mercredi 31 mai 2023
Sylvie RABAUD
Pas d'i-s'y
Essai d’écriture d’un passage,
Des empreintes empruntées
au pas-deux côté
Monographie pour la certification de
superviseur d'équipe de travailleurs sociaux
Année 2022-2023
XXXIIIème promotion
Institut Européen Psychanalyse et Travail Social
Montpellier
Départ.
*
Je me déplace à Montpellier, suivre où me mènera la formation à la supervision d'équipe dispensée par Psych@soc
Je cherche un déplacement.
Je travaille dans le même CSAPA 1 depuis onze années. J'ai longtemps dit que je me verrais y passer ma vie professionnelle, c'est l'un des quelques lieux à l'hôpital public où l'on peut encore travailler en prenant le temps de penser nos pratiques.
Mais,
Je ne dis plus la même chose.
Je cherche un déplacement.
Me déplacer pour pouvoir rester dans ce service. Ou en partir. C'est ce que je dis lorsque vient mon tour de me présenter dans le groupe.
J'interroge le désir d'y être, la nécessité de faire un pas de côté, y regarder un peu autrement. Depuis ce regard qui, s'il ne s'extériorise, se déplace - voir, estimer, considérer. Est-ce que je peux encore en être ? Est-ce que je veux encore y être ? Etre. Dans cette équipe.
Dans cette équipe je suis entrée petit à petit – sur la réserve dira-t-on. Un jour, une collègue me dira que cette réserve confine à l'effacement. Au fil du temps, la réserve a baissé ses exigences, et avec elle la prudence a relâchée. La même collègue me dira : « (Maintenant qu'en réunion tu parles davantage), on sait où tu es ».
Mais,
Maintenant que je parle, on sait où tuer ?
Parler.
Entrer dans un groupe.
Faire partie d'une équipe.
En être.
S'y mêler. Mettre, s'y mettre, s'y mêler, s'en mêler, s'emmêler.
S'y met les « ou tu es », « où tuer », « où es-tu » ?, les « ou est tue ».
« Tue », du verbe taire à la forme active ou passive. « Tue », du verbe tuer. « Tu es », verbe être.
Il y a de quoi s'y perdre.
En être. Y être.
Cette première semaine de déplacement, je m'emmêle. Ça s'emmêle. Je ne sais plus où j'en suis, ou je suis. Si j'en suis. Si j'en suis, je ne sais plus où.
La question de mon désir d'être encore dans l'équipe du CSAPA se déplace. Avant de (qui sait?) me déplacer, je chavire.
D'autres questions, inattendues celles-là, s'en mêlent.
Inattendues et pas nouvelles. Elles sont ici renouvelées. Re-posées.
Cette première semaine je ne peux plus me reposer.
Pour entrer dans un groupe, a-t-on à en rabaisser sur notre vigilance ? Entre-t-on dans un groupe pour se reposer. Se reposer sur l'Autre ? Se reposer, comme dans un rêve ? Et, comme dans « Le rêve de l'enfant mort qui brûle » 2 , c'est le réel qui réveille, par le truchement de la rencontre. Rencontre de l’impossible. Impossible d'en être : il n'y a pas de rapport sexuel.
L'inattendu, c'est la question de mon lien au groupe qui, cette première semaine, se re-présente. Je vois des sous-groupes se former, des liens se tisser. Je reste en dehors. Dans le cadre dédié de la formation, je veux bien y être - même, j'y suis intéressée - pour le reste je me tiens en dehors, je n'en suis pas.
Le lien pourrait s'en tenir là : un intérêt pour les discussions, les rencontres, dans le dispositif de la formation et la réserve pour ce qui concerne les choses qui ont lieu en dehors.
Mais,
Quelque chose me fait violence.
Lors d'une séance d'instance clinique 3 je raconte ma place au CSAPA. Dans le second temps de l'instance, ce que des membres du groupe m'envoient en retour 4 me fait violence. Ce que leur parole fait de moi me dé-membre. M'arrache d’une unité imaginaire. Unité du groupe, unité du désir, unité de la pensée. Ça me tue. Me – Tu.
Ces mots qui résonnent. Ces mots, où je ne suis pas et qui me concernent pourtant intimement. C'est la rencontre d'un réel : Il n'y a pas de rapport sexuel ; Il y a de l'Autre en soi.
Cette semaine je ne peux plus me reposer.
Quelques mots prélevés dans ces retours :
« Il y avait quelque chose de morbide, j'avais le sentiment qu'on allait tous vers quelque chose de l'ordre de la mort. On te reproche de ne pas parler et tu ne parles plus. Tu disparais. »
Ceux de la formatrice : « il y a quelque chose d'une histoire sans parole. Quand vous dites ne pas parler, de quelle parole s'agit-il ? On entendait la parole s'éteindre. On entendait aussi la répétition de ce n'est pas faute de parler »
Et puis Ali, qui a noté des mots qui l'ont traversé, lit : « Sylvie - Si il vie ».
*
« Les morts continuent-ils à vivre ? Sommes-nous certains qu'ils ne nous font pas signe à leur manière, eux ou bien le souvenir sous la forme duquel ils demeurent auprès de nous, lorsque, au plus noir de la nuit, pour distraire notre chagrin, nous contemplons les ombres qui nous tiennent compagnie et dont nous ne savons pas d'où elles viennent, ce qu'elles représentent ni ce qu'elles signifient ? »
Philippe Forest, Pi Ying Xi
*
Sylvie - Si il vie.
Il y a dans ma famille une histoire de prénoms qui veulent dire autre chose. J'ai toujours entendu que ma mère aurait aimé me prénommer Déborah. Mais sa sœur aînée a fait dire autre chose au prénom: « Déborah – des belles souris ». Ma mère aimait aussi Sandra, mais la sœur: « Sandra – mais avec des couvertures ». Finalement on m'a prénommé Sylvie, un prénom choisi par mon père. Il l'écrivait Silvie : dans sa langue natale le y n'existe pas. Finalement, c’est mon frère qui a trouvé comment démembrer le prénom : « Sylvie – c'est qu'il n'est pas mort ».
Ce jeu sur mon prénom est resté inscrit subjectivement. Quelque chose dans mon prénom qui m'attache à la mort. Si-il-vit, mais qui est cet « il » pas mort, cet « il » pourtant absent ?
Dans l'ombre de la mort portée sur le prénom choisi par mon père, il y a la marque du y absent. Lettre coupée de mon prénom. L’être coupé du prénom - Je ne suis pas ce que vous dites - Coupée du signifiant (qui représente le sujet pour un autre signifiant). Mon être chu dans les dessous, dans les silences . La lettre tombée de cette coupure, mon père l'a escamotée dans le silence de sa langue maternelle. Il l'a gardé par devers lui, et, tout aussi bien il l'a supportée.
Dans mon prénom, un i -l' est absent - C’est ce qui le rend présent : en trop.
Une histoire sans parole.
De l'histoire de mon père je ne sais rien. Quelques scènes passées par les mots de ma mère. Des allusions de mon père à la violence de son propre père, sa ceinture – mais pour en savoir plus...ceinture, je reste sur ma faim. Un souvenir donné depuis son lit d'hôpital, son départ pour la France. Un départ dans le silence, sans rien dire à ses parents. Son vélo pour rejoindre le passeur, laissé là-bas, perdu.
L'histoire de mon père est une langue étrangère, tue et puis oubliée. Une langue maternelle tu(é)e.
Par le truchement du y , dans la coupure de mon prénom, c'est du silence, de l'énigme, du secret, de la mort, de la disparition, du meurtre de la langue, que je suis marquée.
Ce n'est pas faute de parler
Longtemps je n'ai pas pu parler. Aujourd'hui il arrive encore, à certains moments, dans certaines circonstances, que ça me soit impossible.
La parole sépare. Elle est le lieu d'une indivisible singularité.
Je viens d'un monde où la différence de l'autre ce n'est pas sa parole, mais son silence. Le silence comme réponse.
Dans mes origines, l'héritage d'un défaut, d'une faute de parole.
Tu disparais.
Qu'est ce qui disparait avec cette parole qui ne trouve plus sa voie ?
Ça s'est perdu en chemin.
C'est bancal, c'est un y à une seule jambe, l'autre on la lui a coupée. Elle est restée là-bas.
Quelque chose est à jamais perdu.
Quelque chose s'efface.
Quelque chose n'a jamais été là.
Quelque chose n'a jamais été que trop là.
Cette chose perdue je l'ai, dirait-on, gardée à l'intérieur de moi, comme un legs à protéger. C'est une énigme superbe qui porte le poids de la honte. La honte d'être ignorée, la honte d'être tue, faute de parler.
La cause produisant l'effet, dans ma parole, de ne plus trouver sa voie, c'est la honte.
Qu'est-ce que cette honte ?
Ca me tue.
Il m'est arrivée de mourir de honte et de rester sans voix.
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« J'avais commencé à écrire pour fixer les secrets que j'aurais pu oublier. Et même plus que pour les fixer, pour les susciter, pour provoquer des secrets à écrire »
Louis Aragon, Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipits
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On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Il aurait laissé son vélo, un vélo mi-course bleu, contre un mur dans une ruelle d'Alcobaça, juste un peu abrité, un peu caché. Il aimerait penser que personne ne le prendra, que le vélo restera là, à l'attendre, à jamais. Il aurait rendez-vous avec le passeur en bas des marches de la cathédrale, ils se salueraient d'une poignée de main, sans un mot. Il suivrait cet homme. Ils monteraient dans la vieille Renault du passeur et rouleraient jusqu'à la montagne. En chemin ils ne se parleraient pas et fumeraient quantité de cigarettes. La frontière il faudrait la traverser à pieds. En Espagne, le passeur le laisserait aux portes d'une gare. Il aurait pris là le premier train de sa vie ; jeune homme de 18 ans, un paquet de cigarettes dans les poches, de maigres économies et des mots restés là-bas. A tout jamais perdus. Un au revoir à la terre jamais déposé.
Il en aurait perdu sa langue. Au début, il serait arrivé en France avec seulement des mots portugais et petit à petit les mots français auraient pris la place. Sucre à la place de sugar , voiture à la place de caro , travailler à la place de trabalhar , amour à la place de amor , père à la place de paï , ils auraient rongés la langue des racines, comme si, sur la terre de l'exil, il n'y avait pas assez d’horizon pour cheminer avec les deux jambes.
Un jour il se rendrait compte qu'il n'y a plus rien de la langue maternelle. Un jour il se rendrait compte que les rêves aussi parlent français. Un jour il se rendrait compte qu'il ne sait plus comment on dit. Il commencerait alors à parler à ses enfants, Il jouerait à dire – Qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? Il dirait - ma gueule de métèque. Il le pourrait parce qu'alors il y aurait une histoire partagée, en Franc
La faute
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L'écho de ce qui de mon énoncé est relevé lors de cette instance clinique, « Ce n'est pas faute de parler », me renvoie à ma déjà vieille inhibition à l'endroit de la parole ; me renvoie, par rebond, au silence de mon père ; et, par rebond à la perte, l'abandon de sa langue maternelle 5 . Une faute à l'endroit de la langue, dont l'effet est le silence, le silence ou la parole empêchée 6 . On pourrait aller chercher plus loin et, à partir de cette inaccessibilité de la version de mon histoire qui relève de la transmission paternelle, parler d'une faute dans la filiation.
Pierre Bruno dans son livre : Une psychanalyse : du rébus au rebut, écrit que « Le sentiment de la faute est toujours celui de la faute de l'Autre, et spécialement du père ». Quant à Lacan, il parlera d'Hontologie .
La faute en tant qu' « héritage auquel nul ne peut se dérober » 7 , est ainsi une faute que, par filiation nous portons et qui nous dépasse, une faute obscure.
Suivons ce fil : dans L'éthique de la psychanalyse 8 , Lacan parle de faute originelle, laquelle a été scénarisée par Freud dans Totem et Tabou . Ce mythe met en scène la faute originelle du père en tant que jouisseur, laquelle est reprise par les fils qui tuent le père, et c'est là le fondement de la civilisation : elle s'origine de la faute pour élaborer une loi symbolique, et ainsi la faute se transmet, reprise par les fils. La dimension symbolique reste ainsi marquée du poids des péchés d'une part, et d'autre part d'un ratage à son origine, une erreur irrécupérable, une brisure qui ouvre une lign(é)e impensable, irreprésentable.
Dans la dernière partie de son enseignement 9 , Lacan parlera du lapsus comme d'une faute : « Ici se renouvelle la question de la faute. La faute, ce dont la conscience fait le péché, est-ce de l'ordre du lapsus ? », et plus loin : « Ce que nous apprend la psychanalyse c'est qu'une faute ne se produit jamais par hasard. Il y a derrière tout lapsus, pour l'appeler par son nom, une finalité signifiante. S'il y a un inconscient, la faute tend à vouloir exprimer quelque chose, qui n'est pas seulement que le sujet sait, puisque le sujet réside dans cette division même que je vous ai représentée en son temps par le rapport d'un signifiant à un autre signifiant ». 10
A partir de là, voyons quelles pistes s'ouvrent pour entendre ce qui m'est renvoyé lors de cette instance clinique : « Ce n'est pas faute de parler » .
Première piste : Il y a une faute dans le signifiant, une inadéquation qui porte sur l'être d'un sujet : représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Pour ce qui me concerne cette faute s'écrit dans Silvie et se transmet dans l'ombre de la langue originelle du père, la langue à laquelle il a été infidèle, la langue contre laquelle la société l'a poussé à l'infidélité (mon père était un homme « assimilé » et, en tant que tel toujours en dette, toujours en faute vis-à-vis de la société qui l’a « accueilli » et a exploité sa force de travail, l'a usé jusqu'à la corde). Dans mon empêchement à parler, je retrouve le point d'origine, la faute.
Mais, à côté – ou sur l'autre versant, si nous considérons cela d'un point de vue topologique – j'ai pris à ma charge, j'ai pris sur « Moi » de parler. On pourrait là élucubrer des significations : j'ai pris à ma charge de parler pour réparer la faille de l'Autre, la faute du père, celle son silence, la double faute, celle de sa trahison. J'ai aussi pris à ma charge de parler pour le venger, étant donné que j'ai eu accès à la langue par l'école de la république, par la culture du pays où je suis née, par mon transfert de classe aussi. Il y aurait ainsi une réparation et une dette en souffrance à l’égard du père.
Le silence qui n'a pas cessé de me venir ouvre, en certaines occasions, l'espace de l'impossible réparation et celui de la dette en tant qu'ineffaçable.
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« Notre source est l'inconnu le plus inconnu car elle a pris effet en même temps que nous-mêmes avant notre naissance, avant nos mains, avant notre langage, avant notre vue. Même en épiant comme font les voyeurs, nous ne la faisons pas revenir. Même en l'exprimant, nous l'enterrons ».
Pascal Quignard, Le sexe et l'effroi
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Seconde piste : Dans la faute de parler, au sens du lapsus 11 , un signifiant arrive là où il n'est pas attendu. Il surgit, par surprise, met la lumière sur une autre dimension - une autre dit-mansion 12 , une autre histoire, un autre secret, un autre mensonge. Si j'entends autre chose dans « Ce n'est pas faute de parler », c'est la négation – finalement une infidélité quant à la faute dans la langue dont je suis héritière, puisque : Je parle. Ce que je dis ce jour-là c'est qu'à un certain endroit, je parle trop. La reprise à partir de ce que formule Isabelle Pignolet De Fresnes me permet d'entendre ce que je sais sans en avoir encore tiré (toutes) les conséquences, ni toutes les conclusions. Mais, conclut-on jamais? Plutôt, nous sommes sans cesse relancés, et, dans chaque relance, se trouve un écart, l'espace d'une séparation.
Il y a une parole manquante, une langue absente, une langue présente dans son absence. C'est bien ce qui la rend désirable, d'être absente, laissée derrière, cachée dessous : c'est son absence qui la fait phallus, objet du désir telle « la femme derrière son voile » . 13
Dans la filiation, je suis celle qui parle, qui écrit, qui met à jour.
Mais quoi mettre à jour de l'obscurité des origines ? En réalité, rien de l'énigme n'a été résolu – rien n'est résolvable. « Rien » n'est pas résolvable.
Rien est mis à jour.
C'est à cet endroit qu'on écrit, pour provoquer des secrets 14 .
Le silence ne voile-t-il pas ceci qu'il n'y a rien à voir, rien à apprendre, rien qui viendrait boucher le trou à l'endroit de la question des origines, rien qui viendrait épuiser le mystère de la langue qui nous précède. Dans la filiation, je suis celle qui a cru que la parole pouvait être récupérée, la faute ravaudée. D'autres s'en sont tenus à leur silence, mais le silence ne peut-il pas lui-même être un leurre ? Donner l'illusion, laisser croire qu'il y a quelque chose derrière, laisser croire à l'existence d'une parole en tant que tue.
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Ce serait une enfant fascinée par ce père robuste avec des tatouages sur les bras et rien que du silence sur les lèvres. Dans ce silence il y aurait une langue étrangère, une histoire abandonnée.
Plus tard, ce serait une jeune fille qui aurait soif de paroles. Parfois, elle crierait. Le silence ça la tuerait.
Personne lui répondrait. Personne ne dirait que ce qu'il y avait à dire, c'est rien.
Il n'y a nul trésor caché.
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« Il faut céder à son secret jusqu'au point où la vue n'en est point empêchée. Le sommeil est seul à le dévoiler au rêveur, lui-même seul, sous la forme d'images. On ne partage jamais son rêve. On ne le partage même pas avec le langage. La pudeur concerne le sexe comme secret. Ce secret est inaccessible au langage non seulement parce qu'il lui est antérieur de bien des millénaires, mais avant tout parce qu'il est, à chaque fois, à son origine. Le langage en est à jamais dépossédé. Comme l'homme qui parle en est à jamais dépossédé puisqu'il est à jamais sorti de la vulva. Puisqu'il n'est plus un infans mais un maturus, un adultus. Puisqu'il est devenu langage ».
Pascal Quignard, Le sexe et l'effroi
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Il y a rien, le secret n'est pas à découvrir, il est à inventer. Il s'invente
On peut penser que la parole détient quelque chose, quelque secret, qui serait à dévoiler. On peut s'en tenir au silence pour se faire à l'image de ce secret, se présenter comme porteur du mystère à dévoiler. On pourrait aussi – et on ferait bien mieux de – fabriquer des histoires là où il n'y a rien à voir, rien à découvrir, et tout à apprendre, tout à inventer. Ce pourrait être des secrets qui ne feraient pas semblant de vérité, parce qu'on n'en serait pas dupe, parce qu'on se laisserait surprendre par le surgissement d'une invention. Ce serait une autre dit-mansion. Ça supporterait son poids de silence et ça allégerait de la culpabilité, ça serait une faute dont on jouerait. Un silence non-dupe.
Je trouve ça dans l’écriture – ce qui me rend sensible à ce qu’écrit Aragon à propos de son désespoir d'enfant devant la recherche de correspondance entre le langage parlé et la « langue silencieuse » 15 de l'écriture. A quoi écrire servirait si c'est pour reproduire la parole, lui être fidèle, l'intérêt de l'écriture est de produire autre chose, un écart, d'inventer. « Un beau jour », écrit-il, « l'idée me vint que, si je savais écrire, je pourrais dire autre chose que ce que je pensais » . 16
Il y aurait ici à différencier le silence qui sert le leurre selon lequel il y aurait quelque chose à dire, quelque chose de caché, quelque chose de consistant dans le secret, et le silence comme tel, celui qui s'applique à ne pas recouvrir.
J'ai cherché à sortir du silence, à découvrir ce qu'il y avait dessous, je me suis mise à parler – j'ai appris ça de la cure – alors, quand on me dit que je ne parle pas je m'en étonne : « Ce n'est pourtant pas faute de parler » ? Si, comme nous l'apprend Freud, on soustrait la négation pour entendre ce qu'il y a derrière ce qui se dit, on entend alors une faute qui se situe au niveau du parler : c'est faute de parler. La faute de parler, c'est aussi la faute qu'il y a à parler.
Je parle là où était le silence et par conséquent, rapidement je parle trop, à certaines occasions cela provoque un sentiment d'impudeur. Cela me (dé)place à l'endroit de la honte.
Quelque chose rend parfois la parole impossible mais aussi parfois elle déborde, me dépasse. Dès lors, la honte est l'indice d'autre chose derrière le parler.
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Dans Un homme sans titre 17 , Xavier Le Clerc, Français né Algérien, écrit : « A dix-huit ans je déposais à la préfecture de Caen mon dossier de naturalisation. Outre l'octroi de la nationalité à une personne étrangère, le dictionnaire offrait une seconde définition de ce mot, désignant un « animal mort » auquel le taxidermiste restitue « l'apparence du vivant » » .
Quant à Paul Audi 18 , Libanais d'origine, naturalisé Français, il présente la naturalisation comme le fait de naître une deuxième fois.
S’il y a deux naissances, en toute logique il faut que quelque chose meure entre les deux. Il faut une mort. Qu'est ce qui des origines se perd ? Qu'est ce qui meurt dans le processus d'assimilation, qui va, comme ça a été aussi le cas pour mon père, jusqu'à la naturalisation ? Où est le cadavre ? Dans la langue, l'attache de la langue, le fait de dire, de vouloir dire, de pouvoir dire, l'amour du langage. Ce qui meurt ? Une part de lui. « Je suis de passage » disait mon père quand on lui demandait son avis. Entre les deux naissances, l'espace d'un départ toujours à renouveler - un départ qui patine peut être, car quitte-t-on jamais ce qui est perdu ?
Lacan parle d'une morbidité à l'endroit de la faute originelle 19 , obscure, dit-il.
La faute serait à la fois ce à quoi la nécessité sociale oblige (dans tout processus d'assimilation, qu'il soit considéré sur le plan du passage d'une culture, d'une identité civile, à une autre ou sur celui plus large de toute entrée dans une culture – on pourrait dire dans l'entrée dans le symbolique qui s'impose à tout être humain, dès lors que son monde est fait de signifiants) et la faute serait aussi ce que le sujet prend sur soi « sur le registre du rapport au signifiant » 20 , ce que le sujet prend sur soi au sens du meurtre de quelque origine.
Dans la faute de parler telle que je la prends à ma charge, telle que je la perpétue, il y a à considérer à la fois une dimension sociale (celle de la violence de l'assimilation, celle de la domestication de la lalangue); une dimension ontologique (celle de l'énigme des origines, de l'absence du signifiant qui viendrait au dernier terme fournir une explication au fait d'exister, d'être né, de rester vivant); et une dimension symptomatique (irréductiblement singulière
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Il serait parti un beau matin alors que tout dormait encore, sans rien dire à ses parents de ce départ qu'il savait déjà définitif. Il aurait passé clandestinement la frontière portugaise, puis la frontière espagnole et il serait arrivé en France. Il aurait commencé à travailler à l'usine, il aurait appris la langue, rencontré une Française. Il aurait gardé le plus grand silence sur son passé, ses origines. Il se serait fait naturalisé.
Ce serait un homme qui pas à pas se serait défait de sa langue natale.
Ce serait une enfant, la fille de l'homme. Elle aurait rêvé tout un monde inscrit dans les pas du père. Elle aurait observé ce corps robuste et silencieux du coin de l'œil. Elle l'aurait aimé, elle l'aurait haï. Dans de grands emportements de mots, elle lui aurait reproché son silence, son absence, sa façon d'être là dans l'absence, trop présent. Jeune femme, elle se serait aperçue que ses propres pas étaient alourdis de silence. Alors qu'elle voudrait entrer dans la vie, s'avancer dans la rencontre des autres, rien ne pourrait s'articuler dans sa bouche.
Pour se défaire de cet empêchement qui rendrait le lien impossible, elle entrerait en analyse. Dans ce lieu-là, le lieu fixe de la réponse silencieuse et de la présence continue, elle apprendrait à parler. C'est comme ça qu'elle le dirait, elle parlerait de l'invention d'une parole qui n'est ni celle des origines – prolétariennes – ni celle du monde où elle serait entrée – celui des classes dominantes cultivées. On pourrait entendre là qu'il y a eu une nouvelle trahison, ou plutôt un renouvellement de la trahison.
A l'origine, il y eu la trahison du père qui, entrant dans la langue d'acculturation 21 aurait perdu la langue natale.
Ensuite, la trahison de la fille qui, accédant à la langue du monde de ceux qui ont fait des études supérieures, ont leurs aises au cinéma, au théâtre, au musée, au restaurant, creuse l'écart qui la sépare de son monde d'origine.
Cette parole qui ne serait ni l'une, ni l'autre – ni celle des origines, ni celle du milieu dans lequel elle avancerait dans sa vie d'adulte – cette parole qui serait pour elle le lieu d'une certaine « justesse », délestée de la trahison, elle la trouverait à certains moments sur le divan, puis elle la déplierait dans l'écriture.
Avec l'analyse cette femme aurait donc appris à parler. Sur un versant, elle aurait trouvé une certaine justesse de parole, une parole engagée et allégée de son poids de culpabilité. Sur l'autre versant elle se serait trouvée soulagée de l'inhibition, mais elle aurait du même coup découvert la possibilité d'un débordement de la parole.
La honte
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La semaine qui suit cette première période de la formation à la supervision d'équipe, je pars quelques jours assister à un colloque avec une collègue de travail. J'ai la sensation que toute la pensée qui s'était animée pendant la formation – les jours et les nuits, sans repos – la pensée se vide, le mouvement s'arrête. Reste, au-devant de la scène, le malaise de trop parler, et de ne pas assez écouter. Avec ma collègue parler de moi, du Moi. Toujours dire Moi, sans cesse renvoyée à Moi.
Je note alors dans mon carnet : « Le blablabla étrangle le passage du dire, brouille la marque, efface le trait saillant, ridiculise la parole. Le blablabla humilie l'être, il me plonge dans le rien que je suis, noyée sous ma lâcheté, mon attente de rien, mon inconsistance et ma ridicule image ».
Ce sentiment de m'humilier, je ne le connais que trop – je l'ai, plus qu'à ma faim, rencontré à l'endroit de la parole aussi bien que du silence. A ce point de la honte, quelque chose prend fin (quelque chose tombe, chute), quelque chose prend faim (après la (re)tombée il y a relance du désir).
La faute est de parler, parler là ou l'Autre se tait, parler pour lui, à tort et à travers, recouvrir son manque, mon manque, et la faute est dans son retournement : ne pas pouvoir parler.
Faute, à l'endroit du silence : là où j'imagine que l'on attend de moi que je parle, ce qui pour moi prend le tour d'une demande de dire quelque chose qui en vaut la peine, quelque chose de consistant. Là, impossible de parler étant donné que rien ne pourrait être à la hauteur.
Faute, à l'endroit de la parole : là où elle se révèle dans son insignifiance, son vide, c'est à dire là où elle dévoile qu'il n'y a rien derrière. Dévoile que je n'ai rien , que Je n'est rien.
Dès lors, le silence se présente comme un voile tendu par le fantasme selon lequel il y aurait quelque chose derrière 22 , et la honte indique l'imposture.
De la même manière le blabla, la jouissance du blabla, se propose comme un habillage là ou en réalité est un trou, une absence, un manque, une inconsistance. Mais un habillage grotesque tant il est mal ajusté, criard.
« Criard » . Ce mot me vient en écrivant, j'en cherche la définition précise, et je trouve :
La signification tombe à propos : excès, mauvais ajustement et dette jamais aquitée. Attirant ainsi le regard sur lui le criard se met au devant de la scène comme celui à qui l'on peut demander des comptes. Il ne pourra jamais acquitter la dette de ce qu'il prétend régler, au mauvais endroit. Il se couvre de honte et en même temps il se protège, car ce n'est pas ça.
Se taire et jouir de parler seraient à ce niveau équivalents en ce qu'ils font le tour de l'objet cause du désir : une parole manquante.
On peut y mettre des histoires
*
Sur une autre scène,
Adolescente, elle aurait eu honte de ce père silencieux, laborieux, ce père à propos duquel elle avait appris les humiliations dans l'enfance par la bouche de la mère. Ce père dans le silence duquel elle aurait vu une domination exercée sur elle mais où elle aurait aussi deviné sans le savoir une soumission – à son propre père, à ses chefs d'ateliers et au grand patron de l'usine à propos duquel on racontait qu'il vivait dans un château - et même une admiration pour ces plus hautes figures de pouvoirs, admiration qui ne l'aurait humilié que davantage -, une soumission à l'épuisement du travail, à la précarité, à la violence de la vie. Ce père dans le silence duquel elle aurait deviné un écrasement de la parole. Le père robuste dans ses yeux serait devenu un père écrasé par les mots de l'Autre, par les mots de la maison, de la femme et des enfants Français, leurs livres et le faste de leur vocabulaire.
Dans le silence du père il y aurait eu toutes les hontes.
Dans les rares phrases qu'il aurait prononcées elle aurait le plus souvent entendu « Quelle vie » et elle aurait pensé que c'était là une question, avant de comprendre qu'il s'agissait en réalité un constat.
*
Une traversée profonde de la honte doublée d'une irréductible révolte intérieure, modifia quelque chose dans mon rapport à l'autre 23 , en ceci qu'elle fût un pas décisif – et néanmoins douloureux – dans le passage à une solitude fondamentale, assumée et tenue. C'était dans la période du premier confinement. A l'hôpital public, nous avions à continuer de nous rendre au travail, y compris dans des services vidés de patients comme c'était le cas au CSAPA, sans masque, alors qu'à ces débuts l'épidémie nous faisait peur. J'eus l'occasion de publier un article dans un quotidien sur nos conditions de travail pendant le confinement. L’écrivant, je n'ai cessé de penser à la publication, c'est à dire au moment où son écriture – sa langue silencieuse – serait mise au grand jour, dévoilée. Je n'ai cessé de me poser la question de ce qui était juste – dans la manière et dans la forme, digne de la parole que je voulais porter, je n'ai cessé de m'inquiéter de la loyauté du texte à l'égard de mes collègues. A l’approche de la publication pourtant, j'ai perdu le cap qui m'orientait. J'ai alors obéi à ce qui m'avait poussé dans l'instant, presque en fermant les yeux. J'ai choisi sans réussir à penser ce que je faisais, ou plus exactement, toute pensée était aussitôt contrariée par une pensée contraire.
J'ai fait le choix de ne rien dire de ce travail d'écriture à mes collègues, et d'écrire sous l'anonymat. Ce choix était réfléchit mais, à l'approche de la publication, je n'ai plus su quoi penser. Fermant presque les yeux – les fermant visiblement sur mon acte, sur ma division, mon manque – j'ai envoyé par voix de mail, l'annonce de la publication à l’équipe du CSAPA. A peine l'index relevé de la touche du clavier de mon ordinateur, j'ai pensé que ce geste semblait me mettre en faute. Je venais de me placer à l’exact endroit que j'avais cherché à éviter depuis le début : sans le formuler ainsi, ce que comportait mon message c'était un « je vous ai exposé » et du même coup ce message m'exposait. C'est comme ça que ça a été reçu et j'en ai été profondément frappée. Prise en faute. Je m'étais exposée, découverte. On savait où j'étais, « où tuer ».
La honte, soudain, face à cet acte qui pourtant m’avait d'abord semblé redonner sa dignité à la présence de travailleurs dépossédés de leur geste, de leur pratique, du sens de leur travail, dans les couloirs vidés d'un service hospitalier.
J'ai alors compris que la honte était venue avec la levée de l’anonymat : Le nom la porte.
Sortir de l'anonymat c'était situer mon rapport aux mots dans mon nom. Ecrire, prononcer, devant les mots mon nom, c’est accepter de ne pas me reconnaître en eux. Ne pas être au même endroit. Mais me tenir à côté, devant, ou derrière peut-être. Les soutenir en tout cas. Les laisser filer, mais ne pas les récuser.
Par ailleurs, dans mon geste d'annoncer cette publication à mes collègues par mail, alors que la chose était déjà engagée mais pas encore aboutie, je suggérais les reproches, le rejet. Je suggérais seule que j'étais en faute.
Une fois de plus, j'étais venue me coincer à l’endroit où la parole me met en faute. L'acte d'écrire, l'acte dans lequel je m'étais tenue verticale 24 , devenait, dans la teinte du message, faute. Faute de prendre position.
Coincée, une fois de plus. Peut-être que le sentiment de justesse n'allait pas sans la faute.
Il fallait serrer à nouveau ce nœud pour pouvoir encore le desserrer, se détacher un peu plus - à nouveaux frais et pour du différent, du séparé.
Justesse.
Jouistesse.
Jouis(si)t’e(s)ce...celui-là ou celle-là...Cette chose.
Ça me fait honte dès lors que ça se dévoile, mais je ne suis nulle part plus près 25 de ma singularité que là.
Prendre la responsabilité de son irréductible singularité, de ce qu'elle produit de justesse, de révolte et de honte, ce serait ainsi assumer cette dernière jusqu'à s'en trouver allégée.
Justesse. Jouistesse. Jouis(si)-S'ilvit. Sylvie.
Le prénom je l'ai pris, je n'ai pas eu d'autre choix que de le « prendre sur Je » .
« Cette jouissance dont le manque fait l'Autre inconsistant, est-elle donc la mienne ? » C'est, écrit Lacan en 1966 dans Subversion du sujet et dialectique du désir 26 : « L'expérience prouve qu'elle m'est ordinairement interdite, et ceci non pas seulement, comme le croiraient les imbéciles, par un mauvais arrangement de la société, mais je dirais par la faute de l'Autre s'il existait : l'Autre n'existant pas, il ne me reste qu'à prendre la faute sur Je, c'est-à-dire à croire à ce à quoi l'expérience nous conduit tous, Freud en tête : au péché originel ».
Si je suis ce fil : parler, c'est recouvrir le silence. Derrière le silence de l'histoire, il y a l'inconsistance de l'Autre, dans le « blabla » le refus de regarder en direction de ce savoir-là. Et à certains moments, à certaines occasions, à la faveur de certaines rencontres, tuchê, se produit un décillement. C'est le cas lors de la première semaine de la formation à la supervision d'équipe : saisissement, nouvelle plongée dans le silence et l'empêchement, puis fermeture par le blabla, et au terme, ressurgissement de la honte. Le sujet qui – comme on sort d'un sommeil – émerge de cela, n'est plus tout à fait le même.
« A l'instant de la honte, le sujet baissera les yeux devant sa condition d'être parlant, là où s'entrechoquent son « Manque à être », et son être « En trop ». Les deux faisant cette hontologie, que son imposture moïque devait lui masquer ». 27
On peut y mettre des histoires
*
Sur une autre scène,
Son père retenait-il ses mots comme des trésors qu’il gardait pour lui ? Mots de cette langue étrangère, mystérieuse, porteuse de son histoire. Les retenait-il comme des couteaux qui auraient blessé ses descendants? Violence ancienne, gardée à l’abri de son histoire secrète, phrases de haine dans le bruit tu de sa tête. Retenait-il ses mots parce qu’il en avait peur, parce qu’il en avait honte ? Les retenait-il parce qu’il ne pouvait pas se reconnaitre derrière eux. Parce qu’il ne le voulait pas ? Les retenait-il parce que justement il était derrière eux ? Jamais devant.
Dans sa quête d'un geste à son endroit, un geste du père porteur du silence, du frère porteur d'un savoir, dans sa quête ça-voir, une main qui s'avancerait, elle se proposerait au désir de l'Autre, objet. Elle gonflerait un instant puis perdrait ses repères, re-pères de ce que ça ne soit pas là, pas ça. Elle s'en retrouverait toute honteuse, coupable de ce que l'Autre ne réponde pas.
Un jour, le frère aurait demandé qu'ils s'échangent un objet, elle aurait refusé, gardant pour elle l'objet convoité par l'autre. Le frère lui aurait rétorqué que puisque c'était ainsi, il cessait à partir de cet instant de lui parler. Il ne lui aurait plus adressé la parole pendant plusieurs années.
Ainsi déchue, elle aurait porté sur elle le poids de ce que recouvrait le silence, la répétition du silence des hommes qu'elle convoitait : sa faute à elle, une parole, une affirmation, qu'elle aurait dû taire, qu'elle aurait du taire, une avancée qu'elle aurait dû garder en réserve.
A la mort du père, elle aurait compris qu'il y avait quelque chose qu'elle n'avait été que pour lui et qu'elle ne serait jamais que pour lui 28 . Elle aurait dit à l'analyste : J'ai en moi, je garde en moi quelque chose de mon père. Il portait en lui quelque chose de moi, quelque chose qui n'existait que pour lui. Elle aurait pensé que c'était ça l'objet a.
Rien
La honte est certainement, dans son coinçage même, un moment d'ouverture – je me trouve coincée dans l'impasse du fantasme qui supporte la croyance selon laquelle « il y a quelque chose derrière ». La honte découvre le rien que je suis. Pour Pierre Bruno 29 , « le surgissement de l'affect de la honte indique l'orientation éthique du désir vers le réel » . Il s'agirait alors de suivre ce rien, de m'en orienter.
« C'est la honte d'une présence injustifiable » dont parle David Bernard dans son texte : « indigne d'être puisque manquant à être. Ontologiquement honteux de sa faute d'exister ». Et Lacan nous dit que la honte est le trou d'où jaillit le signifiant maître et « le seul signe dont on puisse assurer la généalogie » 30 .
Refaisons donc un tour par la généalogie de la faute : On peut dire que la faute est dans le signifiant qui barre le sujet, le rature, rate l'être. Lacan écrit : « il y a en tous les cas un niveau auquel cela ne s'arrange pas, c'est au niveau de ceux qui ont produit les effets du langage, puisqu'aucun enfant n'est né sans avoir eu à faire à ce trafic par l'intermédiaire de ses aimables dits progéniteurs, qui étaient pris dans tout le problème du discours, avec, eux aussi, derrière eux, la génération précédente » 31 . Et la faute se situe aussi au niveau du reste de jouissance, faute de jouissance imprimée sur le sujet, jouissance sur notre corps, là d'où il provient, l'être pour la mort, jouissance imprimée sous la mortification du signifiant, indice d'un réel.
La marque de la rature je la situe me concernant dans la trace du i .
J'ignore si cela est juste 32 , mais dans mon enfance je me suis toujours représenté le y comme un double i – il me semble avoir entendu ça à l'école, mais peut-être ai-je entendu ce que je me suis moi-même inventé comme réponse à ma division, à mon écartèlement, entre deux langues, deux territoires, entre parole et silence, entre langage et jouissance, fantasme et manque. Un i , moitié d'un y , escamoté par mon père, par la langue de mon père et un i en trop (un i (l)n'est pas mort), donnant le y , dont je suis porteuse contre le désir du père - tout contre. Le y dans le signifiant qui me nomme, signe de mon excès, de ma jouissance, autant que de mon manque, du rien que je suis – tombée entre les deux barres du y qui pourrait alors s'écrire ii.
Silvie, marque du désir de mon père, insigne, un signe, de son désir, un désir perdu aussitôt que la chair du corps réel (mon corps de nouveau-né sorti de l'obscurité) a déchiré le-dit désir – chair elle-même déchirée (par la prise du signifiant, du désir de l'Autre) aussitôt que née. « L'objet a, c'est ce que vous êtes tous, en tant que rangés là – autant de fausses-couches de ce qui a été, pour ceux qui vous ont engendrés, cause du désir 33 ».
« Si la chair se réalise comme sens et que le sens se réalise comme chair, c'est de deux manières : sous forme de corps et sous forme de lettre 34 ».
Sylvie, dans la nomination par la marque du y , mortifié d'un moins i (y-i=ii), porteuse de la mort, porteuse dans le même temps de la perpétuation de la vie par le mot d'esprit 35 « S'il vit, c'est qu'il n'est pas mort ». Par le prénom, à travers elle, il vit.
Ces signifiants « Silvie », « Sylvie c'est qu'il n'est pas mort », sont marques de ceci que, sujet, je me constitue dans le rapport à l'Autre.
Ces marques, je les repérerais ici comme traits unaires, à partir de ce que dit Lacan dans le Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse 36 , « Le trait unaire, en tant que le sujet s'y accroche, est dans le champ du désir, lequel ne saurait de toute façon se constituer que dans le règne du signifiant, qu'au niveau où il y a un rapport du sujet à l'Autre. De ce signifiant premier, je vous ai montré les traces, sur l'os primitif où le chasseur met une coche et compte le nombre de fois qu'il a fait mouche ». Ces encoches qui marquent ce que, comme sujet, je représente un signifiant pour un autre signifiant, seraient pour moi : y – ii – s'il vit – il n'est pas mort.
La honte, donc, à l'endroit de ce qui se dévoile au niveau du coinçage, dans les signifiant sous lesquels je me suis comptée, honte qui dévoile ce rien que je suis, rien que, suivant Lacan, je nommerais aussi « être pour la mort : soit la carte de visite par quoi un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant » 37 , et dans le même temps, cette carte de visite, c'est ce qui permet au sujet de se compter (à partir de la possibilité que le « je » de l'énonciation et le « je » de l'énoncé se différencient 38 ) mais, dès lors que je peux me compter, je peux aussi me décompter, me soustraire.
Plus loin dans son enseignement 39 , Lacan indiquera aussi « La jouissance est très exactement corrélative à la forme première de l'entrée en jeu de ce que j'appelle la marque, le trait unaire, qui est marque pour la mort » et de parler « du clivage, de la séparation de la jouissance du corps désormais mortifié ». De cette séparation de la jouissance, reste l'objet a, forme vivante toute fausse-couche qu'elle soit. Le trait unaire, pour moi, encoche du i présent autant que manquant, en trop et en défaut, perdu et encombrant. Marque du désir du père, aussitôt perdue que je viens au monde, marque abstraite qui ne s'inscrit pas dans le réel du corps. Derrière i , l'Autre langue – « ii » : derrière i,, un autre i perdu - la cause d'un désir.
Ce désir on peut le situer à l'endroit de la parole comme dans le silence. C'est là un écart et qui cesse de me tirailler quand j'entre dans la langue silencieuse de l'écriture, par laquelle je donne forme, je déforme, je refais et je réajuste, prenant un grand plaisir à ces remaniements. Faisant pour ainsi dire la langue à ma main, je la vis dans mon corps - langue vivante que j'ajuste à mon style, et laisse aller (vers la poubellication).
Mise en mouvement, mise en circulation, différence, séparation, réinvention. Dans l'après coup de la mise en mouvement que l'écriture produit, chaque fois remettre en fonction le processus d'une (petite) mort, bientôt suivie d'un nouveau souffle ;
En mémoire de Rousseau, cet anti-greffier dont la présence imprègne les pages que je noircis ici et qui disait dans Les confessions ; « Je puis bien dire que je ne commençai de vivre que quand je me regardai comme un homme mort », j'ose déclarer que l'on ne commence à écrire sur soi – dans la transparence et sans obstacle, à supposer que cela soit possible – que lorsqu'on parvient à se regarder comme un homme mort. 40
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Le père de la fille, et son père avant lui, le père de son père, et ainsi de suite portaient en eux la trace d'un ratage doublé d'humiliation. La fille aurait su de son père qu'il avait été un enfant humilié par un père qui laissait des marques de ceinturon sur le corps du fils – marques réelles de la sombre jouissance paternelle. Elle aurait su qu'ensuite, en France, des mots de ségrégation avaient gâté la langue, humilié la fierté d'un homme. Elle aurait aussi su que dans le pays natal les enfants portaient trois noms de leurs parents (deux hérités du père, un de la mère), qu'en se faisant naturalisé Français, il avait barré le nom de la mère – son propre arrangement avec le ratage dans la généalogie, le poids et la perte du signifiant, le don de la vie et l'être pour la mort.
Elle finirait par comprendre que sous le silence du père il y avait l'humiliation et la honte. La honte et la fierté des origines au même endroit, elle aurait pensé qu’elle partagerait toujours cela avec son père – c'est à cet endroit qu'il se tenait digne, à cette endroit qu'elle restait fidèle à la généalogie – aussi dégénérescente soit-elle.
Ça serait un rassemblement familial à l'occasion de la cérémonie de communion solennelle de son frère ainé. Aurait été là le fils d'une amie de la famille, un garçon à peine plus âgé qu'elle. Elle ne l'aimerait pas et il l'attirerait : un garnement. Toujours à faire des bêtises quand elle était une petite fille sage. Le garçon aurait repéré ça, soupçonné quelque chose dans la sagesse de cette fille, alors il aurait particulièrement aimé la malmener. Ce jour-là il la bousculerait et la moquerait. Cela aurait lieu sous les yeux du frère de la fille et celui-ci n'interviendrait pas. Sans mot dire, elle rejoindrait la table des adultes, irait vers sa mère et, lorsque celle-ci lui demanderait ce qu'elle veut, la petite fille s'effondrerait en larmes. Elle ne verrait pas que, là encore, le regard de son frère est derrière elle. Le frère dirait que c'est parce que sa mère s'intéresse à elle qu'elle pleure, pas par véritable tristesse, puisque, au moment même de la scène, elle n'a rien dit.
Longtemps la fille se demanderait où est la vérité, y-avait-il eu de la douleur en elle ce jour-là ou les pleurs n'étaient-ils qu'un leurre destiné à la rendre intéressante ? Finalement, elle penserait qu'il s'agissait peut-être, par ces pleurs, de se récupérer, là où le garçon l'avait humiliée, réduite à cette chose en elle qui la faisait aller vers lui et ses canailleries, par ces pleurs rattraper son image. Après s'être vue humiliée, se voir à nouveau désirable, mais, avec l'entrée en scène du frère, finalement se voir être vue, se voir honteuse, divisée, surprise, ne sachant plus où situer la vérité, ayant perdu (quelque chose) en chemin. 41
La disparition
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Parler trop, blabla moïque, comme un habillage qui, de se faire trop criard, met en lumière l'absence que Je voudrais cacher. A cette lumière se chauffe et prospère le sentiment de honte. La parole s'amenuise : embarras, fruit de la honte.
La honte paraît surgir à l'instant d'un dévoilement. Dévoilement du regard sur ce que je suis, détournement de mon regard vers ce que « je » sait : au fond de l'image – cette doublure qui est « ce qui du sujet est sans image et qui constitue une autre part de lui-même, non plus faite d'identifications symboliques et imaginaires, mais de son être d'objet » 42 . Au fond de mon image, ce qu'il n'y a pas – ce qu' i -(l) n'y a pas – ce y nie i : y 'a pas – y 'a pas, y 'a rien à faire, rien à dire, y il le nie, ni ni, ni i , ni i : y reste rien. Le blabla du Moi comme un y qui cache le i manquant, la honte comme une conflagration à l'instant où y reste rien, « Ce qu'on regarde c'est ce qui ne peut pas se voir » 43 – le i escamoté.
Ce que dévoile la scène de la supervision c'est qu' y reste rien que ce qui apparaît là, pour disparaître. Dans la parole qui s'amenuise, se vide, dans la parole qui se perd, qui se père, que je ne trouve et ne retrouve plus, quelque chose de moi disparaît, quelque chose se mortifie : c'est ce qui m'est renvoyé en écho lors de cette séance d'instance clinique : « Il y avait quelque chose de morbide dans ta parole. J'avais l'impression qu'on allait tous vers quelque chose de l'ordre de la mort ». Par le point ou je me vois regardée là, ce que je vois produit la honte.
C'est au moment où, par l'œil de l'autre, mon regard se pose sur moi, que quelque chose se met en route – une parole, des larmes – au terme de quoi s'éprouve une honte, une douleur 44 . « Le regard se voit, ce regard qui me surprend, et me réduit à quelque honte (...) (Ce regard) est non point un regard vu, mais un regard par moi imaginé au champ de l'Autre » 45 – regard qui me réduit à l'imposture phallique de mon être.
Qu'est ce qui se père là ? Dans le texte de David Bernard 46 , je trouve des formulations qui orientent ma focale : « Sa honte n'est pas que de manquer, voire de manquer à être. Mais elle est aussi celle de se voir être vu...comme en trop : non pas seulement la honte comme « besoin d'excuser son existence » mais la honte dans le fait même d'avoir un corps, d'être là (...) Ainsi la honte aurait exactement pour objet ce qui fait l'ontologie de l'être parlant : la barre honteuse qui le divise, S barré, du fait qu'il est sujet du signifiant, mais aussi ce qu'il est comme sujet de la jouissance, c'est-à-dire corps affecté par ce signifiant ».
S'il n'est pas mort, je garde de mon père la marque, dans mon prénom, de son désir, de ce qui s' y escamote, – la trace d'une coupure dans laquelle chute l'objet petit a – petit t'as - ce petit i , ce y qui cache la moitié qui lui manque pour faire un y , ce qu' i manque et a manqué à mon père, ce tas de déchets en héritage : T'as ce y, t'hérite de ce qu' i n'est pas mort, tout absent qu' i -(l) est i -(l) n'est pas mort. T'hérite de ç- a , du poids de la mortification, de sa marque – être pour la mort. Le sujet porte hontologiquement 47 : « L'être pour la mort, soit la carte de visite par quoi un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant (…) Cette carte de visite n'arrive jamais à bon port (…) C'est une honte, comme disent les gens, et qui devrait produite une hontologie, orthographiée enfin correctement ». L'effet de mortification du signifiant laisse le sujet porteur de quelque chose qui reste en trop. « Au fond de son image, celui-là n'était rien, S barré, sinon ça, a, l'objet honteux ». 48
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Un jour, le père serait mort, le père de chair et d'os, le père silencieux aux mains larges et aux lointains rêves ensoleillés, l'homme qui se disait « de passage » serait définitivement parti. Un jour sa présence, son corps, ses yeux, sa voix, son silence, un jour manquerait à sa fille. Elle se dirait alors qu'une part d'elle est partie avec lui. Elle se dirait que ce qui lui manque c'est ce qu'il était pour elle et c'est ce que, aussi, elle était pour lui – cette chose d'elle, cette part de lui qui n'existe nulle part ailleurs qu'entre lui et elle.
Cette part morte avec le père, désormais à jamais manquante, il lui faudra encore quelques années pour comprendre qu'elle est manquante depuis toujours. Depuis le jour où l'histoire a commencé.
Ainsi, l'histoire peut raconter que, du prénom qui m'a été donné - trace du désir silencieux de mon père, du secret, objet du don et de l'escamotage, porteur de jouissance -, jusqu'à la manière dont je me suis construite subjectivement dans mes liens au désir, j'ai longtemps porté en moi un don du père qui faisait de Moi, celle qui le gardait vivant – s'il - le père, son désir - vivait à travers moi dans le prénom que Je me transportais, c'est qu'il n'était pas mort. « Sylvie c'est qu'il n'est pas mort » pourrait être le signifiant de L'Idéal du Moi, une identification à un signifiant gardant le père vivant – réparant ainsi la faute originelle .
Dans L’angoisse 49 Lacan dit que « nous portons le deuil, et nous en ressentons les effets de dévaluation pour autant que l'objet dont nous portons le deuil était, à notre insu, celui qui s'était fait, que nous avions fait, le support de notre castration. Quand celle-ci fait retour, nous nous voyons pour ce que nous sommes, en tant que nous serions essentiellement retournés à cette position de castration ».
Si je suis ce fil, vient alors le fait qu'il y a eu, quelques années après le décès de mon père, des événements qui ont précipité des effets de dévaluations – c'est à dire comme précipité à nouveau, comme la répétition de quelque chose qui ne cesse d'avoir lieu mais qui cette fois prenait un autre tour, marqué d'un effondrement, et portait pour conclure (Conclure pour un temps, jusqu'à la prochaine ouverture. Mais les conséquences qui en sont tirées restent - voilées parfois mais ineffaçables dans la trace qu'elles laissent sur le désir et l'orientation donné à l'acte, à la vie) portait à d'autres conséquences, disons plus assumées et plus assurées. Dans ces événements, précipités par une publication dans un quotidien national, il est question de mon désir et du nom que j'avais alors choisi de garder anonyme, comme pour me rendre (ou le rendre - lui, le nom, lui le nom hérité de mon père) invisible, comme pour le laisser, lui mon père invisible (et par là peut-être être fidèle à son silence). C'est dans la suite de ce premier événement que je situerai alors ce qui se présenta à moi comme un profond empêchement, une perte des identifications qui fonctionnaient jusqu'alors comme orientation, quelque chose ayant trait au désêtre et entrainant la question de ce qui fait le « joint le plus intime au sentiment de la vie » . 50
Cette répétition de l'humiliation - ici un lien social qui nous réduit à un objet (à une force de travail, une main d'œuvre), la honte produite de cette réduction, honte sociale venant poser notre regard sur l'être de déchet et honte intime s'y mêlant, les effets de l'humiliation venant ricocher sur l'objet, l'abjet 51 - cette répétition dans sa différence, tuchê, « vraie touche de réel » , tel que le dit Lacan dans Télévision 52 - cette répétition était en effet venue m'affecter profondément. S'en est suivi un épisode où je ne pouvais plus me saisir d'un désir qui me permettait d'aller travailler, ni même de ce qui fait que l'on peut manger, marcher, parler, rire. Une disparition du désir, ne sachant plus à quel endroit le saisir – ni dans l'Autre qui ne faisait plus fonction, ni dans mon prochain qui pouvait me bouffer, me faire disparaître comme sujet en faisant de moi son objet, ni en Moi qui ne savait plus à quoi s'arrimer – ouverture d'un espace vertigineux, désorientation, profonde tristesse.
Si, d'après Lacan, la tristesse est une « faute morale », « à l'opposé de la tristesse » poursuit-il, « il y a le gay sçavoir, lequel est lui une vertu » . Et un peu plus loin : « Ainsi l'affect vient-il à un corps dont le propre serait d'habiter le langage – l'affect, de ne pas trouver de logement, pas de son goût tout au moins. On appelle ça la morosité...Est-ce un péché, ça, un grain de folie, ou une vraie touche du réel ? » 53
Il fallait alors en repasser par la parole, par l'histoire, par la perte, faire le trajet d'un autre pas – d'un autre pas-moi – se détacher de ce Moi qui habille le déchet pour le rendre attrayant – criard – qui hurle à l'injustice pour se faire intéressant. Laisser en chemin, pas à pas, papa, pas moi, pas ça. Mais, ça, ne pas faire sans, ça-voir et savoir qu'on ne peut pas faire sans. On ne peut pas faire sans ce qui n'est pas là et n'y a jamais été, sans cette marque et ce deuil 54 . On ne peut plus faire sans ce savoir, sans ça-voir : la saloperie qui nous fonde, le déchet à l'ombre duquel nous marchons 55 . C'est aussi ce qui fait le plus intime du sujet, ce qui le rend irréductible, inassimilable. Voir cela, consentir à ce savoir – se ça-voir parfois avec honte, d'autre fois avec joie – pas à pas mène à une légèreté, à un autre rapport à l'autre, à la différence. C'est là, me semble-t-il, la rencontre d'un gay-savoir.
« Par la fonction de l'objet a, le sujet se sépare, cesse d'être lié à la vacillation de l'être, au sens qui fait l'essentiel de l'aliénation...Nous fondons l'assurance du sujet dans sa rencontre avec la saloperie qui peut le supporter, avec le petit a dont il n'est pas illégitime de dire que sa présence est nécessaire » . 56
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Quelque chose ne tiendrait plus, elle répéterait à nouveaux frais l'expérience de se trouver sans arrimage, sans rien qui tienne. Dans ses pensées se vociférerait. Il n'y a rien qui tient : Tiens ! Prends le ce rien. Personne ne le prendra à ta place .
Elle resterait un moment à attendre le mot qui la ferait tenir. A attendre le mot qui tiendrait. Qui ferait tout tenir, tout son château de carte, toute son histoire.
Dans cette attente elle passerait des jours à demander. De l'aide, du soutien. De la reconnaissance, de la compassion. On lui répondrait que parler lui fait du mal. On aurait raison. Cette façon de parler, cette façon de dire V ois ma souffrance et ma difficulté à vivre la pousserait dans la rencontre du vide en lieu et place de l'objet demandé. Elle comprendrait qu'en ce lieu, elle y met ses larmes, sa plainte, sa demande.
Elle attendrait au bord du gouffre, dans la sensation de ne pas pouvoir, de ne plus pouvoir vivre. Elle pourrait seulement s'arrêter au bord du vide et faire les choses qui sont la vie matérielle – qui lui donnent consistance. Marcher, écrire, cuisiner, lire. Elle penserait essentiellement à la mort. Comment lui faire place ?
Après de longs mois comme ça, elle finirait par dire que la liberté se trouve dans la mesure et le renoncement : se taire, ou dire, juste. Elle s'appliquerait dès lors, autant qu'elle le pourrait, à ne plus se plonger dans le bain de ce langage-là, celui qui fait de la parole une tricherie contre l'être. Parce que plonger dans cette parole c'est y être happée et se débattre, refuser, c'est ne pas pouvoir en sortir parce que c'est un bain qui coule de soi, d'elle, des mots par sa bouche, et c'est suffoquer, s'agiter pour revenir à la surface, là où on a laissé la dignité. C'est alors saisir l'autre qui se tient là, mais dans ce mouvement ne lui donner que des coups, et croire que c'est lui qui nous maintient là.
Puis elle cesserait d'attendre.
A nouveau frais elle aurait traversé la dette, dette d'existence et ce qui reste inéliminable. Dans la traversée de cette nouvelle répétition, elle comprendrait cette fois que le rien qui tient est un ne rien avoir à attendre de l'Autre. Elle comprendrait qu'en attendant de mourir, la fidélité à la vie est le lieu où elle se tient verticale. Elle comprendrait la force du désir de vivre. A présent elle tâcherait de s'y tenir. S' y tenir sur la crête qui dessine les bords de Rien, ne pas tomber dans le vide mais le savoir là et savoir que l'existence est un saut par-dessus le vide, à côté de la saloperie, un saut en dehors de la rangée des assassins 57 qui se décide à condition de se savoir aussi ça : liée à la mort, destinée à cette solitude-là, et attachée à la vie. Après tout on en sait déjà toujours quelque chose
Ce n'était pas la mort mais la petite mort. C'était la mort du moi 58 .
Gay çsavoir
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Silvie, Sylvie c'est qu' i -l' n 'est pas mort, i et négation sans cesse me renvoient au père et à la mort. Là où il n'est pas mort, à l'endroit de la négation, il y a un i en plus, le y à découper ainsi : ii et nous saisirons cette coupure comme la lettre qui marque la division du sujet, la marque du désir de l'Autre et de la séparation, coupure où chute l'objet a – entre les deux encoches ( ii ) du y .
Lacan traite de la négation dans la leçon du 26 novembre 1958, Le rêve du père mort 59 – l'intitulé tombe à propos, je m'y penche donc.
Lacan y parle du non-dit – « l'espèce de contradiction interne qui est celle de tout non-dit au niveau de l'énonciation » . Dans l'énoncé duquel je suis repartie : « Ce n'est pas faute de parler », j'ai fait l'hypothèse que la négation était l'endroit de la faute, l'endroit de ce qui s'entend derrière ce qui se dit et j'en suis arrivée à la conclusion qu'il y a une faute à l'endroit de parler. Cette faute, mes élucubrations et mes lectures m'ont emmenée à la lier à l'hontologie – quelque chose de l'ordre d'une faute en héritage. Dans cette leçon du séminaire Le désir et son interprétation , je suis saisie par le fait qu'il est question, au même endroit, de la négation et de la mort, la mort du père - la mort en héritage.
Nous héritons de la mort de ceux qui nous ont transmis la vie et, dans le même temps, de la morsure du signifiant. Du fait que le sujet soit ce qu'un signifiant représente pour un autre signifiant, la mort est un impossible, le sujet ne peut se soustraire à l'existence . « L'existence que le je a assumée, il y est à jamais enchaîné » 60 . Le signifiant Silvie pour le signifiant Père continu d'exister au-delà de la disparition de mon père, dans une autre dimension que celle de la mort. « L'existence ici ce n'est pas autre chose que le fait que le sujet, à partir du moment où il se pose dans le signifiant, ne peut plus se détruire, qu'il entre dans cet enchaînement intolérable qui se déroule immédiatement pour lui dans l'imaginaire, et qui fait qu'il ne peut plus se concevoir que comme rejaillissant toujours dans l'existence » 61 .Tout en traçant les contours d'un réel (l'être pour la mort), Silvie-Sylvie a une signification symbolique (il me nomme) et imaginaire (ce que j'imagine que mes autres ont projeté sur moi, toute l'histoire que je peux tisser à partir de ce prénom).
Ce qui est ainsi perdu entre les deux encoches du y chute dans le secret escamoté au niveau du i de la langue tue de mon père, dans le secret de ma petite histoire sur un double i qui composerait le y, dans ce qui reste là non-dit, certainement parce que fondamentalement indicible, dans ce qui reste tenu secret, dans cet espace là je repère la fonction de l'objet a. Objet du désir, objet chu, saloperie, objet qui supporte le sujet, qui fait lien à la vie: « L'objet est ce quelque chose qui supporte le sujet au moment où celui-ci a à faire face, si l'on peut dire, à son existence. C'est ce quelque chose qui supporte le sujet dans son existence au sens le plus radical, à savoir, au sens où justement il existe dans le langage. Autrement dit, l'objet consiste en quelque chose qui est hors de lui, et qu'il ne peut saisir dans sa nature propre de langage qu'au moment précis où lui, comme sujet, doit s'effacer, s'évanouir, disparaître derrière un signifiant. A ce moment qui est, si l'on peut dire, un point de panique, le sujet a à se raccrocher à quelque chose, et il se raccroche justement à l'objet en tant qu'objet du désir » . 62
*
Entre les deux i , Sylvie, Si-il vit, il y a un écart qui peut ouvrir sur un vide.
Tentons de faire glisser notre fil sur les bords de ce vide :
Premier tour : Dans cet écart, la parole tombe, me plonge dans le silence – avec cette chute je disparais. C'est ce qui est renvoyé en écho par le groupe dans la séance d'instance clinique évoquée.
Second tour : Me voilà plongée dans le sans repos. Plus rien sur quoi me reposer.
Troisième tour : Je me ressaisis dans l'image, trouve quelque atour spécularisable (là où l'objet est non spéculaire). Moi, blabla.
Quatrième tour : Ce blabla, est une faute de parler qui me dévoile (ne pas parler et parler trop, deux tour un même objet).
L'écart c'est pourtant ce qui permet la séparation, n'être pas totalement aliénée à l'Autre. Entre Sylvie et Silvie, chute du i , espace d'un désir – un désir qui vit. Est-ce lui – le désir – cet il qui n'est pas mort, ça qui ne cesse de vivre ?
Le retour de la honte dans l'épisode qui a suivi la première semaine de la formation, je l'ai – au fil de ce travail d'écriture – relié à l'objet. Lacan dans Télévision parle d'abjet. Cet objet honteux, nous aurions à nous en apprendre (en tirer un gay sçavoir 63 ). Il est l'indice de ce qui de la faute d'exister, de la honte de vivre, de l'être pour la mort, est irréductible. Autrement dit, il est l'indice de ce qui fonde l'éthique de la psychanalyse. Une éthique qui, supportant ce savoir, l'oriente vers la vie, une honte qui ne soit plus un mourir de honte mais un affect qui conduit à assumer un désir, en connaissance de cause. Traversée donc, de ce que le désir – par l'habillage au fantasme - voile : l'inconsistance de l'Autre, la différence absolue, jusqu'au point de vacillement du sujet. Exil hors de la terre du fantasme, invention d'une autre façon de se saisir de la parole, pouvoir se taire quand tout ce qui pourrait être ajouté est en trop, essayer de ne pas trop dévier et accepter les détours, se laisser surprendre. Et même, à nouveau, le désirer. Désirer la surprise, la rencontre, l'invention, la différence absolue. Continuer 64 . Désirer continuer.
Se supporter de l'objet et supporter ce qui est à la fois l'irréductible honteux et le plus intime. « A l'instant de sa honte, le sujet est un sujet embarrassé de son être : du peu et de l'excès dont il est fait. Je ne suis rien, S barré, sinon ç(a) » 65 . Le supporter et en tirer les conséquences. Certainement arrivé à ce point, nous pouvons suffisamment y tenir et s'y tenir pour en faire un usage qui ne soit pas figé par le leurre, perverti par l'escamotage ou le profit, empêché par la mortification, un usage qui soit mise en fonction de ce savoir. Gay sçavoir qui nous conduit à avancer vers une conception de la supervision et de la fonction du superviseur.
Faire avec ce qui sourd en fond, fertile, en fond sonore aussi bien, en ligne de basse comme le formule Paul Audi. Non seulement faire avec, ce qui s'est imposé et ce qu'on s'est approprié, ce dont on se passerait bien et ce à quoi on tient, non seulement faire avec, mais s'en soutenir, s'y tenir, avancer avec ça.
« « Basse » est un terme de musique qui renvoie, dans le contexte de l'harmonie tonale, à une nappe sonore profonde, voire fondamentale ; le terme désigne, plus précisément, la ligne fictive qui se trouve constituée de la succession des tonalités de fond appartenant aux différents accords. La basse est une voix, un appel, mais c'est aussi une tonalité, un affect ; plus exactement c'est une voix plurielle, et une tonalité multiple. Et si cette basse est qualifiée de sourde, c'est parce qu'on l'écoute sans l'entendre, qu'on l'appréhende sans la saisir, qu'on la reconnaît sans la connaître, qu'on en devine la présence – une présence d'arrière plan, donc de soutien – sans jamais la percevoir pour elle-même. C'est cette surdité harmonique qui est supposée transparaître au moyen et à travers une narration, chargée tout à la fois de donner consistance à la ligne de basse et de l'offrir comme en telle en partage 66 ».
Le superviseur, se soutenant de sa ligne de basse, de ç(a) à quoi en tant que vivant pris dans le langage il se réduit, de ç(a) qui le lie à la communauté de solitaires 67 , se soutenant de son désir éclairé (ou tout au moins sachant y remettre la focale quand il s'embrume), pourrait dès lors soutenir pour d'autres dans le dispositif de l'instance clinique, la narration, c'est-à-dire la sonorité particulière d'une histoire pour un sujet singulier et sa mise en circulation dans la ligne de basse d'un groupe dans un espace et une temporalité de notes sonnant comme autant de tonalités particulières.
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
le père aurait laissé un à un derrière lui les bouts de ficelles qui l'attachaient à sa terre, à sa langue natale. La possibilité de la parole avec sa famille d'origine d'abord, les souvenirs ensuite, la langue pour finir. Il aurait juste gardé dans la bouche la saveur du poisson, des olives, dans le nez l'odeur du soleil, dans les oreilles la mélancolie du fado.
Le père aurait été un citoyen français naturalisé, respectueux à défaut d'être respecté, discret jusqu'à l'effacement.
Parfaitement assimilé.
Quelques années après sa disparition, suite à un événement qui l'aurait elle-même réduite : simple force de travail, privée de parole, la fille aurait eu de plus en plus de mal à dormir, puis à manger, si bien qu’elle aurait beaucoup maigri.
Elle ne pouvait plus assimiler.
Un jour, suite à l'intrusion d'un réel dans la vie de tous 68 et la gestion faite des conséquences de ce réel dans son environnement professionnel, lui serait tout à coup apparu que – au même titre 69 que son père l'avait été – elle était un objet d'exploitation, un corps que le marché pouvait sacrifier pour son bénéfice, voire même, ce qui est - si cela est possible - plus absurde encore, sacrifier par pure position de principe. Elle aurait compris qu'elle n'avait pas échappé à cela. Elle aurait compris que la précarité était une coordonnée du vivant humain. Elle aurait compris que ce qu'elle portait en elle – cette part-là, qu'elle la dise de son père ou qu'elle la dise de la condition humaine – c'était la mort.
Frontière
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« Je vis en permanence dans la terreur de perdre par une nuit sans lune, sans savoir comment ni pourquoi, ma langue maternelle. Comme si en perdant cette langue je perdais mon ombre ».
Paul Audi, Troublante identité
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« Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève.
Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul nu à l'extérieur. Comme la vieille du cinquième qu'on a retrouvé à l'abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l'a vue. On a dit Elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors ».
Polina Panassenko, Tenir sa langue
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Dans l'écart entre deux langues, une disparition, une honte.
Dans l'écart entre deux identités, une disparition, une mort.
Dans l'écart entre deux i , une disparition, une chute.
Dans l'écart entre deux milieux sociaux culturels, une disparition, une trahison.
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« L'exploitation, un mot creux pour beaucoup, était marquée au fer rouge sur le front cabossé de mon père. Un cratère que la lumière de l'ampoule ne parvenait jamais à inonder entièrement, et qui me rappelait, chaque soir, la valeur toute relative d'un homme.
Une déchirure inéluctable était à l'œuvre. Ce n'est que bien plus tard, en découvrant Camus, que j'ai ressenti moi aussi honte d'avoir eu honte. »
Xavier Le Clerc, Un homme sans titre
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Dans le même temps que j'écris ce texte, la lecture de trois textes m'accompagnent, trois textes fraîchement publiés : Troublante identité (Stock, 2022), de Paul Audi, Libanais de naissance, réfugié en France à l'âge de 12 ans, Un homme sans titre (Gallimard, 2022) de Xavier Le Clerc, né en Kabylie, ayant grandi en France dans un milieu populaire, Tenir sa langue (éditions de l'Olivier, 2022), de Polina Panassenko, de nationalité Franco-Russe, exilée en France petite fille. Autres échos à mon propos, autres compagnies pour ma pensée :
Echo de quelque chose que je cherche à situer entre le silence et la parole. Quelque chose que je cherche à situer entre la langue secrète - ou la langue silencieuse –, et la parole. Quelque chose que je cherche à situer entre le monde des origines et le monde de l'exil – la chair du corps et celle de la terre, la culture dans laquelle on a baigné et celle à laquelle on se lave (c'est une toilette qui fait apparaître les incrustations, les marques singulières que l'on aime à dévoiler et celles que l'on n'arrive pas davantage à porter fièrement qu'à effacer). Quelque chose que je situe au centre de ces différents ronds de ficelle, et qui a à voir avec la disparition et la honte. J'ai fini par avancer que cette chose avait aussi à voir avec la chute de l'objet petit a.
Chute qui prend corps dans un vacillement : tout à coup quand l'écart par trop se creuse, il n'y a plus rien qui tienne 70 , la parole s'amenuise, le sujet s'efface. Arrivé à ce point, il peut se récupérer par l'entremise du Moi (ses atours, ses leurres, ses identifications, ses aliénations) ou alors en tirer un savoir sur le bout de réel ouvert par sa propre disparition – cette petite mort – et tenter de s'en orienter autrement. C'est, en tous cas, à ce point que j'essaie d'en arriver dans ce texte, point qui me permettra de saisir le fil qui glisse dans les marges depuis la première page, le fil de la pratique de superviseur. S'orienter autrement à partir de l'expérience de la honte et de la disparition, ce n'est pas tordre le coup à ce qui, dans le désir, nous attache à l'Autre, mais c'est faire siennes ces attaches, se ressaisir du désir, en prendre acte et en faire œuvre humaine.
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Il y a l'universelle condition humaine et la petite histoire singulière. L'histoire qui s'arrange (de) la condition d'être parlant. Cette histoire telle que je l'ai racontée ici a pris la forme de cette chose perdue, le ratage hérité du père.
(Tout) ce qui tombe d'une langue à l'autre, d'un signifiant à l'autre, les espaces de parole y donnent forme en faisant vivre ce qui ne se dit pas – dans cet espace quelque chose se crée à l'endroit de ce qui échappe, quelque chose d'autre, un déplacement, une autre dit-mansion là où la pensée se heurtait à une impasse, dans cet espace se créent des secrets (comme Aragon produit des secrets : pour dire autre chose que ce que l'on pense).
Tel l'espace de supervision – espace qui dans cette histoire-ci, dont la scène d'introduction est celle d'une instance clinique, redonne souffle à S'il vit , relance le désir d'un sujet marqué de ce signifiant : dans cet espace c'est ce qui ne se dit pas qui agit et porte ses effets. La supervision serait alors un espace ou, dans la parole collective, autre chose prend forme qui concerne intimement le sujet et qu'il ne voyait pas sans l'entremise de l'écart précipité à partir des mots – ses mots et l'écho d'autres mots, les siens, ceux des autres...on ne sait plus, c'est dans l'espace physique que ça se produit et quelque chose se dépose dans le sujet, chose à laquelle le sujet donnera une forme propre (ici il faudra pour cela la zone floue des nuits d'insomnie et la matière écrite).
Produit de cette instance clinique, ce texte donne forme transmissible à ce qui tombe dans le silence d'un sujet privé de sa parole – privé par le procès de naturalisation, par l'objectivation, privé par l'exploitation de sa force de travail de sa vie... « Quelle vie (?)! » 71 .
M'y voilà, je voudrais mettre un instant la focale sur la dimension politique comme un des axes déterminants de ce (qui me) travail(le) :
L'héritage de mon père est aussi du côté du désir d'une fille envers un père privé de sa parole. Certes, il s'en est privé en préférant le silence mais il en a aussi été privé, par le double produit de l'assimilation et de l'exploitation ouvrière : comment dire le racisme, comment dire le coût d'un effort d'intégration, le gommage progressif – tout à la fois voulu et subi – d'une part de l'identité, comment dire l'humiliation, l'épuisement des trois-huit, le geste répétitif et insensé, l'usure du corps ? Mon père était un homme silencieux, à la colère rentrée. Et moi, la fille, ayant accès à la parole, à l'école, à la culture, ayant voulu m'arracher à ce monde où l'on exploite les corps et où l'on nie les individus, ayant décroché un diplôme supérieur et un statut de cadre. La fille qui s'est découverte voulant être celle qui parle, pouvant faire cela – transfuge de classe marquée par ses origines, fille d'ouvrier immigré, marquée aussi par le silence et la colère, accédant à ce pouvoir-là : parler, et puis donner la parole à ceux qui en sont empêchés, porter leur parole. Fille à son tour régulièrement empêchée quand les mots deviennent criards, la parole une jouissance, l'exercice d'un pouvoir qui se laisse entrevoir, quand l'emportement dans l'exercice parole perd de vue la dignité de la chose.
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« Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend » 72 .
Pouvoir parler, prendre la responsabilité de se prêter à la place de celle qui parle, faire œuvre humaine en soutenant la parole des sans voix, ayant suffisamment fait l'expérience de ce que parler veut dire, pour ouvrir la parole sans la recouvrir. C'est là que je situe mon désir à exercer des fonctions de psychologue clinicienne à l'hôpital public, auprès de sujets que l'on dit marginaux, en addictologie et en maison d'arrêt, un désir que j'ai pas à pas découvert et précisé, dépouillé et ajusté. Ce désir regarde aujourd'hui en direction de l'espace de la supervision. La supervision est aussi un espace politique dans lequel des sujets peuvent prendre la parole sans que celle-ci ne leur soit confisquée, une parole bien plutôt respectée, préservée, et qui impulse une dit-mansion de création collective par le processus d'association d'idées et de récits, un espace politique dans lequel des sujets peuvent prendre la mesure de ce qui les sépare de l'autre et les relie, un espace soutenant la « différence absolue » 73 et la joie d'un lien dans lequel quelque chose de neuf s'invente, approche de la singularité et allègement tout à la fois: espace d'une « communauté de solitaires » . C'est en tous les cas ce que je soutiendrais, ce que je voudrais faire vivre, dans cet espace.
La psychanalyse est une chose politique. Politique, aussi au sens d'une subversion de l'institution
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Etait-ce la trace de l'exil du père qui la poussait à toujours désirer être ailleurs ?
Elle aurait besoin de partir, quitter la maison pour quelques heures, quelques jours. Chercher un autre travail et ne pas le prendre. Convenir de rendez-vous et ne pas s'y rendre.
Garder en elle des petites choses, des choses de rien qu'elle ne dirait pas. Jouer à cacher, à raconter des histoires. Mentir pour rien, pour que toujours il y ait un ailleurs, une réserve 74 .
Etait-ce la trace de l'exil du père ?
Mais elle, elle reviendrait toujours. Elle connaitrait suffisamment son symptôme pour en user chaque fois qu'elle se sentirait assignée, quitte parfois à s'en couvrir de honte, quitte à s'y prendre les pieds. Elle échapperait, elle refuserait d'être réduite à une seule dimension, elle en chercherait toujours d'autres – des dit-mansions, des mensonges – elle refuserait de se coucher, de se laisser tu-es, elle refuserait que l'humain se couche, qu'il ne se risque plus. Elle ne saurait pas se reposer. Elle reviendrait toujours. Ayant pris le risque de la honte, elle reviendrait plus verticale, assurée de son désir pour un nouveau trajet – au même endroit et pas tout à fait du même pas.
Toujours, pour se souvenir de ce à quoi elle tient, elle garderait un horizon ouvert.
Etait-ce la trace de l'exil du père ?
Il aurait eu à fuir un père violent, une dictature, il aurait eu à supporter l'usine, le racisme, la discrimination. Il en aurait perdu sa langue, il aurait renoncé au risque de la parole. Il aurait fait tenir ses peines et ses aspirations dans une invention singulière : Je suis de passage. En quelques mots il aurait dit la précarité de l'existence, l'arrachement aux origines, à la terre, à la chair, l'être pour la mort et en quelques mots, il aurait affirmé, en quelques mots, il aurait posé là, planté dans la terre, l'irréductible pulsation d'une marge de liberté. Ainsi il consentait, ainsi il échappait : Ni vraiment de là-bas, ni vraiment d'ici, il n'était nulle part 75 . Il était quelqu'un qui passait, quelqu'un qui pourrait toujours repartir.
Si elle tenait ce mouvement, cet appel d'un ailleurs, ce rêve, de son père, elle aurait quant à elle le privilège de n'avoir à se redresser que du vertige de la disparition de soi et non pas du réel d'un abus ou de l'ombre d'une mort. Elle aurait réécrit la lettre des origines avec son propre trait : disparaître – un moment – pour sauver le pas, le papa, pour se sauver, pour sauvegarder la part d'humanité et de dignité dans l'homme.
Ce serait une ambition inconsciente qui l'écraserait parfois et qui s'imposerait à elle - tant qu'il y a de la vie !
Tant qu'il n'est pas mort.
Un passage
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La supervision,
comment y être ?
Certes, pour ce travail je pars de ma subjectivité, de ce qui me traverse intimement, de là où ça me parle, j’essaie de traduire les chemins intimes par lesquels ça passe - je pars de là parce que c'est ce que produit le processus de formation et j'ai tâché ici de me tenir au plus prés de cette mise en forme - mais la formation produit quelque chose qui dépasse ce que je peux énoncer à partir de moi : la transmission de dispositifs de supervision et au delà encore leur fonction politique.
Il ne s'agit pas d'être superviseur (tout comme il ne s'agit pas d'être psychanalyste, ou psychologue) au sens d'une identification à la fonction. Il s'agit de mettre en fonction un dispositif, de se prêter à la place depuis laquelle celui-ci peut être soutenu et garanti dans son bon déroulement. Y être ce n'est pas s'y avancer droit comme un i, avec au devant de soi ce qu' i -l- y aurait à démontrer 76 – (dé)monstration d'un savoir comme leurre qui capte et brouille le regard des participants autant que du superviseur – c'est bien plutôt s'y avancer sans oublier qu' y manque puisque c'est ce savoir manquant, ce savoir du manque tiré de sa propre expérience qui permettra au superviseur d'entendre ce qui du savoir d'autres s'énonce sans le savoir. C'est depuis son propre fléchissement, que le superviseur pourra entendre les échappées et s'en faire l'écho : depuis une place vide au pli de laquelle ça vient tomber et résonner.
Michel Lapeyre écrivait qu'il s'agit pour l'analyste de « savoir être un objet et, pour cela, il faut non seulement connaître la souffrance d'être, peut-être même avoir éprouvé au moins quelque chose de la douleur d'exister, mais surtout traverser (et retraverser) la honte de vivre, ce qui fait qu'au regard du discours on tombe, on chute, ce qui fait qu’eut égard au lien social on est (pour partie? pour toujours?) « out », prolétaire (résidu de fausse couche, dit même Lacan), et que c'est avec ça qu'on opère, qu'on aura à opérer (comme analyste sans aucun doute, comme créateur aussi probablement, et peut-être même au-delà, qui sait?) » . 77
Si j'avance ici cette référence, c'est qu'il me semble que ce savoir dont parle Michel Lapeyre entre en jeu dans ma formation en matière de supervision. En tous les cas, ce n'est pas sans ma honte que je peux m'autoriser à me tenir à la place de superviseur, et peut-être même que c'est justement avec elle que je peux y aller. Me faire, comme l'écrit encore Michel Lapeyre « déchet actif » 78 : i moins i = y ré-fléchit, et y perd un bout. Y aller (aussi) de cette honte d'être – rien. Y aller avec, y aller depuis cette honte, avec et depuis un savoir sur ses coordonnées et son refoulement ponctuel, ses retours et sa levée. Y aller avec sa part de honte, y aller de sa part de honte, c'est ne pas s' y croire entier, c'est s'en tenir à un regard de côté et objecter, comme sujet divisé, à toute vision surplombante.
Je dois dire aussi que le lien fait par Michel Lapeyre entre l'objet chut au regard du discours (qui place l'analyste à l'endroit du petit a, agent du Discours de l'Analyste) et le prolétaire me parle...et me plaît ! Et puisqu'il s'agit ici de s'autoriser (de soi-même et avec quelques autres – et les enseignants qui ont nourri mon intérêt et mon désir pour la clinique sont de mes quelques autres), je m'autorise à me saisir de ce signifiant (quitte à trahir un peu la rigueur et la précision caractéristiques de l'écriture de Michel Lapeyre) pour faire aussi le lien entre mon désir de participer au travail de la parole depuis la place de superviseur et l'endroit où ce désir se noue à une dimension politique (et certainement aussi symptomatique 79 ).
Il y a là donc un nouage entre mon désir et la dimension politique de mon acte. En effet, dans le signifiant « prolétaire » résonne les échos de mon histoire, de mes identifications, de mon engagement. Le prolétaire est celui qui ne peut compter que sur sa force de travail pour assurer sa survie, dans la Rome antique c'est le moins considéré des habitants de la cité. Le prolétaire ne possède rien que sa vie et ses enfants. J'ai fait récit ici, dans l'histoire de mes origines, du père ouvrier 80 .
Michel Lapeyre, dans son séminaire Chaque individu est un prolétaire , tenu à Albi entre 2008 et 2009, avance que le prolétariat en tant qu'intraitable c'est ce qui reste . Citoyen sans valeur ni bien, pourtant « son geste permet d’échapper « aux pesanteurs de la norme » par la « grâce du désir » » 81 .
J'ai déplié plus haut ce que la honte avait d'ontologique. A l'heure du capitalisme, la condition prolétaire est valable pour tous au plan d'un « malaise du désir et malheur banal, honte de vivre et égarement de la jouissance » 82 . Pour autant certains sont, si je puis dire ainsi, doublement prolétaires - comme Coluche disait que tous les hommes sont égaux, mais il y en a qui sont plus égaux que d'autres - deux fois déchet, la dimension hontologiquement injustifiable de toute existence étant redoublée d'une manière ou d'une autre par l'exclusion du social dont ils sont plus particulièrement l'objet : les plus prolétaires parmi les prolétaires, les exclus, les marginaux, les mal fichus, les pas normaux.
Que l'espace de la supervision cultive indirectement – par l'attention, la considération, de la parole des professionnels - une écoute à leur endroit, une écoute de ce qu'ils disent parfois sans le dire, sans pouvoir, sans savoir le dire, que cet espace cultive une attention, une considération, qu'il produise un gain de dignité ; que de la parole se déplie autour de sujets qui, souvent, n'ont pas les mots, qui ne se saisissent pas de la parole parce qu'ils n'y croient pas ou parce qu'on ne la leur a pas donnée, de sujets qui ont quelque chose à faire entendre ; que dans l'espace de la supervision des histoires, des signifiants, des affects, des relations de transfert se tissent autour de ces sujets...voilà dans quoi plongent les racines de mon désir de faire ma part dans l'animation de cet espace.
Le verbe prend ici un ton incantatoire, tout au moins la valeur d'un espoir. Pourquoi pas en effet y aller avec espoir, à condition de le regarder à l'endroit de ce qui le cause, comme l'indique Lacan 83 la question est: « Non pas qu'espérez-vous mais d'où vous espérez ? » à partir de là, Jacques Cabassut nous invite à nous « recentrer sur ce qui peut nous enseigner quelque chose du désir de superviseur, afin de mieux cerner d'où nous espérons ».
Consciente que cet hameçon plonge dans mes identifications et même dans mon fantasme (lequel pourrait me pousser à prétendre parler au nom des sans voix et peut être même les faire exister dans l'éternité d'une mission vengeresse 84 ...qui plus est ici dans un espace, celui de la supervision, où la parole de celui dont on parle n'est pas présente mais seulement rapportée, donc nécessairement réappropriée) lequel fantasme a pour fonction de voiler le manque - ici manque à l'endroit de la parole -, et fait briller l'objet que le silence contient, objet qui, réellement, n'est rien. Plongeant dans ces eaux là je risque de rencontrer un os.
Ainsi donc, le fil sur lequel j'essaie de me tenir peut se coincer.
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S' y risquer
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« « Risquer sa vie » est l'une des plus belles expressions de notre langue. Est-ce nécessairement affronter la mort – et survivre...ou bien y-a-t-il, logé dans la vie même, un dispositif secret, une musique à elle seule capable de déplacer l'existence sur cette ligne de front qu'on appelle désir ? Car le risque (…) ouvre un espace inconnu. »
Anne Dufourmantelle, Éloge du risque 85
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Lorsque l'on est coincé, il reste à se défaire de ce qui entrave, parfois en coupant le fil. Laquelle coupure sépare, déplace. A l'endroit donc du risque que l'on prend (parce que l'on a pas d'autre choix que d'y aller avec son désir et donc sa division, ses impasses) il y a ce qui fait trébucher, se prendre les pieds dans le fil, et au même endroit ce qui met au travail (parce qu'arrivé à une impasse, force est de déplacer le regard pour chercher une autre direction – revenir un peu en arrière et prendre par un autre côté).
Je retiendrai du trajet de la formation à la supervision d'équipes que croire que l'on pourrait se délester de tout, en finir une fois pour toute avec nos entraves et nos fléchissements, nos passions et nos fatigues, n'est qu'un déplacement du leurre, autrement dit une bonne raison de ne jamais y aller, ne pas s' y risquer. Il n'est alors question que de savoir déciller, soutenu par quelques autres, pour soi-même soutenir et œuvrer à maintenir ouvert l'espace de la parole et le creux de l'énigme. Il s'agit alors de mettre à l'œuvre ses failles, ses objections, ses abjections puisque c'est là l'espace de la création – soutenir « l’aimer » et « le vivre », choisir la « liberté de s’en foutre et la responsabilité de sa position » 86 . Les mettre à l’œuvre pour soi, en place de superviseur, et les soutenir pour d'autres, en tant qu'acteur de l'espace collectif de la supervision.
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Ça fait quelque chose
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« On est issu de ce silence, on est marqué par ces manques, par tout ce qui n'a pas été dit, et ces manques sont une absence pour tout le monde »
Alice Diop 87
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Parler c'est faire exister : faire exister ce qu'on ne s'était pas (encore) formulé, faire exister ce qu'on savait sans le savoir, ce qu'on ne pouvait pas savoir sans que ça se dise. Parler en supervision c'est aussi faire exister celui dont on parle dans les mots de ceux qui parlent, c'est le faire exister dans son absence, ailleurs, c'est le déplacer, c'est lui porter collectivement de l'intérêt, c'est faire exister la relation. En cela l'espace de supervision fait œuvre humaine 88 , éthique et politique. Il soutient la parole, la singularité, il soutient ce qui échappe, le « geste (qui) permet d’échapper aux pesanteurs de la norme ». En découle que la supervision se présente comme un espace subversif au regard de recommandations de bonnes pratiques, protocoles, et autres boîtes à outils thérapeutiques qui prétendent que l'on pourrait tous se retrouver sous quelques signifiants qui feraient autorité, en quelque sorte une langue unique, un « globish ». Nous voyons dans les équipes à quel point ces recommandations et autre leurre d'un savoir y faire préétablit, pouvant à la limite se passer de la rencontre, sont appauvrissantes pour le travail, le lien, l'élaboration, sources de souffrance, de perte de sens, etc. A cet égard, le dispositif de la supervision est sous-tendu par le pari que, par la parole, les professionnels peuvent se ressaisir de leur faire, le pari que, mettant au cœur du dispositif la question, l'énigme, le manque, les pratiques peuvent se redonner du souffle.
Une issue au discours capitaliste « est aussi individuelle que collective : elle ne peut être individuelle sans mobiliser le collectif, elle ne peut être collective que parce qu'elle est concernée par l'individuel » 89 . C'est ce que démontre Lacan avec le dilemme des prisonniers 90 .
Barbara Cassin, philosophe intéressée à la question de la langue, auteur notamment de l'ouvrage Quand dire c'est vraiment faire (dans lequel elle soutient que la psychanalyse est un dire qui est un faire , autrement dit un dire qui agit) défend le « parler pour parler : Non pas pour dire quelque chose et se soumettre à de la vérité mais pour faire être quelque chose, pour fabriquer. C'est quand même très puissant ajoute-t-elle. Je ne dis pas que parler suffise à changer le monde. Il s'agit de parler pour faire quelque chose, pour que ça fasse quelque chose quand on parle. Ça fait quelque chose beaucoup plus souvent qu'on ne croit. »
Barbara Cassin est aussi fondatrice de l'association Maisons de la sagesse-traduire au sein desquelles se fait un travail « d'hospitalité par les mots » auprès des personnes migrantes dans leur rencontre avec la langue du pays d'asile, il s'agit dans ce travail dit-elle « Que les uns et les autres comprennent au moins qu'ils ne se comprennent pas quand ils ne se comprennent pas ».
C'est cette même intention que sous-tend à mon sens un espace de supervision : par les différences de significations, d'affect, d'images, que les uns et les autres attachent à un mot, un acte, toucher du doigt ce qui échappe à la compréhension et qui oblige de ce fait à être attentif à ce que l'autre nous dit. A partir de là, créer dans le collectif des manières d'y faire en s'appuyant sur ce qui échappe : un dire qui entend que dans son impossibilité même, se loge sa vérité – et de là découle l'acte : quand dire c'est vraiment faire.
Un retour qui n'en est pas un
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« Avant de désirer n’être plus ici ni là-bas, je ne suis pas vraiment – mieux : je ne suis vraiment pas – ni d’ici ni de là-bas. Ni en dehors ni au-dedans non plus. En anglais : inappropriate – déplacé, comme on le dit d’un geste malencontreux. Comme on le dit aussi de celui qui n’a jamais trouvé sa place »
Paul Audi, Troublante identité
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Quelques jours avant que commence la troisième session de formation, l'angoisse surgit dans mon bureau de psychologue. Pas l'angoisse du patient – celle-là je peux l'accueillir - non, l'angoisse de la psychologue, une angoisse contre laquelle se déclenchent tous mes réflexes de lutte. Là, dans mon bureau au CSAPA, j'ai l'impression que je ne vais pas tenir, que je risque de lâcher, tout à l'heure, dans un instant, sous les yeux de la patiente qui m'attend encore à l’accueil, sous les yeux de mes collègues, sous les yeux de ceux qui s'attendent à ce que je tienne. Alors j'ai envie de fuir, rentrer chez moi, partir, quitter ce bureau, quitter le centre de soins, lâcher ce métier.
Quelque chose de mon désir regarde depuis toujours en direction d'une ligne de fuite. Envisager d'être ailleurs pour pouvoir continuer d'être là, considérer d'autres possibles pour continuer de désirer ce qui est là comme possibilité parmi d'autres. Manière de se ressaisir sans cesse du désir. C'est comme ça que j'ai appris à apprivoiser ce qui me pousse à la fuite. Mais là, dans mon travail je n'y suis pas habituée, en tout cas pas avec cette terrassante intensité.
Je posais au départ de cette monographie, puisque c'était l'origine de ce qui me conduisait en formation, la question de mon désir de continuer de travailler au CSAPA. Alors, cette angoisse qui surgit là, qu'est-ce que ça me dit ?
La semaine suivant la vague d'angoisse, commence la troisième session de formation. En préambule de l'intervention qu'il fait sur le transfert, Guillaume Nemer nous demande quelle est notre question personnelle à propos du transfert. A quoi je réponds : « L'amour dans le transfert, côté clinicien – l'amour en tant que ce qui fait le moteur du désir du clinicien et tout à la fois ce dans quoi il est susceptible de s'empêtrer ».
De l'amour du clinicien à l'angoisse du clinicien, il n'y a qu'un pas...un-pas-ça... Ça qu'il ne faut pas, et puis, je ne suis pas ça – je ne suis pas l'objet de l'amour que le patient adresse dans le transfert. Depuis la place à laquelle je me tiens, l'angoisse est inappropriée - « inappropriate – déplacée » .
Il n'y a qu'un pas qui pourrait indiquer un passage. Il s'agit d'engager mon pas, dans une autre direction. Trouver le passage.
Parlant de transfert cette semaine nous parlons de coupure, de séparation. Il faut la possibilité d'une coupure pour garantir la possibilité d'une continuité. Aussi, il faut la possibilité d'une séparation pour qu'existe la possibilité d'une fin. L'angoisse qui m'indique un empêtrement, un coinçage, qui me dit que la seule issue est la fuite, l'angoisse fait signe d'un défaut de coupure.
« Si l'amour n'a jamais été ce qui fait « un » de deux êtres, mais au contraire ce qui les disjoint l'un de l'autre et chacun de lui-même, il a pour condition l'impossible coïncidence à soi où se conjuguent le désir et la mort » 91 .
Ce serait donc de trop aimer ce travail, de trop aimer ces patients, qui embrouille mon désir ? Une embrouille telle qu'elle va jusqu'à l'angoisse : quand le désir se prend aux mailles de la demande de l'autre, c'est la mort du désir.
Je m'embrouille à nouveau. Je ne cesse de m'embrouiller : Partir parce que mon amour pour l'équipe a viré en colère ? Partir parce qu'accompagner ces patients là c'est parfois l'affaire d'une vie et une vie, c'est trop. Pourquoi trop ? Après tout ne dit-on pas qu'on n'a pas assez d'une vie ? Alors, ce n'est jamais assez ? La mort serait la seule issue ? D'où, angoisse.
Pour Michel Lapeyre, le choix du clinicien, celui « d'accueillir la souffrance de l'autre » est un choix sur lequel « l orsqu'il a eu lieu, le clinicien ne peut pas revenir une fois qu'il l'a fait » 92 . Mais comment supporter cet engagement s'il n'a pas de fin ? Comment ne pas y laisser sa peau ?
Lapeyre parle aussi d'une « logique du consentement comme acte : c'est un consentement à ce que l'on est, certes pour le pire, l'irrécupérable, l'irrémédiable, l'irréductible, l'intraitable, mais comme objection au savoir, protestation par rapport à l'Autre, obstacle au discours ; c'est donc, et pour toutes ces raisons, le consentement à ce que l'on est en tant qu'exception – pas comme la seule, pas comme toute seule, comme une – entre-autres déjà-là ou à venir. Ce consentement, c'est ce qui se produit à partir du moment où au lieu de se soustraire ou de se renier, on prend la responsabilité et on exerce la liberté de se servir de ce que l'on est pour le pire, de ce que l'on est comme exception, pour donner l'idée et permettre à d'autres de faire de même, c'est-à-dire de rejoindre à leur tour leur propre « exceptionnalité » ».
Angoisse, imminence d'une mort. Dans la clinique, l'angoisse est inappropriée, je ne peux pas travailler avec ça, pas travailler comme ça – il s'agirait alors de regagner ce que je suis d'inappropriée, d'objection pour retrouver la marge dans laquelle je peux tenir ma fonction.
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Je ne vais pas tenir
La phrase est au futur. C'est pour après, ce n'est p as encore, pas maintenant. Au fond, lâcher c'est toujours pour après.
Pas encore, pas maintenant.
La mort c'est pour plus tard. Maintenant je suis là, vivante, et – malgré tout – je tiens.
C'est la division qui fait tenir. Si je ne suis plus assez divisée, la jouissance est trop proche, c'est devant cela que j'ai envie de fuir.
S'il vit c'est qu'il n'est pas mort
C'est à condition qu'il vive qu'il n'est pas mort. Si j'enlève le « si » - c'est-à-dire le conditionnel, le « si » introduisant une question, un écart - alors « il vit » colle à « il n'est pas mort » .
Le « si » introduit la division (par le truchement d'un troisième terme entre la vie et la mort), sans ça il n'y a plus de marge, plus de déchet.
Le déchet, c'est la part perdue, la part manquante qui tombe dans le « si » .
L'accès au symbolique produit un déchet, lequel est ce qui reste de la division (entre le sujet et son être), le poinçon qui permet l'écart.
La question reste ouverte.
Le travail continue.
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Y être,
à condition d'un déplacement
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« En allant à la rencontre d'un autre en soi, fût-ce au comble du désespoir, on accède à la singularité, à tous les sens du mot. Pour l'exprimer autrement : quand est-on en mesure de se passer devant, comme le dit superbement Beckett ? »
Paul Audi, Troublante identité
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Partir. Rester.
La question n'est pas fermée, pas tranchée, puisque j'y reviens au terme de cette monographie.
Mais la question peut se déplacer : Je ne résoudrai pas par ces voies la question de mon désir de rester ou pas au CSAPA. Il me faut emprunter d'autres chemins.
Oui, je voudrais être ailleurs. Lire, écrire, marcher, rêver. Mais c'est là peut être l'espace de la séparation : désirer ailleurs comme on le dit à propos de la fonction maternelle. Et désirer ailleurs c'est introduire du tiers.
Au fond, me vivant depuis longtemps maintenant tranquille avec la question de ce qu'il faudrait faire ou pas avec tel ou tel patient, dire ou ne pas dire, faisant confiance à mon acte, au fond, ayant traversé l'expérience du manque grâce à la cure jusqu'au point où il n'y a plus d'Autre qui tienne, j'ai fini par ne m'en remettre qu'à moi-même – c'est comme ça que j'ai interprété le manque dans l'Autre, confiante en ma propre lecture de mon inconscient. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'Autre qui tienne que pour autant d'autres ne peuvent pas m'aider à tenir – confrères des bords et abords du vide. S'autoriser de soi-même...Et de quelques autres, c'est bien cela ?
Si le superviseur est qui celui dans le groupe soutient la place d'exception dont parle Jean Pierre Lebrun et que reprend Claude Allione dans son article Les pouvoirs du superviseur 93 il s'agit cependant de prendre garde à « ne pas envisager la place d'exception comme un hors-circuit, mais au contraire à l'inscrire dans une chaîne de positions et Allione d'ajouter que cela pose la question de la supervision du superviseur, de son rattachement à d'autres superviseurs, à ce qui, pour lui, fait référence ».
J'expérimente ainsi dans ma chair un enseignement majeur de la formation à la supervision d'équipe : le regard par côté est nécessaire au mouvement et changer de focale ne peut se faire qu'à travers la pluralisation des lignes de fuite. Fuites qui aident à ne pas fuir, fuites qui permettent de se tenir là, de ne pas se défiler ou se défausser. Ces fuites, ce peut être le travail de supervision personnelle, bien entendu 94 , mais aussi les divers espaces de travail, là où ça parle, là où ça cause. Là où ça coupe, là où ça ponctue. Des espaces où faire vivre de la discontinuité dans la continuité – signifiant que cet engagement « sur la vie » ne signe pas un « à la vie à la mort » , mais qu'il s'agit d'un pari sur la vie – une vie qui n'est vivable qu'à condition de la possibilité d'une séparation...et d'une fin (d'une mort). Entre deux le passage est fait de moments et d'instants, d'événements, de circuits et de circonvolutions, de ruptures et de liens...
Et si dans « ne pas tenir » s'entend la question de tenir à la vie – y – tenir – être du côté de la vie c'est aussi tenir avec d'autres.
On pourrait simplement dire que l'espace de supervision est un espace vivant là où l'institution fige et mortifie. C'est aussi en ce sens qu'il est subversif.
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Les enseignements de la formation à la supervision d'équipe
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Y aller, sur la scène de la supervision, ce sera compter avec ce que le temps, l'espace, les rencontres de la formation ont remis en jeu intimement, déformé, déplacé. Une épreuve du désir et de la solitude. S'enseigner de ce que cette expérience de la honte, de la disparition et de la (re)mise en forme par les mots, dépose comme savoir concernant la condition du sujet, c'est à dire de tout sujet, au delà de la singularité. S'appuyer sur ça pour construire un cadre favorable à la traversée de tels mouvements pour d'autres. Pour traverser ce que la parole met à jour et l'effet de dévoilement qui peut en résulter, la honte de recevoir tout à coup ce ça-voir passé par le regard de l'autre, la surprise et l'effroi de se découvrir, l'expérience de la solitude qui va avec le lien, pour traverser cela il faut quelques arrimages. Ceux-ci sont tenus par l'expérience qu'a le superviseur de ses propres traversées, sa capacité à accueillir ces mouvements sans s'en alerter et sans en mésuser, sans fuir et sans s'enorgueillir, sans économiser aux professionnels d'avoir à faire avec mais en étant attentif à ce que ces déplacements et ces pertes de repère ou d'équilibre soient ménagés dans le collectif. Il s'agit de ne pas cèder sur la honte, mais plutôt d'apprendre d'elle 95 .
Les arrimages sont aussi appuyés sur le collectif : la formation à la supervision passe par une nouvelle expérience du lien social dans le groupe. Il s'agit d'aller à la rencontre de quelque chose de sa singularité (singularité de la pratique, divergence des représentations, points de buttée personnels, irréductible du symptôme) sans rompre avec le groupe. Il s'agit de travailler dans le lien, de tisser à plusieurs, de mettre en commun, d'élaborer dans et à l'aide du collectif, sans se fondre et se confondre, sans disparaître dans l'ensemble. Alors le groupe est aussi un point d'arrimage : pouvoir se compter un parmi d'autres, d'autant mieux lié que l'on peut répondre de sa solitude. Cela ne va pas de soi et ne se fait pas tout seul, il y faut là encore le savoir tiré par le superviseur de sa propre expérience des groupes et il faut le cadre qui donne forme au dispositif : déroulement de la séance dans la logique des trois temps, écoute, abstention et engagement de la position de chacun, un cadre tenu et soutenu par le superviseur qui par là vient porter ce qui est en présence (au sens du holding 96 ).
Les mouvements produits et répétés par la formation traversent le corps : insomnies, angoisse, signes de ce qui est à réajuster, de ce qui se présente comme en trop, de ceci qu'une perte doit se produire. Il faut lâcher quelque chose pour s'alléger et pouvoir avancer. « Passer de détresse en « désêtre », soit éprouver, connaître et assumer (ce) que nous ne sommes (même) pas » 97 . Alors, une semaine après l'autre je lâche mes résistances, petit à petit, je me laisse traverser. C'est cela aussi qu'il s'agit de laisser vivre : la possibilité que ça traverse. S'être laissé traversé par ses propres mouvements peut produire une ouverture à l'autre. Ainsi, me semble-t-il, la posture du superviseur, le ressort même de sa pratique 98 , réside dans sa disponibilité à se laisser traverser par ce qui se dit, se produit, se manifeste, se tait, s'entend, etc. des différentes voix en présence. De cette position et depuis cette présence, il s'agit de se laisser saisir par ce qui passe, par ce qui loge dans l'écart - entre les lignes : une intonation, un signifiant, un silence, un lapsus, un geste, une toux, un trait d'ironie - , matériau de ce vers quoi le narrateur et le groupe pourraient tendre l'oreille et tourner le regard, énigme que celui qui est en place de superviseur peut proposer au travail du langage. En se tenant à côté, à la marge, dans les marges et les ratures, en s'en tenant à ça.
On peut y mettre des histoires
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Sur une autre scène,
Depuis quelques temps elle éprouverait à certains moments une sensation étrange, difficile à décrire. Elle dirait plutôt un état. Elle dirait un état de perplexité. Un état proche de l'enfance, oui, ce serait ça. Ce serait en même temps la sensation de pouvoir devenir folle, le risque de ça. De l'enfance et de la folie. Une impression que rien n'est connu et que tout est là, immense et sans justification. Tout est là, sans elle, ou avec, c'est la même chose.
Elle se l'expliquerait quand même, on ne peut jamais cesser de s'expliquer. Elle penserait que ce qui la rapproche de l'enfance et de l'idée de la folie, c'est l'énigme – on pourrait dire l'énigme de la vie.
Mais avant de chercher à s'expliquer, elle se serait laissée traverser. Et elle ne serait pas tombée.
Non ,elle ne serait pas tombée, elle marcherait. Un pas, puis l'autre, et un autre encore. Et comme ça, elle tracerait le bord du vide. Elle pourrait l'approcher sans y tomber.
Ensuite, elle s'arrêterait, elle s'assoirait sur un banc, une chaise, ou par terre, et elle regarderait. Elle ferait ça, elle laisserait ça se faire.
En réalité, elle aurait gagné un peu de liberté.
Il serait souvent resté assis dans un coin de la maison ou dehors, sans rien faire, sans rien dire. Cette présence sans parole ni action aurait oppressé la fille. Elle aurait voulu le voir bouger, parler, agir, demander, répondre.
Quand en analyse elle y aurait repensé elle aurait vu la force de cette image et son appui. Un appui sur le silence, sur la présence, renouvelés par l'analyste.
Aujourd'hui à se voir elle-même assise là, silencieuse, cette image de son père lui reviendrait parfois. Ce serait de la sérénité. Ce serait le goût de la vie.
BIBLIOGRAPHIE
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Ce travail retrace un déplacement subjectif depuis une séance d’instance clinique jusqu’à arriver à me penser à l’endroit de la fonction de superviseur.
On y trouvera la question de la faute et de la honte, le manque d’une lettre et la chute de l’objet, des histoires de vie et de mort.
On y lira l’intime et le politique, ma visée étant que le travail subjectif produise des effets au-delà du personnel.
Mots clés : faute – hontologie – supervision d’équipe – désir – objet a – politique
1 CSAPA : Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie
2 Freud, L'interprétation des rêves, Œuvres complètes volume IV, Editions PUF, 2003
3 Avec Isabelle Pignolet De Fresnes
4 Il y a là l'idée d'un retour à l'envoyeur mais aussi d'une exclusion (un renvoi)
5 Au-delà de la petite histoire, l'abandon concerne toute langue maternelle : la lalangue qui se civilise, se domestique
6 La parole empêchée ce serait celle que l'on garde en soi, comme une chose à soi, ce serait un empêchement soutenu par le fantasme d’une parole fidèle à soi-même, lequel fantasme ne peut être maintenu qu’à la condition du silence car, dès lors que l’on parle on se rend compte de l’écart, de la non-correspondance, la non-coïncidence, la division subjective
7 Pierre Bruno, Une psychanalyse : du rébus au rebus. Editions Erès, 2013. p 29.
8 Jacques Lacan, S éminaire livre VII, L'éthique de la psychanalyse , leçon du 18 novembre 1959. Editions du Seuil, 1986
9 Jacques Lacan, Séminaire livre XXIII, Le sinthome . 1975-1976. Editions du Seuil, 2005.
10 Op. cit, p. 98 et 148
11 Jacques Lacan, Séminaire livre XXIII, Le sinthome , Editions du Seuil, 2005. p. 148.
12 Sur la dit-mansion et la question de la vérité, voir le Séminaire de Lacan, notamment Livre XX , Encore , leçon du 8 mai 1973. Editions du Seuil, 1975.
13 Lacan , 1966, Subversion du sujet et dialectique du désir , Ecrits , Editions du Seuil. p 825.
14 Louis Aragon, 1969, Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipits . Editions d'Art Albert Skira, 1969.
15 J'emprunte la formule à Jeanne Benameur
16 Louis Aragon, op cit.
17 Xavier Le Clerc Un homme sans titre , éditions Gallimard, 2022. p93.
18 Paul Audi, Troublante identité , éditions Stock, 2022.
19 Lacan, Télévision, Autres écrits , Editions du Seuil, 2001. p 526.
20 Lacan, Séminaire livre VII, L'éthique de la psychanalyse Editions du Seuil, 1986.
21 Je préfère le terme d'acculturation à celui d'adoption qui, à mon sens, gomme le forçage que comporte le processus d'acculturation
22 Comme la parure qui voile l'absence de pénis et rend du même coup une femme désirable, phallique
23 Au sens où j'en suis, me semble-t-il, plus séparée, mais, du même coup, le désir du lien est toujours à ressaisir. Si ce qui m'anime ne peut plus consister en une orientation sur le désir de l'autre, alors j'ai toujours à relocaliser la place du désir en moi pour lui donner impulsion et direction.
24 Depuis que je l’ai vu, je garde en référence, comme un mantra, le titre du film d'Alain Guiraudie Rester vertical (2016). Il fait partie de ces œuvres qui nous aident à se tenir digne.
25 En me relisant, me saute aux yeux un lapsus calami : j'avais d'abord écrit « je ne suis nulle part plus prêt de ma singularité » . Ce lapsus du prêt au proche, cette faute dans l'écriture première, donne à entendre la question du don de soi mais dans une considération ou ce qui est mis en jeu doit revenir au préteur, ne peut lui être soutiré. Plutôt qu'un don de soi et une dette de l'autre, il y aurait quelque chose à mettre en circulation, en fonction dans le lien, dans le rapport au monde, quelque chose vis à vis de quoi le sujet posséderait l'entière responsabilité mais qui serait en quelque sorte détachable, séparable.
26 Jacques Lacan, 1966, Subversion du sujet et dialectique du désir, Ecrits , Edition du seuil, 1966. p 819.
27 Je me réfère ici à un texte de David Bernard : De la honte à l'hontologie , revue du Champ Lacanien, 2006.
28 C'est en écrivant que j'entends l'équivoque : Elle ne serait jamais QUE pour lui, elle ne serait jamais RIEN qu’à lui, à personne d'autre. Comme l'objet qui le comblerait, elle serait comblée par lui.
Bien entendu, j’entends aussi dans ce « que », la sonorité phallique.
29 cité par Mario Uribe, Statut de la honte et éthique du désir en psychanalyse, Le Pari de Lacan, 2021.
30 Lacan, Séminaire livre XVII , L'envers de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1991. p209.
31 Op. Cit, p208
32 Et je n'irai pas vérifier ce point qui, exact ou non, saisit une vérité concernant ce que je suis comme sujet
33 Op. Cit, p207
34 Paul Audi, Troublante identité , Editions Stock, 2022. p306.
35 Porteuse par ailleurs de la perpétuation de la vie dans le réel d'un corps de femme, de mère.
36 Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1973. p 231.
37 Lacan, Séminaire livre XVII, L'envers de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1991. p 209
38 Lacan, Séminaire livre VI, Le désir et son interprétation , Editions de La Martinière, Le champ Freudien, 2013. p102
39 Lacan, Séminaire livre XVII, L'envers de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1991.p 206
40 Paul Audi, Op Cit.
41 Si nous essayions de nous représenter cette scène sur le plan d'une boucle pulsionnelle nous pourrions situer au départ le désir de l'autre qui la malmène, où se précipite son identification à l'objet malmené par l'autre (temps du « voir »), second temps, le regard de l'autre extérieur à la scène, le regard situé hors du tableau, dans lequel elle est vue malmenée (temps du « être vu »), elle se voit malmené, et au terme, les pleurs : elle se fait voir dans sa douleur, à nouveau là comme sujet désirant.
42 Selon la définition topologique de la honte par David Bernard dans le texte De la honte à l'hontologie. Revue du Champ Lacanien, 2006.
43 Lacan, S éminaire livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1973. p 166
44 Op. Cit, p167 : « La possibilité de la douleur subie par ce qui est devenu le sujet de la pulsion. C'est au moment où la boucle s'est refermée, où l'autre est entré en jeu, où le sujet est pris pour terme, terminus de la pulsion. A ce moment-là, la douleur entre en jeu en tant que le sujet l'éprouve de l'autre ».
45 Op. Cit, p79
46 David Bernard, op. cit . Le passage cité correspond à une construction de cas.
47 Voir Lacan, Séminaire livre XVII, L'envers de la psychanalyse, Editions du Seuil, 1991. Notamment p 209
48 David Bernard, op. cit.
49 Lacan, Séminaire Livre X, L'Angoisse, Editions du Seuil, 2004. p132
50 Lacan, Du traitement possible de la psychose, Ecrits. Editions du Seuil, 1966.
51 « Cet abjet comme je désigne maintenant plutôt mon objet a » . Lacan , Télévision , Autres écrits. Editions du Seuil. Voir p 526 et 527
52 op. cit.
53 op. cit.
54 Paul Audi écrit : « Si les seules pertes à mériter ce nom sont celles qui sont irréparables, la perte de ce qu’on n’a jamais eu n’est-elle pas la seule qui puisse être qualifiée d’irréparable ?
C’est dans les conditions de manque d’un objet lui-même manquant qu’il m’a fallu vivre et aimer ».
Troublante identité , Stock, 2022, p 241.
55 Faire avec ce n'est pas en supporter tout le poids : faire avec au sens de prendre la responsabilité de ce qui nous échoie, de ce que l'on porte, irréductible, c'est, du même coup, s'en trouver allégé.
56 Lacan, Séminaire livre XI, Les 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1973. p232
57 J'emprunte la formule à Kafka qui dit qu'écrire c'est sauter en dehors de la rangée des assassins
58 Merci à Balbino Bautista de m'avoir donné cette piste au décours de l'une de nos conversations.
59 Séminaire livre VI, Le désir et son interprétation. Editions de La Martinière, Le Champ Freudien, 2013
60 Emmanuel Levinas, De l'existence à l'existant. Editions Librairie philosophique J.Vrin, 1990
61 LACAN, op. cit, p 114
62 LACAN, op. cit, p108
63 Lacan, notamment dans Télévision , Autres écrits, Editions du Seuil, 2001. p526
64 Je pense ici au livre de Laurent Mauvignier au titre éponyme
65 David Bernard, op. cit. « La honte révèle au sujet le secret de son ontologie : au fond de son image, celui-là n'était rien, S barré, sinon ça, @, l'objet honteux ».
66 Paul Audi, op. cit.
67 J'emprunte au titre de la conférence de Pascal Quignard, Sur l'idée d'une communauté de solitaires , dont le texte est paru au Seuil, collection Arléa-Poche, 2015.
68 Les débuts de l'épidémie de COVID le premier confinement
69 Vient en écho ici le titre du livre de Xavier LeClerc : Un homme sans titre , Gallimard, 2022.
70 Rien qui tien-ne, Tiens : ne, ne, espace de la négation, autre manière de dire l'écart : dans la négation, il est à situer entre l'énoncé et l'énonciation et il est le lieu de la manifestation de l'inconscient, la possibilité de son ouverture. (Voir la leçon déjà citée du séminaire Le désir et son interprétation : Le rêve du père mort )
71 C'était le leitmotiv de mon père.
72 Lacan, L'étourdit, Autres Ecrits , Editions du Seuil, 2001
73 Lacan écrit cela du désir de l'analyste est le désir de la différence absolue : « Le désir de l’analyste n’est pas un désir pur . C’est un désir d’obtenir la différence absolue », Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse , Editions du Seuil, 1973. p278.
74 « Sans doute toute vie réserve-t-elle des secrets. Mais que sont donc en soi les secrets, sinon une réserve de vie ? Il serait même plus juste d'écrire cette dernière phrase en mettant « vie » au pluriel. Car une vie secrète, c'est une vie à laquelle est donné la possibilité de se diversifier – et un monde, corrélativement, qui se démultiplie.
Il est donné à chacun, par la seule grâce d'un secret, d'être plusieurs, de pouvoir être autrement que ce qu'il présente de lui-même au regard des autres ».
Paul Audi, Op Cit p345
75 J'emprunte à Paul Audi : « Heureusement, ce qui a fait échec à une aliénation sans retour est la conscience qui ne m'a jamais quitté que je suis né deux fois – que je ne suis donc ni vraiment d'ici ni vraiment de là-bas » . Op Cit, p 234
76 « Il s'agira de distinguer entre posture et position de l'imaginaire qui peut friser l'imposture, à savoir tenir la pose, poser en superviseur, bref se prendre pour la fonction ». Joseph Rouzel, 2017, La posture du superviseur, Editions Erès.
77 Michel Lapeyre, Le savoir du psychanalyste, pas tant, pas tout . Texte paru aux éditions La petite librairie, 2019. p 142.
78 Op Cit, p148.
79 Mais, Marie Jean Sauret ne soutient-il pas L'effet révolutionnaire du symptôme ? (Selon le titre de son livre paru en 2008 aux éditions Erès). Tout à côté, on peut aussi citer Joseph Rouzel dans La posture du superviseur : « Comment soutenir la place de superviseur, dans ces trois registres noués en RSI, sur ces chemins qui ne mènent nulle part ? Peut-être faut-il en rajouter un quatrième, celui du symptôme, pour que ça tienne un peu ? Le symptôme comme position subjective du sujet dans le monde, qui joue en défense à la fois contre le risque de dilution dans le collectif, et celui de se refermer sur soi. »
80 Certainement y-a-t-il là un nouage entre l'imaginaire de mon mythe individuel, le symbolique de la fonction paternelle et le réel de la condition sociale et de la transfusion de classe - exploité ai-je écrit - un père immigré, naturalisé - barré d'une partie de son identité - ne possédant pas la langue du pays dans lequel il a construit sa demeure. A ce propos, sur la demeure et la violence d'une langue quand elle n'est que celle de l'autre je ne saurais que trop conseiller le livre de Jeanne Benameur Les demeurés
81 Michel Lapeyre cité par Fabrice Bernat en introduction du séminaire Chaque individu est un prolétaire, 2008-2009
82 Op Cit
83 Cité par Jacques Cabassut dans son article L'éthique du superviseur...ou le désir de l'analyste , paru dans La posture du superviseur, Editions Erès, 2017.
84 Confer ce que j'ai écrit page 7 : « J'ai pris à ma charge de parler pour réparer la faille de l'Autre, la faute du père, celle de son silence, la double faute, celle de sa trahison. J'ai aussi pris à ma charge de parler pour le venger. »
85 Editions Payot & Rivages, 2014
86 Michel Lapeyre cité par Fabrice Bernat en introduction du séminaire Chaque individu est un prolétaire , Albi, 2008.
87 L'heure bleue , France Inter, 23 novembre 2022
88 (La) « parole est l'espace de notre humanité, de l'hospitalité à cette humanité en tant qu'elle déborde absolument, comme espace d'immanence, notre subjectivité », Anne Dufourmantelle, Eloge du risque , Editions Payot & Rivages, 2014
89 Michel Lapeyre, Le savoir du psychanalyste, pas tant, pas tout . Editions La petite librairie , 2019.
90 Lacan, Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée , Écrits , Editions du Seuil, 1966. p196.
91 Élie Durind, Faux raccords : la coexistence des images , Actes Sud, 2010 cité par Anne Dufourmantelle dans Éloge du risque, Editions Payot & Rivages, 2014.
92 Michel Lapeyre, Le savoir du psychanalyste, pas tant, pas tout . Editions La petite librairie, 2019.
93 Claude Allione, Les pouvoirs du superviseur in La posture du superviseur , éditions érès, 2017.
94 « L'analyse de contrôle est d'abord un alimentateur de désir par le holding qu'il propose au holding, par l'exercice d'une fonction -α de la fonction -α et par la référence constante à la triangulation comme mode d'exercice fondamental ; mais aussi le révélateur de la position subjective des soignants dans le transfert. » Claude Allione, La part du rêve dans les institutions, Editions Les belles lettres, 2010.
95 Laurie Laufer. Vers une psychanalyse émancipée . Editions la découverte, 2002.
96 Voir Claude Allione, op. cit.
97 Michel Lapeyre, op. cit.
98 Au delà de du savoir théorique, à côté des espaces d'élaboration, attelé au désir, le ressort c'est le vivant de la pratique.