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Supervision : monographies VII e promotion.

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Claude Boukobza, Claude Bynau

dimanche 03 janvier 2010

Supervision : monographies VII e promotion.

Vous trouverez ci-joint deux textes qui constituent la monographie que leur auteurs ont soutenu et dans l’écriture et dans la parole. Merci aux deux intervenants qui ont accepté de jouer le jeu d’une transmission au-delà de l’espace de formation, participant ainsi à une élaboration constante, sans cesse à remettre sur le métier, du travail très singulier de supervision. Que chacun amène sa pierre me paraît un gage d’ouverture qui permet que ni la théorie ni la pratique de la supervision ne se referment sur un dogme, une bonne pratique estampillée, voire ne soit accaparée par quelque mouvement idéologique, fut-il psychanalytique. Cette pratique née dans le champ de la psychanalyse, exige pour rester vivante de sans cesse relancer son propre mouvement. Cela ne se produit que du désir de ceux qui s’y engagent et de leur volonté d’en rendre compte.

Joseph Rouzel, responsable de PSYCHASOC

Odette Bourgey

La fonction paternelle et son déclin

introduction

IL n'est pire tyrannie que de vouloir le bien de l'Autre"E Kant

Les institutions à caractère sociale sont généralement pensées comme des éléments maternels du fait de leur capacité à accepter dans leur giron, des patients nécessitants des soins;

Pour autant, au delà de cet acte d'accueil, évocation en effet de la symbolique maternelle, toute institution introduit également ses hôtes, à la dimension de la règle de la structure et de la loi, éléments rapportés à la fonction paternelle. Ces deux fonctions s'interpénètrent et l'une ne peut exister sans l'autre.

La fonction maternelle a une fonction d'enveloppe, de source nourricière, de réceptacle de vie. C'est une posture que j'ai longtemps confronté, avec une équipe de travailleurs sociaux et des bénévoles, dans le cadre d'un accueil de jour ouvert à des personnes sans domicile.

Désaffiliés 1 , ces hommes sont totalement détachés de ce que leur père a pu leur transmettre, en premier lieu leur nom;« Depuis que je suis à la rue, je ne suis plus un monsieur, appelez moi polo!» Si la mère donne la vie, le père donne un nom, nomination purement symbolique, identification déterminante pour être reconnu comme sujet en devenir.

Pour ce qui concerne les personnes vivant à la rue, cette perte de nom, n'est pas un effet de mode, mais la signification d'un clivage 2 de ces personnes exclues d'avec leur histoire transgénérationnelle. Dénommés, ces hommes ne peuvent plus, comme le souligne Lacan, se référer au rôle primordial de la famille, dans la transmission de la culture par l'intermédiaire du nom du père qui désigne tel enfant comme faisant parti d'un groupe humain bien spécifique.

Dans cette situation de désaffiliation, l'héritage de la fonction paternelle est ici congelée, et le sujet se retrouve dans une sorte d'agonie psychique. La réapparition de désirs ne sera possible que dans des lieux de médiations où la personne s.d.f se sent à l'abri, protégée, acceptée dans sa différence, écoutée. C'est le défi des pratiques sociales proposées dans les structures sociales en lien avec ces êtres humains.

Mes quarante années de vie professionnelle devaient s'arrêter sur cette rencontre-fracture avec ces hommes sans nom, où il était important de ne pas se laisser détruire par le mouvement mortifaire qui les habite. Face à cette problématique, l'enjeu professionnel était jour après jour de demeurer vivant.

Mais la vie vous amène parfois vers d'autres chemins. En acceptant la direction d'un Centre d'hébergement et de réinsertion sociale, pour des hommes adultes sortant de prison, c'est la fonction paternelle qui cette fois-ci m'a mise en pensée.

Une énigme

«un monstre lui a ôté la vie»

épitaphe sur la tombe de Judith . assassinée en 2006

Dans son livre «il faut aider les pères», Gabrielle Rubin explique que le malaise de la société dont nous souffrons vient en grande partie de sa violence qui ne cesse d'augmenter.

Autrefois, apanage des adultes, elle devient de plus en plus le fait d'adolescents, et parfois de très jeunes enfants. Selon les propos de BH Levy 3 «assistons- nous au triomphe d'une barbarie à visage humain»?

Les adultes spécialistes, qui se laissent interroger par ce phénomène de société récurent, attribuent la montée de cette violence à l'impossibilité pour certains parents d'apprendre à leurs enfants, le respect des règles, des lois, de l'Autre pour avoir accès à l'humanité de l'espèce humaine. Pour ces spécialistes, ces faits médiatisés qui déclenchent l'horreur, seraient la conséquence du déclin de l'autorité paternelle, et par la même de sa fonction.

Je suis libre, je fais ce que je veux, et je n'ai de compte à rendre à personne;

Ces propos tenus par des adultes après de longues peines d'incarcérations donnent à penser que si la notion de la limite n'est pas acquise, chaque être humain peut devenir esclave de ses démons."Là où les humains ne supportent plus la parole, réapparaît le massacre" nous dit P Legendre 4 . Dans notre pays, les incarcérations sont toujours de plus en plus nombreuses, à tel point que" la surpopulation carcérale" fait régulièrement la une des journaux.

( 70 suicides de détenus en 2008--10 suicides chez les surveillants de prison).

Que s'est-il passé dans notre société pour que nous soyons arrivés à une telle impasse?

Le rôle paternel était autrefois intriqué à celle de deux autres puissances, celle du roi et du pape. C'est sur le fantasme d'un père tout puissant, qu'ont été organisés l'état, la religion, la famille. Les catholiques appellent «père» leurs prêtres et interpellent Dieu «le père». Et nous parlons aussi du «père de la nation", ou "du petit père des peuples".

Pour Yvonne Knibiehler 5 ,«le christianisme avait inventé la paternité spirituelle. Au moment du baptême, parrain et marraine s'engagent publiquement à veiller à l'éducation de l'enfant. Ainsi, les géniteurs étaient accompagnés, assistés et même surveillés dans leurs fonctions parentales.

Le partage était possible dans un cadre religieux, ou la même foi, les mêmes valeurs s'imposaient. La modernité a effacé ces soutiens, et selon le code civil, le chef de famille est le seul maître chez lui.»

La fondation de la société et celle de la religion sont indissociables, nous dit Freud 6 .

Y aurait-il un lien entre le déclin du religieux et le nombre croissant des personnes détenues dans les prisons françaises?

Voici l'énigme que je voudrais mettre au travail, après avoir assumée pendant 22 mois, la direction d'un CHRS recevant des hommes sortant de prison, après de longues peines d'incarcérations.

Vassilis Saroglou 7 affirme que les conceptions religieuses, et les thèses psychanalytiques différentes entr'elles, n'excluent pas des thèmes fondamentaux commun, comme le désir, la figure paternelle, la loi et la culpabilité;

"L'Église et la communauté sont une mère qui contient et soutient l'existence et qui donne corps à la nostalgie du sein maternel et à cette face du désir mystique qu'est le retour à un monde unitaire et indifférencié, le désir de fusion affective. La dimension de l'oralité à travers la communion eucharistique est ici structurante dans la mesure où la bouche fait monde. A partir de cette expérience maternelle, le père spirituel s'est avéré être celui qui incarne la fonction paternelle dans la vie ecclésiale".

L'identification inconsciente à ces représentations religieuses a orienté les choix de notre société. Il n'y a pas si longtemps encore, personnes nées après la dernière guerre, croyantes ou laïques, baignions dans un monde encore organisé autour de la religion, avec une vie ponctuée de rites, de prières et de fêtes religieuses. Nous savions ce qui était bien ou mal, l'écriture des dix commandements était connue, la notion de péché prégnante, et de nombreux idéaux étaient véhiculés par la religion. Aujourd'hui encore, on retrouve des traces de cette époque, à travers certains débats parlementaires comme le mariage des homosexuels, le travail le dimanche qui soulèvent des références religieuses comme la notion du sacrement, et le sens du repos dominical.

Entre ces deux entités, l'Église et la prison, il y a un signifiant qui fait creux; c'est le concept de la fonction paternelle.

Qu'en est-il de la fonction paternelle dans notre société actuelle?

"La Révolution de 1789 a réalisé la décapitation d'un Père de la Nation, issu du droit divin, pour offrir une place vide au suffrage universel". 8

La Révolution fut une révolte non seulement contre l'autorité du roi et de l'Église, mais contre toute autorité, le maître mot étant égalité. Des tribunaux de famille chargés des rapports père/enfant virent le jour, et trois années plus tard, la puissance paternelle fut abolie. Cette transformation précédera l'abolition du droit de correction paternel en1935 et plus récemment en 1970, l'autorité parentale remplace l'autorité paternelle. Depuis 1972, l'égalité des filiations légitimes et naturelles est de mise, et de nos jours, les recherches avec l'ADN, et les moyens artificiels de procréation, contribuent à faire éclater la définition traditionnelle de la paternité. Il n'en était pas de même pour le père romain, pourtant culturellement notre ancêtre.

a) l'héritage grec et romain:

Le pater familias était un monarque absolu, qui avait tous les droits sur les siens y compris celui de vie ou de mort. En retour il lui devait d'être exemplaire, et de transmettre à ses enfants l'idéal du parfait citoyen.

Être le seul à donner cet héritage mettait le père dans une position de prestige, et représentait pour lui le gage de son excellence, puisque ces héritiers qui ne céderaient ni à la

paresse, ni aux vices, ni aux attraits d'un luxe excessif, faisaient preuve de ses grandes vertus. C'était en prenant l'enfant dans ses bras et en invoquant Jupiter que, par la parole du père et par sa décision souveraine, un enfant était désigné pour sien.

Il y a beaucoup à dire sur certaines pratiques de l'époque comme celle de l'exposition (les enfants non reconnus étaient exposés sur le seuil de la demeure pour y être recueillis par qui en voudrait), les châtiments corporels étaient monnaie courante, et les enfants étaient les jouets sexuels des maîtres et autres adultes.

" Il y avait donc un écart entre ce que prétendaient les discours officiels des autorités et des écrivains de la Rome antique et la réalité que subissaient les enfants.

C'était à l'image qu'imposaient ces discours, que la plupart des citoyens ajoutaient foi, tout comme c'était à l'image du pape que croyaient les fidèles et l'image du roi que ses sujets faisaient leur.

Tout comme eux, le père était, lui aussi, une image emblématique et sacrée que ne venaient pas ternir les défauts et les manques du père réel, car la représentation symbolique consciente ou inconsciente que l'on a d'un être est toujours plus importante que la réalité." 9

b) le processus d'égalité et le mouvement des femmes:

L' idéologie patriarcale qui a tenu pendant des siècles, avait une organisation sociale conçue sur un modèle vertical dont Dieu le père était la clef de voûte, tandis que ses représentants, roi ou pape, servaient d'intermédiaires entre lui et le père.

Depuis deux siècles, ces modèles sont remis en cause, la hiérarchie religieuse a dû s'adapter aux nouvelles exigences éthiques de ses fidèles, nous avons réussi à remplacer la royauté par une démocratie républicaine, mais le concept de citoyenneté néglige la fonction paternelle, car le citoyen est un être dissocié de toute appartenance.

La place du père, son rôle, sa fonction dans la société après avoir perdu un pouvoir absolu, n'a pas été remplacée par un autre système; Sa délégitimation pose problème à l'heure actuelle.

Les causes de ce déclin dont celles que je viens de citer sont multiples, mais pour G Rubin"c'est l'école et le christianisme qui semblent avoir été les plus agissants: l'école, en déplaçant le savoir du père vers le maître, le disqualifiait en partie; le père n'étant plus le seul modèle d'identification de l'enfant, tandis que l'Église, en affirmant que l'enfant était une

personne à part entière, interdisait au père de disposer de lui à sa guise".

Pour E Sullerot, ce sont les ferments de l'esprit d'égalité entre les deux sexes qui sont venus destituer le père de sa place initiale. Autour des années 1970, les principes fondamentaux qui régissent la société changent.

"Pour devenir une personne, l'individu doit être délivré du poids des aliénations, des hiérarchies, des institutions; tous les cloisonnements, tous les signes de hiérarchie furent ressentis comme insupportables, depuis les titres, les privilèges, jusqu'au simple vouvoiement" 10 ."Il est interdit d'interdire".... " Mort aux pères" trouva -t-on écrit sur un mur en 1968.

C'est dans ce contexte que le mouvement féministe revendique "mon corps est à moi" à travers le droit à la contraception, le droit à l'avortement, et l'enfant naturel sera protégé. Cette recherche d'équité entre le père et la mère, et de ce fait l'effacement de la différenciation des rôles va amener un bouleversement dans les rapports familiaux: une crise du mariage

( en France, il y a eu 417000 en 1972, 265000 en 1987), de nombreux divorces, des familles éclatées, des pères éjectés. L'évolution des technologies finira par faire glisser les femmes en dehors de la maîtrise masculine de la procréation, et se traduira par des juridictions en faveur de la mère qui peut à l'heure actuelle faire un enfant sans père.

le père est à la fois, origine et norme.

M N Clément

Qu'est-ce que la psychanalyse nous enseigne à propos de la fonction paternelle?

Pour les psychanalystes, et leurs pères fondateurs, Freud et Lacan, le père et la mère ont des rôles, des fonctions distinctes et complémentaires dans l'éducation de leurs enfants.

R Barbier écrit que la première naissance de l'être humain est intrinsèque à la pulsion sexuelle. Nous sommes nés d'un désir de rapprochement de deux corps, de deux êtres qui se désiraient. Ce désir nous insère dans l'ordre de la nature. Il nous permet de nous rendre compte que nous sommes des éléments du Vivant.

Mais le petit de l'homme naît dans une détresse infantile totale, et va être dans un premier temps complètement dépendant des soins que son entourage va lui prodiguer.

La mère, dans sa fonction de "holding"corporel va porter son petit, le soutenir, le maintenir, le contenir pour lui éviter le ressenti terrifiant de la chute sans fin. Dans les mois qui suivront sa naissance, la satisfaction des besoins de nourriture, l'apaisement de ses tensions, et la satisfaction du besoin de présence apporteront au bébé la sécurité dont il a

besoin à travers les bras de sa mère, l'odeur de son corps, son regard, puis sa voix.

Ce temps de relation fusionnelle avec la mère est un temps vital puisqu'il consiste comme le dit JC Stoloff 11 "à induire un attachement qui sera la matrice de toute relation future".

Cet état de symbiose que Winnicott appelle la rêverie maternelle, lui permettant de ressentir les besoins du bébé, est réalisable si le père la soutient dans les turbulences émotionnelles que génère une telle relation. "En étant, l'Autre de la mère, il introduit de l'altérité; Ainsi, il permettra, obligera l'enfant et sa mère à se séparer, à décoller du lien confusionnel" 12 ." Par son existence, il interdit le rêve de la possession exclusive de la mère par l'enfant. L'enfant doit progressivement se séparer de la mère, s'il veut acquérir la possibilité d'être un moi autonome; il doit passer d'une relation duelle de nature biologique à une triangulation de nature sociale" 13 .

Car, "au delà du biologique, la fonction de la famille consiste pour le petit d'homme à opérer la médiation entre le groupe où il est né et la société. Cette médiation comme Freud la présente consiste à réfreiner les pulsions, les différer, leur donner des circuits recevables pour s'exprimer" 14 .

Lacan a sans doute raison d'insister sur le fait, que la fonction spécifique du père n'est pas tant de réprimer que de permettre au désir de se réaliser en étant compatible avec la loi.

"La fonction paternelle a comme qualité d'apprendre à l'enfant à patienter, pour satisfaire ses besoins et désirs, à découvrir le monde extérieur, à apprendre les limites, les règles qu'imposent la vie en société 15 ".

Devant les propos tenus par mes petits enfants, Jade, haute de quatre ans qui tous les matins, au moment d'aller à l'école, veut retourner dans le ventre de sa mère, ou Alexis de deux ans et demi qui affirme à sa mère que c'est lui le chef, je ne peux que me redire, que le travail de castration, dont la fonction paternelle est l'agent, est indispensable pour ne pas fabriquer des petits êtres toujours en quête de jouissance, incapables de supporter la frustration.

"Le père est le passeur par lequel s'accomplit la transformation de la pulsion en cette matière subtile qu'est le langage et qui est au fondement du lien social. Pour Freud, il n'y a qu'une pulsion de base, la pulsion de mort, le corps veut jouir, la pulsion de vie est introduite comme dérive de cette pulsion par la culture; Lacan nommera jouissance, cette part soustraite par la culture à la pulsion mais qui continue à causer le désir" 16 .

Mais la fonction paternelle ne se limite pas à la mise à distance." L'introduction du tiers paternel, et son effet de triangulation ont comme conséquence l'oblitération de la jouissance par le nouage de celle-ci avec la Loi fondamentale, c'est à dire l'interdit de l'inceste et du meurtre; Ainsi le sujet devient-il pleinement sujet du désir, et non plus de la jouissance, et sujet de parole." 17

A la lecture de ses différents auteurs, on comprend l'importance que cette place tierce, cette position d'exception autorise comme repères fondateurs dans la structuration psychique de l'enfant, en nommant, en séparant, et en énonçant.

Voilà comment jusque là se sont établis les processus de filiations :

" La mère précise Lacan fonde le père comme médiateur de quelque-chose qui est au delà de sa loi à elle et de son caprice, et qui est purement et simplement la loi comme telle, le père en tant que Nom-du-Père." 18

Mais ces mêmes auteurs expriment leurs inquiétudes face à ce qu'ils appellent le déclin de la fonction paternelle.

Qu'en est-il exactement ?

l e déclin paternel:

"les hommes aspirent au bonheur, ils veulent devenir heureux et le rester. Cette aspiration a deux faces, d'une part que soient absent la douleur et le déplaisir, d'autre part que soient vécus de forts sentiments de plaisir" 19 .A partir des propos de Freud, on pourrait penser que la Science , et ses progrès concourent à ce défi humain. Hors nous assistons depuis quelques années à un dérèglement majeur, sur le plan géopolitique, climatique, éthique,

financier, sociétal, qui quand on entend et regarde les informations du Monde, nous pouvons nous poser la question de savoir si nous sommes en sursis, si nous avons déjà programmé notre propre destruction. Ce ne sont pas les spoutniks soviétiques qui ont déréglé le temps, comme voulait me le faire croire ma grand-mère, et pourtant ces conquêtes spatiales sont venues bouleverser, quelque chose qui était de l'ordre symbolique. Quand Armstrong a posé son pied sur la lune, ce qui était impossible jusque là, était devenu possible. De quoi chambouler "le bon sens humain"!

"L'aphorisme du tout est possible, devient le trait qui caractérise nos sociétés modernes, dans la mesure, où nous sommes en train d'accomplir des choses que tous les âges ont considérés comme la prérogative de l'action divine." 20

Cette idéologie du tout- est- possible, nous conduit à des évènements graves comme celui du sang contaminé, de la vache folle, de la fonte des glaciers, de la crise économique actuelle, alors qu'à travers l'évènement de la Shoah, les scientifiques ont pu prendre conscience que croire à la disparition de l'impossible peut conduire comme le dit Hannah Arendt à un système totalitaire, ou" le sujet s'est démis de sa position de sujet parce qu'il s'est démis de sa faculté de juger."

Avec la désinscription de l'impossible," l'idéologie de la techno-science veut épargner au sujet le travail psychique à accomplir pour assumer l'insatisfaction fondamentale qui caractérise notre condition. Le symbolique virtuel du discours de la science autorise le sujet d'aujourd'hui à profiter de ce qui lui est implicitement promis, pour revendiquer son dû d'abord, et ensuite, faute de l'obtenir, s 'affiche comme la victime d'une créance impayée." 21 Ce qui fait le bonheur actuel des assureurs et des avocats.

La fonction paternelle est dépendante de la façon dont la société entérine son intervention. "Nous sommes passés d'un monde borné à un monde qui peut apparaître comme sans limite. D'un monde orienté par la référence au Père, à un grand Autre qui avait la charge de rappeler la limite, nous avons migré vers un monde où c'est l'inexistence d'un grand Autre qui est la règle." 22

Quand il n'y a plus d'interdit, il ne reste à l'enfant que sa violence pour s'imposer.

Platon écrivait dans la République: "Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent pas compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au dessus d'eux l'autorité de rien et de personne, alors c'est là, en toute beauté et toute jeunesse, le début de la tyrannie."

Comment la fonction paternelle traverse la fonction éducative?

éduquer c'est le sacrifice de la pulsion. Freud.

Les institutions sociales ont à traiter des problèmes de liaison, de participation, de décision, de gestion, de contrôle d'activité. S'y entremêlent fantasmes, pulsions, désirs individuels et collectifs. Une marmite qui ne demande qu' à exploser si ces organisations n'arrivent pas à se référer à un ordre transcendant qui permette le fonctionnement du groupe et le respect de la place de chacun.

Dans ces métiers de l'impossible, -gouverner, éduquer, soigner, on peut être sûr d'un succès insuffisant nous enseigne Freud. "En effet, impossible de mettre d'accord tous les partenaires de la vie sociale, impossible de faire devenir un enfant tel qu'on l'a rêvé, impossible de venir à bout de la mort; 24

"Mais reconnaître l'impossible, c'est mettre à mal notre envie de complétude! Dans Totem et Tabou, Freud considère qu'il est impossible de comprendre quoi que ce soit à l'organisation sociale si n'est pas reconnu le rôle décisif joué par les deux pulsions antagonistes de vie et de mort qui régissent notre existence.

"La pulsion de vie, qui représente les exigences de la libido permet la liaison entre les êtres." L'amour, l'amitié, la solidarité, la tendresse, la camaraderie indispensables au fondement et à la perpétuation des institutions en sont une illustration.

"Freud conçoit la pulsion de mort comme tendance à la réduction des tensions à l'état zéro, et secondairement, comme pulsion de destruction tournée vers l'extérieur, ou faisant

retour sur soi." 25

Dans nos institutions les relations de groupe ont quelque chose à voir avec des sentiments ambivalents d'amour et de haine; Quand j'ai repris la direction d'un CHRS accueillant des adultes sortant de prisons, l'équipe de travailleurs sociaux venaient d'être abandonnée brutalement par leur directrice, suite au refus de la DDASS de ne pas concrétiser un projet architectural qui avait demandé trois années de travail sur le projet pédagogique. Cette équipe avait comme idéal professionnel, de ne pas exclure, malgré les passages à l'actes quotidiens. Elle était sur le versant maternel, dans la mesure ou elle se donnait le temps de comprendre; il y avait très peu de règles imposées auprès des résidents, et les éducatrices qui se faisaient insulter quotidiennement, reprochaient aux éducateurs de ne pas" savoir prendre position." Je suis là pour convaincre, pas pour contraindre m'avait dit l'un d'eux.

Au bout d'une année de ce fonctionnement, les trois quart de l'équipe s'est renouvelée. Le premier mouvement de "la nouvelle"a été comme dans le mythe de la horde primitive de tuer l'image de ce père, qu'incarnait le fonctionnement de la directrice et son équipe, pour réintroduire entre eux un pacte fondateur en réintégrant des horaires, des contraintes, des obligations. Les passages à l'acte étaient aussi nombreux, mais cette fois ci repris systématiquement, comme message d'un mal à être. " le symptôme, se voit défini comme une parole bâillonnée qu'il s'agit de délivrer." 26 Le symptôme est une souffrance qui se dit à travers des comportements, c'est de l'inconscient qui parle.

Le père est le lieu -tenant de la loi. D Vasse

La première institution à faire lien entre le sujet et l'extérieur, c'est la famille, nous enseigne Lacan; Il arrive que des ratages adviennent dans le milieu familial, qui seront pris "en charge" par notre organisation sociale. Pour August Aïchorn 27 , la fonction de l'éducateur représente l'objet le plus important à partir duquel l'enfant, l'adolescent asocial peut rattraper à posteriori les identifications du père qui n'ont pas eu lieu ou qui ont été ratées.

"Un enfant sans appartenance, c'est un enfant à prendre; un enfant sans père cherche des repères; plus-tard, il deviendra un bonhomme masse, un morceau de foule, individu anonyme, avide de se faire gouverner par un père charismatique, un chef de secte, ou une image identificatoire naïve et brutale, qui en le possédant fera son ravissement au prix de sa personne." 28

Certains iront jusqu'à commettre l'irréparable, c'est à dire le meurtre.

Mr F. a assisté gamin impuissant aux viols de ses soeurs, par son père. A quatorze ans, il est dans la rue à transgresser la loi pour tester l'autorité des adultes,et tester si cette loi tient bon. A vingt-cinq ans, il se retrouve dans un bar avec des copains à consommer, sous l'influence de la cocaïne. Une bagarre à arme blanche entre deux consommateurs s'ensuit. L'auteur lui file le couteau en lui disant "achève le!" C'est mon père que j'ai tué dira-t-il aux jurés. Mr F. connaîtra avec les remises de peines quatorze années d'incarcération. Lors d'un bilan éducatif, je lui demande comment l'aider pour ne pas récidiver? Je ne sais pas, toutes les nuits, je fais des cauchemars, je revois la scène du meurtre, j'ai toujours mes démons en moi, il ne faudrait pas qu'un homme touche un seul cheveu de ma fille! En outrepassant l'interdit de l'inceste, le père a fait de son fils un assassin.

"L'éducateur se retrouve donc dans une position de père de substitution. Il n'est pas là pour remplacer le père géniteur, mais pour endosser la fonction du père imaginaire, c'est à dire celui qui supporte la fonction de l'idéal, auquel s'identifie l'enfant, pour construire son Moi." 29 A partir du tranchant de la loi, il peut aussi être amener à assumer la fonction symbolique du père- ce que tu fais là est impossible tu es dans l'obligation de .....Ce rappel a la loi peut être salutaire, si d'une part l'éducateur ne se prend pas pour la Loi, mais qu'il assume d' en être le représentant, et d'autre part si le rappel à "la loi dit la vérité du désir, c'est à dire qu'elle est juste,énoncée clairement afin que l'individu puisse la comprendre et se l'approprier. La loi devient alors acceptable et fait autorité." 30

L e transfert , c'est de l'amour. Freud

Dans les médiations de la vie quotidienne, le sujet donne à voir ses difficultés à vivre avec les autres. C'est dans ces relations souvent banales que vont naître entre l'éducateur et l'enfant des relations transférentielles, sur le versant de l'amour ou de la haine. "J'aime l'autre pas tellement pour lui, mais pour ce qu'il représente à mes yeux qui pourrait combler mon propre manque. Cette supposition de savoir, Lacan, l'a appelé- Sujet- Supposé- Savoir. Le transfert est construit sur l'illusion qu'à deux on pourrait faire du -un, du-tout." 31 et combler par la même occasion , cette perte auquel tout sujet est soumis et que Lacan a nommé- objet @. Il y a "accrochage affectif", appelé transfert, parce que la question de l'objet @ vient toucher, interpeller, les deux protagonistes de la relation.

Mr S. et Mr A. se retrouvent face à face, un samedi dans une salle de vie. Mr S. logé

récemment à l'extérieur était venu laver son linge. La rencontre commence sur le ton de l'humour, Mr A. demandant à son collègue s'il voyait toujours sa copine....Il se fait entendre ça ne te regarde pas , c'est ma vie personnelle! les excuses ne suffisent pas.....puisqu'il sera énoncé.... dégage sale bounioul, t'as rien à faire ici, fou le camp dans ton pays! S'ensuivra une bagarre, une intervention de l'éducateur présent qui n'arrivera pas à calmer le jeu et enfin celle de la police; Après une séance d' analyse de la pratique, il s'avèrera que tous les deux avaient une souffrance à propos de leur sexualité et de leur paternité. L'un avait commis un meurtre sur son fils (bébé secoué) et avait connu quinze années d'incarcérations, avec beaucoup d'humiliations reçues par des co-détenus souvent issus du monde du Maghreb; L 'autre, ne connaît pas son histoire, ne sait pas d'où il vient, est incapable d'avoir une relation suivie avec une femme,se sent inutile par le fait de ne pas pouvoir créer de famille. Le linge sale qu'ils avaient à laver tous les deux, traitait de leur descendance et donc de leurs origines. Il a été aussi question dans ce travail d'analyse de la pratique du transfert avec l'éducateur qui n'a pas réussi à les calmer et qui s'est fait prendre la place par la police.

Ce travail relationnel dans la fonction éducative est souvent enchevêtré. A partir de ces interférences, comment ne pas créer de la confusion? comment dissocier ce qui est de l'impossible de chacun? comment faire le travail de coupure, de distanciation, pour remplir sa mission?

"La remise en circulation de l'énergie que toute rencontre professionnelle vient bouleverser, voire bloquer sur le plan physique et psychique, sous forme d'émotions, d'angoisses, de questionnement produit par et dans le transfert, c'est ce que l'on doit attendre d'un superviseur". 32 Ce travail de mise à plat,dans l'après coup permet aux équipes de ne pas tomber dans l'usure professionnelle,et garantie la perspicacité de ses acteurs.

Conclusion:

Le discours de la science qui met l'homme au coeur de sa destinée, est venu supplanter celui de la religion, où le Dieu monothéiste était au centre de l'univers, cause centrale des phénomènes."La vision du monde explose en une pluie de causes qui se déplacent. Il n'existe plus de discours constitué permettant de rendre compte de l'univers. Cette nouvelle épistémologie invalide pratiquement les modalités de transmission culturelle jusque là assumée par les représentants d'une autorité traditionnelle, le père, le juge, le gendarme, l'instituteur, le curé, le maire. 33 La fonction paternelle est à l'heure actuelle en déclin, entraînant comme l'annonçait Lacan 34 une grande névrose contemporaine.

Pour F.Caviglioli 35 , le recul généralisé du père est d'autant plus préoccupant que l'humiliation du père se traduit souvent politiquement par des catastrophes dont il donne une illustration: Lorsque le préfet de corse a supprimé le Corso en 1959, cette chaussée où les pères ajacciens venaient, se montrer en majesté le soir, trouver leur légitimité sociale, les fils ont été rejetés vers le culte hystérique et incestueux de la mère -patrie. En Août 1960, comme par hasard naît le premier mouvement autonomiste qui conduira au nationalisme mortifère que nous connaissons. Cette parade des pères était capitale, parce que l'autorité du père est toujours fragile à construire par des rituels. Il en va de même pour la naissance des groupes islamistes comme le GIA.

Les 67224 personnes qui sont actuellement incarcérées dans nos prisons françaises, paient le prix de cette identité paternelle blessée.

"Rallumer chez chacun, pour chacun, la petite lampe qui indique l'énigme qui fait l'humain, voila la tache passée, présente et avenir de ceux qui travaillent le social." 36

Jean-Luc COURTIAL

DON et DETTE

Une ballade au coeur de l'économie des affects

VII Promotion de la formation à la supervision d'équipes de travailleurs sociaux

2008 – 2009

INSTITUT EUROPEEN PSYCHANALYSE ET TRAVAIL SOCIAL

MONTPELLIER

Peinture sur Soie de Charlotte COURTIAL Création de JL Courtial

Le yin qui pleure sur son yang

Remerciements

A Vous...

Et

Comme le malheureux indigent

Comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la

Merci de n'importe quelle association bienfaisante

Et charitable et bienfaisante de charité

Et de redoutabilité

J. Prévert Promenade de Picasso

INTRODUCTION

Titre du chapitre: C'est ici que ça commence

Dans le cadre de la formation à la supervision d'équipes de travailleurs sociaux, j'ai été amené à présenter un écrit, une monographie, à partir d'un thème librement choisi. Seule la forme doit observer une rigueur que je qualifierai d'universitaire.

J'ai fait, assez spontanément, le choix de centrer la recherche du thème sur mon activité professionnelle, le lien me paraissant assez naturel avec l'origine de l'exigeance d'écriture.

J'ai donc pris le temps – beaucoup de temps – de parcourir la pratique qui est la mienne en Analyse des Pratiques Professionnelles, ainsi que ce qui, dans le courant de cette formation s'est déjà inscrit consciemment dans ma façon d'oeuvrer.

J'y ai rencontré les nombreuses questions que se posent les intervenants sociaux, chacun dans sa spécificité. La proximité relationnelle, l'empathie, les relations symboliques avec la hiérarchie, etc... Toutes ces pistes, importantes et fréquentes dans leur expression, ne me paraissaient pas pour autant refléter mes propres questionnements.

NAISSANCE DE L'ENIGME

Titre du chapitre: Quelle histoire!

C'est la double question du don et de la dette qui s'est présentée – imposée – lorsque j'ai interrogé, en moi, ce qui pouvait me lier, me rapprocher de l'idée de supervision.

Un ensemble de questions vient effeuiller les premiers moments de la réflexion:

- Quel lien se cache entre don et dette?

- Si je suis inscris dans une démarche de don, qu'est-ce qui me fait m'y inscrire?

- Et quelle dette pour l'intervenant social que je suis, et pour moi-même?

- Quel don peut me libérer de ma dette?

Pour ce qui me concerne, ici et maintenant, je perçois assez bien comment de telles questions peuvent s'insinuer à l'endroit où se noue ce qui me fait et ce que je porte hors de moi. A ce moment là, je fais le lien entre cette posture professionnelle et l'image que je porte de mon père. En effet, ce dernier avait une grande capacité de synthèse, entre autres qualités bien sur. Et lorsqu'il participait à un débat, une réunion, fusse au sein de notre famille, il savait être celui qui, avec la synthèse finale, avait raison. D'une certaine façon, il digérait les paroles individuelles et collectives pour nourrir son propos. Dans le respect de sa pensée et de son éthique personnelle, cela va sans dire.

Et je constate, avec douleur, que mon action en Analyse des Pratiques Professionnelles, puis en supervision, se nourrit des mêmes mécanismes. Je travaille à être celui qui sait! De cette façon je ressens cette attitude comme étant une perversion de la logique de ces activités. Au lieu d'être celui qui tente d'accompagner l'autre vers une libération de sa parole, je deviens celui qui capte celle-ci à son seul profit. La réflexion s'impose donc.

La notion de supervision se nourrit de l'idée de « regard méta », du regard tout à la fois décalé et au dessus.

« Décalé » évoque pour moi le pas de côté que l'on fait pour ne pas marcher dans les traces déjà faites. Celles qui sont tout à la fois porteuses d'histoire et d'émotions. Sans une posture différente, il devient difficile de ne pas reproduire, avec le même itinéraire, la même pensée, la même vision, les mêmes compréhensions et peut être les mêmes enfermements. Alors il n'est plus possible d'ouvrir son regard à des hypothèses nouvelles.

« Au dessus » partage avec décalé cette notion de « distanciation mais pas trop » de l'histoire en cours sous nos yeux, dans laquelle nous sommes également impliqués. Etre « au dessus » nous fait quitter le plan des mêmes réalités, des réalités communes – comme une – et nous inscrit dans le même temps dans une vision, une lecture, une perception voire une compréhension qui se dit au delà de l'immédiateté. C'est parce que le superviseur s'inscrit dans les caractéristiques de cette posture qu'il dispose d'une capacité à entendre et voir, à travers la parole du participant au groupe, différents plans d'expressions de l'histoire de celui-ci.

Tout ceci ayant comme finalité d'être au service de celui-celle- qui prend le risque de se confier au groupe – lorsqu'il y a groupe- et dans tous les cas à la personne en charge d'animer ce travail.

RACONTER LA SITUATION

Titre du chapitre: Fallait pas y aller!

Ca a commencé ainsi...

« Mais qu'est ce qui vous motive à vouloir continuer à travailler, après avoir dépassé l'âge de la retraite? »

Je suis dans le bureau du directeur d'un ITEP, et je suis engagé avec lui dans une discussion que je qualifierai de forte, à propos de ma candidature aux fonctions d'analyseur des pratiques professionnelles dans l'établissement qu'il dirige.

Cette question vient brutalement m'interpeller alors que je me sentais parfaitement maître de mon sujet jusqu'alors. Du plus profond de moi monte l'énergie de la passion. De la maitrise je me transporte à l'expression de la démonstration, de la conviction, de la foi même! Il s'agirait bien de se reposer sur d'illusoires lauriers, de « bader » en touriste sur notre planète alors que dans notre société tout reste à faire, qui demande engagement et expérience! Voilà, il y a des savoirs qui ne doivent pas rester à l'abandon. Même si je suis convaincu depuis longtemps que la transmission dépend autant de celui qui décide de s'emparer de ce qui est à prendre que de celui qui met à disposition – et de la manière d'offrir, de proposer – je déclare que ma conviction réside dans la nécessité de transmettre aux générations montantes ce que nous possédons de savoir et de savoir-faire de la vie et qui ne nous appartient pas en propre. C'est donc pour moi, en quelque sorte, un devoir moral, une éthique personnelle. Je me dis à ce moment là en militant de la cause humaine, sur un registre que j'ai fréquemment ainsi verbalisé. C'est le thème, familial, du militantisme qui explose alors à nouveau devant moi. Il y a là du don qui se dit!

L'histoire de ma famille d'origine est intimement associée à cette forme d'engagement, militer pour rendre le monde meilleur et toutes sortes de déclinaisons politique, syndicale voire sociale qui en découlent.

Il m'appartient aussi de restituer ce que j'ai reçu de cette famille. Sans doute ai-je eu la chance d'y naître – qui pourrait aussi s'écrire « d'y n'être », avec un autre sens – pour recevoir cette générosité et cette foi en l'avenir de l'Homme et de ses potentiels.

Il se trouve donc sur mon chemin d'enfant/adulte, une dette pour laquelle il me faudra trouver comment m'en libérer, si toutefois cela s'inscrit dans le domaine du possible.

FORMULATION DE L'ENIGME

Titre du chapitre: Je vous fais don de ma question!

Le bref énoncé de cet échange avec ce directeur d'institution pose quelques questions qui nourrissent la logique de mon propos. Des mots tels devoir, éthique, don et dette, dépassant largement leur simple statut de mot, prennent place en qualité de concepts. Il est temps de les découvrir, les approcher et peut-être les aimer.

Il est un chemin de vie qui se nourrit de ces idées là, le mien.

Je pose donc maintenant la question qui agit mon interrogation dans les termes suivants, sous une forme qui ouvre sur l'avenir, qui porte en elle un mouvement:

- Et si la dette n'en était pas une, que ferai-je de mes dons?

Alors convient-il sans doute de partir explorer les chemins du don, de la dette et de leurs partenaires dans la vie sociale, éducative et personnelle.

Je ne suis pas anthropologue, ni même sociologue de métier ni de formation. Je vais donc tenter une approche nécessairement très modeste de ces notions de don, de dette. Quatre auteurs ont retenu mon attention plus particulièrement, parmi une pléiade de chercheurs-écrivains qui passent également pour être des professionnels de qualité. Pourquoi ai-je retenu ces quatre auteurs et non les autres?

Tout d'abord, il y a Marcel MAUSS, philosophe, sociologue, dont l'oeuvre a marqué pour longtemps toutes les sciences relatives à l'étude des sociétés humaines. Fort savant des travaux qui ont précédé ses propres études, il a ouvert la voie à la recherche, notamment sur le thème du don. Nombreux seront les chercheurs qui s'élanceront, à partir de sa pensée, à la découverte de tout ce que Marcel MAUSS avait déclaré avoir laissé en chemin.

Puis Claude Lévy-Strauss. Sociologue éclairé dans notre époque, il a produit une longue introduction à cette même oeuvre de Marcel Mauss. Il y fait état de ses convergences comme de ses divergences, détaille longuement les raisons qui sont les siennes en la circonstance.

Maurice GODELIER ensuite. Philosophe, anthroplogue de formation, de vocation aussi, il veut s'inscrire dans la trace de Marcel Mauss, mais estime devoir compléter, faire grandir en quelque sorte, l'oeuvre du Maitre. Il débat longuement des apports de Claude Lévy-Strauss, contestant certaines assertions de celui-ci avec explications à la clé, re-situant les insuffisances, ou montrées comme telles, de Marcel Mauss, dans leur temps. Maurice Godelier à ceci d'interessant à mes yeux que, à l'inverse de Marcel Mauss, il a vécu de nombreuses années auprès d'une tribu, les Baruya, en Mélanésie. Et sa formation initiale, et sa pratique de philosophe me donnent l'assurance d'un regard enrichi d'une lecture supplémentaire du thème qui m'occupe. Sa lecture croisée de la pensée de Marcel Mauss et de celle de Claude Lévy-Strauss ne pouvait que m'apporter du savoir.

Enfin, et parce que le don se dit tout au long de ma vie en pratiques sociales, en actes posés dans un cadre professionnel tout autant que personnel, j'ai invité Paul FUSTIER, formateur, enseignant et psychologue, à joindre sa pensée, ses observations et ses analyses, ses pertinences à ce concert.

Ici, il convient d'éclairer le lecteur sur un point essentiel de ce travail. Je me dois de faire acte d'humilité et de modestie à l'abord de la tâche que j'entreprends. Je mettrai, dans les pages qui vont suivre, tout mes moyens pour ne pas réduire l'oeuvre et la pensée des auteurs par quelques citations dont l'exiguité ne reflèterait que ma propre insuffisance dans la connaissance de leur sujet.

Le don, qui est-il?

Le dictionnaire en ligne www.linternaute.com/dictionnaire donne ( ! ) trois direction à sa définition:

- Action de donner, cadeau;

- Bienfait, avantage naturel;

- Talent, qualité innée.

Donner serait-il le maître mot! De tous temps, donner a été un élément du quotidien. Marcel Mauss, dans son ouvrage « Essai sur le don », PUF, a étudié, et nous montre donc, comment dans les sociétés primitives de tous les horizons, indoeuropéennes anciennes, de la mélanésie à l'Alaska, le don apparaît comme un moteur, un régulateur. Pour ce faire, il a beaucoup développé la reflexion sur le potlatch. Qu'est ce donc?

Le Potlatch est une sorte de système, « une institution » dit l'auteur, qui a trouvé naissance et développement dans des sociétés indiennes nord américaines, en Alaska et en Colombie Britannique. Elle a été observée à la fin du XIX siècle par un anthropologue américain, F. Boas. Marcel Mauss, par ses travaux nous amène à lire ce phénomène de façon plus large, étendu dans des formes parfois plus modérées, à nombre de populations d'autres continents.

« Le Potlatch est une immense fête qui rassemble toute une tribu , voire plusieurs, pour des échanges de cadeau qui vont jusqu'à la destruction somptuaire des richesses ( certains indigènes parlent de tuer la richesse ), et dont le principe est la rivalité et la lutte entre les chefs. Le but poursuivi au cours de cette lutte de générosité est d'établir la hiérarchie entre différents groupes et leurs représentants: le plus fort est celui qui aura offert, y compris en les détruisant, le plus de richesses. » Essai sur le don M.Mauss page 18

Plus avant, le même auteur explique que si ces premières observations sont faites sur certaines populations, déjà citées, « des recherches plus approfondies font apparaître un nombre assez considérable de formes intermédiaires entre ces échanges à rivalités exaspérées, à destruction de richesses comme ceux du nord-américain et de Mélanésie, et d'autres, à émulation plus modérée où les contractant rivalisent de cadeaux: ainsi nous rivalisons dans nos étrennes, nos festins, nos noces, dans nos simples invitations et nous nous sentons encore obligés à nous " revanchieren", comme disent les allemands.... » pages 74 e 75.

Enfin, il convient de savoir d'une part que le potlatch fonctionne au coeur de systèmes de sociétés instables puisque le vainqueur du potlatch devient le chef du groupe humain, et d'autre part qu'il s'agit de prestations totales, les dons engageant biens, individus, propriétés et transmissions patrimoniales.

Le potlatch s'inscrit dans une dimension antagoniste. De nombreuses autres formes de dons ne se construisent pas sur cette opposition, parfois belliqueuse. Même s'il est possible de voir fonctionner la notion de « don et re-donner » entre tribus qui par ailleurs peuvent se faire la guerre. Selon Marcel Mauss , « cette dernière forme est la plus ancienne qui aurait évoluée vers des formes de plus en plus compétitives et individualistes qui culminent dans le potlatch ». Maurice Godelier L'énigme du don p 56. Il est utile de rajouter qu'il faut distinguer dans les systèmes de dons, des systèmes à prestations partielles et d'autres à prestations totales. Le potlatch étant sans doute la forme la plus exacerbée des formes antagonistes de prestations totales. Selon Marcel Mauss les systèmes à prestations totales portent en eux trois catégories:

- « Ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s'obligent mutuellement, échangent et contractent: les personnes présentes au contrat sont des personnes morales, clans, tribus, familles...

- Ce qu'ils échangent, ce n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des choses utiles économiquement, ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses...

- Ces prestations et contre-prestations s'engagent sous une forme plutôt volontaire par des présents, bien qu'elles soient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique ». Marcel Mauss Sociologie et anthropologie p151

Leur fonctionnement, ainsi expliqué, quel sens donner à cette expression « prestations totales »?

Selon Maurice Godelier L'énigme du don p 58, « elles sont à la fois des phénomènes juridiques, religieux, mythologiques, shamaniques, esthétiques...de morphologie sociale », c'est à dire faisant intervenir les groupes qui donnent forme à une société ( familles, clans, tribus, etc...). Mais, toujours selon lui, « on peut également considérer comme totaux, des phénomènes sociaux non parce qu'ils combinent entre eux de multiples aspects de la société, mais parce qu'ils permettent en quelque sorte à la société de se représenter et de se reproduire comme un tout. »

Don, contre-don.

Marcel Mauss avance une hypothèse à la raison qui incite à donner. Pour lui, « ce qui oblige à donner c'est que donner oblige »Marcel Mauss Sociologie et anthropologie p164. Ainsi donc, cette action – donner – va créer un premier lien de solidarité, le don étant alors synonyme de partage - mais celui qui l'accepte a-t-il le choix de refuser? - Celui qui reçoit se met en dette, acceptant ainsi que s'institue un lien de dépendance, ou plus encore de perte d'égalité de position pour toute la période au cours de laquelle il n'aura pas rendu, plus précisément re-donné, l'objet ou son équivalent au donateur. Si le donataire ne peut rendre le don qu'il se devait d'accepter, s'instaure – se confirme dans certains cas – une hiérarchie. Le don génère deux mouvements, « il rapproche les protagonistes parcequ'il est partage, et les éloigne socialement parcequ'il fait de l'un l'obligé de l'autre »Maurice Godelier L'énigme du don p21, aussi longtemps qu'il n'est pas re-donné un équivalent. Générosité et violence trouvent leur place dans cette situation, la violence s'y trouvant habillée, pour sa part, des « frocs » du désintéressement. Elle est alors extrême. Mais il est simple d'affirmer qu'un don doit faire l'objet d'un contre-don. Chacun de nous peut l'expérimenter. Ne pas offrir en retour, si cela peut nous occasionner de la gêne, n'est pas obligatoire, indispensable. Bien sûr, ce n'est pas la meilleure façon de maintenir en bon état nos relations avec autrui! Mais nous avons là toute lattitude pour choisir, de fait, les gens avec lesquels nous continuerons d'échanger nos dons. Les populations, mélanésiennes et autres, étudiées par Marcel Mauss, ne renient pas ce choix. Mais les conséquences pour celui de telle ou telle tribu qui ne s'inscrirait pas dans la dynamique de re-donner, seraient toutes autres. Sa place dans la société, ses fonctions, ses alliances entre autres seraient anéanties, et il se trouverait très vite dans un isolement qui pourrait se traduire pour lui même et pour sa famille, par un véritable risque de disparition physique totale.

Selon Marcel Mauss, cette dynamique est liée au fait que le don – objet, titre, femme, enfant... - est chargé d'une part de l'âme du donateur et que les donataires ne sauraient la retenir. C'est par le contre-don que se fera la restitution de cette parcelle d'âme. Même s'il n'y a pas nécessairement d'équivalence en valeur objective entre don et contre-don, « les taongas ( cadeaux ) sont, au moins dans la théorie du droit et de la religion maoris, fortement attachés à la personne, au clan, au sol; ils sont le véhicule de son mana, de sa force magique, religieuse et spirituelle. Dans un proverbe, heureusement recueilli par Sir G. Grey et C.O. Davis, ils sont priés de détruire celui qui les a acceptés s'il devait manquer à les rendre. C'est donc qu'ils contiennent en eux cette force, au cas où le droit, surtout l'obligation de rendre, ne serait pas observé ». Marcel Mauss Essai sur le don p82.

Dans le texte suivant, même auteur page 83, Marcel Mauss utilise longuement le terme de « hau ». Ce mot désigne principalement l'âme et le pouvoir des choses inanimées et végétales. « Mana », de la même manière, s'applique aux humains et aux esprits. L'un et l'autre ont vocation à être utilisés dans le don et le contre-don, soit pour les objets ou fonctions symboliques, soit pour les échanges humains et avec les dieux et/ou leurs représentants.

Ainsi, Marcel Mauss écrit: « Tamati Ranaipiri, l'un des meilleurs informateurs maori de R.Elsdon Best, nous donne tout à fait par hasard, et sans aucune prévention la clé du problème. " Je vais vous parler du hau ... Le hau n'est pas le vent qui souffle. Pas du tout. Supposez que vous possédez un article déterminé ( taonga ) et que vous me donnez cet article; vous me le donnez sans prix fixé. Nous ne faisons pas de marché à ce propos. Or je donne cet article à une troisième personne qui, après qu'un certain temps s'est écoulé, décide de rendre quelque chose en paiement ( utu ), il me fait présent de quelque chose ( taonga ). Or ce taonga qu'il me donne est l'esprit ( hau ) du taonga que j'ai reçu de vous et que je lui ai donné à lui. Les taonga que j'ai reçus pour ces taonga ( venus de vous) il faut que je vous les rende. Il ne serait pas juste ( tika ) de ma part de garder ces taonga, qu'ils soient désirables ( rawe ), ou désagréables ( kino ). Je dois vous les donner, car ils sont un hau du taonga que vous m'avez donné. Si je conservais ce deuxième taonga pour moi, il pourrait m'en venir du mal, sérieusement, même la mort. Tel est le hau , le hau de la propriété personnelle, le hau des taonga , le hau de la forêt. Kati ena. ( Assez sur ce sujet) " ». Marcel Mauss Essai sur le don

Nous retrouverons ultérieurement cette notion de "tierce personne" dont Marcel Mauss dit que sa présence « offre une obscurité ». Avec Maurice Godelier, nous aurons à y revenir.

Marcel Mauss tire en conclusion des propos de Tamati Ranaipiri l'existence d'une dimension spirituelle dans le don – qu'il soit matériel ou immatériel -. Il le dit ainsi:

« Les taonga et toutes propriétés rigoureusement dites personnelles ont un hau, un pouvoir spirituel. Vous m'en donnez un, je le donne à un tiers; celui-ci m'en rend un autre, parce qu'il est poussé par le hau de mon cadeau; et moi je suis obligé de vous donner cette chose, parce qu'il faut que je vous rende ce qui est en réalité le produit du hau de votre taonga ».

Et ensuite:

« ... il est net qu'en droit maori, le lien de droit, lien par les choses, est un lien d'âmes, car la chose elle-même a une âme, est de l'âme. D'où il suit que présenter quelque chose à quelqu'un, c'est présenter quelque chose de soi. Ensuite, on se rend mieux compte ainsi de la nature même de l'échange par dons, de tout ce que nous appelons prestations totales et, parmi celles ci, le potlatch. On comprend clairement et logiquement dans ce système d'idées, qu'il faille rendre à autrui ce qui est en réalité parcelle de sa nature et substance; car accepter quelque chose de quelqu'un, c'est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme; la conservation de cette chose serait dangereuse et mortelle et cela non pas simplement parce qu'elle serait illicite, mais aussi parce que cette chose qui vient de la personne, non seulement moralement, mais physiquement et spirituellement, cette essence, cette nourriture, ces biens meubles ou immeubles, ces femmes ou ces descendants, ces rites ou ces communions, nous donnent prise magique et religieuse sur vous. Enfin, cette chose donnée n'est pas inerte. Animée, souvent individualisée, elle tend à rentrer dans ce que Hertz appelait « son foyer d'origine » ou à produire, pour le clan et le sol dont elle est issue, un équivalent qui la remplace ». Marcel Mauss Essai sur le don p85.86

Ce constat, cette lecture plus précisément, de l'existence d'une âme dans le don, - l'objet du don -, une essence spirituelle, va faire réagir nombre d'ethnologues, d'anthropologues et autres sociologues. Nous retrouverons très vite ce thème sous la plume de Claude Lévy-Strauss.

En synthèse ponctuelle, nous pouvons établir que Marcel Mauss voit dans les mécanismes de don et contre-don, – devenu maussing gift chez les auteurs anglo-saxons - tout à la fois un système qui crée de la solidarité, de la dépendance, de la hiérarchie et du social. C'est, selon lui, le système social qui se dote de ces éléments à vocation contraignante parce qu'obligatoires, afin d'assurer sa propre pérennité.

Reste que Marcel Mauss, qui dès l'entame de son « Essai sur le don », prévient qu'il y aura des éléments qu'il n'étudiera pas dans ce cadre, reste sur la notion de spiritualité reconnue au don et pose l'interrogation, sans y répondre,

de la présence d'un tiers dans le don.

Compatir: cum patere, souffrir avec...

Quittant Marcel Mauss, nous pouvons aborder, modestement, les écrits de Claude Lévy-Strauss, et surtout « L'introduction » qu'il a signé de « l'essai sur le don » de Marcel Mauss.

C'est en 1949 que Claude Lévy-Strauss publie « les structures élémentaires de la parenté ». Il s'agit de sa première oeuvre majeure, « dans laquelle, mettant en pratique le postulat que la vie sociale est échange et que la société se comprend mieux si on la considère comme langage qu'à partir de tout autre paradigme, il avait développé deux thèses qui commençaient à bousculer quelques idées reçues. D'une part que la parenté est fondamentalement échange ( échange des femmes et des hommes ). D'autre part que des deux composantes de la parenté, l'alliance et la descendance, c'est l'alliance qui a plus de poids et fournit les clefs pour mettre de l'ordre dans la diversité des systèmes de parenté, des plus élémentaires aux plus complexes. C'est l'époque où Claude Lévy-Strauss a la vision grandiose d'une anthropologie sociale. » Maurice Godelier L'énigme du don p30

Mon île

En 1950 donc, il signe une préface au texte de Marcel Mauss, « l'essai sur le don ». Tout en mettant en exergue les qualités de ces recherches et analyses, il en fait une lecture particulière, qui sera retenue ensuite comme une démonstration de la supériorité de l'analyse structurale dans l'analyse des faits sociaux. Le structuralisme, issu notamment de la pensée de Claude Lévy-Strauss, a dès lors son « manifeste ».

Comme nous l'avons montré dans le courant du chapitre consacré à Marcel Mauss, lorsqu'il traite des questions qu'il pose lui même en ouverture de son ouvrage -

« Quelle est la règle de droit et d'intérêt qui dans les sociétés de type arriéré ou archaïque fait que le présent reçu est obligatoirement rendu?

Quelle force y-a-til dans la chose qu'on donne qui fait que le donataire la rende? » -,

Marcel Mauss semble déjà indiquer qu'il conçoit l'existence d'une dimension « religieuse » au coeur de ses interrogations.

Claude Lévy-Strauss, à compter de là et tout en louant la puissance des avancées liées au travail de Marcel Mauss, va lui reprocher un manque de rigueur méthodique, en abandonnant en cours de route la nécessaire similitude dans les méthodes d'analyse, pour chacune des questions et de leurs développements. Maurice Godelier, que nous rencontrerons plus tard dans ce travail, écrit:

« Et Claude Lévy-Strauss de nous proposer alors une explication d'ensemble des faits sociaux qui faisait du social une combinaison de formes d'échanges dont l'origine profonde était à chercher dans les structures inconscientes de l'esprit, dans sa capacité de symboliser. En lieu et place d'une recherche sociologique sur l'origine des symboles, le lecteur se trouvait confronté à la vision grandiose d'une origine symbolique de la société ». Maurice Godelier L'énigme du don p14

Dans son introduction devenue célèbre, Claude Lévy-Strauss écrit:

« Cette vertu – qui force les dons à circuler – existe-t-elle objectivement, comme une propriété physique des biens échangés? Evidemment non (....) Il faut que la vertu soit conçue subjectivement, mais alors on se trouve placé devant une alternative: ou cette vertu n'est pas autre chose que l'acte d'échange lui-même tel que se le représente la pensée indigène, et on se trouve enfermé dans un cercle; ou elle est d'une nature différente, et, par rapport à elle, l'acte d'échange devient alors un phénomène secondaire. Le seul moyen d'échapper au dilemme eut été de s'apercevoir que c'est l'échange qui constitue le phénomène primitif, et non les opérations discrètes en lesquelles la vie sociale les décompose. » Il poursuit, indiquant la voie qu'il estime être à fréquenter:

« La « hau » n'est pas la raison dernière de l'échange; c'est la forme consciente sous laquelle des hommes d'une société déterminée, où le problème avait une importance particulière, ont appréhendé une nécessité inconsciente dont la raison est ailleurs. Après avoir dégagé la conception indigène, il fallait la réduire par une critique objective qui permette d'atteindre la réalité sous-jacente. Or, celle-ci a beaucoup moins de chances de se trouver dans des élaborations conscientes que dans des structures mentales inconscientes qu'on peut atteindre à travers les institutions, et mieux encore à travers le langage. » Puis il poursuit « Dans "l'essai sur le don", Marcel Mauss s'acharne à reconstruire un tout avec ses parties, et comme c'est manifestement impossible, il lui faut ajouter au mélange une quantité supplémentaire qui lui donne l'illusion de retrouver son compte. Cette quantité, c'est « le hau ». Ne sommes nous pas ici devant un de ces cas qui ne sont pas si rares où l'ethnologue se laisse mystifier par l'indigène? »

Ensuite de quoi, Claude Lévy-Strauss va oeuvrer tout au long de sa démonstration pour « substituer dans l'explication de faits sociaux, le symbolique à l'imaginaire ». Cette substitution marque le point de divergence dominant entre les différents auteurs ici étudiés.

Nous éloignons-nous du don? Sans doute pas. En fait, la démarche de Claude Lévy-Strauss est de parvenir « à dégager la structure mentale » qui serait à l'oeuvre derrière les pratiques indigènes et notamment celle du don. Fidèle à sa démarche, il tente de comprendre « comment les gens pensent, et pourquoi ils pensent ce qu'ils pensent ». Il en vient à évoquer l'existence d'une pensée universelle et permanente... qui serait fonction d'une certaine situation de l'esprit en présence des choses, devant nous apparaître chaque fois que cette situation est donnée ». Marcel Mauss Sociologie et anthropologie p XLIII. Pour aboutir à un « plan sur lequel se confondraient les notions de catégorie inconsciente et de catégorie de la pensée collective. » Maurice Godelier L'énigme du don p33. Claude Lévy-Strauss crée alors le concept de « signifiants flottants »: « Ces types de notions – mana, hau... - interviennent pour représenter une valeur indéterminée de signification, en elle-même vide de sens et donc susceptible de recevoir n'importe quel sens, dont l'unique fonction est de combler un écart entre le signifiant et le signifié » Marcel Mauss Sociologie et anthropologie pXLIV. Et ensuite, « le mana est simple forme ou plus exactement symbole à l'état pur, donc susceptible de se charger de n'importe quel contenu symbolique. Ce serait simplement une valeur symbolique zéro. » Parlant de signifiant et de signifié, Claude Lévy-Strauss fait alors référence au langage:

« Quels qu'aient été le moment et les circonstances de son apparition dans l'échelle de la vie animale, le langage n'a pu naître que tout d'un coup. Les choses n'ont pu se mettre à signifier progressivement. A la suite d'une transformation dont l'étude ne relève pas des sciences sociales mais de la biologie et de la psychologie, un passage s'est effectué d'un stade où rien n'avait un sens à un autre où tout en possédait (....). Autrement dit, au moment où l'univers entier d'un seul coup est devenu significatif , il n'en a pas été pour autant mieux connu même s'il est vrai que l'apparition du langage devait précipiter le rythme de développement de la connaissance (....) tout s'est passé comme si l'humanité avait acquis d'un seul coup un immense domaine et son plan détaillé avec la notion de leur relation réciproque, mais avait passé des millénaires à apprendre quels symboles déterminés du plan représentaient les différents aspects du domaine. (....) Comme le langage, le social est une réalité autonome, la même d'ailleurs où les symboles sont plus réels que ce qu'ils symbolisent, le signifiant précède et détermine le signifié. »

Plus avant au cours de cette monographie, nous aurons l'opportunité de revenir sur ce thème, notamment pour évoquer la pensé de Jacques Lacan in Ecrits. Le Seuil. 1960 p810 – qui tente de faire paraître première l'idée de l'autonomie du symbolique. Pour lui « l'ordre symbolique est absolument irréductible à ce que l'on appelle couramment l'expérience humaine ». Ceci est un autre moment de ma réflexion, nous y reviendrons. Claude Lévy-Strauss présuppose que « de l'imaginaire et du symbolique, c'est le symbolique qui domine l'imaginaire » Maurice Godelier L'énigme du don p40. C'est donc au coeur des trois fonctions, le réel, l'imaginaire et le symbolique que se pose la question de la pertinence, et plus encore de sa persistance au fil du temps, d'une telle lecture de ce qui fonde nos sociétés, et donc apporte une lecture particulière du rôle et des fonctionnements du don.

Quittons provisoirement Claude Lévy-Strauss pour aller à la rencontre de Maurice Godelier

Maurice Godelier nous apporte, par son livre « L'énigme du don », un autre regard sur le don-contre-don: dans une vallée des hautes terres de l'intérieur de la Nouvelle-Guinée... « j'ai été confronté à des formes non occidentales de don, contexte nouveau pour moi et qui devait me conduire à reprendre le dossier du don et à réévaluer le legs de Mauss comme celui de Claude Lévy-Strauss sur cette question et quelques autres. Car j'étais parti sur le terrain avec deux idés en tête. D'abord, que si le don se retrouve partout, ce n'est pas seulement une manière de partager ce que l'on a, mais aussi de combattre avec ce que l'on a; c'était l'idée – que j'attribuais à Marcel Mauss – que la logique des dons et contre-dons culmine dans le potlatch. La deuxième idée, inspirée de Claude Lévy-Strauss , était que la société est fondée sur l'échange et n'existe que par la combinaison de toutes sortes d'échanges – de femmes ( parenté ), de biens ( économie ), de représentations et de mots ( culture, etc ). Et j'étais sous l'influence d'une troisième conviction, provenant également de Claude Lévy-Strauss , celle de la primauté du symbolique sur l'imaginaire et sur quelque chose appelé d'un terme indécis, le réel. Car pour Claude Lévy-Strauss , le symbole était à la limite plus réel que la « réalité » qu'il signifiait. C'est sous cet angle que j'ai alors relu Marcel Mauss, Claude Lévy-Strauss et bien d'autres auteurs. » Maurice Godelier L'énigme du don


A quoi ça tient...

Maurice Godelier effectue donc un travail de relecture des thèses de Marcel Mauss et de Claude Lévy-Strauss à propos de don-contre-don. Il aborde, réfléchit et éclaire autrement des points qui font divergence entre les trois auteurs.

Ainsi en est-il de l'âme des objets - « la chose elle-même a de l'âme, est de l'âme. » Marcel Mauss Essai sur le don p85- Très tôt il se range derrière l'analyse de Claude Lévy-Strauss, selon laquelle « ... ou cette vertu n'est pas autre chose que l'acte d'échange lui-même...ou elle est de nature différente... et l'acte d'échange devient un phénomène secondaire ».Marcel Mauss Sociologie et anthropologie pXXXVIII

Il va ensuite rappeler que Claude Lévy-Strauss ne s'est pas réellement saisi de l'élément, fondateur à ses yeux, qui est le distinguo entre ce qui se donne, qui est aliénable, et ce qui ne se donne pas, qui reste inaliénable: « Il ne prête cependant aucune attention à la distinction que Marcel Mauss établit clairement entre deux domaines qui se partagent le social: le domaine des choses échangeables, aliénables, et le domaine des choses exclues de l'échange, inaliénables, qui correspondent chacun à différents types de rapports sociaux et à différents moments de la production-reproduction de la société ». Maurice Godelier L'énigme du don Dans un ouvrage intitulé « A propos des trois ronds »- Alb. Michel- J.J. Goux évoque les trois fonctions lacaniennes lorsqu'il étudie la place des monnaies d'or. Rejoignant même un texte de K. Marx - « Contribution à la critique de l'économie politique » Ed. Sociales 1972- il en parle et les montre en termes de réel, d'imaginaire et de symbolique. JJ Goux donc, donne à voir comment, et notamment en pleine économie marchande, « il faut que quelque chose ne circule pas, soit soustrait volontairement de la socialité primaire et du mouvement des échanges, pour que la masse des échanges marchands et bancaires s'ébranlent, que tout ce qui peut être acheté ou vendu se mette à circuler ».

D'autres points sur lesquels la pensée de Maurice Godelier diverge par rapport à celles de Marcel Mauss et Claude Lévy-Strauss sont abordés; cependant le plus important traite de la relation de primauté, d'antériorité qui existe entre imaginaire et symbolique: « Mais le même mouvement qui pousse Claude Lévy-Strauss à reprendre en les amplifiant, certaines des déclarations de Marcel Mauss sur l'échange, le conduit à privilégier et à substituer dans les faits sociaux, le symbolique à l'imaginaire. » Il reproche à Claude Lévy-Strauss voire à Jacques Lacan, de survaloriser le symbolique par rapport à l'imaginaire, ainsi que de réduire la pensée et la société au langage et au contrat. A propos de l'expression devenue célèbre: « C'est le symbolique qui domine l'imaginaire ». -Jacques Lacan- Ecrits-, Maurice Godelier écrit:

« Nous ne le croyons pas et nous en voyons la preuve dans deux conclusions fondées sur cette prémisse et qui constituent de véritables impasses théoriques. L'une est de Claude Lévy-Strauss, qui, au terme de son analyse des mythes des Indiens d'Amérique, s'autorise, du fait que tous les thèmes de ces mythes se répondent et se complètent, que la terre des mythes est ronde, à affirmer que "tout se passe comme si c'étaient les mythes qui se pensaient entre eux "; L'autre est l'affirmation de Jacques Lacan dans laquelle se trouvent toujours enfermés les disciples du maître comme la plupart de ceux qui ont voulu lui échapper, à savoir que tout se passe comme si le Phallus était non seulement l' objet du désir mais aussi le signifiant du désir, celui des hommes comme celui des femmes. Deux formules célèbres qui n'affirment rien d'autre que l'idée que " les symboles sont plus réels que ce qu'ils symbolisent ", plus réels que l'imaginaire et que le " réel " qu'ils re-présentent ( à la pensée) »

S'appuyant sur la reconnaissance des trois fonctions nommées par Jacques Lacan, le réel, l'imaginaire et le symbolique, Maurice Godelier les présente comme composant l'existence sociale, la réalité sociale des humains. Et à partir de cela, il pose la primauté de l'imaginaire sur le symbolique dans les termes suivants:

« Ce sont d'abord les différentes manières dont les hommes imaginent leurs rapports entre eux, et avec ce que nous appelons la nature, qui distinguent les sociétés ainsi que les époques pendant lesquelles certaines d'entre elles continuent d'exister. Mais l'imaginaire ne peut se transformer en du social, fabriquer " de la société " en n'existant seulement qu'"idéellement". Il lui faut se "matérialiser" en des rapports concrets qui prennent forme et contenu dans des institutions et bien entendu dans des symboles qui les représentent et les font se répondre les uns aux autres, communiquer. En se "matérialisant" dans des rapports sociaux, l'imaginaire devient une part de la réalité sociale. »

Enfin, page 50, Maurice Godelier lisant les travaux d'Anette Viener, et rappelant l'or enfermé dans les réserves des banques, dit à nouveau « que les biens précieux, les trésors, les talismans qui ne sont pas donnés mais conservés, ont toutes les chances d'être ceux qui concentrent en eux le plus grand pouvoir imaginaire et, par voie de conséquence, la plus grande valeur symbolique ».

Ainsi, du don, Maurice Godelier parle en estimant qu'il est à regarder comme un élément majeur de lecture de l'inconscient des individus et des groupes. Les règles qui régissent don-contre-don agissent certaines contraintes sociales fondamentales, telle l'interdit de l'inceste au cours de "l'échange des soeurs" , pour ne prendre que cet exemple.

Maurice Godelier fait état d'une dimension particulière du don-contre-don, qui, partant du fait que dans la chose donnée, il n'existe rien qui oblige à rendre, sauf que le donateur y est toujours présent. Et cette présence induit notamment une forme de contrainte qui va amener le donataire à rendre; et si ce n'est au premier propriétaire, ce sera ailleurs, autrement. Il re-donne. Nous retrouverons cet aspect du don-contre-don lorsque nous évoquerons le don de vie et la dette qui y est – peut être – attachée.

Nous avons jusqu'alors rencontré le don-contre-don dans son contexte historique, sociologique, puis nous avons cotoyé les avis de Claude Lévy-Strauss et Maurice Godelier concernant les assises psychanalytiques de ce mécanisme.

Nous allons terminer cette première approche du don-contre-don par la rencontre avec Paul Fustier.

Avec Paul Fustier, je tenterai de rapprocher les idées empruntées précédemment à nos différents auteurs, de la source de mon questionnement.

Le choix que j'ai fait de solliciter les écrits et la pensée de Paul Fustier est simple à comprendre. Je l'explique un peu avant dans cet écrit. Le don, instigateur de la dette, est la forme la plus lisible de la dynamique de mon chemin professionnel. C'est donc à travers ce que Paul Fustier propose d'en comprendre que je tente ici et maintenant de re-lier ce que j'ai agit et ce dont il s'agit!

Une première citation, tirée de l'ouvrage de Paul Fustier:

en référence aux travaux d'Alain Caillé ( 1991) et Marcel MAUSS ( 1925) il y a lieu de distinguer, dans les liens entre les hommes, deux types de « socialités ». Socialité primaire et socialité secondaire.

« S'il est vrai que le marché fonctionne de manière dominante à l'intérêt calculé ( bien ou mal ), et l'Etat au pouvoir, il l'est tout autant que les sujets humains ne sont pas d'abord et avant tout des sujets économiques ou politiques. Avant que d'intervenir à titre d'acteurs sur la scène économique ou politique, avant que de tenir le rôle d'acteur de ce que l'on pourrait appeler la socialité secondaire , ils naissent, se structurent, trouvent et mettent à l'épreuve le sens de leur existence dans la sphère des relations de personne à personne, au sein de ce l'on pourrait appeler la socialité primaire , qui recouvre des domaines aussi variés et étendus que ceux de la parenté, de l'alliance, du voisinage, de la camaraderie, de l'amitié, de l'amour, et, transversale à tous ces champs, la conversation. Cette socialité primaire fonctionne, croyons nous, essentiellement à l'obligation de donner, recevoir et rendre, et ne peut d'ailleurs pas fonctionner sur d'autres bases, sauf à se dissoudre. » (Caillè 1991).in Paul Fustier Le lien d'accompagnement Dunod p09

La socialité secondaire est donc cette dynamique relationnelle et institutionnelle qui permet au sujet de se situer dans son lien à la société. C'est elle, la socialité secondaire, qui établit les fonctionnements des mondes politiques et économique, ou plus précisémment, qui leur donne une forme de socle sur lequel peuvent s'enraciner leurs mécanismes. Ce qui notamment, se fait avec la société instituée et donc avec les institutions de toutes formes, y compris marchandes. Pour reprendre les termes de Paul Fustier Paul Fustier Le lien d'accompagnement Dunod p10 « Elle se situe dans le registre de l'intermédiation, ce qui signifie qu'elle convoque moins les personnes que les rôles, les statuts ou les fonctions. Elle met en présence des professionnels divers.... plutôt que des individus relativement dégagés de leurs appartenances institutionnelles ».

C'est en son sein que se forme la notion de lien salarial. « une transaction entre deux partenaires s'établit pour arriver, en principe, à une situation de compromis qui satisfera chacun, éteindra les dettes et fera disparaitre un lien interpersonnel devenu inutile ».Paul Fustier Le lien d'accompagnement Dunod p10. Dans la socialité secondaire, l'individu est absent, seul sont représentés et/ou actifs la fonction, le rôle et le statut occupés par celui-ci.

La socialité primaire, pour sa part fait exister le sujet en ce qu'il est sujet de son histoire passée et présente. C'est l'individu qui trouve à être au coeur des liens gérés par la socialité primaire. Elle trouve sa place, sa raison d'être dans tout ce qui est milieu de vie à forme «de communauté »: famille, voisins, quartier et même organismes à mission, à vocation humaine, dédiés à l'aide à autrui. Ce ne sont plus les rôles, statuts ou fonctions qui sont regardés mais prioritairement la capacité naturelle à communiquer d'individu à individu. L'impact humain est le lieu de la vie de la socialité primaire. C'est au coeur de celle-ci que vont se nouer des dynamiques, des liens qui passent nécessairement par l'échange, le don. Nous y retrouverons les caractéristiques du don-contre-don relevés précédemment auprès de Marcel Mauss, Claude Lévy-Strauss et Maurice Godelier.

Continuons à propos de la socialité primaire.

Nos sociétés, pour n'évoquer que notre seul Vieux Continent, n'ont pas toujours été ce qu'elles sont! Evidence, certes, mais rappel indispensable. Avant que d'être post-industrielles, industrielles même, elles furent naturellement pré-industrielles. Dans une période d'histoire qui se disait aux couleurs des forces de religion, ce sont les institutions hospitalières fondées par des ordres religieux qui ont d'abord structuré « en grand » pour dire comme les enfants, les relations d'aide sur la base de la charité. Ce sont des religieux, des hommes et des femmes qui ont fait don de leur vie, qui font vivre aux autres, ceux qui sont dans le besoin, un besoin, la leur- ambivalence de l'expression, ambivalence de la situation-. Lorsque, évolution de société oblige, les institutions d'éducation spécialisée voient le jour, tout d'abord elles emportent avec elles le vocabulaire religieux. Et comment pourrait-il en être autrement, il est le seul réellement adapté à nommer « la chose qui se vit ». Mais elles ont à affronter un autre adversaire – d'ailleurs partiellement nourri par la confusion des mots de la pratique du métier et/ou l'exercice de la charité- un autre adversaire donc qui est la violence ressentie par tous ceux qui n'ont conçu leur vie qu'à l'aune du don. L'acte d'aide, le soin peuvent-ils se rémunérer? La charité supportera-t-elle d'être professionnalisée? Enfin, comment donner si en retour il y a salaire? A cet instant du propos, il semble que socialité secondaire et socialité primaire se superposent. Mais, patience. Voyons d'abord quelques citations de Paul Fustier qui éclairent ce moment bouleversant pour ceux qui le vivent.

« Le métier, en face du magnifique désintéressement, ne peut qu'entrainer un mauvais travail, car il est corrompu par la rémunération.... Ce qui est peut-être sale et dégoutant, ce sont peut-être les voleurs de langes, ces infirmières qui vivent d'industrie.... qui, ne faisant plus une religion de leur état, ne peuvent tout au plus que s'en faire un métier.... Rendez-nous nos bonnes soeurs, nos hospitalières par état et reprenez vos servantes à gages et vos infirmières par métier. » Texte de la fin du 17ème siècle.

Et encore, à l'aube du 19ème siècle:

« Revenons un instant à une période très antérieure et à l'institution hospitalière. Le ministre Chaptal rétablira en 1800 les bénévoles de St Vincent, " considérant que les secours nécessaires aux malades ne peuvent être assidument administrés que par des personnes vouées par état au service des hospices, et dirigées par l'enthousiasme de la charité". On ne s'étonnera pas que, bien plus tard en 1901, Anne Hamilton, créant une des premières écoles d'infirmières en France, ne recrute que de jeunes célibataires et s'indigne qu'une des premières directrices de l'école de la Salpétrière soit mariée; ses arguments sont caractéristiques: la responsabilité d'une famille est inconciliable avec la consécration aux malades. Bien plus près de nous, le slogan des infirmières en colère " ni bonnes, ni connes, ni nonnes" reprend en négatif, et pour le combattre, quelque chose de cette origine, montrant ainsi que ce passé clérical, fondé sur le don de soi et le dévouement absolu, n'est peut-être pas encore dépassé. Il resterait présent, de façon latente, dans la vie quotidienne des infirmières, ou en tout cas dans les attentes manifestées à leur égard, et la question pour elles serait toujours de s'en débarasser. » Paul Fustier Le lien d'accompagnement Dunod

Beaucoup plus prêt de nous, en 1967, à propos du métier d'éducateur spécialisé, un psychiatre cité par Paul Fustier, E. Barnola, écrit:

« " Le diplôme a ravalé votre fonction au niveau du métier. Il faut tout donner, tout soi- même". Il s'agit alors, pour notre auteur de décrire une expérience particulière datant de "15 ou 20 ans", pour tenter d'expliquer " le malaise actuel" des éducateurs. "Autrefois, nous dit-il, ceux-ci tenaient tous les emplois... Peu à peu, sous la pression des circonstances, ils ( les éducateurs) laissèrent aux enseignants, la tâche de l'instruction scolaire, aux moniteurs techniques celle de l'apprentissage du métier... Les éducateurs se sentirent alors privés de leurs moyens d'action, réduits à occuper les temps morts. Ils se trouvèrent brusquement appauvris et en "porte à faux" ». ( Barnola, 1967 ).in Paul Fustier Le lien d'accompagnement Dunod

Revenons à ce qui fait lien entre socialité secondaire et socialité primaire. Les institutions y sont naturellement inscrites, pourvoyeuses même de socialité secondaire. Elles fonctionnent selon les règles de la société dans laquelle elles évoluent, dans tous les sens du terme, qui les a peu ou prou générées d'ailleurs. Nos institutions employent des professionnels, salariés, qui échangent leur temps, leur savoir faire et leur savoir être contre une rémunération d'argent, monnaie d'échange. A ce sujet, autorisons nous une aimable digression, avec un court extrait de Marcel Mauss Essai sur le don p223:

« Toute notre législation d'assurance sociale, ce socialisme d'Etat déjà réalisé, s'inspire du principe suivant: le travailleur a donné sa vie et son labeur à la collectivité d'une part, à ses patrons d'autre part, et, s'il doit collaborer à l'oeuvre d'assurance, ceux qui ont bénéficié de ses services ne sont pas quittes envers lui avec le paiement du salaire, et l'Etat lui-même, représentant la communauté, lui doit, avec ses patrons et avec son concours à lui, une certaine sécurité dans la vie, contre la maladie, contre la vieillesse, contre la mort »

Ceci à la seule fin de montrer combien le thème du don trouve une force incommensurable dans notre société. Il est aisé, à la lecture de nos auteurs, de percevoir, chez les autres, dans des sociétés dites à l'époque arriérées, de comprendre comment le don est un ciment sociétal. Ici nous pouvons commencer à deviner qu'il en est de même pour nous.

Socialité secondaire disions-nous avant ce détour politico-sociétal. Le lien salarial étant présent, nous reconnaissons là l'existence de la socialité secondaire . Salariat, rémunération, argent. Voilà le « criminel » pour reprendre les propos de Maurice Godelier: « Tout se passe comme si l'argent était meurtrier pour les sentiments, tuait l'affection. » Bien sur, son propos est humoristique, pour mieux éclairer sa pensée!

Ainsi donc, socialité secondaire et socialité primaire cohabitent, elles que l'on pouvait penser interdites de cohabitation. En 1953, un éditorial de la revue Liaison – organe de la profession d'Educateurs spécialisés – établit de cette manière la réflexion:

« L'expérience audacieuse commencée il y aura bientôt quinze ans ne serait pas longue à être rejetée par les observateurs étrangers si la moyenne des éducateurs français de jeunes inadaptés s'assoupissait sur le chemin si péniblement ouvert par leurs aînés... Si l'organisation de leur profession tuait l'esprit allumé par les militants de la "période héroïque". Si aux missionnaires ne succédaient que des mercenaires. Si même les rééducateurs d'aujourd'hui, délivrés des soucis matériels qui dévoraient la plus grande part du temps de leurs prédecesseurs, n'engageaient pas leur "disponibilité" sur des voies toujours neuves. »

Ce propos montre clairement qu'il y a lieu, dans ce fonctionnement institutionnel, de savoir faire, de savoir être, et plus encore, de le savoir!

A cet instant de la réflexion, nous avons établi que:

- le " donné " reste la propriété du donateur, que chaque nouveau propriétaire, d'une certaine manière, n'en est en quelque sorte que l'usufruitier et qu'il ne peut par conséquent que transmettre, pas donner;

- le don oblige. Mais, à la lecture des lignes précédentes, il oblige parce qu'il est don, ce qui n'est pas exactement le cas de l'usufruit;

- A ce titre, le don n'est pas gratuit! Tout don se trouve naturellement, et même par essence pourrai-je dire, porteur de sa rémunération;

- Même si le donataire reçoit d'un usufruitier, il est son obligé et se trouve en dette jusqu'à re-donner. A la nuance, majeure quand même, que ce don ne lui procure pas le rééquilibrage de son statut par rapport au donateur initial.

Et nous l'avons décrit plus haut dans la chaine du don, si seul le premier propriétaire conserve la propriété, il devra accepter le contre-don qui fera également de lui un débiteur. A ce titre, celui qui est pris dans la chaîne des " usufruitiers-débiteurs" n'a d'autre issue pour rétablir un équilibre dans les liens aux autres, ceux de la chaîne du don, que de donner à son tour. Donner, pas transmettre.

Ici se trouve ce que j'appellerai la ligne de partage des eaux de la vie infinie.

Il y a déjà quelques années, Maxime Leforestier, auteur-interprète, chantait ceci:

« Avec ce que j'ai fait pour toi, disait le père,

Je sais tu me l'a dit déjà disait l'enfant,

J'en demandais pas tant.... »

Notre culture a généré cette croyance que les humains " donnent " la vie. Il semble que nous puissions dire à présent que la vie est transmise par les

géniteurs – qui se superposent aux parents dans nos civilisations-, et non donnée. La vie , en utilisant au mieux les pensées de nos auteurs, appartient à un premier propriétaire, qu'il reste à ce jour à chacun de nommer s'il veut faire retour d'un don libératoire.

Si les parents ne sont pas, de cette manière, les générateurs du" don de la vie", il est donc possible de dire que chacun de nous n'est pas en dette, auprès d'eux, de celle-ci.

Par contre, il reste aux mêmes " chacun " à établir ce qui est à l'origine du don de la vie, si don il y a. Pour certains, il n'y a qu'un être supérieur pour avoir pensé et créé un tel ensemble, une telle architecture. La croyance religieuse est ainsi porteuse de ce choix. Pour d'autres, rien de tout cela, seulement et rien qu'une évolution naturelle. Je ne ferme pas ici la porte à d'autres conceptions humaines de l'origine de la vie. Je reste à réfléchir sur les deux hypothèses premières qui me paraissent les mieux à même de porter éclairage à cette recherche.

Le concept de l'évolution naturelle trouve aujourd'hui à se nourrir de beaucoup de travaux scientifiques. Dans cette pensée, il n'y a pas de donateur-propriétaire. Et donc pas de contre-don possible pour rétablir l'équilibre de la chaîne du don-contre-don. N'étant pas moi-même anthropologue ou sociologue, je ne peux que m'interroger sur ce que devient la nécessité de rendre lorsque l'on possède "d'un autre, de l'Autre," quelque chose que l'on ne peut pas compenser pour faire en sorte de ne plus être en dette, restant ainsi en dette. Dans les études précédentes, nous avons vu que l'un des objectifs du don en excès est de rendre le donataire dépendant. Mais dans les sociétés étudiées, le donateur est connu. Tout contre-don, la dépendance en est un, lui est adressé. Dans l'hypothèse de l'évolution naturelle le donateur est, par principe inexistant.

Alors, il reste la seconde hypothèse, et je limiterai là ma réflexion, qu'un Etre supérieur a engendré le monde des Hommes. Lui, L'Infini nous a créés, nous et notre fin permanente. Seule notre fin touche à Son Infini. C'est donc Celui-là qu'il convient d'honorer comme le donateur. Et puisque nous devons re-donner, c'est peut-être dans certains cas, pour certains d'entre-nous, ce que nous avons au plus près de Son Infini que nous estimerons devoir ( dette ) Lui offrir, limite finie de la rencontre avec un infini sans limite. Le don de soi.

Ainsi donc, le don de soi, forme majeure du don, aurait pour...vocation de tenter de réduire la dette. Il n'est pas envisagé ici que ces formes de dons, matériels mais aussi quelque chose de soi – du temps, de l'attention, de l'affection... puissent épuiser la dette. Celle-ci reste une dette infinie et l'Homme, simple mortel est un être qui connaitra la Fin. De là à penser qu'une vie ne suffit pas à payer une telle dette, celle de la vie reçue, il n'y a que l'espace de nos croyances les plus intimes. Dans ce schéma de penser, la dette est inextinguible, le don un devoir.

Deux éléments me paraissent maintenant devoir être regardés de façon plus attentive.

Dans le cas de la première hypothèse, l'évolution naturelle, il n'y a personne qui soit le donateur. Pas de donateur dans le réel, pas non plus dans le domaine de l'imaginaire. Il est donc possible de ne pas avoir de sentiment de dette, puisqu'il n'y a pas de donateur. Sans doute est-il alors utile, dans ce contexte, de s'interroger sur ce que cela signifie d'incidence sur la construction psychique de l'individu.

Par ailleurs, et nous l'avons montré, il n'y a pas de don gratuit. Chaque don porte en lui quelque chose qui emmène gratification, rémunération, récompense, valorisation ou autre attribut qui se trouve être le moteur premier du don.

S'il n'existe pas de donateur, ou s'il n'existe pas de don gratuit, comment expliquer le concept de dette? Sans doute est-il nécessaire de vérifier si une telle assertion se tient d'un seul bloc, ou s'il convient de différencier certains états.

Dans les sociétés étudiées par Marcel Mauss et autres auteurs cités, chez les Maoris ou autres populations concernées, le mécanisme du don-contre-don est établi, à priori, sur l'existence d'un donateur connu. Et il a pour finalité de faire se mouvoir ce qui doit s'échanger en termes de commerce bien sûr, mais aussi que s'établissent et s'affirment des hiérarchies et des solidarités sociales. Lorsque Maurice Godelier distingue le droit d'usage de la propriété, qui elle est inaliénable, il nous montre comment le fait de l'inéliabilité de la propriété s'adresse à l'imaginaire du pouvoir Maurice Godelier 1996. Et la chaîne du don-contre-don va permettre, selon les cas, de créer de la richesse matérielle, marchande, ou de la richesse de dette, celui qui ne peut soutenir l'échange restant redevable, sur sa vie même et celle des siens.

Avec des schémas culturels différents, il y a là comme dans notre société actuelle, quelque chose de l'ordre de la dette de vie. C'est « sur ma vie que je réponds de ma dette », et particulièrement de la dette inextinguible dont il a été question plus haut.

Alors, la dette: ciment de la société, moteur des échanges, factrice de hiérarchie? Certainement. Et plus encore est-il possible de parler de subordination, de soumission.

La transaction marchande est aujourd'hui dominée par le recours à la monnaie institutionnelle. En introduction du livre de Marcel Mauss, Essai sur le don, Florence Weber écrit:

« Les analyses ethnographiques des échanges non marchands dans lesquels intervient la monnaie permettent de reprendre la question classique posée par Mauss: les différentes fonctions de la monnaie sont-elles toujours superposées? Au-delà, elles permettent de se demander quel rôle joue la monnaie dans les relations personnelles selon la ou les fonctions qu'elle remplit.

Ainsi, les transferts de patrimoine, y compris sous forme monétaire, contribuent à lier les vivants aux morts dont ils héritent bien plus qu'à les libérer de toute relation personnelle: la monnaie-symbole est compatible avec la dette inextinguible et l'héritage obligé. ( Gollac 2005). Au contraire, la monnaie moyen de paiement libère l'endetté de sa dette et rompt le lien personnel, comme par exemple les prestations monétaires versées au moment d'un divorce ».

Ainsi, la monnaie moyen de paiement fait échec à la continuité du don-contre-don en permettant notamment que sorte de l'échange le lien personnel.

La dette, liée à une nécessité de fonctionnement sociétal, se trouve dénoncée en tant que telle. Le lien personnel n'ayant plus d'existence impérative, la dette n'a plus de sens par elle-même.

Si la dette n'existe pas, que faire de mes dons? Telle est, un peu modifiée après ce chemin de découvertes, la question initiale.

Au nom de la dette de vie, et d'autres sans aucun doute, j'ai prodigué et accumulé dons et dettes. Si les dettes n'en sont pas réellement, il me reste à savoir que faire de mes dons.

Mes dons! Je nomme ce que j'ai donné comme si cela m'appartenait encore! Oui, j'ai donné au titre de dettes, un peu comme des dommages de guerre, et maintenant je devrai regarder cela comme le résultat d'une erreur de

compréhension initiale, une erreur de casting comme le dirait de plus jeunes que moi? Certainement. Il y a de l'erreur d'appréciation dans tout cela, mais faut-il pour autant croire que tout est erreur à partir de celle-ci? Je ne sais pas répondre à cette question. Elle est vaste et ne saurait se satisfaire d'une réponse unique. Par exemple, une croyance initiale emporte-t-elle toujours la même réponse? Que non! Et lorsque je cultive « des dons » - avoir des dons, être doué -, dons qui sont mis au service de chacun, est-ce que je travaille exclusivement à payer une dette de vie – si je suis doué, peut être puis-je valoriser narcissiquement ceux à qui je dois -? Ce don qui paye une dette, me paye aussi en direction de ceux qui le reçoivent hors les géniteurs. Sans doute l'individu qui s'accomode de la croyance d'avoir une dette à payer, choisit également les moyens qu'il s'accordera pour y satisfaire. Et le choix de ces moyens sont nécessairement révélateurs de ce qu'il s'autorise à devenir, pour lui-même et non plus au nom de la dette.

Etre

CONCLUSION

Parce qu'il doit y avoir une conclusion, au moins pour maintenant!

Donc, titre de ce chapitre: Conclusion d'un soir qui n'est qu'un moment avant le lendemain qui lui même...

Ainsi donc, au titre de ce travail de réflexion, je viens de m'offrir ( un don chez moi ), une ballade au coeur de l'économie de mes affects. Un moment donné pour apprécier la complexité de ces choses là. Pour ce faire, j'ai choisi la voie de la sociologie, de l'anthropologie, deux chemins suffisamment éloignés, en terme d'apprentissage, de mes parcours habituels pour qu'ils ne me causent pas trop de questionnements directs. En tous cas, je constate ici et maintenant que j'ai pu le croire en mettant en oeuvre ce chantier.

La première fois que j'ai écrit un texte, le mémoire du DE d'Educateur Spécialisé en 1975, je l'ai nommé « Cheminement ». J'y traçais déjà des questions sur les croyances familiales, dans des termes malgré tout fort éloignés de ceux d'aujourd'hui – ce qui me permet de nourrir quelque espoir pour demain!- Au sein d'une pensée familiale qui stygmatise le fait et l'être intellectuel, il était possible de choisir de multiples voies pour exister. La mienne est passée par l'usine, seul lieu honorable pour la reconnaissance familiale, pour m'emmener vers une posture dans laquelle la pensée, l'acte de réfléchir peut être reconnu pour lui-même. Bien sûr, dans la dynamique familiale, en regardant chacun et tous, il est évident que je trouve là une somme de gens qui n'ont cessé d'alimenter la pensée, la réflexion. Mais ce que j'avais retenu du message inscrivait bien en moins cette idée – cette croyance? - que « la position d'intellectuel » ne pourrait sonner que comme une trahison!

Au terme de ce travail sur le don, j'ai avancé un peu sur la compréhension de certains de ces mécanismes qui attachent, rendent dépendants les individus les uns des autres au sein de différentes sociétés, dont celles qui nous ont engendrées. Fidèle à mes origines - mon premier métier fut la mécanique automobile - je me suis attaché à m'approprier « le livret d'entretien et de réparation du constructeur » afin de m'approcher du fond de ma quête. Et au moment de refermer cet ensemble d'éléments de ma réflexion, c'est dans la re-lecture de Françoise DOLTO, L'image inconsciente du corps p206 Seuil, que je retrouve l'autre façon de lire les choses, après l'enrichissement que je dois à cette approche sociologique et anthropologique.

Je cite:

« C'est là qu'il est important que Papa-Maman supportent d'avoir perdu beaucoup de leur importance pour leur enfant. S'ils veulent enseigner à leur

enfant le respect qu'il leur doit, ce n'est qu'en donnant l'exemple de respecter sa personne. Leur enfant ne leur "doit" rien. C'est à ses enfants qu'il (ou elle) fera – devenu père ou mère – ce que ses parents ont fait pour lui (ou elle).

Si, au contraire, les parents revendiquent, à la période de latence, et encore plus à l'adolescence, un dû d'amour et de reconnaissance, il y a dommage pour leur enfant; et, par les effets à long terme de cette culpabilité, dommage pour les petits-enfants. Certains parents pervertissants parlent sans cesse de sacrifices faits à leurs enfants: ces « sacrifices » sont en fait inhérents à leurs responsabilités de parents et n'entrainent aucune dette de leurs enfants vis à vis d'eux »

Dans ce moment que nous propose Françoise DOLTO, il est peut-être opportun de se questionner sur ce que devient la relation parent/enfant, lorsque venant d'une croyance de dette et de don, elle se découvre libre de ces dépendances réciproques. Alors se disent les mots de respect, d'amour et autres termes du grandissement. Sans doute ceci pourrait-il faire l'objet d'une autre réflexion. Mais continuons.

Le retour, le lien se fait donc ici, pour ce qui me concerne bien sûr, entre ce qui me constitue dans mon expérience au sein de la dynamique et de ce que j'ai « enkysté » au fond de moi des pensées et messages inconscients familiaux et ce que j'ai mis en oeuvre, durant toutes ces années pour que vive de moi ce qui peut être reconnu, à mes propres yeux, comme m'appartenant en propre et me construisant.

La notion de supervision vient s'inscrire, du moins je le perçois comme tel, comme outil promettant la continuation de la recherche dans son idée, et les moyens dans son organisation dans le maintien des valeurs qui sont les miennes. La rencontre avec l'Autre, dans sa grandeur et son humilité s'avère être alors possible et promesse d'avenir, si sa Parole – sous toutes ses formes - est écoutée pour elle-même.

C'est l'acceptation de la démarche d'acquisition intellectuelle qui me permet aujourd'hui d'envisager de continuer ma quête d'identité à partir d'autres outils, complémentaires, puisque la posture intellectuelle ne s'est pas avérée « mortelle » en quelque manière que ce soit.

Fermer la porte de cette réflexion ne saurait maintenant se faire. Comme tout passage – pas sage – relevant du changement fondamental inscrit dans l'Etre, appelé aussi passage initiatique, une porte s'est ouverte quand on croit – croît? - avoir fermé un morceau de son histoire, de son chemin.

Le chemin commence.

BIBLIOGRAPHIE

Marcel MAUSS Essai sur le don PUF

Marcel MAUSS Sociologie et Anthropologie PUF

Maurice GODELIER L'énigme du don Flammarion

Paul FUSTIER Le lien d'accompagnement Dunod

Françoise DOLTO L'image inconsciente du corps Seuil

K. MARX Contribution à la critique de l'économie politique »

Ed. Sociales 1972

J.J. GOUX A propos des trois ronds in Lacan avec les philosophes

A. Michel 1991

Dictionnaire en ligne www.linternaute.com/dictionnaire

Dessins anonymes récupérés sur ... la toile

Photo de couverture prise sur le port de Calvi ( Corse ) par moi-même

Le yin qui pleure sur son yang: peinture sur soie – soi ?- de Charlotte COURTIAL, dessin de moi-même

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Lacan:séminaire V-les formations de l'inconscient-Seuil-1998

Freud :Le malaise dans la culture-Puf-2007

Hannah Arendt:Le système totalitaire-Points-le seuil

JP Lebrun:Un monde sans limite-érès-2009

JP Lebrun idem

G Rubin:Il faut aider les pères

JP Lebrun:clinique de l'institution-érès-2008

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B Cyrulnick:les nourritures affectives-O Jacob-2000

A Cochet:article:Qu'est-ce que l'éducation?le point de vue de la psychanalyse

JP Delevoye:article-Vive la loi-www.senat.fr

J Rouzel:La supervision d'équipe en travail social-Dunod-2007

J Rouzel:La supervision d'équipes en travail social-Dunod-2007

J Rouzel:Le transfert dans la relation éducative-Dunod-2002

J Lacan: les complexes familiaux dans la formation de l'individu-Seuil-2001

F Caviglioli:article:Au nom du père. faut-il réhabiliter le patriarche? dans le nouvel observateur-3/05/2007

P Legendre , la fabrique de l'homme occidental-Mille et une nuits-1996

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