dimanche 04 décembre 2011
Lettre à Danielle, l'insoumise...
« Désobéir c'est obéir à sa conscience », Danielle Mitterrand
Pas grand bruit autour de votre disparition... Madame. Non, quelques minutes au JT. Seules des chaînes comme la cinq et arte ont rappelé qui vous étiez.
Il faut dire que c'est dépassé l'engagement, il faut dire que c'est suspect de se réclamer de la résistance en tant qu'opposante à la domination sous toutes ses formes... c'est de l'héroïsme d'un autre temps, il faut dire que c'est... dérangeant!
Désobéissante que vous étiez... vous avez toujours dit non à la peur tout en ayant la trouille, parce que vous étiez humaine.
Du haut de mon âge, je regarde partir mes modèles, avec tristesse, avec l'appréhension du monde sans eux, sans vous aujourd'hui, avec un vide que j'interroge... qui reprendra la suite de l'oeuvre de résistance, d'engagement et d'humanité? Qui? En ce monde désenchanté où les idoles sont des certitudes argentées, lobotomisées vouant un vrai culte à l'argent et au futile.
Quel est donc ce pouvoir invisible qui retient les consciences, asservissant la faculté de penser chez nos contemporains? Qu'ont-ils à se croire seuls au monde, au centre de celui-là même?
Depuis votre mort et celle de tant d'autres que je me suis choisis pour modèles, je suis de nouveau à me demander ce qu'il faut faire pour que reviennent les collectifs pour un avenir en commun...
Il y a quelques huit années, je m'étais engagée dans un collectif de travailleurs du social, avec cette fièvre tenace de l'engagement, dire ce qu'il en est de nos métiers aux abords du naufrage humain, de ces malheurs de n'être pas nés du bon côté de la barrière sociale... Et je pensais avec conviction que de parler de notre « savoir-faire » devait servir la cause de ceux qui n'ont pas choisi d'être là... au chômage, à la rue, battus par les décisions de quelques technocrates sortis tout nets de leurs administrations à la Kafka.
Nous étions, au début de cette aventure collective, quelques quarante travailleurs du social (beaucoup d'éducateurs, quelques assistantes sociales, puéricultrices... Ce sont d'ailleurs ces mêmes assistantes sociales et puéricultrices qui furent à l'origine de ce collectif!), nous nous retrouvions dans un « ailleurs ». Nous faisions connaissance avec le quotidien de chacun, le trop de mesures, le manque de moyens... Nous faisions l'expérience de l'empathie entre collègues. Finalement le voisin vivait les mêmes difficultés que moi!
Deux, trois réunions où nous faisions part de nos doléances!
Une action, en place publique, où à coups de casseroles, de sifflets, de trompettes... nous avons fait du bruit, un soir d'hiver à dix-huit heures, un cahier de doléances où nous invitions chaque citoyen à s'exprimer sur les dérèglements de cette société à la dérive. La presse régionale et puis... les médias qui, à l'époque faisait grand bruit sur la précarité de quelques catégories sociales... cela émouvait dans les chaumières... Un bref effet de mode! On avait choisi notre moment!
Ce cahier devait être conduit à grand bruit auprès du conseil général...
Seulement voilà, il a fallu passer à l'acte... nous n'étions plus que cinq!
Je me souviens du petit nombre que nous étions lorsque nous avons envahi le conseil régional pour interrompre la séance du jour et innonder l'assemblée de nos tracts rageurs quant à la condition des citoyens des zones sombres de la société et sur l'état du travail social dont nous pressentions la marchandisation.
Je me souviens de ces « cafés sociaux » que nous avions inventé dans ce collectif et qui attiraient toujours les mêmes, ceux-là qui ne lâchaient pas prise sur leur engagement professionnels.
Mme Mitterrand... j'ai toujours cru et vécu pour ces engagements, mon métier en est un... Seulement voilà, je m'interroge sur ce manque de convictions chez nous, les éducateurs... J'en vois qui se fatiguent, j'en entend qui s'effraient de ce que les politiques leur imposent mais qui appliquent désabusés à la lettre ce qu'ils refusent dans leurs consciences. Quelques-uns se rebiffent mais ils sont bien seuls.
Que je me sens seule et décalée...
Je n'ai rien contre la solitude, au contraire, elle m'invite à écrire, elle m'invite à penser (tiens, c'est drôle, je viens de corriger une faute de frappe, j'avais écrit « panser »!), elle m'invite à lire. Cette solitude là est incontournable pour faire oeuvre intellectuelle autour de nos pratiques mais comment activer la pensée en actes?
Comment agir la pensée?
Posées, inscrites sur le papier... Les pensées d'llustres personnes comme vous, j'en ai lues, j'en ai rencontrées, je les ai faites miennes, dans l'écho de leur humanité, de leur intelligence.
Je pense toujours que ce sont eux les conseillers du peuple mais là-haut, dans les sphères des gouvernants, on ne les entend pas! Pire on ne veut plus les entendre sous le joug de la gouvernance européenne et mondiale.
Qui sont ces « fous pensants »?
Que cesse là mon amertume... L'important est que ces gens aient existé et qu'ils existent en d'autres incarnations contemporaines.
Alors comment agir la pensée?
En pensant notre action, à partir de ce que ces autres nous enseignent de leur condition, de leur désir englué dans l'inextricable imbroglio d'une société assassine avec les plus faibles. Être en accord entre l'acte et la pensée. Je sais que la résistance exige une réelle énergie dans des combats à mener mais je sais que la résistance est aussi dans le « faire » et le « faire » c'est le « dire ».
je vais vous dire alors ce que l'éducatrice en poste a fait pour désobéir aux injonctions du décideur politique, en pleine conscience!
C'était en 2003, le RMI vivait sa troisième réforme sous le joug d'un certain Fillon, ministre des affaires sociales, qui supposait que derrière chaque allocataire se cachait un paresseux (déjà des fraudeurs à l'époque!), fit décentraliser totalement le RMI et créa le RMA (revenu minimum d'activité). Le workfare balayait ainsi le wellfare!
Notre association, enracinée depuis presque quinze ans au sein d'un quartier de 10000 habitants, devait quitter ce quartier, lâcher l'instruction des demandes de RMI (premier lien avec les personnes, qui selon la loi de 1992, disposaient du libre choix du service instructeur) et se soumettre à une commission qui décidait de l'orientation des familles pour le contrat d'insertion.
Soit, nous nous sommes conformés à la commande sous peine de mettre la clé sous le paillasson... Mais l'injonction de rendre « insérable » l'allocataire et sa famille au bout de dix-huit mois, je n'ai pu m'y soumettre. VRP du social... non merci!
J'ai rusé plus qu'à mon tour avec la complicité des familles, j'ai parfois romancé mes bilans de façon à effrayer les pseudos conseillers d'insertion qui ne sentaient pas les épaules suffisamment larges pour prendre le relai.
Oui... sans vergogne, j'assume! Nous avons pris le temps avec les familles ou les personnes isolées de nous rencontrer, nous avons permis que nous nous plantions sur la question du désir pour qu'émerge la réelle demande, parfois au bout de deux ans... six mois... trois ans!
Oui, j'ai laissé Jean-Lou boire son rosé en ma présence lui, l'addicte à ce breuvage... à la seule condition de causer de ce qu'il venait de boire dans ce verre moutarde! Nous qui ne signons que des contrats d'insertion autour de la santé (à la votre!!! Les politiciens...), nous avons causé de sa paternité et de ce petit cédric qui ne venait peut-être pas de ses couilles mais qu'il aimait et dont sa compagne partie le privait! Nous avons ouvert de possibles retrouvailles filiales!
Il m'a fallu trois ans pour en arriver là... que Jean-Lou s'autorise à me dire son besoin d'alcool parce que l'angoisse était trop forte!
Il a fallu deux ans pour que je découvre que Sophie était surendettée, elle me le cachait car elle avait peur que je ne l'aime plus! Petite fille de quarante ans...
Non, je ne pouvais me priver de mon métier. Ma conscience professionnelle me commandait d'être là pour ceux à qui je dois d'entendre la voix et... la voie du désir, à qui je dois d'accompagner les pas vers où ça prend sens pour eux et non pour ceux qui ne connaissent rien de la vie dont ils gèrent le devenir à coup de décisions assassines!
Alors à ma toute petite échelle et pour rendre hommage à votre existence, Mme Mitterrand, j'ai fait mienne votre assertion, il s'est agi pour moi et il s'agira toujours pour moi, parce que telle est ma conviction, de désobéir pour obéir à ma conscience!
Laurence Lutton, désobéissante par conviction, engagement et résistance
re
cindy
mardi 06 décembre 2011