lundi 22 mars 2004
La limite n’est pas simple à admettre. Elle est un frein quand on ne l’accepte pas. Une limite à notre limite. Un frein que l’on refuse. On dévale alors la pente de l’éducatif en posant ou imposant une vision, une conviction à déplacer des montagnes. On refuse cette réalité qui coince alors on tente de décoincer. On en arrive à dénigrer à tour de bras. Les institutions sont toutes défaillantes, les chefs de service sont tous incompétents, la prise en charge est de mauvaise qualité, les jeunes sont de plus en plus violents…. On oublie que certains de nos collègues présents depuis des années dans l’institution ont fait un « sacré » boulot avant nous. Il faut être rigoureux mais sans excès. Que celui qui n’a jamais dit « dans cette institution rien n’avance » lève le doigt. Heureusement on arrive. La toute puissance pointe son nez. Il faut croire que l’évolution est toujours possible, que tout peut changer. Faut-il savoir ce que l’on veut faire évoluer, changer. Est-ce pour soi, est-ce pour l’autre ? On argumente parfois en ne voyant pas les ambitions éducatives démesurées sans l’aval de cet adolescent mais sur le compte de cet adolescent. Heureusement qu’il y a des vieux de la vieille qui voit ce joli monde débarquer de la veille, s’agiter, se démener, tourbillonner pour tenter de passer en force ce qui ne veut pas passer parfois depuis des années. L’intention est louable mais repérer le terrain avant de vouloir envahir le terrain voisin est imprudent. La limite est là. On cherche à la dépasser, la surpasser, la passer ou la faire trépasser. Il est difficile (mais logique) à admettre d’être restreint dans sa pratique éducative par des limites institutionnelles, économiques ou bien d’autres. Les limites ne sont peut être pas à chercher à l’extérieur mais à l’intérieur de nous-mêmes.
On est limité et sans l’acceptation de cette réalité on tente toujours d’aller plus loin. D’être plus juste, plus cadrant, plus contenant, plus tolérant, toujours plus de quelque chose. Le « monsieur Plus » d’une publicité des années 90. Etre toujours au mieux de sa forme, au mieux de ses capacités. Etre idéal. Il est important d’avoir un idéal car cette finalité nous fait avancer. De là à basculer dans la volonté d’approcher le toujours trop prés cet idéal, la tentation est grande et dangereuse. Une sorte d’Icare volant trop prés du soleil, une quête pour atteindre ‘l’inaccessible étoile’. Vouloir repousser sa limite, c’est tenter indéfiniment l’évitement de la castration. Il y a un lien également avec le sujet de la perte. Il faut accepter de perdre pour qu’entre nous « ça crée » (sacré) à dit Roland Gori. Il faut accepter que ça nous échappe pour que ça respire entre nos oreilles et entre nous et l’autre. Il n’y a pas de bon éducateur paraît-il. D’ailleurs à vouloir être trop bon on se perd dans un domaine qui ne peut être du domaine du volontarisme ou de la réparation. De la bonne mère comme dirait Roquefort.
Les conséquences de la non-acceptation de ses propres limites conduisent à courte échéance à l’épuisement professionnel. Il voulait trop bien faire disait-on de lui, Il a cru bien faire, Il a fait son possible, son maximum ou alors il a tout ou trop donné. Il y a du don dans l’air ; tout dépend de ce que l’on dissimule sous ce mot qui n’est pas nécessairement péjoratif. Le don de soi, chacun y mettra son sens. La question du choix d’éduquer revient peut être se faire entendre.
Michel Lemay dit qu’il faut admettre l’idée blessante pour le narcissisme de chacun que le véritable accueil des entraves et des possibilités de celui qui se tourne vers l’autre suppose de se découvrir comme un homme limité et mû par sa propre histoire originaire et actuelle. Etre éducateur demande beaucoup d’humilité pour voir et accepter que l’on ne peut donner que ce que l’on a et qu’un compromis est nécessaire entre ce que l’on a, ce que l’on peut donner et ce que l’on idéalise.
On parle beaucoup en formation de l’identité de l’éducateur : Quel éducateur je veux être demain ? On pourrait se demander aussi : Qu’est-ce que je crois que je vais pouvoir apporter demain à cet enfant, à cette adulte, à cette famille ? Il peut être utile de revoir ses prétentions à la baisse car le passage de l’illusion à la réalité peut être difficile à supporter pour tout le monde. Parfois cet enfant, adolescent ou adulte en difficultés nous apporte plus que ce que nous lui apportons. La fable du lièvre et de la tortue peut être une histoire qui convient pour exprimer qu’un départ trop précipité peut empêcher comme le souligne Brichaux de bien vieillir dans l’éducation spécialisée. Le chemin se fait en marchant à dit le poète alors marchons, marchons allegro mais non troppo, Qui va piano va sano qui va sano va lontano. Il est urgent de ne pas se presser. Il est urgent de ne pas oppresser celui pour qui il faut un certain temps… ou un temps certain pour avancer sur le chemin.