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Sujet, institution, destitution

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René Baget

jeudi 28 février 2008

Penser l’institution est une question difficile, dans son évidence même.

Tout d’abord le singulier et le pluriel font résonner une première distinction. L’Institution serait au principe des institutions.

Aussi délicate à saisir que le temps dont Saint Augustin montre la difficulté de le penser et de penser ce qui est dans le temps. Même difficulté dans laquelle nous ne finissons pas de nous embrouiller puisque nous sommes pris dans l’institution. Il y a dans cette affaire de l’impossible qui est pour J. Lacan un nom du réel.

Je vous proposerai deux jalons pour en déployer tout le champ. De “ l’hunheimlich”, que l’on peut traduire par l’inquiétante intimité ou, l’intime étrangeté , pouvant aller jusqu’à l’horreur et la fascination qu’exerce le réel de cette question. De la famille,.... au camp d’extermination dit, trop souvent seulement “de concentration ».

Le nouage entre l’institution et le temps donne une autre indication. Pas de temps sans institution. Du réel qui se temporise.

Pour nous introduire au principe de l’institution, Joseph Rouzel, nous a proposé deux mythes en soulignant le caractère d’impossible auxquels ils s’affrontent.

Pour Lacan en 1952 “ Le mythe est ce qui donne une formule discursive à quelque chose qui ne peut pas être transmis dans la définition de la vérité, puisque la définition de la vérité ne peut s’appuyer que sur elle-même, et que c’est en tant que la parole progresse qu’elle la constitue. La parole ne peut se saisir elle-même, ni saisir le mouvement d’accès à la vérité, comme une vérité objective. Elle ne peut que l’exprimer - et ce d’une façon mythique.” 1

La référence de Joseph au texte de la Bible me donne l’occasion d’une remarque. Le début de la Genèse met en scène le souffle et la parole créatrice. Parole en acte, acte de coupure du signifiant ; Nomination symbolique. Le symbolique faisant trou dans le réel selon Lacan, qui est à distinguer de la nomination imaginaire qui serait celle d’Adam nommant les animaux.

Et c’est par le biais de l’acte que je peux saisir quelque chose de l’institution. En distinguant l’acte et le faire, l’acte de l’action.

Dans les institutions il y a une organisation qui tente d’objectiver, de rationaliser, au nom d’un idéal, le fonctionnement, le faire dans l’établissement, et qui distribue des fonctions, des places, des statuts, ordonne une hiérarchie. Un appareil qui participe à actualiser un ordre de discours dans lequel sont inscrits, et s’inscrivent des individus, des personnes.

Appareillage pour l’humain, cet appareil est fonction du langage « Institution pure » selon De Saussure. Idée qui s’articule avec “ l’apparole” de Lacan. Appui qui me permet de faire entendre l’inflexion que je tente dans la notion d’institution ; De l’Institution au cœur de tout établissement. Qu’en est-il du statut de la parole dans un établissement, voilà une boussole qui est une tout autre affaire que celle de la communication.

Ce qui permet d’opérer une distinction entre, l’établissement ; Lequel est le régime de reconnaissance, de coutume, de fait, de droit qu’un ordre coutumier, juridique, politique et administratif produit. Et, ce qui se tisse entre des personnes assujetties à cet ordre – en le décalant d’un cran pour considérer ce que cet ordre n’est pas sans ignorer et pourtant méconnaît - ce qui se noue subjectivement dans le travail à plusieurs. Sous-jacence dit J. Oury. Nouage insu, du coté du fantasme pourrait-on proposer, trame pulsatile inconsciente.

L’établissement serait à l’institution ce que la personne est au sujet. Sub-jet, jeté dessous, effet de la chaîne signifiante. Puisque « le signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant. . . Telle est la formule … qui repose(nt) sur la notion qu’il y a bien quelque chose qui constitue l’identité différenciant ce monsieur-là de son voisin. 2

Comment s’articulent établissement et institution ? Il n’y a pas à chercher une délimitation entre l’institution et l’établissement c’est une articulation moebienne qui permet de passer de l’une à l’autre, tout en maintenant une opposition.

Dans notre état de droit, l’institution s’établit en droit, de même que le statut.

L’établissement est donc un appareil de discours. Discours étant entendu là comme façons de dire et façons de faire gouvernant les humains.

Nous pourrions reprendre l’interrogation de Michel Foucault dans sa leçon inaugurale au Collège de France : “ Mais, qu’y a-t-il donc de si périlleux dans le fait que les gens parlent, et que leurs discours indéfiniment prolifèrent? Où donc est le danger?

Et le début de sa réponse: “ ... Je suppose que, dans toute société, la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité.” 3

L’établissement comme appareil administré et administrant les discours pour conjurer les pouvoirs et les dangers de la parole. Discours qui tente de suturer ce qui dans le fonctionnement échappe à sa maîtrise.

Dans cette lecture, on voit, donc apparaître un écart entre l’organisation de l’établissement et donc, l’idéal de rationalité, voire de rationalisation qu’il suppose dans notre société. Et ce qui se réalise en acte, et concerne des sujets dans leur rapport à la jouissance. Car, je fais l’hypothèse que c’est là, une part du “ danger” que M. Foucault essaie de cerner. La parole étant à la fois ce qui vient borner la jouissance, “ la jouissance est interdite à qui parle comme tel ”, et ce qui aussi, paradoxalement, la produit.

À la fin de son intervention se dévoile pour M. Foucault la dette qu’il a vis-à-vis de J. Hyppolite : “ Je sais ce qu’il y avait de si redoutable à prendre la parole, puisque je la prenais en ce lieu d’où je l’ai écouté, et où il n’est plus, lui, pour m’entendre.”

Et par lui et au-delà, la dette de M. Foucault au lieu de l’Autre qui lui permet de parler.

Freud dans “ Psychologie des masses et analyse du moi 4 a réfuté la distinction entre “ psychologie individuelle et psychologie collective”, et a dégagé la structure des institutions et leur statut de formations de l’inconscient.

Que se passe-t-il, entre plusieurs dans les institutions? Freud place l’identification comme phénomène et l’objet comme cause. Cela “ fonctionne ” comme Un, par l’Idéal quelle que soit sa forme, masse, collectif, groupe. “ Massen” est le terme allemand employé par Freud dans “ Massenpsychologie und ich-Analyse” qui n’a pas d’équivalent en Français et que Lacan souhaitait traduire par “ Psychologie des groupes et analyse du moi”.

Pour J.A Miller 5 , Freud avec Lacan démontre que “ l’expérience analytique est une expérience collective à deux..... elle permet de saisir le ressort de la psychologie des groupes, des formations collectives. Les fonctions et les phénomènes” sont les mêmes que ceux de la cure; “ : Dans les termes de Freud, la fonction du moi, celle de l’Idéal du moi, le phénomène de l’identification .”

Cela permet de définir le collectif comme, “ fait d’une multiplicité d’individus prenant le même objet comme Idéal du moi” ... “ Freud procède à une analyse du collectif. C’est une analyse au sens où il divise le collectif en une multiplicité de rapports singuliers”.

Lacan, à partir de l’idée que le langage est la condition de l’inconscient, va développer l’idée de structure du discours de l’inconscient; ” l’inconscient est structuré comme un langage”, et proposer quatre discours qui structurent le lien social: Le discours, maître, hystérique, analytique, universitaire. Quatre places stables ; - l’agent - l’autre - la vérité - la production, et quatre éléments qui permutent circulairement ; S1 le signifiant maître, S2 le savoir, S barré le sujet divisé, et l’objet a, le plus de jouir. En 1972 6 , il écrit une fois le discours capitaliste à partir d’une modification du discours du maître par une inversion des positions du sujet et du signifiant maître et une transformation du circuit des relations des éléments. Ce sujet apparemment en position de commande par rapport au savoir et lui-même commandé par l’objet.

À appliquer ces catégories qui ne sont elles-mêmes structurées que de l’existence du discours analytique, il faut dresser l’oreille à la mise à l’épreuve de cette vérité qu’il y a de l’émergence du discours analytique à chaque franchissement d’un discours à un autre. Je ne dis pas autre chose en disant que l’amour, c’est le signe qu’on change de discours.

Si comme le dit Lacan ces catégories de discours ne se soutiennent que de l’existence du discours analytique. Quelles relations entre, “ l’institution analytique ” et d’autres “ institutions ” ? Que devient la psychanalyse lorsqu’elle intervient dans un “ travail à plusieurs ” ?

Lacan a distingué “ la psychanalyse pure et la psychanalyse appliquée”. Distinction interne à la pratique analytique, la psychanalyse appliquée étant “ tout moment de l’expérience analytique où le souci thérapeutique l’emporte.” 7

Dans Télévision , J. Lacan répond à la question de J. A. Miller sur la différence entre psychanalyse et psychothérapie, que la structure du langage comporte deux versants, le versant du signe et le versant du sens. “ Le versant du sens, celui dont on croirait que c’est celui de l’analyse qui nous déverse du sens à flot pour le bateau sexuel.

Il est frappant que ce sens se réduise au non-sens : non-sens du rapport sexuel, lequel est patent depuis toujours dans les dits de l’amour. Patent au point d’être hurlant : ce qui donne une haute idée de l’humaine pensée” 8

Lacan indique que la psychothérapie vise le sens au moyen du bon sens et c’est en cela qu’elle pousse à la suggestion, mettant le ” s urmoi” au commande ce qui “ ramène au pire”.

L’usage du signifiant-maître n’est pas le même dans la psychothérapie et la psychanalyse. Le point pivot de cette différenciation est le destin de l’identification. La psychothérapie vise l’identification c’est-à-dire ce pourquoi l’identification est faite - l’institution du sujet. La psychanalyse, quant à elle, tend vers la désidentification, c’est-à-dire ce par quoi l’identification est défaite - la destitution du sujet. La psychothérapie promet au sujet une identité, une identité à lui-même, et le lance dans le tourbillon des jouissances identificatoires. La psychanalyse, elle, conduit le sujet vers sa division. Or, c’est justement le sujet divisé que Freud a rencontré, ce sujet divisé que l’hystérique incarne au moyen du signe qui est le sien, le symptôme hystérique... Comme le rappelle Lacan, ce symptôme hystérique a tracé la voie vers la découverte que le signifiant n’est pas fait de sens, mais de jouissance.

L’orientation de la psychanalyse est donc une orientation non pas vers le sens et l’idéal ou la norme que vise la suggestion, mais vers la jouissance et vers la prise en considération du symptôme en tant qu’il satisfait à quelque chose.” 9

Pour Lacan : “L’individuel n’est pas le subjectif. Le sujet n’est pas l’individu, n’est pas au niveau de l’individu. Ce qui est individuel, c’est un corps, c’est un moi. L’effet sujet qui s’y produit, et qui en dérange les fonctions, est articulé à l’Autre, le grand. C’est ce qu’on appelle le collectif ou le social.” 10

Pour lui, “ le transfert n’est nullement un phénomène individuel... Il y a un discours émis de la place de l’Idéal qui consiste à opposer Nous à Eux… tout discours qui s’établit sur l’opposition amis/ennemis, ... la bétonne, intensifie par là même l’aliénation subjective à l’Idéal.

Un discours inverse peut s’émettre” ( de cette place,) “qui consiste à énoncer des interprétations. Interpréter le groupe, c’est le dissocier et renvoyer chacun des membres de la communauté ..., à la solitude du rapport à l’Idéal.

Le premier discours est un discours massifiant qui repose sur la suggestion, et à vrai dire, il reste toujours un quantum de suggestion inéliminable. Le second discours est interprétatif et démassifiant. C’est une analyse de la suggestion de groupe”.

Il introduit une scansion temporelle dans l’élaboration logique d’un processus de subjectivation. Trois “ moments de l’évidence,… l’instant de voir, le temps pour comprendre, le moment de conclure”. La déclinaison des termes est soigneusement pesée et la démonstration a pour visée de nous dégager de la chronologie, de l’historicité chronologique et de la spatialité, toutes entachées d’imaginarisation barrant l’accès à ce qui est en cause dans la pratique de la psychanalyse. Orientation qu’il conservera avec la topologie et les noeuds, prendre le réel pour guide.

Revenons sur sa “ démonstration ” de son “ sophisme”.

Un directeur de prison invente un dispositif qui lui permet de trouver une solution logique à l’obligation dans laquelle il se trouve d’avoir à libérer un seul prisonnier, alors qu’il en a trois.

Convoquant les trois prisonniers, il leur montre cinq disques, trois blancs et deux noirs, il va en utiliser trois, en les plaçant sans qu’ils en connaissent la nature dans le dos de chacun. L’épreuve qui permettra d’être libéré, consiste à déduire logiquement, sans bien sûr, communiquer autrement que par la vision des ronds dans le dos des autres prisonniers, la couleur qu’il a. Celui qui sortira de la pièce et indiquera le raisonnement qui l’a conduit à cette déduction sera libre. Le directeur ne va utiliser que les trois disques blancs.

Le problème en logique classique est insoluble. Car, hormis la situation ou un prisonnier voit deux ronds noirs, les autres sont indécidables entre blanc et noir. C’est là que Lacan introduit le temps, “ l’ordre croissant des instances du temps qui s’enregistrent dans le procès logique pour s’intégrer dans sa conclusion.”

Pour Lacan “ expose r la succession chronologique ... tend à réduire le discours à un alignement de signes”. Alors que “ Montrer que l’instance du temps se présente sous un mode différent en chacun de ses moments, c’est préserver leur hiérarchie en y révélant une discontinuité tonale, essentielle à leur valeur.

Mais saisir dans la modulation du temps la fonction même par où chacun de ces moments, dans le passage au suivant, s’y résorbe, seul subsistant le dernier qui les absorbe; c’est restituer leur succession réelle et comprendre leur genèse dans le mouvement logique.”

" À être en face de deux noirs, on sait qu’on est blanc.

C’est là une exclusion logique qui donne sa base au mouvement... on voit la valeur instantanée de son évidence et son temps de fulguration.”.

Dans le processus de subjectivation que suit Lacan cet instant du regard est un moment impersonnel, “ matrice encore indéterminée.... on sait.”

2°” Si j’étais un noir, les deux blancs que je vois ne tarderaient pas à se reconnaître pour être des blancs.

C’est là une intuition par où le sujet objective quelque chose de plus que les données de fait.... (il) suppose la durée d’un temps de méditation... le temps pour comprendre. .. L’objectivité de ce temps vacille avec sa limite. Seul subsiste son sens avec la forme qu’il engendre de “sujets indéfinis sauf par leur réciprocité”, et dont l’action est suspendue par une causalité mutuelle à un temps qui se dérobe sous le retour même de l’intuition qu’il a objectivée.

3°” Je me hâte de m’affirmer pour être un blanc, pour que ces blancs par moi ainsi considérés, ne me devancent pas à se reconnaître pour ce qu’ils sont.

C’est là “l’assertion sur soi”, par où le sujet conclut le mouvement logique dans la décision d’un jugement....

Le sujet, en effet, a saisi le moment de conclure sous l’évidence subjective d’un temps de retard qui le presse vers la sortie, ... le jugement assertif se manifeste ici par un acte... le moment de conclure.

Ce mouvement de genèse logique du “je” par une décantation de son temps logique propre est assez parallèle à sa naissance psychologique,... (qui ) se dégage d’un transitivisme spéculaire indéterminé, par l’appoint d’une tendance éveillée comme jalousie,...se définit par la subjectivation d’une concurrence avec l’autre... ( dont il donne ) .la forme logique essentielle ( bien plutôt que la forme dite existentielle) du “ je” psychologique.

Enfin, le jugement assertif se manifeste ici par un acte... Ce qui fait la singularité de l’acte de conclure... c’est qu’il anticipe sur sa certitude, en raison de la tension temporelle dont il est chargé subjectivement,...sa certitude se vérifie dans une précipitation logique que détermine la décharge de cette tension.

Assurément, si le doute, depuis Descartes, est intégré à la valeur du jugement,...cette valeur tient moins au doute qui la suspend qu’à la certitude anticipée qui l’a introduite.

Cette matrice logique du procès de subjectivation de Lacan montre la forme pulsatile du battement subjectif, apparition/disparition.

Lacan va jusqu’à donner à son sophisme la valeur de forme fondamentale d’une logique collective.

La vérité se manifeste dans cette forme comme devançant l’erreur et s’avançant seule dans l’acte qui engendre sa certitude...

... la collectivité est déjà intégralement représentée ... puisqu’elle se définit comme un groupe formé par les relations réciproques d’un nombre défini d’individus, au contraire de la généralité...

( le sophisme) peut s’appliquer à un nombre illimité de sujets, étant posé que l’attribut négatif ne peut intervenir qu’en un nombre égal au nombre de sujets moins un.”

Bien que l’on puisse douter que le nombre augmentant, cela puisse faire obstacle à cette “ logique collective” Lacan maintient qu’elle peut compléter la logique classique, car elle apporte une autre réponse à ” l’inadéquation qu’on ressent ( à ) l’affirmation de la logique classique telle que “je suis un homme”.

La véritable valeur de l’assertion subjective anticipante c’est qu’elle ” donne la forme logique de toute assimilation “humaine” et démontre que :

1°Un homme sait ce qui n’est pas un homme;

2° les hommes se reconnaissent entre eux pour être des hommes;

3° je m’affirme être un homme, de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme.

Mouvement qui donne la forme logique de toute assimilation “humaine”, en tant que précisément qu’elle se pose comme assimilatrice d’une barbarie, et qui pourtant réserve la détermination essentielle du “ je”.”..

Comment ne pas penser à ce passage de “ L’espèce humaine 13 où Robert Antelme dans le camp, réalise - du lieu de la position de déchet humain dans laquelle il se trouve placé - dans une fulgurance ; Que le projet d’extermination nazi contient sa propre contradiction, un impossible, à ne pouvoir détruire la totalité de l’espèce humaine dans laquelle ils sont inclus, dés lors elle s’avère immortelle.

Les questions de la “ reconnaissance” qui hantent les établissements hospitaliers, médico-sociaux ou sociaux, relèvent de cette logique. Le dernier film de Sandrine Bonnaire sur sa soeur : “ Elle s’appelle Sabine” en témoigne

Le processus de subjectivation vécu par Annabelle, dans le cadre d’un travail d’analyse des pratiques dans une formation d’éducateur spécialisé s’éclaire dans une lecture des temps logiques.

Premier temps, l’instant de voir dans la rencontre des personnes qui composent ce groupe et qui sont, de par leur origine et leur histoire, très différentes.

Groupe que l’on peut qualifier de cosmopolite du fait de leur appartenance à des cultures, des nations, des langues différentes. Quatre personnes malentendantes nécessitent la présence d’une interprète en langue des signes et une adaptation des “ entendants “, une modification de leurs conditions habituelles d’échange qui n’est pas sans les “ étranger “.

Cette diversité des origines va interroger les signes d’appartenances ; signes de la surdité partageant entendants / malentendants, signes de l’étranger dans la langue ou dans l’aspect physique (une personne est d’origine mauricienne, une autre d’origine marocaine).

Si ces signes d’appartenances ne peuvent permettre d’établir l’unité du groupe ou un partage stable entre les personnes, la présence de l’interprète participe à établir la division entre entendant / malentendant.

C’est au cours d’un regroupement au milieu du premier stage que se situe un premier temps qui dans le vacillement qu’il produit ouvre pour chacun un temps pour comprendre.

Annabelle, malentendante, témoigne de sa difficulté en stage pour intervenir dans les situations de groupe du fait de sa déficience.

Elle dit « son handicap » et particulièrement auprès des enfants en groupe lorsqu’il se passe quelque chose entre eux qui nécessiterait une intervention : n’ayant pu entendre ce qui se passait, elle n’a pas compris. N’ayant pas compris, elle ne peut intervenir.

Cette situation est reprise par chacun des malentendants pour se généraliser à d’autres moments de formation et de difficultés qui se cristallisent pour “ eux” , sous la forme d’un : « comme on a pas tout compris, on ne peut …intervenir…faire… se former. ». Scellant leur unité sous le signifiant : malentendants . Cela contribue à l’établissement d’une division qui passe entre les membres de ce groupe de travail et conforte l’appartenance des malentendants qui, là, font “ l’économie ” de leur division subjective, en objectivant leur handicap.

Cette convergence de points de vue n’est pas sans résonner aussi pour les « entendants ». Le fantasme d’un tout, sans faille, pourrait soutenir une unité idéale du groupe.

À partir d’un pas -tout –entendre s’articule un pas –tout –comprendre qui suppose dans un renversement du côté des autres - entendants - , le maintien d’un tout –entendre qui n’est pas sans évoquer un mouvement de dénégation par rapport à un pas –tout, à une perte ( de jouissance) .

Il va falloir un long moment de travail, le temps pour comprendre,avec ses scansions, pour qu’à la lumière du témoignage singulier de l’expérience de plusieurs stagiaires “ entendants” qu’un doute vienne interroger, pour chacun, le bien fondé d’un tout –comprendre, mettre à mal le fondement de l’unité du “ groupe des malentendants” .

Ce temps d’échange va permettre à chacun de se situer, de réfléchir à ce qui le soutient dans l’intervention.

Dans ce débat, Annabelle, va manifester, par sa volonté de préciser certaines idées, qu’elle reprend à son compte ce questionnement d’un tout –comprendre , qu’il fait interprétation de sa position, elle rencontre là quelque chose qu’elle entend , qui n’est pas sans la troubler.

C’est par la modification de ses postures, les temps d’arrêts, puis la reprise de son questionnement que je peux entendre qu’il se passe quelque chose de singulier pour Annabelle. Mais, surtout, elle va rompre l’accord tacite qui fonctionnait entre les “ malentendants”, en prenant sa parole, énonçant une position singulière. Manifestant un moment de conclure pour elle.

J’aurai, dans la suite du stage et de la formation, confirmation par Annabelle de l’ébranlement et de l’ouverture qu’a produit pour elle ce moment. Confirmation des membres de l’équipe de l’établissement où elle travaillait qui ont, aussi, constaté, en acte, des modifications dans son positionnement auprès des enfants.

Dans ce moment de subjectivation, Je fais l’hypothèse que, pour Annabelle,rencontrant sa division dans l’interrogation de la figure d’un tout – savoir , se révèle ce qu’elle masquait d’une jouissance, d’une passivation qui de sa révélation chute et fait résonner sa vérité.

1 J. Lacan le mythe individuel du névrosé, Paris, Editions du Seuil, Nov. 2007, p.14

2 J. Lacan, Le Séminaire , Livre XVI, d’un Autre à l’autre, Paris, Éditions du Seuil, 2006

3 M. Foucault, L’ordre du discours, Paris, Editions Gallimard 1971, p. 10

4 S. Freud, Psychologie des foules et analyse du moi , in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot,1982

5 J. A. Miller, “ La théorie de Turin” texte consultable sur le site de L’École de la Cause Freudienne; Textes fondateurs.

6 Intervention de Milan, 12 mai 1972, Lacan en Italie , Paris, La Salamandre, 1978, pp 40 48

7 J.A. Miller, “présentation en l’an 2000 du thème des Journées qui se tiendront en 2001, Liminaires des XXX journées de l’Ecole de la Cause Freudienne, Paris, ECF, n° 48, mai 2001, p. 23

8 J. Lacan Télévision ,Paris, Édition du Seuil, 1974,p19

9 P. Naveau , la psychanalyse appliquée au symptôme : enjeux et problèmes in Pertinence de la psychanalyse appliquée , Champ Freudien, Paris, Éditions du Seuil, mai 2003, p 18 et 19

10 J.A. Miller, La théorie de Turin, op. cit.

11 J. Lacan, Ecrits, Paris, Éditions du Seuil,1966, p 213

12 J. Lacan, op. cit. p p197 213

13 R. Antelme L’espèce humaine, Paris, Éditions Gallimard, 1957

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Commentaires

Sujet, institution, destitution

Le texte est fort intéressant, dans son ensemble. La vision psychanalytique de l'auteur sur la dichotomie ou l'alliance Etablissement/Institution est remarquable car elle dépasse l'analyse simpliste et hâtive du mécanisme actuel qui régit les établissements (ou les institutions) sociaux et médico-sociaux. Je rejoins l'idée que l'expérience analytique est "une expérience collective à deux..." selon Freud et Lacan. Et cette expérience est sensée apporter une plus value ou une valeur ajoutée à toute pratique éducative.

Sujet, institution, destitution juillet 2010

L'honnêteté ne voudrai-elle pas que l'on rende à François TOSQUELLES la paternité de la différenciation entre établissement et institution, au coeur de la psychothérapie institutionnelle?

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