dimanche 11 janvier 2004
Un conte de début d'année en terre d'ALEPH
(ALEPH est l'Association Lilloise de L'Etude de la Psychanalyse et de son Histoire)
Avec l'autorisation aimable en décembre 2003 de la famille et des parents devenus amis fidèles, à préciser dans l'après-coup que chacun de nous têtu a toujours conservé sa version propre sur tout cela et que le désaccord de nos points de vue a contribué avec le temps passant à fonder une estime réciproque et affectueuse.
Et de même qu'il n'y a pas d'histoires... de sujet, il n'y a... peut-être que des discours,
de même qu'il ne reste que ces mots amers de Virginia Woolf pour une fleur de sel emportée par les Vagues, "les expériences de la vie sont incommunicables et c'est ce qui cause toute la solitude, toute la détresse humaine".
Et ça se passait vers la fin des années 1984... Un automne de cette année du Rat, il y aura presque vingt ans! J'avais eu à rencontrer une fois par semaine pendant quelques six années un jeune monsieur âgé alors d'une vingtaine d'années. Il m'a été adressé à l'époque, lors d'une mutation professionnelle de ses parents dans cette douce région de ma Garonne adoptée... sur la recommandation d'une honorée... amie intime, "parce qu'il avait les yeux très bridés et qu'on se moquait de lui et parce qu'il avait très mal au coeur"... et cela par la raison... d'une aberration écrite sur une paire de chromosomes.
Il était "treu-somiq vintin" (ainsi se présentait-il avec sa voix boudeuse et bourrue d'une grosse langue peu mobile et saccadée d'un retard de langage et de parole) et dans ce "treu-somiq" au bout de quelque "vintin" des mots gisait... un vain trésor: il voulait peindre!
Trésor-miq souhaitait devenir un artiste peintre professionnel... comme ce grand oncle du côté de son père, qui l'aimait beaucoup et qui a causé soucis et désespoir à toute la famille car n'ayant pas... mieux tourné... dans la vie! Prudent, je lui confiais déjà que c'était un "bien sale métier" sans issue en ce moment... et cela le faisait rire alors qu'il était déçu de ma réaction,
et son rire éclatant pour cet oncle disparu et aimable avec lui, je m'en rappelle encore.
Et puis il voulut s'en expliquer... me contredire avec des mots et des mots... des morceaux de vie de ses jours et des morceaux de rêve de ses nuits... des couleurs de mots et puis des couleurs et des couleurs... d'abord en matières brutes et primaires... puis à force des mots parlés dans cette association de la libre parole, la couleur elle aussi s'est mise à s'associer... en mélanges primaires et secondaires ne s'organisant plus seulement en un terne "gris-caca" mais en contrastes et nuances: la transparence d'un mot, d'une couleur en appelait alors toujours à une autre. Et les parents de milieu aisé ont fini même par lui installer un véritable atelier, toute une pièce avec balcon au nord là où la lumière est constante et sans reflets, avec un véritable chevalet à pieds fixes, des lavabos! Envieux, je ne pouvais m'empêcher de lui dire qu'il avait bien de la chance (moi qui souvent en ville peignais la nuit dans la cuisine et dérangeais tous les autres le matin).
Au sortir d'une de ses hospitalisations, nous avions eu moi et lui beaucoup de difficultés... toutes les peines du monde devant le désarroi de la famille... en prise avec le verdict du discours de la science et de la médecine... pour expliquer et justifier que nos rencontres n'avaient certes aucun objectif utile, aucune prétention réparatrice de thérapie génique chromosomique, que Trésormiq ne me parlait pas en vintin chromosomes mais seulement me parlait!... oui, seulement! Il me parlait comment sa mère était trop protectrice et étouffante avec lui, comment il était très attiré et timide avec les jolies filles non treu-somiq, comment son père était toujours triste pour une cause qui lui était inconnue, comment sa soeur aînée était gentille si blonde si belle et si courtisée par tant de jolis garçons... etc... etc., je dois dire que ces démarches de justifications pour Trésormiq et moi ne furent pas dans nos rendez-vous sans conséquences à dénouer.
Puis la retraite des parents amena la famille à changer de région et à quitter la France, et c'est ainsi la vie avec ses séparations et qui vient au devant de chacun... et si nos contacts et nouvelles s'espacèrent peu à peu, la constance des chairs et souvenirs nous fit écrire correspondances régulières à chaque période rituelle des voeux.
Et il y a quelques années, un soir de printemps d'ici de l'année du Tigre, dans un décalage horaire j'ai eu son père au téléphone et la famille me confia que Trésormiq était décédé suite à une infection ayant décompensé sa cardiopathie... c'est vrai, qu'il "avait si mal au coeur", n'est-ce pas?
Et maintenant... à cette prochaine année asiatique du Singe, je me demande encore en pensant au temps de ce vintin dialogue si mon ami Trésormiq qui avait accordé tant d'importance à nos rencontres, n'avait pas trouvé en moi une complicité "deux-yeux-bridés" et de pinceaux comme marque et trait d'une communauté de langue et de fiction.
Mais la chose... la plus importante qui reste à dire, et je me dois de vous le dire!
La production à l'huile deTrésormiq et Trésormiq Vintin (1963-1998) se situaient dans ce qu'il est convenu d'appeler dans la communauté des hommes et des artistes peintres: "les peintres naïfs!" Et que la peinture naïve est parmi ces alphabets spontanés lointains et éphémères les plus nobles et qu'on met un très long temps à devenir un enfant,
n'est-ce-pas, monsieur Miro?
janvier 2004, Toulouse France