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Le transfert comme matrice figurative

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Lin Grimaud

dimanche 02 octobre 2005

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Réflexion à partir de la thérapie d’un enfant aveugle

« Je voulais pas que tu l’imagines, je voulais que tu le saches. »

Cet enfant voulait que son thérapeute l’aide à partager un monde réel et à se sentir lui – même réel. Je crois pouvoir dire que c’était aussi le sens de ses conflits avec beaucoup de gens à commencer par ses parents qui, comme tous les parents, ont des idées sur le devenir de leur enfant.

Winnicott précise que se sentir réel est encore plus important que se sentir exister, et que nombre de ses patients sont en difficulté de ce point de vue. Il pense que le transfert analytique a un rôle à jouer dans l’ancrage du sujet dans son propre corps.

Si j’introduis les choses de cette manière c’est que dans ma clinique avec les bébés et les enfants aveugles ou mal voyants et leurs parents, je me rends compte que j’éprouve une gène qui pourrait aller jusqu’à faire naître en moi un mouvement de rejet de quelque chose qui menace mon intégrité.

C’est que le maniement des images est une activité humaine qui participe de la constitution de l’espace intermédiaire où se joue à la fois l’identité du sujet et son intégration sociale.

Qu’advient – il alors de la construction psychique et sociale de ceux qui n’ont tout simplement pas accès à l’image visuelle, et de cette demande : qu’on ne se contente pas d’imaginer mais que l’on sache quelques chose de la situation de la personne aveugle mise à priori hors champ de représentations supposées communes ?

De quel déplacement dans le transfert le thérapeute va t – il aborder cette question pour accepter de s’impliquer dans la construction d’un monde sans la référence directe à l’image visuelle ?

Au début de « Pulsions et destins des pulsions », Freud indique le type de connaissance qu’il tente de produire, précisant que l’observation est en réalité soumise à des idées forces que le chercheur a déjà en lui.

En psychanalyse la recherche théorico clinique du thérapeute sert l’élaboration d’un matériel intermédiaire qui va permettre au patient de se sentir soutenu psychiquement pour entrer en contact avec son intériorité.

C’est dire que le sens de l’épistémologie freudienne est d’autoriser une construction à partir de formes psychiques ouvertes - les figurations - qui permettent au thérapeute de se déplacer sur le terrain de la problématique du patient pour l’aider à en faire quelque chose de « rencontrable » dans le transfert. Dans le champ de la déficience visuelle, particulièrement, le transfert du thérapeute l’amène sur une terre inconnue soumise à l’influence d’une ombre qui, comme le dit Freud à propos de la mélancolie, se porte sur son moi.

Il s’agit de l’ombre formées par les représentations immémoriales de la cécité qui s’entremêlent avec celles de ses propres zones mélancoliques.

Ici le processus de figuration se trouvent menacé par les affects mélancoliques réactivés chez les voyants par la confrontation à l’inconcevable d’une pensée sans image visuelle.

Pourtant, les enfants aveugles nous montrent que le véritable potentiel de l’image est du côté du narratif. Elle n’a donc pas besoin d’être visuelle pour opérer, peut aussi bien s’appuyer sur d’autres trames sensorielles, mais doit en revanche se construire dans le transfert. C’est à dire sur la base d’une posture psychique qui est celle du dialogue.
Comme pour la fonction narrative dont elle participe, l’image n’a de sens qu’en tant que motif de délibération aussi bien intra psychique qu’inter psychique.

L’absence d’image visuelle chez un sujet est très prés de signifier socialement l’absence d’une possibilité de dialogue avec lui.

D’où les sérieuses difficultés que rencontre la clinique avec les bébés, les enfants et même les adolescents déficients visuels.

Car le premier facteur de risque pour le développement psychique de l’enfant aveugle est ici d’emblée déplacé, il tient en effet plus à l’état subjectif qui envahit les parents, les membres de la famille, l’autre « voyant », qu’au manque sensoriel dont l’enfant doit se faire progressivement une idée en même temps qu’il élabore par construction une représentation de ce qu’est l’appréhension visuelle du monde.

Ainsi, la clinique offre t - elle la constante vérification de cette affirmation de WINNICOTT : le problème de l’enfant aveugle c’est d’abord le regard de ses parents sur lui.

Cette clinique particulière, marginale pourrait – on penser du fait de concerner des pathologies rares, apporte pourtant une compréhension au delà d’elle – même sur une logique du trauma insuffisamment traitée : sa dimension d’onde de choc, sa dynamique de diffusion et d’imprégnation du contexte, son action modelante sur la subjectivité ambiante.

Aussi, le trauma n’appartient-il jamais au seul traumatisé. Quelle que soit sa résilience éventuelle, et sans doute d’autant plus qu’il est résilient, c’est à dire en position de contre investir la douleur, le sujet affecté du trauma affecte son environnement. Cette logique, qui pourrait bien apparaître comme un invariant de la psychopathologie du trauma, implique d’élaborer un outil conceptuel et des modalités de prise en charge spécifiques à la relance du processus psychique.

La clinique du bébé déficient visuel conduit la recherche dans cette voie avec en point de départ l’annonce du handicap.

Ce cadre clinique amène à étudier comment l’absence de l’image visuelle chez un membre du groupe introduit une négativité dans la constitution de son lien d’appartenance groupale.

Il va donc être utile de faire un détour pour comprendre quel est le statut de l’image visuelle dans notre espèce, pour que son manque ait une telle résonance sur le processus de subjectivation entre l’environnement et le sujet affecté.
Je commencerai donc par vous parler du sens que certains archéologues contemporains, spécialisés dans ce problème, donnent aux peintures rupestres du paléolithique supérieur – premières traces de l’image visuelle représentée.

Nous prendrons alors mieux la mesure des représentations sociales négatives qui tendent à isoler subjectivement et socialement les personnes déficientes visuelles.

Sur le fond de problématique ainsi dégagée, je vous présenterai pour finir quelques éléments d’un matériel de psychothérapie avec un jeune garçon aveugle.

Le statut de l’image dans l’espèce

Le statut de l’image visuelle dans l’espèce est notamment étudié en archéologie par un chercheur qui fait référence : David LEWIS – WILLIAMS est professeur émérite et directeur de recherche à l’Institut de recherches sur l’art rupestre de l’université de Witwatersrand à JOHANNESBURG. Il a récemment fait le point sur la question dans un ouvrage intitulé « L’esprit dans la grotte, la conscience et les origines de l’art ».

Voici ce qu’il dit : « Mon propos ici est de mettre le doigt sur ce qu’on a appelé la transition du paléolithique moyen au paléolithique supérieur. En Europe occidentale cette transition se situe entre 45000 ans et 35000 avant notre époque. Durant cette période, les Néandertaliens furent supplantés par les Homo sapiens , les deux types ayant vécu côte à côte, dans certaines régions du moins, pendant quelques milliers d’années. Il est clair que cette transition fut une période cruciale dans l’histoire humaine […. ] Soudain si l’on en croit de nombreux chercheurs, l’art est apparu et la vie humaine est devenu reconnaissable. [ …] La controverse sur l’ancienneté et l’authenticité de l’art du paléolithique supérieur n’a pris fin que pour céder la place à une autre qui dure encore aujourd’hui. Pourquoi peignaient – il ces figures ? »

La réponse de LEWIS – WILLAMS est que la confrontation des deux espèces humaines, les néandertaliens et les sapiens, a tourné à l’avantage de ces derniers du fait d’une compétence mentale développée à partir du maniement de l’image visuelle. « La conscience humaine pleinement moderne, dit – il, contrairement à celle des néandertaliens, inclut la faculté de produire des images mentales dans différents états de conscience, de s’en souvenir, d’en parler avec d’autres personnes dans un cadre donné ( c’est à dire de les socialiser ) et de les représenter. [ …] L’exploitation d’un type particulier de conscience et d’imagerie mentale à des fins sociales est donc devenue pour les Aurignaciens un signe distinctif majeur de leur société… »

En somme : les circonstances de la domination puis de l’anéantissement des néandertaliens au contact des sapiens ont permis à ces derniers de reconnaître au maniement de l’image visuelle le signe de leur pouvoir d’espèce.

Le maniement social de l’image a ainsi concentré et transformé la charge d’excitation qui a permis de symboliser le pouvoir du symbolique, ce qui serait l’essence du rite et par conséquent de la fonction religieuse.

En concevant l’objet en son absence, la symbolisation révèle le pouvoir de créer des mondes et de se déplacer mentalement entre eux.

Mais ce pouvoir de représenter, créateur de mondes, dépend à son tour des images qu’il crée. C’est le sens que donneront ultérieurement les humains à un thème universel correspondant au mythe prométhéen, à la boite de pandore, à la fable de l’apprenti sorcier : les représentations produisent des effets qui échappent à celui qui les crée.

Tel est pris qui croyait prendre.

Effectivement personne ne contrôle les implications des représentations collectives qui fonctionnent comme autant de miroirs dont dépendent les membres du groupe pour s’assurer à la fois de leur identité et de leur lien d’appartenance.

Dans la préhistoire comme dans les groupes humains de l’âge de la pierre qui sont parvenus quasiment jusqu’à nos jours et ont pu être étudiés par l’ethnographie, l’image peinte n’a pas d’abord fonctionné comme représentation d’ objet mais comme présence véritable.

Cette présence nous dit LEWIS – WILLIAMS, est double, à la fois présence de l’esprit et présence du chaman, elle est capable de s’infiltrer ou de s’exfiltrer de la membrane rocheuse de par sa fonction de navette entre le monde extérieur et le monde des esprits.

L’image, présence mixte tout autant que véhicule entre les mondes, atteste d’un perceptif entièrement restructuré par le fait de reconnaître à la perception de visions internes – hallucinations et images mentales - un statut à la fois opposable et combinable à l’image visuelle externe.

La grotte et l’ornement intégré au rituel qui s’y déroule, auraient donc servi à nos ancêtres de dispositif de consolidation et de complexification d’une fonction d’évocation mixant les souvenirs de perception externe aux productions internes hallucinatoires ou imaginaires. De ce mixte dérive directement la pensée moderne.

Ce faisant, les sapiens ont déplacé les limites du champ de la représentation mais ils ont aussi fait apparaître la discontinuité du champ perceptif.

Ce sont les trous ménagés dans l’extéroception par ce qu’on pourrait appeler l’exercice hallucinatoire qui servent de cadre à l’activité symbolique.

Le chamanisme - religion préhistorique et origine des religions selon LEWIS – WILLIAMS – semble s’être assigné pour tâche de décrocher les membres du groupe d’une activité perceptive externe dont dépendait depuis l’origine la survie de l’espèce. Le problème était de s’affranchir d’un monde externe férocement omniprésent, captateur de l’entière énergie des individus et du groupe, afin de libérer un surcroît de moyens au service d’une activité conceptuelle en attente de développement.

Ces nouvelles hypothèses relient la grotte ornée au chamanisme. Elles font apparaître l’image préhistorique non comme objet d’attraction en soi – au sens moderne d’objet esthétique – mais comme élément destiné à favoriser le transfert de la plus grande partie de l’activité mentale vers l’activité symbolique.

A l’origine, l’image aurait donc participé à ce transfert d’activité du groupe permettant le développement de la capacité humaine à subjectiver.

Probablement que l’enjeu de ce transfert était de servir l’intégration de représentations médiates du pouvoir, socialement beaucoup plus efficaces que l’exercice d’un pouvoir social exigeant la présence immédiate du dominant.

Mais les conséquences se sont avérées beaucoup plus larges. Les transferts latéraux générés par le rituel collectif ont certainement déterminé l’émergence de l’activité interprétante entre les membres du groupe au travers du processus que les sémioticiens qualifient de dialogique. Je reviendrai sur la question du dialogue qui est au centre de mon propos.

J’ai extrapolé sur la base des propositions de LEWIS – WILLIAMS, mais la réflexion actuelle sur l’image rupestre a, me semble t – il, l’intérêt pour nous cliniciens de désigner un point de nouage au départ du processus de subjectivation entre transfert et figuration.

L’idée est que cette articulation ouvre une perspective dans l’approche thérapeutique du traumatisme psychique.

Transfert et figuration

Dans mon travail à l’Institut d’Education Sensorielle il s’agit d’accueillir les parents en groupe et séparément selon des modalités très souples pour favoriser un aspect du transfert sur lequel je vais maintenant m’attarder. Il s’agit d’un processus à fonction figurative au sens de transfert d’idées.

Cet aspect de la fonction transférentielle, s’il apparaît nouveau et permet d’appréhender ce qu’on appelle aujourd’hui le processus de co pensée en analyse, est déjà présent chez FREUD.

Au début du chapitre sept de « L’interprétation des rêves », il décrit un rêve qui a été rêvé par deux personnes différentes. Ce rêve s’est transféré, dit – il, de l’une à l’autre par le biais du récit qui en a été fait.

FERENCZI, quant à lui, dans son article de 1909 « Transfert et introjection » parle aussi du transfert comme de la création de groupes d’idées inconscients. Il indique que la relation analytique favoriserait cette forme de transaction de formes psychiques inconscientes qui constitueraient le creuset de la pensée.

Poussant le point de vue de Mélanie Klein sur l’identification projective, Bion montre que « …l’analyste abrite en lui des émotions, des sentiments, voire des fantasmes, que le patient ne peut contenir et dont il se débarrasse en les lui injectant » ( Jacques Hochmann, « Propos sur le contre-transfert ».)

De mon côté, j’ai reçu le témoignage d’un garçon aveugle qui dit faire certains rêves en commun avec un de ses copains, aveugle lui aussi et un peu plus âgé.

Il y a, dans la même veine, l’histoire de ce psychanalyste, dont je ne me souviens pas du nom, qui avait rêvé la nuit précédente le rêve que son patient était en train de lui raconter sur le divan. Il n’a publié cette observation qu’à la fin de sa vie ayant craint d’être pris pour un fou ou un imposteur par ses collègues.

A côté des conceptions freudiennes classiques du transfert

- déplacement d’affect d’une représentation à une autre

- actualisation du passé

- déplacement sur la personne de l’analyste,

il semble donc pertinent d’ajouter le déplacement intersubjectif de formes psychiques.

Ce qu’on appelle aujourd’hui figuration et figurabilité dans ce champ des processus de co pensée - nouvellement réinvesti par la psychanalyse - n’est donc pas réductible aux aspects primaires ou précoces de la représentation tel que l’hallucinatoire archaïque. Il faut plutôt comprendre la figurabilité comme le registre dans lequel la pensée est adressée, reçue et se construit en objets intermédiaires assurant la fonctionnalité psychique du lien.

Faire du sens commun avec de l’expérience privée, telle serait la fonction du transfert qui permet au sujet de s’affranchir de son enveloppe autistique primaire pour intégrer un lien d’appartenance socialisé.

Ce qui fait dire au psychanalyste Christophe DEJOURS : « L’ontogenèse du corps subjectif se précise. Tout le processus se déroule dans la relation à l’autre. »

C’est ce qui permet, par exemple, que je trouve du sens au rêve que me raconte un enfant aveugle et que nous pouvons associer ensemble à partir de ce récit.

Il me parle de ses voix de rencontre, de ses enchaînements d’idées à partir de son expérience auditive. On compare, on commente. Il s’agit de comprendre ensemble, d’organiser notre monde intermédiaire, de confronter nos expériences.

Mais pour en arriver à la possibilité de ce dialogue, il faut d’abord comprendre ce qui y fait obstacle, assumer dans le transfert le problème du négatif.

Le problème du négatif, la haine inconsciente

La négativité est ici référée à la notion en psychanalyse de « travail du négatif » qu’André GREEN présente comme « … une opération primitive de négation. Celle – ci s’étend des conduites signifiantes verbalisées ou non, à deux registres : celui du mauvais, de l’inadéquat, défavorable, à rejeter et celui de ce qui comporte un vide, un hiatus, une absence. »

L’aide qui peut être apportée aux personnes affectées de traumatisme psychique du fait d’être exposés à la négativité sociale à ceci d’improbable qu’elle passe par une analyse pertinente des contre transferts.

Or, tout du sujet y résiste, fût – il thérapeute. Comme le rappelle WINNICOTT dans son article « La haine dans le contre – transfert ».

Pour le voyant qui ne prend pas en charge d’analyser sa réaction devant l’aveugle, ce dernier reste inconsciemment perçu comme celui qui transgresse une loi de la subjectivité humaine, celui qui refuse le partage d’un objet libidinal ordonnant les liens d’appartenance dans la communauté.

Voici pour illustrer le propos une vignette clinique et une citation.

- Une collègue psychomotricienne, qui est aussi rééducatrice en locomotion, m’a autorisé à transmettre cette observation qu’elle a souvent l’occasion de faire lorsqu’elle travaille avec une personne aveugle dans la rue.

« Je remarque, dit – elle, que les gens dans la rue ne baisse pas le regard lorsqu’ils observent la personne aveugle, ils la scrutent d’un regard soutenu comme il est incorrect socialement de le faire. Le plus curieux de la situation est que je suis scrutée de la même façon. En tant qu’accompagnante les gens me fixent sans détournement du regard comme si la personne aveugle et moi formions un tout indissociable. »

- Une historienne du handicap visuel a récemment écrit :

« Malgré le droit à la scolarisation, à la formation professionnelle et à l’emploi, progressivement reconnu aux personnes dites « handicapées » au cours du XX° siècle, les personnes aveugles rencontrent encore de nos jours de grandes difficultés pour s’intégrer pleinement dans la société française. Par ailleurs dans un monde « désenchanté », elles sont toujours en butte à des comportements irrationnels qui conditionnent - au moins partiellement - la place qui leur est faite dans la société. » Zina WEYAGAND « Vivre sans voir, les aveugles dans la société française du moyen âge à Louis Braille ».

Tenant compte de ces éléments de la subjectivité contextuelle, nous avons mis en place un dispositif de rencontres des parents souple et diversifié afin que les parents améliorent l’intégration des représentations des besoins de leur enfant déficient visuel.

Ce dispositif à l’échelle du service, et en particulier des enfants de 0 à 3 ans, s’articule ainsi :

1 – Première étape : penser les dispositifs de la prise en charge dans la visée de créer la communication entre parents et professionnels et dans le groupe de parents. On constate que la création du contact se déployant dans le dialogue est le véritable terreau des transferts,

2 – lorsque la communication est suffisamment construite on peut commencer d’analyser en équipe des contenus d’affects et de représentations qui se transfèrent entre parents et professionnels, entre les parents dans les moments de rencontre, et entre professionnels dans les réunions pour élaborer,

3 – il s’agit ensuite de réintégrer ces élaborations dans le dialogue avec l’enfant et les parents d’une manière qui respecte les défenses psychiques,

4 – on découvre alors que la restitution par les professionnels de leur élaboration permet aux parents de développer - soit un transfert positif sur le processus qui se matérialise par la relance des liaisons psychiques et un investissement accru du dispositif de rencontres - soit, à l’inverse, un transfert négatif, tout aussi précieux lorsqu’il s’agit de rétablir une projectivité à partir d’affects clivés,

5 – Dans le cas du transfert positif des parents sur les professionnels on trouve en retour sur l’équipe des effets de renforcement de la cohésion, de la dynamique et de la créativité groupales. Dans le cas du transfert négatif, il faut à l’équipe une véritable pratique de l’analyse des contre transferts pour que soit reconnu l’intérêt thérapeutique qu’il y a à « héberger » les figures inconscientes de la destructivité réactivées par le trauma.

Travailler la figure du négatif suppose donc d’y faire face par l’analyse dans l’équipe, ce qui permet de renoncer aux contre investissements défensifs par clivage du transfert qui tendent à « privatiser » les relations entre professionnels et parents avec tous les dégâts qui en découlent.

Souvent, par défaut d’élaboration, les équipes se clivent elles – mêmes, faisant alors fonctionner leurs parties internes comme autant de surfaces projectives dissociées réverbérant en boucle les fantasmes d’attaques psychiques destructives et de crainte de l’effondrement.

Les crises institutionnelles ainsi générées sont vécues comme un destin groupal d’échec et sont ré intriquées par les professionnels aux représentations inconscientes de leurs propres angoisses archaïques.

Maintenant que nous avons fait un tour rapide des problématiques contextuelles, nous pouvons aborder la psychothérapie analytique de l’enfant où vont converger les effets de ces différentes logiques subjectives.

Psychothérapie d’Antoine

A son arrivée à l’institut d’éducation sensorielle Antoine a 6 ans. C’est un enfant aveugle qui présente des stéréotypies giratoires ainsi que posturales et des membres supérieurs. Il est mutique dans le cadre de l’Institut bien que les parents le disent bavard à la maison, mais utilisant une voix d’emprunt.

Antoine est atteint d’une maladie génétique rare déterminant : une cécité à la naissance, l’évolution ultérieure d’une surdité de perception, un retard psychomoteur.

La prise d’anamnèse nous paraît intensément douloureuse pour les parents. Le trait le plus saillant est un phénomène de « retour de vision » à l’âge de 18 mois attesté par le compte rendu du service hospitalier et ayant provoqué chez Antoine un épisode de décompensation psychotique avec comportements d’auto mutilation. Renvoyés à notre culpabilité par la réaction parentale nous ne cadrons pas nettement la saisie d’anamnèse qui s’est trouvée en grande partie évitée. En dehors des dossiers nous n’avons pas pu reconstituer directement avec les parents de représentation suffisamment précise et globale du développement de l’enfant.

Cette époque est abordée par les parents comme s’il s’agissait d’un cauchemar dont l’évocation réactualiserait son emprise subjective sur toute la famille.

Lorsque Antoine a 8 ans, l’observation dans le cadre de la prise en charge montre une évolution favorable sur les plans du contact, de la communication, de l’adaptation au groupe, ainsi que des progrès scolaires qui attestent que la lecture et l’écriture braille sont en cours d’acquisition.

Reste une forme de pensée automatique, une inhibition de l’agressivité, de l’initiative et du mouvement volontaire qui préoccupe l’équipe. Un suivi à visée psychothérapique à raison d’une séance hebdomadaire ponctuée d’un entretien avec les parents et l’enfant toutes les 5 séances, est mis en place.

Le premier semestre, Antoine utilise la séance pour ce qui m’apparaît comme la mise en place d’un rituel. Le contenu est fait de récits factuels qui s’enchaînent sur un ton monocorde. Le contre transfert s’établit sur un affect dépressif - l’envie de dormir – et un affect de haine inconsciente manifesté, comme le signale WINNICOTT, par le désir que le patient ne puisse pas venir, que la séance se termine, qu’une distraction survienne de l’extérieur…

Les séances avec les parents sont tournées vers une communication à tonalité de remplissage contra phobique, avec tout de même du plaisir à être ensemble. J’ai le sentiment que chaque parent a très envie de parler et que ça lui fait peur. Il s’en suit des échanges assez chaotiques qui se superposent et je ne sais jamais qui écouter car l’autre parle en même temps. C’est aussi un mode de communication à caractère paradoxal, la superposition faisant office d’annulation.

Je garde l’impression que la zone d’affect dépressif est maintenue à distance, comme je suis moi - même maintenu à distance.

Lorsque Antoine prend la parole, il y a une tension perceptible chez les parents. J’ai aussi l’impression qu’il cherche à dire ce que ses parents veulent entendre, surtout sa mère, comme s’il cherchait à la réparer, ou plutôt comme si elle avait absolument besoin d’être réparée par lui et par personne d’autre.

Dans les séances individuelles un matériel récurrent va nous mettre sur une voie de figuration des fantasmes archaïques. L’entrée en matière se fait par l’évocation des sons produits par l’explosion des pétards.

Il y a là un fond d’angoisses corporelles massives qui commence à se prendre dans nos échanges et à se symboliser par le biais du récit des sons que produisent les pétards, les feux d’artifice, toutes les sortes d’explosions et de bruits forts.

L’évocation de ces souvenirs de perception, de traces d’hallucination et des états corporels correspondant l’excitent considérablement.

Peu à peu, je comprends que pour Antoine les sons fonctionnent comme des personnages, ils ont une vie propre et communiquent entre eux. Il prend des mots qui peuvent être des substantifs, des qualificatifs, ou des verbes, et en fait des pictogrammes sonores.

A ce moment je prends conscience de la valeur spéculaire du narratif et je me dis que la base de tout le processus spéculaire c’est la possibilité du dialogue sur la base de l’accordage tonico émotionnel primitif.

L’ambiance des séances changent du tout au tout, je ne m’ennuie plus, j’ai des idées.

Antoine fait de la musique et en écoute beaucoup. Il m’en parle. J’ai envie de lui faire écouter la musique que j’aime. Je lui propose que nous écoutions un CD que j’amènerai, il est d’accord.

A ce moment je me rends compte que ça va faire 7 ans que je travaille avec des enfants mal voyants ou aveugles et que c’est la première fois que s’impose à moi l’idée de travailler avec un support audio. Je me dis : c’est incroyable l’enfermement de voyant dans lequel je suis. Je me débrouille pour me faire prêter un lecteur. J’amène le CD et nous démarrons la première séance d’une longue série avec cette consigne que je propose : on écoute ensemble un morceau puis on se raconte chacun à notre tour ce à quoi ça nous a fait penser. Les parents m’apprennent qu’à la maison il leur demande : « à quoi ça te fait penser » et qu’ils en sont tout étonnés.

Quant au matériel qui se développe il est assez classiquement paranoïde autour des thèmes d’angoisse corporelle tels que les énumère WINNICOTT. L’objet de la narration, désigné comme « le cauchemar », est d’un statut assez complexe : entre construction imaginaire, élément hallucinatoire, récit de rêve effectif. Il se réfère probablement au vécu de l’épisode de retour de vision à 18 mois et au chaos psychique qui s’en est suivi.

Plus largement, je me rends compte que ce qu’il appelle cauchemar est aussi la délimitation d’une structure narrative intégrant plusieurs choses : les sensations corporelles archaïques, la conséquence sur le lien parents – enfant de la déliaison psychique vécue par les parents ainsi que les affects de détresse, de haine inconsciente et de culpabilité qui menacent de saturer l’intersubjectivité familiale.

Je repère la formule d’un fantasme inconscient dans la problématique d’Antoine qui pourrait se traduire par le vécu corporel d’être à la fois endommagé et empêché.

La dernière phase de la thérapie est marquée par l’évolution des supports audio qu’apporte Antoine à son initiative. Il s’agit maintenant d’histoires pour enfant.

A l’aide de ce matériel il travail à discriminer les différents registres psychiques entre perception, interne et externe, perception sensorielle directe et souvenir de perception sensorielle. Il évalue la distance que produit le récit par rapport à l’événement et commence à comprendre la fonction de récit du récit. Il semble découvrir la prise de distance vis à vis du perceptif, tout en maintenant son sentiment de continuité d’existence.

Un axe majeur du processus thérapeutique se précise, c’est la différenciation de la pulsion agressive jusque là confondue avec la pulsion d’emprise. Antoine commence à « se lâcher » dans la vie quotidienne en même temps que les parents acceptent de le lâcher pour une expérience d’une nuit puis de deux nuits sur le groupe d’internat.

L’équipe observe l’émergence des mouvements volontaires, de l’intentionnalité dans la motricité et la relation, d’un positionnement plus actif dans la classe et dans les groupes d’enfants.

Dans les séances il atteste de son intérêt pour les mots obscènes et développe d’abondants scénarios à figures maternelles et féminines persécutives. Je me dis qu’Antoine accède dans la séance à une destructivité symbolisée et donc au plaisir de représentation sachant que, par ailleurs il agit fréquemment une violence réelle sur sa maman à la maison. Je m’attends à ce que quelque chose bouge de ce côté là ; que, par exemple les parents se plaignent enfin de leur fils, qu’ils fassent une demande à l’équipe pour « faire entrer de l’extérieur » entre parents et enfant.

A ce moment, nous sommes en fin d’année scolaire, j’apprends directement par les parents leur décision de changer Antoine de centre pour des motifs de projet scolaire et que donc la thérapie avec moi va s’arrêter là.

Pour conclure

La déficience visuelle de l’enfant jeune renvoie les équipes à la difficulté de formation d’un espace signifiant intermédiaire entre l’enfant et son milieu.

Comment aider à l’établir ou à le rétablir ? Quels types de dispositifs d’accueil et de suivi, tant de l’enfant que des parents et de la famille, faut – il proposer pour circonscrire les effets du trauma et relancer le processus psychique ?

Dans le cas particulier du dispositif mis en place pour la thérapie d’Antoine et faisant intervenir les parents toutes les 5 séances, une question se pose : la thérapie ne s’est – elle pas exportée dans la famille par exemple au travers du jeu « à quoi ça te fait penser ? ». Cette co création analytique s’est retrouvée en position d’objet intermédiaire entre l’enfant les parents et le thérapeute, faisant effraction probablement dans le système subjectif parents - enfant.

Le dispositif que j’ai proposé impliquant de cette façon les parents correspondait à mon intention de favoriser les processus de subjectivation entre parents et enfant. Cette posture thérapeutique se réfère à ma pratique avec les bébés et leurs parents. S’il pouvait sans doute convenir à Antoine, il est en revanche probable qu’il ne convenait pas aux parents au moment où débutait pour eux une phase de cicatrisation de la douleur psychique.

La leçon pourrait être qu’il faut tenter d’évaluer la dynamique intersubjective du lien parents – enfant – institution avant de proposer tel ou tel type de dispositif à visée thérapeutique.

Mais je pense surtout que la marge de manœuvre subjective de l’enfant n’apparaît qu’après coup. Le thérapeute doit alors accepter que le résultat du travail analytique soit, dans un premier temps, de dévoiler l’état d’avancement du deuil des parents. Le principal enjeu de ce deuil étant la transformation des investissements de l’image visuelle au profit du plaisir de la représentation narrative.

Il y a donc toujours un moment dans ces prises en charge où le thérapeute, comme chaque professionnel, est conduit inconsciemment face à ses propres deuils plus ou moins faisables. C’est à ce point que l’écoute analytique joue son rôle pertinent, comme vous venez de le faire avec moi, et je vous en remercie.

1 Texte pour la journée d’étude « L’enfant et les images », 1° octobre 2005 à Toulouse, dans le cadre de l’association Midi – Pyrénées de psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent.

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