mercredi 01 octobre 2008
A. est âgée de 32 ans lors de notre première rencontre. Elle explicite avec empressement et détails quinze années de pratique prostitutionnelle continue intense et diverse. Elle argumente voire justifie la démarche douloureuse et incertaine pour elle de venir nous rencontrer par la décision de rompre avec ce qu’elle verbalise déjà comme une double prise de conscience suscitée par une interpellation policière et un procès culpabilisant et angoissant : elle a toujours vécu la vie que les autres ont voulu pour elle, c’est-à-dire la destructivité ; elle a le droit d’essayer de « construire une vie comme tout le monde ».
Cette situation va nous permettre de mettre en travail la relation entre les cadres d’insertion aux prismes de la singularité du sujet et de l’ influence dans la durée du vécu prostitutionnel et l’accompagnement social tel que nous le pensons et le pratiquons . Observer, décrire et analyser depuis la démarche d’accompagnement social en acte, la rencontre entre une personne longtemps inserrée dans le champ prostitutionnel, les méandres de sa subjectivité et les dispositifs d’insertion doit nous permettre de dégager des éléments réflexifs susceptibles d’affiner nos pratiques et la lisibilité qu’en ont les différents partenaires tout en servant de matière première à l ‘ajustement des dispositifs sociaux à leurs bénéficiaires.
Durant ces années de prostitution , son champ relationnel s’est réduit et concentré sur des liens sociaux issus du milieu prostitutionnel : clients, amis, autres personnes qui se prostituent, proxénètes.
En ce qui concerne ses droits fondamentaux, elle en est peu informée et totalement désinscrite. L’accès aux droits fondamentaux est notre premier axe de travail d’insertion sociale.
Nous faisons rapidement le constat d’une fragilité et d’une vulnérabilité parfois extrêmes lors de la rencontre avec l’autre, l’inconnu, le nouveau, l’inattendu qui se traduit par une dévalorisation verbale de soi extrême tendant vers la négation et allant jusqu’à la violence automutilatoire allant de pair avec un manque crucial de points d’étayage « internes ou externes ».
L’élaboration d’un Contrat d’Insertion dans le cadre de l’ouverture des droits R. M. I. permet d’élire deux axes de travail situés dans des perspectives temporelles différentes mais articulés :
- sur un plan dynamique : étayer en la médiatisant la confrontation à la perte de ses anciens repères et contenir la manifestation ou la résurgence de difficultés d’ordre psychologique, médical, familial, financier et administratif accès au logement santé activités d’expression. LONGUE DUREE
- sur un plan thématique : travailler la demande explicite de A. : « accéder à une activité professionnelle le plus rapidement possible ». rapport au sentiment d’urgence et ses liens avec le regard des autres signifiants MOYEN TERME
Rapidement, la coïncidence d’un rapport au temps dominé par l’urgence d’agir et la structure de l’incitation et des moyens sociaux mis à disposition va l’amener à trouver un emploi.
A. vit douloureusement le sentiment d’être « un poids pour la société » et elle est particulièrement semble à la dimension provisoire et contractuelle du R. M. I.
La quête d’une certaine respectabilité sociale et d’une meilleure estime de soi, les orientations diversement formulées mais convergentes de la plupart des agents d’insertion et de l’entourage relationnel coïncident à l’orientation de A. vers l’accès à l’emploi : motivée, elle trouve rapidement un travail à la mesure des savoir-faire acquis avant l’entrée dans la prostitution.
Mais rapidement elle se trouve confrontée à un constat en forme d’écueil majeur : l’ arrêt de la prostitution amène à devoir s’inscrire dans une dynamique complexe et singulière de (re)construction de soi et de (re) apprentissage de nouveaux comportements.
La gestion du temps est à réapprendre (ce n’est plus elle qui fixe ses horaires de travail) ; le rapport aux autres (il est régi par d’autres codes de conduite et notamment d’autres manières d’imposer le respect), à la hiérarchie , aux limites (les repères du « permis », du « licite » et de l’ « interdit » ont bougé) et aux droits (y accéder implique des procédures nouvelles). Accepter dans une certaine mesure le regard des autres, accomplir certaines démarches sur le plan administratif est une redoutable épreuve pour A. qui est aussi confrontée à la modification fondamentalement de son train de vie et à la une gestion différente de ses revenus.
La détérioration rapide d’un état de santé psychique et physique déjà fragile va mettre en exergue le télescopage entre les anciens repères et les exigences du monde du travail. A. va avoir le sentiment qu’il faut faire des choix sacrificiels : le travail au prix de la santé ; le regard des autres au prix de la souffrance physique et psychique …
Les rencontres avec les intervenants médico-sociaux vont être marquées par la négation de ces contradictions. Au médecin qui propose un aménagement ou un arrêt de travail est renvoyé les obligations financières, le regard des autres et le besoin de temps pour prendre ses marques. Au travailleur social référent qui écoute et renvoie la nécessité d’une approche globale de la personne qu’elle est, A. renvoie la peur légitimée par les discours sociaux de ne pas « donner les signes de bonne volonté attendus » et de perdre ses droits… A elle-même, attentive dans son for intérieure à la détérioration de sa santé et de son comportement, elle intime violemment l’ordre de se taire.
A. est parlée par son corps. Il ne répond plus à ses injonctions. Il l ‘abandonne. Il dit le prix qu’il a payé pour soutenir une demande de reconnaissance éperdue. Elle est hospitalisée…
Lors des entretiens suivants le point focal s’est déplacé : elle « sait » qu’elle ne pourra plus jamais travailler. La peur de manquer d’argent la tenaille. Elle perdrait son toit. Elle ne veut/peut dépendre de personne. Elle demande à examiner avec nous le jeu des possibles. Les intitulés des cadres lui font mal à la dignité : « allocation adulte handicapé », « revenu minimum d’insertion », « invalidité de la sécurité sociale »…
Réinvestir le cadre RMI suscite le sentiment de ne pas avoir avancé tout en ayant détruit ses idéaux… D’avoir perdu du temps… Depuis toujours…
Vient la parole au sujet de son passé prostitutionnel ; une parole moins morcelante, désireuse de tisser des liens entre les moments, les êtres, les lieux ; moins en prise avec les attentes supposées de ses interlocuteurs. Réinvestir l’espace de la parole l’ouvre à la pensée de ce que la prostitution a masqué , compensé, calfeutré de carences affectives, de blessures de l’enfance et de silences d’adultes.
Trois années se sont écoulées depuis notre première rencontre…
psychasoc
Pour te sentir aimer, aime...
vendredi 30 janvier 2009