lundi 09 avril 2018
Journées de L’AFREPSHA
22-23 mars 2018
Soigner en psychiatrie : Amour, Bricolage, Certifications, D, E……
La Psychiatrie entre savoir-faire et engagement
Titre un peu académique, vaste champ dont je vais essayer de me dépêtrer en reprenant votre présentation des journées, c’est à dire en questionnant la place de ce que l’on appelle le bricolage et aussi le concept de l’amour dans les institutions.
Tout est affaire d’histoires et de rencontres et mon intervention à ces journées s’inscrit dans ce lien, dans cette opportunité avec vous de partager dans une ambiance, un contexte que j’aime et qui me remplit.
D’ailleurs le titre de cette journée avec de l’Amour dans la relation soignante s’est imposé à moi chaque fois que j’essayais d’aborder des réflexions, de bricoler un écrit.
L’amour, toujours l’amour….. ce sentiment complexe que l’on peut considérer de points de vue divers, qui peut revêtir différentes significations mais qui nous permet d’accéder à l’universel et nous vide de la croyance que nous sommes des étrangers l’un pour l’autre, en nous remplissant du sentiment d’appartenir à une même famille.
En effet quel plaisir, quelle joie de partager et d’échanger avec vous, qui représentez pour moi une famille de cœur, que je revois toujours avec grand plaisir, dont le travail et le désir font la qualité et la richesse de ces journées à Gap.
1 / le savoir faire :
Etre soignant en psychiatrie, est un métier qui nécessite la maîtrise de compétences techniques au service de l’utilisation d‘un certain nombre d’outils, mais surtout un métier de la relation avec tout ce que cela comporte pour le professionnel de maîtriser un ensemble de compétences, dites informelles, parce que relevant de l’humain.
Comme on dit, soigner en psychiatrie requiert un statut, une formation, des références théoriques mais surtout cela requiert une rencontre, des rencontres….. ou se joue de l’Amour surement, du Bricolage souvent, des Certifications sans doute, du Dépit peut être mais de l’Engagement certainement.
Relation, rencontres avec cette notion d’amour présente dans tous les domaines de notre vie : amour de soi, amour de l’autre et aussi amour du travail, du travail bien fait, etc…
Amour / travail, amour / métier, ce binôme me fait penser à cette phrase d ‘un intervenant aux Etats généraux de la psychiatrie à Montpellier en 2003 : « j’aime mon métier mais j’aime pas la façon dont on me le fait faire actuellement….. ».
Je me rappelle de cette intervention car elle m’a questionnait dans ce qui pouvait faire penser à une désillusion, à une nostalgie du passé mais surtout dans quelque chose qui ferait que l’on serait en position d’être passif, sous l’impératif de contraintes dont on ne pourrait se désempéguer, sans possibilité, et avec la seule éventualité in fine d’un statut de victime……
Dans cette phrase dite par cet intervenant à Montpellier il y avait de l’amour surement, du dépit certainement mais ce rapport à l’actuel pourrait faire penser que le bonheur à travailler se limiterait au plaisir nostalgique d’un avant idéalisé mais surtout de penser un travail où la commande s’impose à nous sans libre choix de notre part.
De tout temps la psychiatrie a fait avec la commande sociale lui donnant une légitimation sociale prépondérante et incontestée ainsi qu’avec son lien originel qu’est la justice sans oublier la part de contraintes administratives propre à tout fonctionnement.
Indépendance et interdépendance c’est l’histoire de la psychiatrie qui a toujours su agir et prendre position pour faire respecter sa place, ses compétences, son éthique et une logique de partage des tâches sans trop de douleurs et de confusions, le lien avec la justice en est l’exemple.
Mais les choses peuvent se brouiller, se compliquer telle une histoire d’amour déçue quand nous vivons notre relation au travail dominé par le poids de l’évolution des contraintes qui viendrait abrasé tout possible et nous met en position de subir des protocoles au dépend de toute créativité et prise d’initiative.
Les contraintes sont présentes, et ont toujours été présentes sous différentes modalités, mais l’ère des certifications ne doit pas nous empêcher de penser et de faire.
Nous avons toujours un possible et un choix et en lien avec Richard RECHTMAN je dirais : « Nous devons tenter de comprendre quels types de régulations sociales sont en jeu pour la psychiatrie pour retrouver une marge de manœuvre en rupture avec les seules injonctions de l’ordre social contemporain.
Chacun à sa place de clinicien doit pouvoir introduire une lente et subtile subversion des logiques sociales qui prétendent édicter le destin de chacun au nom du bien collectif. »
Pour compléter cet abord sous l’angle des évolutions, je citerai Lantéri-Laura qui dit : "Quarante ans de métier montrent à l'évidence que le présent d'hier constitue le passé d'aujourd'hui et qu'il demeure essentiel à la discipline de savoir qu'elle se modifie toujours, qu'elle se perfectionne souvent, que son futur très proche est seul prévisible et que l'actuel ne constitue qu'un moment dans une évolution".
L’évolution et le progrès considérable des technologies ont amené un plus incontestable, des guérisons inespérées et un espoir pour de nombreuses maladies et l’essor des neurosciences dans cette évolution à tendance à poser un savoir qui ne doit pas nous faire oublier tout un pan de la psychiatrie.
Rapport au savoir, à son avancée et ses limites, sans doute plus marqué du fait de la complexité, des incertitudes, des questionnements dans les fondements épistémologiques du fait même de l’objet de la psychiatrie ; la maladie mentale, la souffrance psychique en un mot l’humain.
Il faut toujours se rappeler que la science, le savoir n’épuise ni l’humain, ni le réel et que le réel n’est pas réductible à un modèle et surtout ne procède pas d’une mise à l’écart de toute perception subjective.
Subjectivité surement, mais aussi le caractère absolument essentiel de la temporalité, avec cette importance des temps longs pour le soin psychique dans tout ce que cela représente et fonde dans la quotidienneté.
En psychiatrie le soin de façon prépondérante ne se réduit pas à une science il s’appuie sur divers modèles, diverses sciences garantissant en rien la scientificité de ses applications car y participe de façon fondamentale une clinique du quotidien avec le savoir empirique, l’expérience et le savoir faire.
Clinique du soin psychique, d’une quotidienneté où nous devons penser un soin en fonction de nos besoins avec des outils empruntés à un système de conceptualisation de référence, en se confrontant à sa clinique et de comment elle se situe entre théorie et savoir faire
On perçoit bien dans ce schème, dans ce mouvement théorie / pratique que la complexité de la pratique psychiatrique peut être aussi un atout dans ce qu’elle légitime, voire valorise le mixte de théories et de pratiques qui la caractérise et qui fait qu’elle repose sur une dynamique, et l’importance d’un savoir-faire.
C’est à Pierre Bourdieu que nous devons d’avoir mis l’accent sur la nécessité épistémologique de distinguer la théorie et la théorie de la pratique.
Distinction fondamentale qui nous permet de séparer le savoir et le savoir faire puisque la pratique constitue toujours une articulation entre les connaissances générales et les singularités du patient et dont la théorie ne peut jamais fournir une représentation exhaustive.
La pratique ne résulte jamais totalement de la théorie, elle ne se réduit pas à elle même. Chaque soignant dans le champ de la souffrance psychique, de façon simple ou compliquée, rudimentaire ou sophistiquée, se reporte à une théorie dont la référence lui sert, mais elle ne couvre pas la théorie qui guide effectivement sa pratique.
Savoir-faire articulé aux différents niveaux théoriques pour penser et agir au cas par cas en fonction de l’évolution et des commandes et qui nous permet de maintenir une prise d’initiative, une créativité et une marge de manœuvre fondamentale pour s’inscrire et pratiquer notre métier.
Savoir faire en lien avec la théorie, comme adaptation du soin au malade dans ce que l’on peut appeler un bricolage singulier, entre les différents reports théoriques à sa disposition avec l’expérience transmise et l’expérience acquise.
Ce bricolage, selon le dictionnaire Larousse, se limiterait à s'occuper chez soi à de petits travaux manuels d'ordre domestique , travail peu sérieux, grossier et selon le Petit Robert, cela signifie travail d’amateur, peu soigné
Ca commence plutôt mal … et ça ne correspond pas à ce que nous percevons du bricolage dans notre exposé…..
C’est en se référant à son autre acceptation, anthropologique celle là, qui le définit comme un travail dont la technique est improvisé, adaptée aux matériaux, aux circonstances, image un peu moins péjorative …laissant place à l’expérimentation et à l’élaboration.
C’est solliciter Lévi Strauss, qui en revenant aux fondamentaux de l’humain, nous permet d’élargir le point de vue, et de mieux entendre ce qui se joue derrière ces questions de
bricolage, et qui justifie qu’on prenne un peu de temps pour y réfléchir.
La science et les techniques de l’époque des lumières ont divisé le monde en disciplines pour mieux le comprendre. Dans la foulée, on a consolidé la rupture entre ceux qui savent et ceux qui font
En même temps le monde se divisait entre nos sociétés modernes, savantes, scientifiques, industrielles, et "eux" : tout le reste du monde (dont nos propres ancêtres), qui restaient dans
"la pensée sauvage", comme dit Lévi Strauss et "le bricolage" qui va avec.
Or l’apport de Lévi-Strauss dans la pensée sauvage, a montré que la richesse des peuples dits primitifs révèle un effort de compréhension du monde, une pensée mythique qui est au regard de la pensée scientifique dans la situation du bricoleur au regard de l’ingénieur.
Le bricoleur doit s’arranger avec les moyens du bord, pratiquer le remploi, détourner de leur usage premier les matériaux, les emplois qui sont à sa disposition.
Le bricoleur n’est pas dans un probablement définis, il est du coté de l’ouverture, de la réorganisation…..
Lévi Strauss écrit que la pensée scientifique et la pensée sauvage « qui bricole » sont deux démarches également valides, complémentaires et pas deux stades dans « le progrès humain » , deux phases de l’évolution du savoir.
La science et la technique moderne sont solidement installées dans nos sociétés mais il existe aussi la part de "pensée sauvage" et comment dans la démarche scientifique sont étroitement imbriquées des dimensions informelles, subjectives et incertaines.
Redonner des lettres de noblesse à cette approche, cette pratique, c’est rappeler qu’au delà de l’importance du bricolage, c’est pour ce qui nous concerne la place fondamentale de l’initiative du soignant qui est soulignée.
En effet, ce travail artisanal, ce sur mesure, ce « bricolage » au sens de Lévi-Strauss, ne représente pas un retour au passé ou une peur de la modernité, mais il serait plutôt le contrepoint et le complément qui permet au soignant de se réapproprier et d’inventer des dispositifs pour maintenir une cohérence et une éthique de sa pratique face aux multiples évolutions et contraintes.
Créativité, mise au travail différent, initiatives, résistances aussi et peut être parfois comme on le voit dans certains milieux faire de son métier une forme de désobéissance.
Ce bricolage avec ce qu’il représente de procédures mal bâties, reformuler et au cas par cas représente une potentialité instituante qui peut être créatrice de nouveaux repères voire de nouvelles normes.
Cette position clinique du soignant lui permet de retrouver une forme de travail plus humaine, plus satisfaisante où il se sent impliqué avec du sens et une reconnaissance et où il peut cheminer avec du plaisir, de l’autonomie et de la créativité.
Un travail de reconstruction, d’élaboration mais aussi d’engagement et de résistance qui est nécessaire, au risque d’une nostalgie du passé, de se replier sur une représentation d’un registre de bonheur, ou de plaisir circonscrit à une forme de travail déjà connue qui se voudrait plus rassurante et plus chaleureuse.
Il pourrait alors y avoir une dimension phobique, de retrait, d’autoprotection dans un espace connu, préservé et qu’il faut maintenir malgré les évolutions propre à chaque temps……. et qui ne serait pas tenable longtemps.
Si on ne met pas en avant les possibilités, aménagements et autres modalités que permet ce bricolage qui maintien du sens, du singulier, de l’autrui et osons le dire de l’amour nous serons déçue comme l’intervenant à Montpellier voire écrasé par un sentiment d’inefficacité professionnelle, une grande souffrance au risque d’une position de victime.
On peut alors subir un vécu tellement douloureux que la position de victime vient, face à l’emprise de la souffrance, poser à minima une reconnaissance de ce vécu dans une situation de dommage, c’est-à-dire en position de revendiquer la réparation d’une perte.
Ce savoir faire, ce bricolage en Psychiatrie, à partir de théories et références permet que la quantité n’écrase pas l’individu, favorise un travail efficace qui est toujours une création du sujet travaillant, et non pas l’application stricte de procédures et de protocoles.
Cela nécessite de pouvoir en parler, une élaboration et de s’ouvrir dans des échanges et des synergies efficaces d’un groupe solidaire au risque d’une pratique désincarnée…..
Il s’agit de nouer savoir et faire, le savoir à la praxis, sachant que dans la psychiatrie les données cliniques débouchent sur une praxis, mais aussi elles en proviennent, elles sont source de savoir.
Les évolutions diverses ont fait que la transmission du savoir-faire est devenue aléatoire et le système alliant formation continue et évaluation des pratiques professionnelles, ne paraît pas concerné par ce genre de visée.
Cette transmission a souvent pâti de l’illusion scientifique mais aussi de l’individualisme et sa disparition n’a pas été remplacée par celle de l’institution de soins ni même du compagnonnage.
Pour la psychiatrie, bien que manquant d’outils pour tenir ensemble ses bases il est fondamental de parler et de théoriser sur ce savoir faire en psychiatrie, dimension soignante première et primordiale dans le modèle médical avec l’impératif technique et l’apport des sciences et qui ne se résume pas à un modèle social et/ou existentiel.
Ainsi, la psychiatrie, qui rassemble des soignants bricoleurs aux styles mystérieusement divers, gagne à partager pour fondation identitaire l’usage d’une théorie de la pratique, repère de cohérence interne nécessaire et transmissible, face à la complexité des objets du questionnement et des pressions diverses.
Chaque soignant essaie de faire son chemin avec curiosité et en évitant de s’enfermer dans des certitudes ou opposition stériles. L’apport d’autres regards, d’autres sciences lui permet de maintenir ouvert son questionnement, de hiérarchiser ses données, de valoriser une autonomie de pratique mais surtout de se rappeler que sa pratique doit se remplir d’approches multiples et différentes pour pouvoir avoir du sens et une cohésion face à la difficulté de sa tâche. L’exemple de l’anthropologie et de la sociologie pour ce qui concerne le savoir faire en est une démonstration.
2 / L’amour, vaste sujet …..
Alors l’amour quoi en dire, c’est tellement parlé, chanté dans la quotidienneté mais c’est aussi une affaire très sérieuse , qui a suscité une littérature abondante, philosophique, sociologique ou anthropologique sans compter les œuvres cinématographiques ou littéraires.
Chacun peut évoquer l’amour mais se trouve fort dépourvu quand il s’agit de le définir, avec certes, certaines formules pour initiés….. C’est « un enfant de Bohème » nous dit Carmen, et plus encore répond Lacan : « Aimer c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »
Tout a donc été dit ou presque et de belle manière, si bien que, sauf à se lancer dans une mauvaise dissertation, on hésite à donner son point de vue, mais j’ai envie de me joindre à la liste et d’en rajouter une couche.
Dans la polysémie foisonnante, les différentes interprétations, on peut dire qu’aimer, au-delà de du mot, c’est pour une part reconnaître l’autre dans son identité d’être humain, le respecter dans sa personne et lui vouloir du bien.
Mais c’est aussi, l’amour, au sens de la passion amoureuse (Eros) qui peut souvent faire de l’autre l’objet de mon désir et à la limite le détruire pour mon plaisir, c’est à cette limite extrême que se situe le marquis de Sade.
La complexité que recouvre ce mot n’a d’égal que l’intensité de sa présence. On peut dire que nous sommes tous en recherche permanente d’amour, en manque d’amour et souvent on peut déplacer le manque sur autre chose (je n’ai pas assez d’argent, de considération, de pouvoir…) ou de s’anesthésier suffisamment pour ne plus éprouver la morsure de l’insatisfaction (par le travail, le divertissement, la rêverie, la consommation, etc.) sans jamais réussir à combler la carence affective.
Pour ce qui nous concerne ici, on peut se demander si l’amour a sa place dans les institutions de soin ?
La question se pose d’autant plus que a priori il n’entre pas dans le format des relations attendues entre les différentes catégories de personnels et d’usagers qu’elles réunissent.
Chacun s’accordera pourtant à reconnaître que des rapports de camaraderie, d’empathie, de sollicitude, d’attention à l’autre ne peuvent qu’améliorer les activités de tous.
Alors comment situer l’amour par rapport à cette gamme de sentiments moraux ou d’affects positifs et faut-il pour le rendre acceptable le disjoindre de l’Eros ?
Ces questions, dans un premier temps, viennent me rappeler s’il en faut, que dans mon expérience dans les institutions médico-sociales avec les éducateurs, j’ai toujours vu bannir l’usage du verbe aimer, remplacé où masqué par les termes affects, juste distance, transfert, etc……
Le mot amour si fort et qui se dit pourtant si bas. Derrière ce terme, si peu utilisé dans le vocabulaire et la culture professionnelle d’éducateurs, flotte une espèce d’interdit, une sorte de honte coupable.
Alors que quand on leur demande, aussi loin que ce souvienne les éducateurs de leurs motivations quant à ce métier, le même terme, parmi d’autres, réapparaît de manière redondante : l’amour. Amour du métier, amour des autres, amour des enfants, amour de mes semblables, amour de la relation d’aide, amour du contact, amour de la communication…
Mais dés lors qu’il s’agit de qualifier une relation induite dans une démarche soignante, dans une institution de soin, l’usage du verbe aimer provoque un mouvement de retrait, si ce n’est une analyse hostile qui le rend déplacé, mal approprié si ce n’est suspect…….comme si un trop était immanquablement rattaché au mot
Tout au plus, on se permet de laisser le terme « affectif » pénétrer dans nos discours. Celui d’ « affection » n’ayant peut être pas une connotation suffisamment professionnelle. Celui qui vient de plus en plus faire l’unanimité dans notre savoir professionnel (pour peu qu’il soit empreint d’une pointe de psychanalyse, et encore……), c’est le mot « transfert ». Celui là semble faire toute la différence. C’est vrai, c’est différent…l’amour on s’en défend, on le refuse, « on n’est pas là pour les aimer » entend-on souvent dans les institutions; alors que le transfert, on le « déplace », on le « manie », on le « liquide »…
Si je prends l’exemple de la rencontre dans la clinique éducative, on voit quelle peut se faire lorsque chacun baisse sa garde et se risque à un peu d’authenticité, c’est pour ce qui concerne l’éducateur quand il se tient prés à voir et à entendre au delà de ce que le jeune montre par le biais de ces symptômes.
Alors il suffit que le jeune perçoive en tel adulte cette sensibilité particulière, une disponibilité le rendant perméable à l’expression d’un possible, pour que le moment venu, il puisse se dévoiler par un geste ou par un mot volontairement anodin, qui permette que s’instaure une réelle rencontre éducative.
Le jeune s’appuie sur son investissement, son affect pour l’éducateur, pour investir d’autres types de relation et d’objets d’amour.
Il s’agit donc pour l’éducateur, en déplaçant la charge affective sur d’autres objets d’investissement, d’ouvrir des possibilités nouvelles au jeune.
Comme on le voit dans cette approche succincte de la clinique éducative, transfert, charge affective, objets d’amour, on pourrait ajouter d’autres mots à cette liste et même si on reconnaît cet affect qui se trame dans la relation professionnelle, de la à recourir au verbe aimer le pas est encore loin d’être franchi.
Pour continuer avec la complexité du verbe aimer et en repensant au champ de l’amour et à ses avatars institutionnels il m’est revenu cette phrase de ce très grand écrivain Albert Cohen dans Le Livre de ma mère, quand sa mère lui dit ; « Ces mariages qui commence par de l’amour, c’est mauvais signe…. ».
Alors je me permets un peu de digression pour aborder l’amour et sa place de façon générale dans les institutions et il me semble que si il y a un lieu paradigmatique de ce lien, c’est bien le mariage, l’institution du mariage.
Cette phrase m’a intéressé pour de multiples raisons, dont le lien institution/sentiment, dans ce lien de l’amour à l’institution du mariage, qui est tout sauf évident.
Le prétendu libre choix du mariage, se trouve le plus souvent en référence avec les données plus ou moins conscientes du social et du familial.
La rencontre amoureuse peut donner naissance à un couple, sachant que le couple est un lien et le mariage une alliance et que les fondements du couple et du mariage dans notre société occidentale ont influencé les modes de choix conjugal.
Avec le temps, on a vu s’inverser les relations entre mariage et couple : d’une situation qui faisait la part belle au mariage, peut-être au détriment du couple, on est passé à une situation opposée, celle du mariage avec une place dominante du couple, du mariage d’amour.
L’amour a longtemps été dissocié du mariage, il n’en était pas question et on n’en parlait pas…..
Le mariage d’amour est d’origine récente et cette nouvelle place, cette reconnaissance d’une liberté nouvelle de l’union est en lien avec une mutation profonde de nos sociétés.
La norme qui s’est affirmé comme nouveau principe de légitimation des relations de couple, et plus généralement des relations privées, est celle du consentement des partenaires avec ce qu’il implique de choix, de choix d’amour engageant les deux dans une relation de réciprocité, mais n’en implique pas moins la possible réversibilité.
Inscription du sentiment amoureux comme évidence qui a pu se faire avec une évolution vers l’affirmation des individualités, une légitimation des places et une maitrise nouvelle des acteurs concernés par cette institution du mariage.
Cette légère digression pour montrer que les sentiments et les institutions, ça n’a pas toujours fait bon ménage, en dépit des évidences.
Dans cette évolution du mariage on peut parler actuellement de la place accordée aux individus qui n’est plus statutaire, définie extérieurement par un ensemble de règles préétablies par le groupe, laissant bien peu d’autonomie aux individus et qui a progressivement du laisser sa place à l’affectif avec toute sa complexité.
Sans rentrer dans un développement historique et sociologique on peut parler de démocratisation de la famille avec une sentimentalisation des relations, entre autres, d’une ouverture des possibles, confrontant chacun à sa responsabilité dans la prise en compte de ce qui fonde la relation ; les sentiments.
La fragilité de cet éprouvé, de ce ressenti que représente le sentiment, l’amour avec tout ce que cela implique, en devenant le principal moteur des affiliations personnelles a rendu fragile l’institution du mariage.
Il a fallu réintroduire du dialogue dans le couple, oser parler des sentiments et mettre du sens comme élaboration d’un nouveau et autre cadre ou institution au risque de déni, confusion et situations extrêmes.
L’amour ne suffit pas…..mais on ne peut faire sans même s’il est difficile de maintenir un équilibre, une juste répartition des places, entre une norme et un ressenti, un lien et une alliance, entre sentiment et institution.
Difficulté et contradiction que l’on retrouve aussi dans nos logiques institutionnelles entre un accompagnement et une proximité de plus en plus prégnante, dans une relation au long court entre des personnes et une distance requise, imposée souvent aux dépends de sentiment vécus dans cette relation.
Cela vient mettre à l’épreuve les différents acteurs institutionnels, réveillant en chacun ses propres résistances à la vie pulsionnelle, aux passions transférentielles, à la sexualité, mobilisant les opinions sur l’intimité, la liberté d’aimer ou le libre accès à la parentalité.
Comment chacun fait avec les effets de clivage, de désunion, que cela induit en institution et avec ce que ça tend à révéler du déchirement entre affirmation de la norme ou du sujet.
Cela signe l’embarras chronique de nos institutions, de toute institution humaine, dans son tiraillement existentiel entre norme sociale et vérité du sujet et comment elles permettent que la vie en société, dans une collectivité, soit possible, tout en ne réduisant pas la vérité du sujet.
Dans le cadre d’une lecture institutionnelle et pour rester dans la logique chère à Winnicott, ne peut-on dire que toute la qualité du travail qui s’y réalise va consister à s’avérer « suffisamment bon » pour faire tenir ensemble ces deux positions contradictoires et maintenir un équilibre dialectique entre elles qui ne sera rendu possible que par un réel travail d’analyse institutionnelle.
On perçoit comment l’amour est plus révélateur qu’une simple histoire d’amour, il témoigne d’une dynamique, d’une vie institutionnelle et de comment l’intimité vient se heurter au collectif institutionnel.
Quand on travaille en psychiatrie, on fait avec une dimension relationnelle prégnante dans une quotidienneté et une temporalité ou soigner et prévenir la souffrance de l’autre c’est un travail de lien ou l’affect et les sentiments sont omniprésents, mais souvent peu parlé si ce n’est lors de la formation, dans certaines réunions ou par des recommandations en des termes de trop ou pas assez et qui rappelle à juste titre que :
« Trouver et gérer la bonne distance est une sécurité́ psychologique aussi bien pour le soignant que le soigné et permet aux soignants de mieux gérer leurs émotions, en évitant l’excès et le défaut et que chaque acte soignant pratiqué doit être parlé et réfléchi avant et après la séance ».
Bel enseignement, beau rappel, mais qu’en est-il réellement de la prise en compte de ces affects et transferts, sachant que l’approche psychanalytique et/ou de psychothérapie institutionnelle ont une place de plus en plus réduite dans nos institutions et même s’il existe des lieux de paroles, quant est-il de la possibilité de dire, dans un contexte d’efficacité voire de certitudes normés.
Ne risque t-on pas dans l’institution psychiatrique, la prolifération, dans le discours des professionnels, de mots génériques et usités qui maintienne une distance, tellement évidente que l'on en questionne plus le sens et qui sert souvent de pensée, pensée toute prête, prête à servir.
La psychiatrie n’use t-elle pas de ce vocabulaire, qui a certainement une fonction fétiche, pour mettre à distance l'angoisse, l’inquiétude, la peur de déplaire ou de ne pas être à la hauteur, éprouvée qui gagne souvent les professionnels.
C'est au détriment d'un réel travail de pensée critique sur les notions que véhiculent ces mots, le mot devient une pensée en soi, on ne se sert plus des mots pour penser ensemble.
Dans ce travail nécessaire, dans cette relation au long court il n’y a pas d’extériorité, c’est de nous dont il s’agit, nous faisons partie de notre outil ce qui nécessite une référence, une éthique et de pouvoir dire ce que cela suscite en nous.
Démarche de soin qui repose sur une capacité à être affecté par autrui, un autrui toujours singulier ce qui comporte une dimension informelle et invisible d’empathie, de sympathie et pourquoi ne pas le dire, d’amour…….avec tout ce que cela comporte……
La psychiatrie c’est penser à l’autre, en deçà de tout ce qu’il montre, lorsqu’on a tout évalué, tout cadré et donc faire avec ce qui nous échappe, l’humain.
Manque à percevoir, à cerner, à contrôler et la psychiatrie dans son champ dominé par la relation, le transfert, le rapport à l’autre doit accepter dans sa clinique une part de « flou » nécessaire et consubstantielle à sa pratique du soin.
Flou, équivoque que le verbe aimer vient rappeler et il nous faut l’accepter, oser le verbe aimer, car c’est de la vie, de l’humain et si c’est parlé, ça reste professionnel…….
Dans une institution de soin, les sentiments ça se parle avec ses mots et son vécu.
L’institution existe et se pérennise si d'abord et avant tout, bien en deçà des techniques, protocoles et traitements, elle permet la mise en oeuvre d'une activité de penser au sein d'une équipe professionnelle, un collectif de travail psychique, une « entreprise de parole » qui permet de dire…..
Mais ne peut-on dire que nos institutions de soin, qui sont souvent trop normés et sous le poids des statuts et règles ont du mal à faire avec le mot aimer, la polysémie du terme et le fait qu’il peut s’expliquer ou s’interpréter de diverses façons.
Or c’est peut être parce que le sens du verbe aimer est équivoque, qu’il joue justement un rôle dans la démarche soignante, dans ce que le soignant et le soigné on comme marge de manœuvre pour s’approprier et établir leur graduation et par ce biais pouvoir ce saisir de l’essence du verbe aimer qui fonde toute relation.
Invitation à saisir la trame de ce qui se joue dans ces patients tissages de liens, dans ces rencontres où ça marche souvent quand c’est une relation où le patient perçoit et se saisi de cet affect, de cet relation d’amour et il ne l’adresse pas à n’importe qui.
« Pourquoi moi ? ».
Le soignant doit percevoir dans cet investissement, dans cette relation privilégiée qui offre à déceler au regard d’un seul, ce que le commun peine à voir et la nécessité d’un autre regard sur cette relation d’amour pour que tienne sa pratique.
Tout soignant sait que la rencontre ne peut pas s’effectuer sans un mouvement affectif à la fois intense et pouvant être piégeant si on n’ose pas regarder au fond de soi ce qu’on n’y met et ce qu’on engage de sa personne.
Engagement, disponibilité qui permette à un soignant d’oser dire les mots pour pouvoir les appréhender, les dépasser et continuer à se questionner sur ce qui nous déborde, nous dépasse, dont on ne sait quoi faire et pose aussi la question de son rapport au collectif.
Collectif qui sert de référence mais qui doit aussi être un support pour permettre que l’on puisse parler de ses sentiments et de ce que l’on ressent, car tout professionnel que l’on soit, c’est de relation avec des humains dont il s’agit, dont l’amour est au fondement.
Non ! L’amour ne rend pas aveugle et cela renforce s’il en faut le postulat que nous devons nous rappeler, qui dit que tout ce qui est complexe, compliqué et profond va en général contre le bon sens et les habitudes.
Conclusion
En convoquant dés le début, dans le programme de ces journée, des références à l’histoire, à l’étymologie (l’origine des mots chez les grecs), à la psychanalyse (l’amour et la haine par Freud) à l’anthropologie (avec Lévi-Strauss), si ce n’est à la philosophie vous nous rappeler avec insistance que parler de soigner en psychiatrie c’est d’abord et surtout s’articuler avec d’autres champs, d’autres approches.
C’est nous rappeler une évidence qui doit nous guider tout au long de ces journées qui est l’importance fondamentale de reprendre ces différentes références pour revisiter et préciser les principaux concepts en psychiatrie.
Il faut reprendre une réflexion philosophique, et réellement scientifique pour appréhender ce qu’il en est de l’humain et permettre une réflexion critique salutaire car l’évolution et les progrès notable peuvent entrainer la psychiatrie vers une propension à englober l’ensemble des savoirs et à les rapporter à elle- même.
Ce n’est pas une évidence ou une réflexion passéiste c’est un rappel et cela doit être pour tout soignant une préoccupation prioritaire car ce n’est pas que l’impératif technique qui définit notre travail, mais notre capacité à maintenir une vigilance et le débat sur le terrain des sciences, du lien social et de l’éthique.
Alors oui, je dirais avec vous :
- A comme amour
- B comme bricolage
- C comme certification
- Mais aussi D comme Débat contradictoire et nécessaire qui permet de définir une institution soignante, comme étant celle où il est possible d’inscrire du désir, qui ne réduit pas l’expression de la réalité psychique à la réalité sociale et oblige tout professionnel à se questionner sur sa pratique, son étayage théorique et son investissement.
- Et enfin E comme éthique dans ce que cela pose comme engagement et en quoi ça nous engage le fait de prendre parole et de s’y tenir. Car c'est peut-être dans ce bricolage, ce savoir-faire improbable qu'une redécouverte d’une pensée sur le soin peut s'élaborer et venir féconder d’autres secteurs, pour peu qu'on veuille bien la reconnaître, la soutenir et en parler.
Marc MAXIMIN
Marseille Mars 2018