mardi 30 août 2011
Le vilain petit canard
J’ai trouvé ce titre, suite à la relecture du mémoire sur Charles, de Clémentine, monitrice éducatrice en formation sur mon module, en 2004. J’ai envie de commencer par "il était une fois, dans un pays merveilleux, un foyer au cœur de la capitale du Côte rôti (côte du Rhône)". Je vais vous conter Charles, arrivé en 2003, sur ce groupe « soin », créé par une institution en recherche.
Depuis 1990, Charles est suivi à hôpital St jean de Dieu.
Nous nous sommes rencontrées la première fois, il y a 15 ans, il m'a sauté dessus, car je ne voulais pas lui donner un 2 eme café.
Son père est décédé en mars 1992. Sa mère est décédée en 2006.
Il avait invité, au restaurant pour la première fois sa mère, qui décédera 10 jours, plus tard. Elle mourra seule dans son appartement d’une cité de Vienne. Elle avait déménagé, pour se rapprocher de ses 2 garçons (Joël et Charles).
Une mesure d'AEMO lors de son adolescence est jugée inopérante à cause de la personnalité perturbée de la mère. Plus tard, le juge pour enfant décide un placement. La maman retirant régulièrement son enfant adolescent des établissements, les jugeant pas gentil, mauvais.
Quand il arrivait sur le module, Charles n'avait plus de lien avec le groupe, il mangeait peu et dans sa chambre.
Il pouvait sauter sur une personne pour lui prendre son verre et absorber le contenu surtout si le verre contenait du café son empressement à manger, à boire le verre du voisin, acte le faisant rejeter. Charles donnait l’impression qu’il se remplissait, ou voulait cicatriser sa blessure « narcissique (Michel Lemay). Il était devenu un vilain petit canard. Il avait besoin d’être réhabilité.
Il pouvait casser les lunettes et tordre les poignets. Nous avions mis comme consigne de ne pas essayer de contrer ses torsions de poignets.
Il pouvait rester dans sa chambre, refuser de sortir. A partir du moment où nous lui disons que nous avons besoin de lui, il pouvait participer. Il ne fallait pas le solliciter sans arrêt, il y avait risque de colère de sa part.
Lors des entretiens avec le psychologue de l’établissement, lors des entretiens au Centre Médico Psychologique, nous décidons de mettre des mots, sur ce qu’il peut nous paraître monstrueux. Il semble que Charles a peur de quelque chose, des images, des idées qui sont dans sa tête, peur d'un abandon, de déplaire à l'autre, d'être un peu monstrueux, le mauvais sujet de l'institution.
Suite à des réunions de travail au sein de l'équipe éducative, nous décidons de la mise en place d’un projet pour tisser une relation entre Charles et sa mère, par le courrier. Les mots viennent rapidement modifier notre vision de Charles. Mettre des mots non jugeant, permet à Charles de ré exister, en tant que sujet. Ses pulsions le vident de toute vie. Il est "mort". La construction de quelques choses remet de la valeur, face à des actes catastrophiques. Nous l’aidons à se construire. . Pour moi les mots que je dis ou j’écris remets la vie, c’est un peu, un semis, la création d’un espace de vie.
Il a envie que nous l'aimions, alors qu'il fait tout pour nous gonfler (prise de verre, casse des lunettes.), Pourtant il nous fait peur. Nous essayons de trouver des cabanes à outil pour l’aider, pour nous permettre d'avoir une image de Charles acceptable.
Un deuxième point important fut le travail avec la maman. La famille est un groupe social, c’est une communauté de sang, une lignée. L’enfant fait parti d’une cellule, la famille. Les relations intra familiale façonne ses membres, " ses composants".
Mais il y a eu un accident, un des membres de cette famille est handicapé à la naissance ou après. Pour les parents, il peut avoir un sentiment de culpabilité, renforcé par le regard de l’autre. . Pour un parent avoir un enfant handicapé, pas dans les normes, est une croix lourde à porter. Une des difficultés est qu'il est jugé par certains professionnels ( psy ou autre), comme "pas suffisamment bon".
Lors de son passage au foyer, en janvier 2004, sa mère avait interpellé 1 éducateur technique, " pouvez vous aller chercher Charles, c'est tout fermé, c'est une prison (le foyer ) ?" Le collègue accompagne Charles, auprès de sa maman l’éducateur me dit plus tard, aucune porte était fermée !
Avant le décès de sa maman, l’équipe avec les thérapeutes du Foyer et du CMP, ’essayaient de comprendre le fonctionnement, pour pacifier nos relations entre la maman et le foyer.
Il semble que le Reynard serait similaire pour sa mère à une prison (son frère Joël y a séjourné en prison) il semble difficile pour sa mère que son fils soit bien au foyer, lieu qu'elle considère comme mauvais objet. Cette situation est difficile pour Charles, ce choix impossible entre un lieu sécurisant et un lieu imaginaire pour la mère Charles essaie de faire correspondre la pensée de sa mère sur le foyer et l'ensemble éducatif. Il s'enferme dans sa solitude " comme en prison". Sa mère portait un fardeau difficile, l’enfant idéal était un fils « fou ».Les liens épistolaires, les rencontres mensuelles sur des temps courts chez sa mère ou lors de la visite au foyer aplanissent nos relations avec sa maman. Lors de des rencontres à Ampuis, il l’invite à boire un verre dans un café proche du foyer, permettent rapidement de rassurer d’abord sa maman sur ces inquiétudes et sur notre demande d’aide pour permettre à Charles, d’être.
Charles n’arrive pas à rendre compte de ce qui se passe à l’intérieur de lui. Sa douleur doit être intense. Il semble être en abandon. Ses douleurs doivent être énormes.
Avec le psychologue du foyer, nous rencontrions sa maman, en l’écoutant, lui racontant son fils, les « bons actes ». Parfois elle s’étonne de nous entendre dire, de parler de son fils Charles en termes chaleureux, rappeler les paroles de Charles, comme cette expression « c’est pénible », une des premières expressions que Charles a installé dans nos échanges.
Nous avions essayé de réhabiliter une mère jugée comme pas bonne, perturbée. Je n’ai pas la compétence pour la qualifier de bonne ou de mauvaise mère. Je comprends la douleur devant les difficultés de son fils de relations entre eux, d’être mère, d'être celle qui a enfanté Charles, un être humain, non un monstre.
Le travail inscrit dans la temporalité, permet de mettre ses actes en mots, "coller des images sur ce qui peut nous paraître monstrueux. . En installant des rituels, en programmant des rencontres régulières entre la mère et Charles, son fils nous avons pacifié les relations avec Charles, avec sa mère, décédée aujourd'hui. Maintenant, sa sœur continue les relations familiales avec Charles, mais il n'est pas possible d'installer des relations repérées dans le temps. La relation épistolaire tient du coté de Charles, mais est épisodique du coté de la sœur.
Sa sœur a les urnes funéraires de son frère Jacques décédé en 2000, ses copains devaient les jeter dans le Gange, de sa mère et de son frère, Fréderik, A l'enterrement de Fréderik, le mari de la sœur de Charles, espérait que l'urne ne reviendrait pas chez eux.
Rencontrer Charles, c'est volé vers l'inconnu. L’inconnu menace nos croyances, notre organisation, nos vérités, notre équilibre et aiguise souvent notre méfiance. Aller à sa rencontre transforme cette méfiance en un possible enrichissement qui permet de voir le monde de l'humain sous un autre angle, de faire exister Charles. Charles, tu es. Le travail avec Charles a remis en question nos acquis, les acquis de l’équipe qui le soigne depuis 15 ans. Pour la psychiatre qui a repris le suivi de son traitement, il y a eu une avancée, pour les soignants de l’Hôpital, il y avait une inquiétude sur le futur de Charles. La psychiatre disait souvent c’était incroyable de comparer Charles aujourd’hui et Charles, il y a 10 ans. C’est le jour et la nuit. La camisole chimique a fondu (200mg de nozinan en moins ).
Ecrire est reconnaître à l’autre qu’il est un sujet, quelqu’un l’a intériorisé et a mis des mots sur ces actes qui peuvent sembler éphémères, monstrueux des fois.
Comme il me dit avant de partir en camp, je vais te manquer ! avant, il n'aurait rien dit
Il choisit les formes de relations avec nous. Il peut blaguer, parler de ses peurs.
Quelques jours avant son départ en camp, Charles me titillait durement. Je lui dis arrête! Il me dit " je suis pénible, j'arrête" .
Le calme semble s'installer. Il semble ressentir mes limites, ses limites.
J’ai envie d’écrire que c’est possible, en commençant au début à croire dans l’humain. Pour moi, l’empathie est le meilleur médicament . ne soyons pas juge, mais seul l'accompagnant de l'autre, celui qui travaille, vit avec.
Peut être Charles a commencé à construire une résilience , se donnant des capacités à prendre acte de ces difficultés pour pouvoir rebondir et ne pas s’enfermer dans ses angoisses, dans la psychose.
Pour conclure, après ces 8 ans de travail d’accompagnement, je me sens bien, content de voir Charles vivre.
Comme dans les contes, l'histoire se termine bien. Le vilain petit canard s’est transformé en cygne, il n’est plus ré-orientable, il n’est plus le mauvais sujet.
Jean-Pierre MEYER