lundi 08 novembre 2010
Comment faire lien ce soir entre mon travail et le texte de Freud : « Malaise dans la Civilisation » qui introduira le séminaire 2011 de Joseph Rouzel : « Malheur dans le Capitalisme » ?
Ma première inclinaison ira vers la question du Corps.
J’ai parcouru depuis 2007, un très long voyage de création, de production, autour des œuvres principales de Frida Khalo 1 . Au travers de ce parcours, de son œuvre et de son immense travail pictural, j’ai crée un immense espace.
Pourquoi Frida Khalo 2 ?
Cette question n’a pas vraiment trop d’importance.
Je pense aussi que celle-ci peut tout à fait rester hors-champ.
J’ai, sans agencer quoi que ce soit, été instinctivement aspiré par sa création autobiographique. Par un appel sourd et très profond, j’ai revisité 3 en quelque sorte ses œuvres principales, en donnant corps peu à peu à une série de toiles, 46 au total, dont quelques-unes sont ici.
Ce travail parle du corps et je crois avoir été le plus loin que je puisse dans la relance et la réorganisation de la question du Corps.
La Question du Corps est un titre qui me plaît.
Question dans tous les cas car je ne vois pas encore pour quelle raison le corps ne serait alors qu’une réponse simple, claire, compacte et transparente.
Le diptyque Question/Réponse ne m’attire pas non plus, pour ce qui nous concerne ce soir, car le lien entre les deux n’existe pas.
« Ceci est mon Corps » , ce titre que j’aurais pu choisir, cette phrase que j’affectionne plutôt, porte en elle une interrogation toujours aussi poignante et irrésolue, des grottes de Lascaux à …Frida Khalo, en passant par beaucoup d’autres.
De quel Corps s’agit-il ?
Au contact de quel Corps est-on ?
Aux limites de quel Corps est-on ?
Y a t-il des époques sans Corps ?
Au contraire existe-t-il des époques avec …plus de Corps ?
Permanence de la Question du Corps, permanence de la cruauté.
Le couple Présence/Représentation ne cesse de poser question 4 . Et, à ce modèle d’opposition théorique, le corps a toujours finalement résisté.
Ce Corps résiste.
Il résiste « en postures déplacées, parfois malades, parfois pathétiques, à l’absorption par le grand Corps majoritaire. » 5 Entendons Corps majoritaire par Corps social, Corps politique, Corps familial, Corps de la consommation à outrance via ses objets d’intimidation, Corps de l’analyste, Corps morcelé de l’analysant, Corps de l’analyse, entendons-là aussi corps morcelé par le vrai sens de l’expression, à savoir : corps morcelé une collection incohérente de désirs.
Lorsque l’on parle de Corps, deux autres mots s‘associent : le Dedans et le Dehors, l’un n’allant pas sans l’autre, l’un n’allant pas sans son autre .
Ce corps donc, ce bordel d’organes 6 , est-ce l’intime, … l’extime ?
Ce lieu d’impact et de tensions est-il vraiment pur volume d’échanges avec le dehors ?
Ce Corps qui semble si naturel 7 , est-il seulement une surface réceptive à une multitude de sens ? Ou est-il aussi une surface susceptible de prendre une multitude de sens, de significations, où sur celle-ci des sexuations, des codes, sexués, ethniques, politiques y seraient inscrits 7 ?
« Le plus profond c’est la surface » 8 nous indique Kandinsky, avec une tonalité très actuelle. Si son affirmation était à prendre au pied de la lettre, nous pourrions alors envisager le corps comme non-site , pouvant s’adapter, se rendre disponible à des situations autres, étrangères, minoritaires. Sans cesse le Corps s’échappe, passe au dehors ou au devant de lui-même dans son devenir-public révélé.
La grande affaire du créateur 9 n’est-elle pas de rendre la peur, l’absurde, au moins agissant et attrayant ? Et pourquoi pas joyeux ?
Héroïsme de la joie.
Il y a un héroïsme de la joie chez Picasso, la joie de peindre, d’exhiber en peignant les Corps glorieux. Il y a un héroïsme de la joie en fin d’analyse, lorsque le Corps morcelé traverse une rue en se demandant pourquoi autant de temps de paroles vaines ont passé, autant de signifiants découverts ont déconstruit une vie qui paraissait entière. Parole vide, parole fausse, parole pleine pour un Corps reconverti.
A l’autre pôle de la création, on trouverait le corps foudroyé d’Antonin Artaud, desquamé par la lime noire de l’exécration. Picasso, Artaud, …Khalo, quelques figures de la possession, du devenir Corps à la mesure, démesurée, de l’astreinte artistique.
Le Corps de l’artiste comme organe absorbant 10 de l’activité artistique elle-même, n’est-il pas un médium sacré ? Ce médium est-il incarné ?
Il ne saurait y avoir pourtant d’autre mesure pour le Corps que celle qui s’inscrit singulière et immanente, à même lui.
Mesure du Corps par le Corps, interrogations du Corps par lui-même, micro sensations, macro sensations corporelles, sport pour un Corps qui discipline, déchaînement schizoïde pour un Corps coupé en deux ou fragmenté, Corps à fragmentation retard, Corps objet….
Ce Corps, mais quel Corps ?
Le Corps résiste.
Le Corps de Frida Khalo a résisté. Il a tenu droit, le plus droit qu’il puisse.
Sublimé, restructuré, il s’est rendu à cette invitation intime du dépasser l’intenable, par le peindre , le dessiner, le construire une œuvre .
Cette œuvre attachante, intimiste, ouvrant vers l’extérieur, a passé déjà plusieurs générations. Son pouvoir émotionnel reste immense et n’a pas pris une ride.
Il est question, au-delà de son Corps de femme, isolé, brisé 11 , d’un Corps solaire, militant, toujours à l’œuvre, amoureux, passionné, intemporel, guérisseur.
C’est dans cet écart, c’est aussi dans l’angle ouvert de ces deux relations que je voulais ce soir inscrire mon témoignage, redéfinissant au passage la définition du mot, du signifiant « témoignage » en tant qu’engagement du sujet et aussi instauration même de l’expérience, qui y fait fonction.