jeudi 30 novembre 2006
La question préliminaire à ce modeste travail m’est apparue au cours de ma pratique. Elle s’est révélée à moi comme légitime lorsque partagée avec d’autres professionnels, les réponses et les avis furent bien divers. Cette question la voici : En quoi le symptôme gène-t-il le soignant ? Jusqu’ou supporter la violence et l’angoisse que génèrent certaines expressions symptomatiques ? Mon propos se rapporte, là, à ces situations vécues chaque jour par ces soignants directement confrontés à leur propres limites, confrontés à ce qui, au fil des jours, au fil des mois, au fil des ans, devient insupportable.
Se poser la question du symptôme c’est d’abord se poser la question du normal et du pathologique, le symptôme, en ce qu’il peut être le signe d’une maladie ou l’expression d’un conflit inconscient, n’étant pas en soi pathologique. Comme le dirait un mathématicien, le symptôme est un élément nécessaire mais pas suffisant pour déterminer le caractère pathologique d’un état, autrement dit, tout conflit psychique, soit il inconscient, n’est pas cause de maladie
« Les champs respectifs du normal et du pathologique s’interpénètrent sur une large partie : un enfant peut être pathologiquement normal comme il peut être normalement pathologique. Au pathologiquement normal peuvent appartenir des états tels que l’hypermaturité des enfants de parents psychotiques, ou divorcés, ou le conformisme. Au normalement pathologique appartiennent les phobies de la petite enfance, les conduites de rupture de l’adolescence, et bien d’autres états encore. » 1
En quoi le symptôme dérange-t-il celui chez qui il se manifeste et ceux qui sont amenés à l’observer ? Cette question contient la réponse, puisque pour le soignant, il s’agit bien d’observer le symptôme comme étant un élément du Réel.
« Lacan remarque que le symptôme n’est pas que le signe d’un disfonctionnement organique, au même titre que le symptôme fonctionne normalement pour le médecin et son savoir médical : il vient du Réel, il est le Réel. » 2
Or, comme le dit Lacan : « Le symptôme est une manifestation du Symbolique dans le Réel ». Pour l’enfant, pour le sujet, le symptôme n’est autre que cette souffrance découlant de cette béance symbolique. La difficulté pour le soignant, seul, observant, tient alors au fait que cette souffrance de l’enfant ne peut, dans l’immédiateté de la chose, faire écho qu’à son imaginaire propre.
Seul et dans le feu de l’action, le soignant n’est pas forcément en mesure d’effectuer ce travail de mise à distance et de symbolisation nécessaire à la résolution du conflit psychique du sujet. Et c’est cette fonction de béquille symbolique de l’enfant qui caractérise la psychothérapie institutionnelle, dont une composante principale est, selon moi, la temporalité liée à l’élaboration d’une réponse collective et pluriprofessionnelle.
Le personnel se retrouve alors tiraillé entre la souffrance de l’enfant et sa propre souffrance de ne pas savoir et de devoir remettre à plus tard une éventuelle réponse. Mais cette idée de voir le personnel en potentiel souffrance est loin d’être nouvelle, je rappellerai simplement que Tosquelles en arrivant à St Alban avait en sa possession deux livres, la thèse de Jacques Lacan et l’ouvrage d’Hermann Simon, Aktivere Krankenbehandlung in der Irrenansalt ; c'est dans ce livre que l'on trouve la thèse qu'un établissement est un organisme malade qu'il faut constamment soigner.
On peut ainsi comprendre que la tentation soit forte de ne plus considérer la souffrance qui sous-tend le symptôme et de le considérer comme un comportement déviant, puis de tendre à le rationaliser, à le normaliser dans le sens de le rendre acceptable car correspondant à une norme social.
« C’est du comportement et des représentations d’hommes moyens et doués moyennement d’une vie complètement moyenne que nous traitons le plus souvent. Exceptionnellement nous pouvons arriver à des individualités exceptionnelles. Mais le héros est encore un homme comme les autres. » 3 Le soignant est un homme comme les autres. Le fou, le malade mental, et tous les termes stigmatisant ne font que renforcer l’idée que le sujet, traité en tant que tel, est un homme comme les autres.
Si la normalisation d’un symptôme revient à rendre conforme à une moyenne sociale les comportements des enfants concernés, alors nous tomberions dans le piège d’un comportementalisme de base, souvent confondu avec ce que l’on nomme « l’aspect éducatif » de notre travail. Je m’inscris en faux contre cet abus de langage. Le champ de la pratique éducative est, selon moi, l’espace de réalité dans lequel, en toute sécurité, l’enfant doit réaliser son inscription sociale.
C’est-à-dire que l’éducatif concerne l’enfant en groupe, dans ses rapports avec autrui. L’éducatif est du côté de la coutume, de la culture, des usages. Il est incitatif et prescriptif. Il est exactement du côté de la loi. Pour cette raison, la fonction primordiale de l’éducateur me semble être d’accompagner le désir illimité de l’enfant dans l’épreuve quotidienne et répétitive de ses limites.
La loi, comme disait Lacan , c’est le désir. C’est ce qui structure l’ambiance, ce qui autorise une attention commune, une sympathie, une « attitude collective ». Selon moi, le côté éducatif de notre travail est à chercher dans le partage, dans le faire ensemble, et pas dans ce qui peut se réclamer de la cœrcition, de la répression, du traitement comportemental.
La normalisation du symptôme est donc un non-sens pour qui croit aux vertus de la psychothérapie institutionnelle. Le symptôme n’est qu’une pièce d’un puzzle que l’enfant construit. Selon moi on ne peut considérer le symptôme que dans la prise en compte global de l’enfant en tant que sujet à accompagner dans la recherche de ses solutions.
Nous pouvons voir, aujourd’hui, les dangers de réduire le développement des enfants à une somme de comportements. Entre dépistage précoce et tolérance zéro, il fait bon ne pas trop se faire remarquer sur les bancs de l’école, ou dans les cours de récréation. Ces derniers virages politiques tendent à modifier les compétences des services de pédopsychiatrie en leur attribuant la charge de guérir les comportements déviants.
Mais l’histoire de la psychothérapie institutionnelle nous montre bien que le développement psychique d’un enfant ne répond à aucune norme, il aspire à un certain équilibre structurel en fonction des lignes de faille du sujet. Il convient donc de rester modeste quant à notre pratique et de savoir ne pas aller trop loin.
Je terminerai ainsi, en citant Lacan, citation qui peut, je pense, s’appliquer à tout travail psychothérapeutique : « Une analyse n’a pas à être poussée trop loin, quand l’analysant pense qu’il est heureux de vivre, c’est assez ».
Bibliographie :
« Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent » (vol 2), PH.MAZET et D.HOUZEL
« Dictionnaire de la psychanalyse »sous la direction de R. Chemama
« Sociologie et anthropologie » Marcel Mauss
« Le travail d’éducateur spécialisé » J. Rouzel
Conférences : « Le symptôme », « Joyce le synthôme » J. Lacan
1 « Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent » (vol 2), PH.MAZET et D.HOUZEL
2 « Dictionnaire de la psychanalyse »sous la direction de R. Chemama
3 « Sociologie et anthropologie » Marcel Mauss