mercredi 26 novembre 2003
Au point où nous sommes du débat, c’est à dire, après que les principales associations psychanalytiques de France aient pris position contre l’amendement Accoyer et que l’urgence de manifester une opposition globale au projet, sans calculs stratégiques, soit comblée, je crois qu’il est possible désormais de réfléchir un temps, à quelques énoncés simples, pour tenter de dissoudre le malentendu croissant entre psychanalyse et psychothérapies . Ce malentendu naît de l’étrange construction de « psychothérapie psychanalytique », longtemps interne à nos milieux, mais qui s’est étendue dans le public à partir des années 70 et, du coup, devrait prendre place, parmi d’autres, dans le futur arsenal thérapeutique des « experts européens es souffrance psychique ».
Comme je me situe dans le débat en tant que psychanalyste, il est évident que je ne connais rien aux multiples constructions offertes sous le terme « psychothérapie » à ceux dont le mal à vivre devient insupportable et cherchent quelqu’un d’autre pour le dire.
Qu’est-ce qu’une psychanalyse ?
C’est une pratique de « bavardage » , soutenue par le bruissement de la parole ou son défaut (le silence n’est pas l’absence de bruit), qui commence et se maintient par les phénomènes singuliers que la psychanalyse a découverts dans le transfert , qui opère par des mots (« si la transmutation qu’ils subissent de l’opération analytique, les élève à leur effet d’interprétation » ) qui se termine, lorsque « le sujet, ayant retrouvé les origines de son Moi en une régression imaginaire, touche, par la progression remémorante, à sa fin dans l’analyse : soit la subjectivation de sa mort. » Alors, sans doute, la destitution opère aussi sur la présence de l’analyste qui représentait l’ouverture à l’objet cause du désir, perdu dans la préhistoire du sujet, et la personne s’engage dans d’autres aventures… Le psychanalyste, pour sa part, est promis à ce reste incombustible dont la scorie se désigne sous le terme de déchet. (Lacan à François Wahl dans le bulletin de l’Association freudienne en 1967 : « Mais sans échafaudage, tant de constructions compliquées destinées à rendre compte des résistances, des défenses, des opérations du sujet, de tel et tel gain plus ou moins désirable, peuvent ne représenter que superstructures au sens de constructions fictives destinées pour l’analyse à le séparer de ceci où en fin de compte il est traqué qui finit par représenter pour le sujet ce à quoi le progrès analytique doit enfin le faire renoncer : cet objet à la fois privilégié et objet-déchet à quoi il s’est lui même accolé et qui finit par mettre l’analyste dans une position si dramatique puisqu’il faut qu’il sache lui-même à la fin, éliminer de ce dialogue comme quelque chose qui en tombe et qui en tombe pour jamais. »)
Qu’est-ce qu’une psychothérapie ?
C’est un soin apporté à une souffrance psychique soit de l’ordre du symptôme aigu, soit chronique.
Qu’est-ce qu’une psychothérapie psychanalytique ?
Un soin apporté, le plus souvent en institution ou établissement, où le transfert et l’interprétation se mélangent à des procédés qui tiennent de la suggestion voire de l’hypnose ?
C’est du moins ce que Freud prévoyait en 1918, dans les « Voies nouvelles… »
Le terme psychothérapie est aujourd’hui un générique qui englobe tout autant le soin pharmacologique de contention des psychoses par des substances neuroleptiques, que le projet institutionnel de retour à la scène sociale, tel que le mettent en œuvre des institutions hospitalières de crise, de cure ou de post-cure, ou encore les différentes pratiques issues de cette « culture du narcissisme » qui mène la définition de la santé du « silence des organes » à l’exigence « d’un état de bien-être physique, social et mental qui aurait pour horizon fantasmatique l'accès à l'immortalité. » (Roudinesco, Le Monde 24/11/03).
Sans juger de la validité de ces pratiques, il faut bien convenir qu’elles se situent parfois en termes de rupture épistémologique, lorsqu’il s’agit de comparer leurs champs conceptuels. De même, leur méthode d’évaluation ne peut pas toujours se soumettre à l’épreuve objective telle que l’instruirait un système de validation expérimentale…
Mais la pratique même d’une psychothérapie dite psychanalytique ne peut pas se comprendre de la même manière en institution ou hors institution.
a) En Institution
Il existe des pratiques psychothérapeutiques en institution et des institutions psychothérapeutiques d’inspiration psychanalytique .
Les premières englobent, dans leurs pratiques éducatives et médico-psycho-pédagogiques, la possibilité d’offrir un espace de parole, destiné à une souffrance singulière qui ne trouverait pas des voies vers la restauration d’un dire dans des activités de groupe. Des psychiatres, des psychologues cliniciens ou parfois des psychanalystes (ce fut mon cas dans un IMPP girondin de 1978 à 1984), sont alors sollicités à la vacation ou à temps partiel, pour entendre des enfants, des adolescents ou des adultes, dans l’institution même qui les reçoit ou, parfois, hors institution, avec contact ou non avec la famille ou avec l’équipe lors de réunions d’évaluation ou de synthèse. Souvent, des jeunes diplômés en psychologie, qui n’ont qu’une connaissance livresque des psychothérapies, se trouvent soumis à cette contrainte d’inventer une pratique qui leur est étrangère plutôt que de rester au chômage ! Cette pratique parce qu’elle vise directement le soin et qu’elle inclut la dimension d’une demande venant de l’institution de soins —certes, confirmée par le patient— se différencie dès lors du dispositif de la psychanalyse, et se trouve souvent désignée sous l’appellatif de « psychothérapie psychanalytique » même si ses effets reposent entièrement sur le transfert et l’interprétation, c’est à dire que, sous un autre nom, ses effets restent totalement psychanalytiques, semblables en tous points à ceux qui opèrent dans la cure dite « type ».
Les institutions psychothérapeutiques d’inspiration psychanalytique, sont des établissements de soin, ou d’éducation spécialisée, ou de pédagogie expérimentale, dont le projet spécifique s’inspire de la théorie et de la pratique psychanalytiques. Il y en eût de nombreuses, et la cohérence de leur projet, tout comme l’éthique de leurs actes ou la validité de leurs effets constatés, est difficile à mettre en comparaison. Un élément pourrait permettre de lire leur rapport à la psychanalyse qui a été depuis longtemps énoncé : « quelles sont les conditions de possibilité pour que des concepts pensés et construits dans une relation individuelle puissent servir dans une organisation de groupe ». C’est ainsi que j’ai pu durant mes nombreuses années de pratique de supervision psychanalytique en institution, signaler comment des contrôles gynécologiques sur des enfants dont on craignait « qu’elles aient fait l’amour contre leur gré », constituaient des véritables passages à l’acte incestueux, et ce au nom, précisément, d’un principe de leur projet, basé sur l’interdit de l’inceste (si l’institution représente la cellule familiale les relations entre usagers ou entre praticiens, seraient, du coup, incestueuses !). D’autres institutions remarquables, ont permis au contraire à de nombreux praticiens et des futurs analystes, de saisir la radicalité de l’acte analytique, en dehors du confort relatif de la cellule psychanalytique (l’École expérimentale de Bonneuil et la Clinique de La Borde, sont parmi les plus connues).
B) Hors institution
« Une psychanalyse, type ou non, est la cure qu’on attend d’un psychanalyste » ( Écrits , p. 329). Même si c’est de « l’esprit », je trouve que c’est une excellente définition en ceci qu’elle situe bien, en premier lieu, la demande d’un analysant qui introduit, par son attente, le principe indispensable et moteur de l’analyse : le transfert . Bien-sûr, beaucoup parmi ceux qui s’adressent à un psychanalyste craignent tantôt de s’engager dans une procédure trop longue, tantôt l’angoisse du silence du psychanalyste, souvent les deux. D’autres encore ont peur de s’étendre sur un divan. Avec les personnes qui souffrent d’une psychose, le psychanalyste doit s’engager dans une dimension du corps qui peut le conduire (G. Michaud) à « un corps à corps contenant dans un bain de paroles ». Enfin, certains analysants qui débutent une pratique ou se situent dans le passage à l’analyste , préfèrent durant un temps, offrir une écoute analytique avant de s’autoriser à se dire analystes ; ils excluent ainsi le divan et se nomment, dans le temps pour comprendre qu’ils instaurent, du malentendu du « psychothérapeute ». Les effets de toutes ces pratiques, qui reposent sur le transfert et l’interprétation, sont des effets psychanalytiques et constituent la cure qu’on attend d’un psychanalyste. Par ailleurs et du côté de l’analysant, certaines cures se trouvent interrompues avant leur terme, c’est à dire, alors que du transfert est encore à l’œuvre dans la combustion de la parole où se joue la psychanalyse. Cela veut dire que, soit par surdité de l’analyste, soit parce que l’analysant s’est laissé tomber de son propre gré, l’analyse aura conduit seulement et au mieux (lorsqu’il ne s’agit pas d’un ratage dévastateur) à des effets de mieux être , c’est à dire à ce « pire » de la psychanalyse qu’est l’effet psychothérapeutique .
Voilà ce que je peux dire sur la question, à partir du témoignage de ma propre expérience. Je sais depuis longtemps, que les querelles dans les écoles psychanalytiques ne disent rien de la qualité des psychanalystes qui y adhèrent. J’en ai connu d’excellents dans des écoles opposées dans leurs fictions théoriques et dans leurs dispositifs . J’en ai rencontré d’autres qui n’avaient rien à voir avec mon rapport à l’éthique, alors qu’ils se prétendaient identifiés à tout ce que je pouvais écrire. L’institution psychanalytique est, comme le disait Michel de Certeau, le symptôme des psychanalystes. Mais chacun y adhère selon ses adhérences , ses errances et ses ambiguïtés , tel est le propre du choix d’un sujet. C’est l’enjeu de la liberté, même si certaines écoles, préfèrent que leurs adhérents restent entre eux et se donnent ainsi une cadence que l’on pourrait qualifier de sectaire .
Je crois que la mise en tension et les différent glissements que j’ai tenté de spécifier dans ces lignes, font partie de la dynamique propre à la psychanalyse et à son temps logique . La question de la vérité échappe et glisse au gré des avancées de la science qui, en ce début de siècle, confond de plus en plus progrès et performance au moyen de l’instauration idolâtre de l’expertise et du contrôle . La fuzzy logic , ou logique floue qui semblait marquer l’avenir de nos prochaines découvertes disparaîtrait ainsi sous la barre des performances technologiques. (Lofti A. Zadeh, « Le but de la logique floue est de parvenir à traiter des connaissances par nature imparfaites, du fait d’un manque de précision dans l’expression d’une dimension, ou de l’impossibilité de chiffrer une notion telle que, par exemple, la maturité d’un fruit : incertitudes, imprécisions et « incomplétudes » caractérisent cette logique. La solution proposée sera de préserver les imperfections dans le traitement logique, jusqu’à un certain stade, jusqu’à ce qu’on dispose d’une représentation manipulable de façon automatique. »)
La psychanalyse reste encore, hors chronologie, dans son rapport éthique au temps : voir, comprendre et conclure, ne fut-ce qu’un instant.
psychose, du clinique à l'engagement, quel est l'irréfutable?
bernier thfd
vendredi 27 mars 2009