jeudi 06 mars 2008
« Atelier polyphonique » : ou équipe pluridisciplinaire ? Nous avons hésité pour le titre
Nous ne sommes pas spécialistes du champ choral. Nous avions pourtant réussi, à La Rochelle, à travailler un chant à quatre voix et le restituer en séance plénière. Nous avions eu, pour réaliser cette acrobatie, l’analyse de notre pratique et les enseignements qui pouvaient être tirés de cette expérience, trois séquences de deux heures.
Ceci avait été l’occasion pour les participants de réfléchir « ENSEMBLE », c’est le cas de le dire, à ce qui se passe dans un groupe engagé dans un apprentissage en vue d’une production artistique, et de mettre en perspective les paramètres en jeu, les phénomènes rencontrés etc….
Joseph Rouzel a surestimé notre compétence et celle des participants à l’atelier, en programmant un atelier polyphonique d’une heure et demie. Nous n’avons pas tenté l’impossible. Nous n’avons pas chanté.!
Mais nous avons parlé, dans l’harmonie, des dissonances qui peuvent être harmonieuses, et des différences de statut, de formation, d’expérience, d’âge, de sexe etc…qui sont une richesse, à priori, dans les équipes pluridisciplinaires quand elles arrivent à fonctionner sur le modèle d’un « ensemble. » instrumental ou vocal .
L’objectif caché derrière cette médiation était de parcourir, à travers l’expérience de chacun, les différents aspects du travail en équipe, métaphorisés par le langage utilisé en musique. L’effectif du groupe, en fin d’une journée très dense, était clairsemé. Mais les échanges ont été faciles et riches.
Pour travailler en cœur, et en « chœur », certaines conditions doivent être, sinon remplies, au moins prises en compte.
A l’écoute d’un extrait du chant scout « Ensemble », d’un extrait de la bande son du film « Les Choristes », et du chant « Motivés motivés » par le groupe Zedda, on constate que loin d’être un peu désuets et dépassés, le thème de ces chansons est encore apprécié, et toujours d’actualité.
ENSEMBLE, ENSEMBLE ;;; Tout semble
PLUS BEAU !
Il est important de se souvenir que ce chant a habité les milieux scouts, les colonies de vacances laïques ou religieuses.
A la claire fontaine,…
Ouli-oula le printemps arrive etc….
Colchiques dans les prés
Il faut rappeler que la profession d’éducateur spécialisé est issue de ce courant là, et pas seulement du scoutisme, mais aussi des jeunesses socialistes, communistes, ouvrière chrétienne , le Mouvement Freinet les CEMEA Les auberges de jeunesse etc… C’est aussi 1936, les congés payés, l’éducation populaire. Et. l’occupation, les camps de jeunesse, le maquis, la libération et le programme du Conseil national de la Résistance.
C’est l’occasion de rendre hommage à Marc Ehrhard, père du diplôme d’état d’Educateur spécialisé, (Matière éliminatoire : la psychopédagogie !) Ancien président de l’ANEJI, du Comité d’entente des écoles d’éducateurs, il est décédé à la fin de l’an dernier. Dans les derniers mois de sa vie, il terminait une thèse de doctorat en droit sur « les rapports entre le technique et le juridique dans les institutions médico-sociales.» !…
Dans sa préface de notre livre « Former des éducateurs » (Bernard MONTACLAIR et Pierre RICCO’) 1 , Marc EHRHARD revendiquait son esprit soixante-huitard. Je refuse pour ma part à ranger cet esprit là dans la rubrique des affaires dépassées, obsolètes, ringardes.
Si c’est dépassé, il faut nous dire par quoi.
Dans tous ces chants, des thèmes reviennent :
Celui de l’effort, de la progression pénible
Les sentiers escarpés, le chemin, « la route est longue » etc…
La nature,
Celui de la dignité
« Sois fier ouvrier, ton œuvre est féconde Sans toi, que deviendrait le monde ?
Ne rougis pas de ton métier sois fier ouvrier » (Chant jociste)
Les psychosociologues Maslow, Mayo, ont bien montré que parmi les besoins primaires de l’homme, il y avait l’identité, la reconnaissance.
Ce n’est pas travailler plus pour consommer plus. C’est co-opérer pour créer des richesses en vivant mieux.
Il y a aussi le thème de l’espérance
Le printemps refleurira.
Nous marchons vers la lumière.
Vers des lendemains nouveaux.
Et tout cela, ENSEMBLE. C’est-à-dire qu’il y a une foi dans la possibilité de changer quelque chose à travers une démarche solidaire, collective, dans une relation aux autres, avec les autres et pour les autres. .
« Amitié Amitié
« Liberté Liberté
« Par toi l’avenir sera plus beau. »…..
Mais tout cela passe aussi par un combat, une résistance :
TOUS ENSEMBLE TOUS ENSEMBLE OUAIS OUAIS :
Le travailleur social ne peut qu’être qu’humaniste, puisqu’il travaille dans l’humain. Et même « socialiste » en ce sens qu’il est engagé dans un projet de société, dans un collectif.
Travail « tripalllium » opposé à Oeuvre « opera ».
Il est donc important de ne pas perdre vue une dimension éthique indispensable.
Erasme, et après lui Rousseau, insistaient déjà sur l’importance de l’éducation. Freud 2 , a insisté sur l’état de détresse et de dépendance du petit d’homme, plus démuni que les animaux. Dany-Robert DUFOUR 3 , a récemment développé le concept de néoténie , selon lequel le prématuré humain est obligatoirement, de par sa faiblesse, engagé dans une relation ambivalente à l’Autre.
Cette importance de l’éducation, de la transmission pour l’avenir de l’espèce, est primordiale.
L’éducation, le travail social, la psychothérapie ont pour dénominateur commun un projet de changement.
Ce qui suppose trois certitudes au départ :
Une évolution est possible. Rien n’est joué, inscrit, prédestiné. Il existe un espace de « possibles ». Les conceptions fixistes sont incompatibles avec un projet de travail social.
. La relativité , le structuralisme , inscrits non comme des « théories » mais qui découlent de travaux scientifiques incontestables (mais parfois oubliés et contestés), sont incontournables. L’individu pour lequel on entreprend une action d’éducation ou de promotion, ou de soin, est inscrit dans un contexte, un ensemble. Son comportement social adaptatif ou déviant ne dépend pas de ses seules « compétences, volontés, aptitudes, dons, etc »… mais est relatif
Ce n’est pas l’élément qui importe, mais la configuration.
L’existence de phénomènes inconscients qui régissent les rapports entre les humains et par conséquent leurs entreprises, suppose une modestie de la part des intervenants sociaux du terrain et de leurs dirigeants . Il faut accepter de ne pas tout maîtriser. Il faut être dans un réseau de soutien, de supervision, pour œuvrer. Ce travail d’équilibriste nécessite un filet de sécurité.
Par ailleurs, tous les travaux scientifiques des psychosociologues, corroborés par la clinique, prouvent que la motivation à l’action, aux apprentissages, à des projets, ne relève pas de la seule gratification matérielle, salariale etc… mais d’une reconnaissance identitaire. Les récentes déclarations d’ouvriers licenciés, ou de ceux d’EADS devant les restructurations ou les scandales financiers, concernent leur avenir matériel certes, mais tous mettent en avant leur dignité et leur engagement dans l’entreprise: « On se fout de nous ».
Ces considérations ne concernent pas seulement les bénéficiaires de l’action éducative, thérapeutique et sociale, voire politique, (« les usagers »), mais aussi l’ensemble des acteurs et intervenants, dirigeants compris. Il découle de ces fondamentaux qu’il n’y a pas de criminel-né, pas plus que d’homme providentiel. L’ancien Régime reposait sur la monarchie de droit divin, héréditaire. D’un côté un souverain aristocrate, « né coiffé », de l’autre un peuple à gouverner pour qu’il produise des richesses et à contenir pour qu’il ne fasse pas de vagues.
La révolution française a renversé, dans ses principes, cette construction (le peuple souverain). Malheureusement, la pédagogie employée pour former les citoyens était celle de l’ancien régime. Freinet stigmatisait les instituteurs en disant « qu’ils n’avaient pas fait leur nuit du 4 Août, et n’avaient pas aboli leurs privilèges.
Nous vous proposons de garder à l’esprit ce thème de la musique :
« Le plus court chemin d’un cœur à un autre » pour reprendre le titre du livre de J.C. Casadesus, chef d’orchestre bien connu. Invité l’an dernier du colloque de l’AGSAS 4 sur le thème de « la transmission ».
C’est dire que nous acceptons d’emblée de prendre en compte dans notre réflexion, au delà de la dimension esthétique, celle de l’affectif et de l’émotionnel. A charge pour nous de garantir le respect et la confidentialité des échanges et opinions exprimées
Nous proposons d’échanger nos expériences dans la dimension pluridisciplinaire, en quelque sorte polyphonique.
En effet, dans un ensemble, un orchestre, une chorale, chaque musicien joue avec son instrument, dans une œuvre où il n’y a pas de hiérarchie, mais une nécessaire cohérence, reconnaissance de la place de chacun. Le « chef » d’orchestre n’est pas le meilleur musicien, mais le coordinateur au service d’une prestation. esthétique.
Il est important que la partition, avec ses différentes parties, soit la même pour tous les musiciens. Enfin le LA est obligatoirement le point de référence de tout l’orchestre.
Quelques termes employés à propos de la musique :
HARMONIE :
Le Robert nous dit que le terme vient du grec Cheville ou joint, assemblage. Un rapport juste entre des parties.
ENSEMBLE
Unité d’une œuvre. (on retrouve le travail opéra)
Personnes réunies dans un tout. Ensemble instrumental, vocal. L’unit »é tient au synchronisme des mouvements, à la collaboration de divers éléments.
RYTHME
Mouvement, battement, cadence. Forme de ce qui est mouvant, fluide, modifiable.
Arrangement des parties dans l’espace et le temps.
La durée d’une phrase musicale.
LA MESURE ;
Etre en mesure. Etre en mesure de …
Mais aussi ce qui s’impose. « Prendre les mesures qui s’imposent »
LA JUSTESSE
Idée d’exactitude, d’adéquation, de conformité,. Ajuster. Mettre en accord.
ACCORD
Vient de cœur. Faire concorder. Cela renvoie à l’harmonie.
Très différent du « contrat »
A l’origine, le CHŒUR est un espace de danse et d’ensemble vocal, et un lieu architectural (le chœur d’une église)..
Le Littré parle d’un ensemble de personnages qui dansent ou marchent ensemble, déclament ou chantent
NUANCES
Degré d’augmentation ou diminution que présente une même couleur, ou dans le passage d’un son à un autre.
-Différence délicate et presque insensible entre deux choses du même genre.
Délicatesse du langage. Expression « nuancée ».
En musique, différences entre forte et piano.
A rapprocher de teintes et TONS
TON
Hauteur de son d’un instrument. Le TIMBRE, une qualité d’une voix.
Donner le ton. La note tonique.
Aussi au figuré, manière de se comporter dans un groupe social.
« Etre de bon ton ».
Le tonus.
Manière de parler « ne me parle pas sur ce ton ».
L’intonation.
En peinture, le degré de force et d’éclat des teintes.
CONCERT.
Se concerter, marcher de concert…
Un autre vocabulaire, malheureusement, moins poétique et musical, sévit encore actuellement. Héritage de la tradition guerrière dans l’histoire de notre l’humanité. C’est le modèle militaire. Le vocabulaire trahit souvent, (cible, objectifs, stratégies, dispositifs, mobilisation, classe, etc….) les sous-jacences inconscientes de nos bonnes intentions. Il est employé dans les entreprises commerciales et industrielles et « gagne du terrain » dans le secteur psycho-médico-social et éducatif. La hiérarchie rigide prétend être garante de l’efficacité. C’est sûrement vrai dans un combat. Mais pourquoi garderions ce modèle guerrier au lieu de nous entraîner à la co-opération ? N’y a t-il pas une différence entre « débattre » et « échanger » ? La fanfare, et la clique, ne mènent-t-elles pas souvent à la cacophonie ?
1 Editions Erès , Toulouse 1999
2 S.FREUD, Inhibition, symptôme et angoisse [1926], Paris PUF 1993
3 Dany-Robert DUFOUR , “On achève bien les hommes” Paris DENOEL 2005
4 « A ssociation des G roupes de S outien au S outien » Jacques LEVINE www/.agsas.fr