mardi 23 août 2005
Dans le n° 762 de Lien Social, une fois de plus Catherine de Bechillon, As et Superviseur bien connue en travail social, que j’ai pu apprécier lors d’interventions à Toulouse, tape dans le mille : « … la carence de supervision est tout a fait dommageable et la carence de formation de superviseurs tout autant ». On ne peut qu’approuver : faute d’espaces d’élaboration, les professionnels de l’action sociale sont renvoyés à des formes de passages à l’acte sur les usagers ou sur eux-mêmes. La supervision fait partie des outils indispensables du travail social. On ne saurait s’en passer. Une fois fait le constat, et de la nécessité et de la carence, que faire ? On ne peut passer son temps à se lamenter. A l’Institut Européen Psychanalyse et Travail Social, nous avons pris le taureau par les cornes, à partir de quatre initiatives .
La première est une formation de superviseurs , depuis cette année en juin, sur 4 semaines réparties sur 2 ans. Le stage, théorique et pratique, accueille 12 personnes, pas plus. Démarré en 2005 il se poursuivra en 2006, pour aboutir à une journée de réflexion ouverte sur la question de la supervision, vraisemblablement en association avec l’IRTS de Montpellier. Les stagiaires présenteront un mémoire clinique au cours de cette journée.
L’autre initiative concerne la création d’une association : ASIE (Association de superviseurs indépendants européens). En voici la présentation.
« Et l’Asie continue son mouvement, sourd et secret en moi, large et violent parmi les peuples du monde. Elle se remanie, elle s’est remaniée, comme on ne l’aurait pas cru, comme je ne l’avais pas deviné »
« Il faut qu’une pensée agisse, agisse directement, sur l’être intérieur, sur les êtres extérieurs. Les formules de la science occidentale n’agissent pas directement. Aucune formule n’agit directement sur la brouette, même pas la formule des leviers. Il faut y mettre les mains ».
Ces deux extraits du maître ouvrage du poète Henri Michaux, Un barbare en Asie , nous invitent à un déplacement et de plus, comme il l’écrit « il faut y mettre les mains ». Phrase qui n’est pas sans faire écho à celle de Jacques Lacan en ouverture à ses Ecrits en 1966, où il incite le lecteur à « … y mettre du sien ». L’ASIE en Europe ? Quelle idée ! Cette nomination introduit un coin dans le brut du bois, un grain de sable dans la mécanique. Ce déplacement c’est ce qu’on est en droit d’attendre d’un superviseur.
En France depuis quelque temps la question de la supervision dans le secteur social et médico-social, voire en entreprise, a été soulevée à nouveau après une période d’éclipse. En Belgique, ces dix dernières années révèlent une progression marquée de la demande de supervision auprès des organismes de formation continuée. On constate une demande tout aussi accrue en Suisse francophone. Cette question revient non sans une certaine confusion. On ressent bien la nécessité dans les équipes de travailleurs sociaux de lieux d’élaboration de ce qu’ils engagent dans la relation aux usagers, comme de ce qui se joue au sein de l’équipe et de l’institution. On a vu fleurir face à cette demande mi-dite, des cabinets de coaching, de consulting, d’audit, tout ceci mélangé avec l’analyse des pratiques. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! D’aucuns, médecins psychiatres, psychologues, psychosociologues, voire psychanalystes se sont adjugés ces espaces sans aucune formation, ni réflexion, s’appuyant sur le syntagme « psy », comme si par magie il préparait à occuper une telle fonction. D’où certains dérapages, foirades et autres dérives.
Notre volonté avec la création d’ASIE est de soutenir des espaces de réflexion et d’élaboration pour les superviseurs, donc de déplacement, des prise d’air, voir des prises d’être pour les praticiens du social, là où le quotidien écrase la pensée sous son rouleau-compresseur de routines et contraintes, dans un contexte social soumis aux illusions managériales et gestionnaires, cet « ordre dur » comme le désigne Lacan, qui empoisonnent à petit feu les pratiques sociales en instrumentalisant ses praticiens. Il s’agit – principalement dans les métiers de l’intervention sociale, - de maintenir vif l’appareil à penser et à inventer de chacun.
Des collègues de Belgique, de Suisse, de France et même du Canada, se sont ainsi engagés à mettre la main à la pâte, à y mettre du sien, pour dégager petit à petit les cordonnées d’une pratique, celle de superviseur, que l’on a pensé jusque là comme allant de soi. Eh bien, non , ça ne va pas de soi !
Pour ce faire nous avons développé des outils spécifiques, à partir des inventions de nos prédécesseurs : Freud, Balint, Bion, Anzieu, Lacan… et notamment un outil nommé « instance clinique » qui peut se décliner sur plusieurs niveaux : supervision, régulation d’équipe, analyse institutionnelle, supervision individuelle. Mais l’association se fera aussi l’écho d’autres approches, d’autres inventions, d’autres trouvailles.
Un site est en cours de construction. On y trouvera les rubrique suivantes :
- un Forum d’échanges sur les pratiques et les discours de superviseurs éclairés pas la psychanalyse
- des Textes de réflexion présentant des témoignages de pratique de supervision, ou des approches théoriques.
- une présentation des formations à la supervision que nous mettons en place.
- une liste de superviseurs tenue à jour par région, soit ceux que nous avons formés, soit ceux que nous pouvons recommander.
La troisième initiative concerne dès maintenant l’organisation du 2éme Congrès Européen Travail Social et Psychanalyse qui se tiendra en octobre 2007 à Montpellier (dates à préciser). Il sera consacré à l’approche clinique dans le travail social, avec toute une journée d’atelier sur la question de la supervision.
Et enfin, il est prévu la parution d’ un ouvrage sur la supervision , chez Dunod, pour 2007.