samedi 10 septembre 2005
Dans la ligne des tribunes libres de Stéphane Rullac et de Joseph Rouzel, 1 je voudrais proposer quelques réflexions quant à la formation des éducateurs spécialisés. En effet, au delà de la question de la « vampirisation des formations par la psychologie » celle des financements, de leur utilisation et de leur cure d’amaigrissement me paraît avoir des effets contestables qu’il convient de mettre en lumière.
Prenons l’exemple de la sélection des éducateurs. Chaque école organise des épreuves destinées à sélectionner un nombre raisonnable d’étudiants parmi les centaines qui se présentent chaque année. En général, la formule retenue consiste en une épreuve écrite formant un premier tri puis un entretien qui recale encore quelques postulants. L’école obtient ainsi sa promotion soutenue, en cas de défection par une liste complémentaire.
Deux points sont particulièrement choquants.
D’une part, ces épreuves constituent une source de financements non négligeables et devenu difficilement remplaçable pour les écoles. L’épreuve écrite n’est accessible qu’a ceux qui se sont acquittés d’un premier chèque et pour aller à l’oral, il faut, bien sûr être admissible, mais aussi présenter un deuxième chèque. Un étudiant entrant en école s’est ainsi délesté d’environ 150 euros.
D’autre part, une fois la promotion constituée, l’école met un point d’honneur à ce que tous ses étudiants soient hissés au niveau du diplôme et qu’il l’obtienne. Je me rappelle encore très bien de la moue embarrassée de formateurs lorsqu’on évoquait un mauvais cru. Les taux de réussites au diplôme sont considérés comme l’aboutissement d’un travail et valorisent l’école.
Rien que de bons sentiments sur ce deuxième point, mais, si l’on prend un peu de hauteur, il est facile de constater que la véritable sélection au métier d’éducateur ne se fait, en réalité, pas au niveau du diplôme, mais sur une épreuve simpliste de français et un entretien de 45 minutes !
Un autre exemple, lors de ma formation, nous avions des petits groupes de travail, très réguliers dont la fonction était de faire la passerelle entre le « terrain » et l’école. Le travail qui s’y tenait ne consistait pas en l’apprentissage de savoir, mais dans l’élaboration des difficultés qui surgissent lorsqu’on confronte la théorie et la pratique. Cet espace tiers, je peux en témoigner plusieurs années après, a été l’un des plus importants de mon cursus de formation. Or, la question des coûts entraîne la limitation des petits groupes. Les cours magistraux avec le plus d’étudiants possibles sont privilégiés, et un petit espace comme celui là, qui nécessitait une stabilité du formateur et un nombre restreint d’étudiants fait directement les frais de la course à la rentabilité. D’autant, que sa suppression ne grève en rien les chances des candidats d’obtenir le diplôme.
Ainsi, l’évolution actuelle des formation des éducateurs vers un apprentissage simple de savoirs issus d’autres disciplines, la « vampirisation des formations par le psychologique » que tous le monde condamne plus ou moins ouvertement, n’est pas le fruit d’une volonté délibéré, mais l’enfant de la pression légitime des financeurs à faire des économies, et du vide conceptuel et théorique de la profession.
Pour autant, et avant de me faire traiter de tous les noms d’oiseau disponible dans le dictionnaire par mes collègues, il me faut préciser que, bien entendu, les éducateurs écrivent et théorisent leur pratique. Mais cela à un niveau individuel. Les travaux de chacun ne sont pas repris et aucune instance représentative ne vient proposer à ceux qui payent, une vision globale comportant des priorité, des axes généraux.
La course vers les corpus constitués s’explique, non pas par une volonté pédagogique qui consisterait, par exemple, à insérer l’école d’éducateur dans l’université, mais bien par la difficulté de défendre devant des financeurs, la spécificité du métier d’éducateur. Là où, dans la pratique, le savoir ne compte pas plus que la personnalité et les potentialités humaines, on n’enseigne plus qu’une théorie, coupée de la pratique. Faute de cette formalisation de la pratique éducative que Stéphane Rullac appelle de ses vœux, la pression sur les financements conduit à un assèchement des espaces dévolus à l’articulation entre la pratique et la théorie, entre les rencontres singulières avec les « usagers » et ce qu’un éducateur peut en penser.
Il n’est donc pas étonnant que, sur le terrain, la diversité des intervenants constitue une interrogation pour les candides qui sont confrontés à des éducateurs. Comment expliquer à des parents qui conduisent leur enfant dans un IME, par exemple, que dans l’équipe, il y a 2 AMP, 1ME et 1ES, qui font le même travail ! A quoi sert une formation lorsque, plus tard le travail est le même que ceux qui n’ont pas suivit cette formation ? Pour les observateurs extérieurs et peu informés, ce manque de considération pour le cursus de formation, cette difficulté de la profession à soutenir l’importance d’être diplômé pour pouvoir exercer, ne peuvent que questionner ! Le nombre des « faisant fonction » repérés par l’IGAS est très élevé et reflète bien la réalité que chacun peu constater dans son institution ou sur son lieu de stage.
En panne d’idées, c’est le financier qui prends toute la place et qui, sur ses règles seules pèse sur les formations et les conduit vers un avenir sombre où la formation d’éducateur glisse vers un modèle de plus en plus universitaire, c’est à dire valorisant la capacité des étudiants à restituer des connaissances, voire à conduire des recherches, au lieu des compétences plus pragmatiques dont l’éducateur a besoin.
Ce qui manque donc, c’est une instance représentative de la profession. Elle pourrait, par exemple défendre que les étudiants soient sélectionnés au cours de la première année de formation, sur des critères de compétences scolaires, mais aussi sur, pourquoi pas ! un rapport de stage. Elle pourrait également défendre une conception, issue de la profession, du travail éducatif. Elle pourrait prendre pour critère, la capacité du candidat à concevoir et mettre en œuvre, une éducation spéciale, pour reprendre la terminologie de joseph Rouzel, adaptée à la personne qui lui est confiée. Bien entendu il faudra a l’éducateur des connaissances en psychologie, en sociologie, en droit…etc. C’est surtout sa capacité à mettre en lumière l’énigme que lui soumet l’individu qu’on lui a confié, ainsi que la spécificité de l’éducation qui lui faudra, qui sera évaluée. Pour concevoir cette éducation spéciale, il devra lier des éléments de psychologie, de sociologie dans les contraintes imposées par le droit.
Pourtant, l’important n’est pas que cette instance reprenne forcément la conception de l’éducation dont je viens de tracer quelques lignes. La priorité est qu’elle en définisse un, bien à elle, et qu’elle l’oppose à la logique financière. Il lui faudra une assise nationale pour avoir une force de proposition la plus large possible et qu’elle puisse soutenir ses positions de manière forte. Il lui faudra aussi une représentation la plus large possible de la profession. Une sorte de conseil de l’ordre, fixant une déontologie et les priorités pour la profession. Dans tous les cas, un espace permettant que les élaborations individuelles des éducateurs puissent êtres mutualisées, organisées et débouchent sur une reprise en main de la profession par les acteurs eux mêmes.
1 ASH N° 2414 et 2418