécurité qui lui sont faites vont influer sur son développement
Si par ailleurs l’adulte se met en colère l’enfant ne peut pas encore comprendre le rapport entre sa propre attitude pulsionnelle et cette réaction qui ne sert alors a rien.
L’application des tout petits à tenter de faire « comme il faut » est très souvent très intense, cherchant a être dans le « désir » et la reconnaissance de l’adulte qui le fait exister, mais de cette tension découle aussi très souvent un trop plein émotionnel qui se traduit par de l’énervement, des cris, des coups, des morsures………et une étiquette d’enfant violent ou agressif a vite fait d’apparaître !
On comprendra pourquoi trop de paroles, mal adaptées peuvent aussi enfermer l’enfant dans une attitude inadéquate : Le corps parle, pulsionnel
La construction de l’image corporelle intimement liée à l’installation du surmoi semble être totalement constituée aux alentours de 6/7 ans (lorsqu’on parle de l’âge de raison), avant c’est donc le corps qui parle aidé petit a petit par le langage qui en se mettant en place permet de progressives mises a distance ; même si l’enfant très longtemps ne maîtrise pas l’utilisation du langage verbal
Pour conclure et afin que la question actuelle autour des violences, délinquances et préventions soit posée dès la plus petite enfance nous dirons que travailler avec les très jeunes enfants nécessite une écoute et une attention particulières et particulièrement respectueuses eut égard aux développements particuliers et spécifiques, à la création de la personnalité et à l’instauration de la relation :
Isabelle JAIS, éducatrice de jeunes enfants, formatrice en travail social.
1 Texte présenté au colloque de Cultures en mouvement qui s’est tenu du 4 au 7 juin 2003 au Corum de Montpellier.
2 S. Freud, Introduction à la psychanalyse , chap. 1., PB Payot, 1983.
3 Séminaire de Françoise Héritier, De la violence , Editions Odile Jacob, 2 tomes, 1996 et 1999.
4 Christian Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin , Ed. Maison des sciences de l’homme, 1995.
5 Jacques Lacan, Autres écrits , Seuil, 2002.
6 Voir l’ouvrage de Michel Lapeyre, Au-delà du complexe d’Œdipe , Anthropos, 1997.
7 Voir Le pari de la conversation , Institut du Champ Freudien/CIEN, 1999-2000.
8 C’est par pur ethnocentrisme que l’on caractérise ces pays de pays sous développés ou en voie de développement ou bien encore de pays émergeants.
9 Je ne veux pas verser ici dans la rhétorique du récit généalogique radieux, parfait, idéal car ce monde trahissait une certaine manière d’être où s’infiltrait l’incertitude de soi et des autres où surgissait le témoignage de conflits inter-générationnels dans un monde qui semblait si bien organisé.
10 M.Soetard « qu’est ce que la pédagogie ? » ESF 2002
11 En référence aux travaux d’Hanna Arendt
12 M.Soetard « qu’est ce que la pédagogie » ESF 2002
13 J. Lacan Les écrits, Ed du Seuil, 1966