mercredi 19 octobre 2011
Messieurs les (dé)penseurs, je vous gribouille une petite bafouille…
« Bandit ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant. » La chasse à l’enfant, Jacques Prévert
Epoque grise... époque glauque. Dans quelle société avons-nous mis les pieds? Qu'est-ce donc que ces hommes du XXIème siècle qui craignent leurs propres enfants? Qui sont-ils ces extraordinaires visionnaires de la société de demain pour ainsi classifier leurs propres enfants? Je ne suis plus sur la planète bleue, c'est cela? Au détour d'un mauvais rêve, serais-je sortie d'un autre lit que le mien, pour prendre pied sur une planète si belliciste, qu'elle déclare la guerre à ses propres enfants?
C’est sans doute que je reste intimement, et plus que jamais, persuadée de la question de l’éducation qui, aujourd’hui est vraiment mise à mal, qu’elle soit spécialisée ou nationale…
On le sait de tous temps, la société française a toujours eu peur de sa « jeunesse », qui bien qu’elle ne soit qu’un mot comme nous le rappelle Pierre Bourdieu (une construction sociale, une idéologie) ou une sous-culture selon Parsons (approche fonctionnaliste et culturaliste de la question), celle-ci demeure au centre de tous les fantasmes populaires. Pour rejoindre Olivier Galland, elle forme le réceptacle à toutes les angoisses mais aussi à tous les espoirs.
Cependant, reprenant l’histoire du traitement de cette jeunesse à redresser, tel que ce fût le cas jusqu’à la promulgation de l’ordonnance de 45, des bagnes d’enfants à la maison de correction, l’enfant était considéré comme un adulte en miniature dont il fallait corriger l’irresponsabilité. Aussi, a-t-on pu être témoins à travers la presse de l’époque des ignominies réservées à l’ « enfance malheureuse », telle qu’elle fût désignée par quelques journalistes comme Georges Pitard ( Le courrier du soir du 12 novembre 1934 ) ou encore Louis Roubaud ( Le quotidien, 1924 ) qui s’exprimant sur les écoles de formation pour la jeunesse a pu parler de « l’école du bagne ». En résumé, du Moyen-âge aux années 1820, l’enfant a connu le même sort punitif que les adultes, l’enfermement, le confinement jusqu’à être co-détenu avec des adultes.
Lorsque l’on se replonge dans les archives de l’époque, il est assez remarquable que cette maltraitance réservée à cette enfance dite « malheureuse » ou « abandonnée », est le reflet d’une société en faillite qui ne sait pas définir ses priorités budgétaires, jusqu’à ne pas voir que son traitement pénitentiaire de la question de la jeunesse était extrêmement coûteuse voire ruineuse. En effet, il s’est agi, de multiplier des dispositifs et des structures à foison, sans donner plus de résultats quant à la question de l’éradication du phénomène de la délinquance infantile et juvénile. Si ce n’est à en amplifier l’effet… Qu’a à perdre une jeunesse sans lendemains ? Drôle de pari sur l’avenir… déjà à l’époque.
Outre le fait de réintroduire la question de l’éducation dans le cadre juridique, l’ordonnance du 2 février 1945 a eu pour vertu de réorganiser fonctionnellement le traitement de la question, en restructurant les juridictions et en apportant des modifications substantielles à l’organisation de l’administration centrale en matière de protection de la jeunesse (ordonnance du 1 er septembre 1945).
Un petit résumé de l’ordonnance du 2 février 1945, s’impose ici en rappel de son caractère éducatif et protecteur.
On peut en noter les principales orientations en quatre points :
L’ordonnance fut promulguée par le gouvernement provisoire d’Alger, avant même la libération complète du territoire national (8 mai 1945), afin d’apporter rapidement les réponses à ces difficultés d’organisation sociale et à cette délinquance exceptionnellement violente des enfants mineurs. Aussi pour faire face à cet ensemble d’écueils, l’ordonnance demande que les jeunes soient protégés par une application éducative de la loi pénale. Le texte ne propose aucune aggravation des sanctions pénales même s’il n’en supprime pas le principe, il en prévoit une application raisonnée.
L’objectif de cette ordonnance est avant tout d’éduquer les « mineurs délinquants » afin de les réintégrer dans la vie sociale (principalement par le salariat). L’organisation du tribunal est fondée sur la présence d’un magistrat spécialisé qui dispose d’un pouvoir procédural d’exception et qui, au moment du jugement, doit prendre en compte l’avenir du jeune.
La prééminence de la notion d’éducabilité dans le texte de 1945 a permis de rompre avec la justice du XIXème siècle qui, jusqu’à la seconde guerre mondiale, a privilégié la notion de « discernement », illustrée notamment par l’existence de bagne pour enfants.
Or, s’agissant de la question du « discernement », cette notion est mise à mal depuis quelques années par les tenants de l’ordre et de la loi.
Essayons ici d’en repérer quelques temps marquants depuis que ces dirigeants et ces agitateurs du tout sécuritaire ont pris les rênes du pouvoir.
Arrêtons-nous déjà sur l’année 2004, date à laquelle un certain Jacques Alain Bénisti, député du Val de Marne publie ce fameux rapport qui, à l’époque dans le milieu de l’éducation spécialisée fit quelques bruits (aux oreilles de ceux qui se tenaient informés des évolutions législatives du moment).
« Rapport préliminaire de la commission prévention du groupe d’études parlementaires sur la sécurité int é rieure » , telle est la dénomination du document dont je précise ici, que dès le titre, on y trouve déjà une faute d’orthographe, omettant un « s » à « parlementaire », et je vous fais l’économie du nombre de fautes grossières que l’on y décèle tout au long de la lecture ! Mais, aller… soyons beaux joueurs, ces messieurs ont d’autres chats à fouetter, sans vouloir être de mauvais esprit !!!!!
Qu’est-ce qui choque, qui interpelle dès le titre ?
« Sécurité intérieure »… Etions-nous en 2004 en état de guerre civile en France ? Il est clair que le ton était donné avant même d’ouvrir le document. Il s’agissait que chacun de nos bons concitoyens cessent de trembler dès qu’il sortait de chez lui, car de nombreux sauvageons comme le disait un certain Chevènement, quelques années auparavant, allaient les détrousser, peut-être même les égorger ?
Souvenons-nous en 2002, la France était à feu et à sang, tant et si bien qu’on en a vu les résultats aux présidentielles !
Souvenons-nous aussi que le taux de chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans était de 24% pour les femmes et de 22% pour les hommes !!!! Il s’agissait peut-être messieurs les décideurs d’interroger davantage « l’insécurité sociale » plutôt que cette insécurité ultra médiatisée sous le flot d’images télévisuelles qui ne rendait pas compte de l’insécurité intérieure des sujets en souffrance ghettoïsés et stigmatisés !
Première critique… seconde critique, et je ne retiens pas mon propos, seconde abomination… la fameuse « courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure des années s’écarte du « droit chemin » pour s’enfoncer dans la déli n quance » (Page 7 du rapport) !!! Ci-dessous vous en voyez la légende !!!!! S’agissant de la courbe elle est ascendante, car plus l’enfant jeune présente des problèmes de comportement, très tôt, plus il sera rattrapé par le déterminisme de son destin… Quel scientisme, non ???? Ne soyons pas trop sévères tout de même reconnaissons à ces grands scientistes qu’ils nous font don de leur largesse d’esprit… la première année l’enfant n’a pas de problème !!!! Au moins une fois dans sa vie, il aura été normal et aura suivi le droit chemin….
C OURBE EVOLUTIVE D ’ UN JEUNE QUI AU FUR ET A MESURE DES ANNEES S ’ ECARTE DU « DROIT CHEMIN » POUR S ’ ENFONCER DANS LA DELINQUANCE
0 à 3 ans 4 à 6 ans 7 à 9 ans 10 à 12 ans 13 à 15 ans 16 à 18 ans 19 à 21 ans 20 à 23 ans
Maternelle Primaire Collège Lycée ou vie active Etudes sup ou vie active
Premières années sans problème
Difficultés de la langue + comportement indiscipliné
Accentuation des problèmes du + marginalisation scolaire + démission ou non maîtrise de l’éducation des parents + pas d’activités pré ou post scolaires
Aggravation des problèmes du + violence à l’école, redoublements des classes + début des petits larcins + conflits parentaux accentués et développement de la marginalisation
Entrée dans la délinquance avec des vols à la tire. Début de la consommation des drogues douces + absences répétées aux cours + toujours aucunes activités pré ou post scolaire
Consommation de drogues dures + cambriolages + vie nocturne et utilisation d’armes blanches
Entrée dans la grande délinquance + trafics de drogues, vols à main armée
Second temps, s’agissant de la question du « discernemen t », le retour dans la loi Perben I en 2002, à une définition strictement judiciaire de la responsabilité, prenant appui de nouveau sur la notion de « discernement » , marque clairement un point de rupture avec la justice protectrice et d’éducabilité prônée par l’ordonnance de 45.
En effet l’article 122-8 de la loi Perben annonce clairement : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables. […] ».
Dès l’instant où le jeune est impliqué dans un acte de délinquance, il n’est plus un mineur mais un « presque » adulte défini par la loi pénale. Ce qu’il nous faut comprendre ici, c’est que l’acte délinquant est un équivalent transactionnel pour la négociation du passage au statut d’adulte, en l’absence d’accès à l’emploi. Ce statut d’ « adultéité » est forcément incomplet puisqu’il ne bénéficie pas des autres attributs de la majorité civile, sociale, économique ou politique, ce ne fait que donner plus de force au caractère discriminatoire de la loi.
Enfin ce que je souhaite abordé ici, s’agissant toujours de la question du « discernement », c’est le temps de la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 et de la fameuse commission Varinard ( André Varinard, président de la commission, professeur à l’université de Lyon III ) réunie le 15 avril 2008, sous l’égide de la garde des sceaux, une certaine Rachida Dati, et dont le rapport a été rendu le 3 décembre 2008.
Que préconise cette commission ? Que faut-il lire dans ce rapport ?
« Aujourd’hui en France, un mineur, quelque soit son âge, peut être poursuivi dès lors qu’on le reconnaît doté de « discernement ». La commission propose de fixer la minorité pénale à 12 ans, âge en dessous duquel un jeune ne peut se voir appliquer une sanction pénale ».
Alors de quoi s’agit-il dans cette réforme ? On le voit clairement il s’agit de démanteler les principaux acquis de l’ordonnance 45, en prenant appui sur un a priori idéologique fort contestable, marteler à plusieurs reprises par Dati, « est-il besoin de rappeler, que du point de vue de la victime, il importe peu qu’elle ait été agressée par un jeune majeur ou un jeune mineur. Quand un mineur se comporte comme un majeur, il faut qu’il sache qu’il encourt en théorie une peine du même ordre que celle encourue par un majeur ».
La réintroduction de la question du « discernement » au sein du débat législatif tend à dénier le statut de minorité alors que l’ordonnance du février 1945 avait remplacé ce terme issu du code de 1810, par l’éducabilité.
Dans cet esprit (le discernement), la commission a proposé de créer un échelon judiciaire supplémentaire pour les mineurs de 16 à 18 ans permettant de juger ces jeunes comme des « presque » majeurs.
En fixant la responsabilité pénale à 12 ans, il est institué dans le même mouvement des mesures de détention ainsi qu’une possibilité de GAV pour les mineurs de moins de 12 ans. La proposition 40 de la dite commission offre la possibilité aux magistrats de mettre en prison les jeunes durant plusieurs week-end de suite.
Enfin, il est prévu la création d’un fichier au sein des tribunaux dans lequel seront consignées toutes les informations sur le mineur, d’ordre personnel, familial, scolaire, psychologique ou judiciaire.
Depuis les années 2000, un mouvement de rupture s’est donc engagé avec le modèle d’une justice protectrice.
Equipée comme notre société l’est, de lois toutes aussi assassines les unes que les autres depuis les années 2000, à l’encontre même de l’enfance, là où vous nous chantez sur tous les tons, la nécessité de baisser les dépenses publiques et en rackettant comme vous le faites tous les secteurs professionnels touchant à la question de l’éducation, sachez qu’il m’en coûte de ma citoyenneté à devoir donner de l’écot à des pratiques, sous présentation très lisse voire hygiénique, qui ne font que nous renvoyer aux temps les plus obscures de l’histoire de l’éducation ! Laissez-nous vous parler des enfants et nous vous parlerons de demain !
Alors en réponse à ce que ce que ce gouvernement propose s’agissant des enfants qui devront être étiquetés « à risque » ou à « haut risque », notez que mots « risque » est inscrit au singulier, ouf… on l’a échappé belle, il n’aurait plus manqué que ces petits mioches soient à « multi risques », je ne vous raconte pas le dispositif qu’il aurait fallu imaginer, du style « surveillance rapprochée des échographies »… je voudrais donc dire à ces gens-là, comme disait Monsieur Brel, que nous ne sommes pas des sots, nous, professionnels de l’éducation et que la détresse de ces enfants mais aussi leur joie de vivre quand on les regarde vivre, on en sait quelque chose… car il s’agit de notre métier ! S’agissant de vous… il est clair que, partant d’une bêtise aussi affligeante que la votre, vous manquez réellement de discernement !!!
Laurence Lutton, cadre pédagogique et éducatrice spécialisée (encore très enfant !)
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JP Meyer
jeudi 20 octobre 2011