mardi 13 septembre 2011
Se dégager pour s’engager…
Prendre soin de soi, c’est accepter de se retirer, de lâcher… Hier, 1 er septembre 2011, j’ai démissionné de mon mandat de « délégué du personnel ». Je n’ai pas « lâché » à la légère ce qui animait mon engagement institutionnel, j’ai pris le temps de la réflexion estivale entre deux tableaux à l’huile ou à l’acrylique pour mesurer la gravité de mon acte. Est-ce que en me retirant de cette fonction, j’allais dénier la question de l’engagement ? Un vrai cas de conscience.
Il me faut donc revisiter la notion d’engagement, la posture qu’elle exige.
Qu’est-ce qu’être engagé ?
Passons-en par l’adjectif d’abord, « engagé »[1]. En architecture, il s’agirait d’un élément « partiellement intégré dans un mur ou un pilier ». Pour l’armée, on dit « qui s’est engagé dans l’armée », ce qui donne pour substantif, les « engagés ». Mais on dit aussi, « mis par son engagement au service d’une cause », en littérature, en s’appuyant par exemple sur l’écriture d’un Sartre, d’un Camus… enfin, on parle également d’être « entravé », « bloqué ». Dans le vocabulaire marin on parle d’une « ancre engagée, prise au fond », un navire engagé est « un navire qui gîte fortement sans pouvoir se relever (à cause du vent, des lames ou d’un déplacement de cargaison). »
En lisant ces possibles définitions, je reconnais cet adjectif comme qualificatif plausible (hormis ceux liés à l’architecture et à l’armée) à mes différents parcours professionnels et institutionnels. Engagée au service de causes est mon pain quotidien, Causes humanistes, causes politiques, causes professionnelles et éthiques… je ne sais faire autrement et c’est également ma raison d’être à la pensée intellectuelle. Où que j’ai pu exercer, et quelque soit le métier, j’ai toujours été engagée afin que je donne sens à mon action. Bien évidemment cet engagement a évolué avec le temps, il s’est apaisé, il s’est réfléchi, de façon à ne pas demeurer « empreintée » de l’extrémisme de mes postures politiques de mes 20 ans !!!
Je pensais en me présentant au mandat de DP[2], trouver à la fois la voie du débat et celle de l’institution, au sens qu’elle se différencie de l’établissement tel qu’a pu le défendre Jean Oury. Il s’agissait pour moi, avec ma culture et mes convictions politiques au sens de Hannah Arendt ou de Platon (« l’homme est un animal politique », disait-il), de se situer dans une dimension sociale, du côté de la praxis sans autre fin que celle de la réalisation de chacun au sein d’un établissement, avec ses règles, ses missions, ses codes, son Histoire. Une distinction essentielle entre l’établissement et l’institution, pour rejoindre pleinement la pensée de Jean Oury, « une des premières démarches à faire dans tout ce qui est institutionnel c’est de faire la distinction entre établissement et institution. L’Etablissement est un lieu, un collectif qui « établit » quelque chose. Selon les contextes linguistiques, un (état)-blissement est quelque chose d’organisé qui passe un contrat avec l’Etat ». Il s’agissait que chacun trouve une place au sein de l’établissement avec la reconnaissance qui lui est due. Sauf que cette année de lutte a vu se confronter les deux dimensions, d’un côté les tenants de l’Etablissement avec tout ce que cela comporte de figé et d’immuable et de l’autre côté les tenants de l’institution en tant que système assimilé par les sujets pensants et désirants. Or en face, nous avions à échanger avec la seule question de l’organisation. Nullement question des sujets au travail !!!
Cet engagement à ne pas lâcher du côté de ce qui fait sens, pour nous formateurs, secrétaires, agents d’entretiens, agents techniques, comptables et autre corps de métiers… a convoqué une vigilance de tout instant pour que la parole prononcée au sein d’instances, ne soit pas détournée par les fervents représentants de l’organisation, disons-le dès à présent, désorganisée et (dés) organisante !
Cependant voici la rentrée venue… Quid du projet pédagogique… Ah ! Un directeur arrive en octobre. Malgré la désorganisation et la (dé)moralisation du personnel et des étudiants, la vie du côté du zèle a échappé aux mortelles procédures managériales, qui voudraient nous assigner aux places de seuls exécutants. Parole de résistance, parole vitale… le message est passé, les étudiants revendiquent leur « chez eux » et proposent !
Celui-ci envisage un ciné club en partenariat avec un cinéma art et essai, ceux-là monteraient bien un potager dans ce grand parc vert sans animation… et une redistribution aux étudiants. Ils proposent les étudiants, ils se projettent dans leur espace de formation et rencontrent leurs formateurs pour être soutenus et conseillés parfois, comme Candide, ils cultivent leur jardin. La parole entendue est transmise ensuite, via notre responsable de filière, à la direction générale qui s’inquiète de l’organisation et ne soutient aucun désir en ne permettant pas ces initiatives du côté de l’institution.
Voilà de nouveau des raisons à ma colère !
Mais je ne peux pas être sur tous les fronts… l’humilité commande de ne pas fourrer son nez partout ! Et qui serai-je dans cette « toute puissance » laquelle fut l’objet d’une perpétuelle vigilance dans mes pratiques d’éducatrice ? L’engagement est aussi de savoir se dégager.
Alors je me suis dégagée, j’en ai rendu compte aux salariés, en les assurant que je demeurais engagée à leurs côtés, pour de futures batailles à mener au cas où cela s’avèrerait de nouveau nécessaire… Et puis, je reste déléguée syndicale.
Et je crois qu’il est épuisant de crier dans le désert, ça use, ça épuise, ça déshumanise la parole !
Attentive à l’institution et à sa préservation, je demeure bien évidemment engagée pour une cause essentielle… la pédagogie et son incessante métamorphose… l’incontournable question du sens, de la rencontre, que va-t-il m’apprendre cet « Autre » ? Comment la rencontre va-t-elle se faire ? Que retiendra-t-il de cette (dé)formation ? Quel éducateur est-il ? Oui, l’engagement ici, en cet endroit même qui fait parole, qui fait lien…
L’engagement à dire ce que je fais de cette posture qui est la mienne, recevoir l’ « Autre » dans sa singularité, son originalité, sa personne… Tout doucement faire et dire ce que je fais ou ce que j’ai fait. Inviter ces administrateurs au principe de réalité. C’est-à-dire au sens « Freudien », rompre avec la question de la pulsion et retrouver le plaisir en adéquation avec la réalité, car soyons clairs aujourd’hui, en notre ère du « plaisir immédiat » et compulsif, le principe de réalité est passé à la moulinette de ceux qui s’inscrivent dans l’autosatisfaction de leur place inoccupée car sans fonction ! Sauf celle peut-être (que je ne sois pas trop sévère !) d’étouffer notre zèle à travailler ! Ces gens ont oublié que le principe de réalité ne rompt pas avec le plaisir. Qu’il y ait effectivement la dimension de l’établissement, nul ne doit douter de cette nécessaire réalité mais que nous retrouvions surtout du plaisir à faire institution. Faire et non pas dire seulement pour pouvoir dire ce que l’on fait, une parole que nous donnerions à entendre sur nos engagements professionnels et éthiques.
Laurence Lutton, cadre pédagogique
[1] Dictionnaire, Le petit Robert, éd. 1984
[2] Quand travailler est… résister, Laurence Lutton, Psychasoc, 1 er juillet 2011