dimanche 18 juin 2006
- Le progrès nous amène un toujours plus d’images, d’informations qui pourrait nous faire croire à un lien social plus grand voire renforcé.
Cela révèle surtout le paradoxe d’une pseudo intimité qui ne dit rien, d’une dominante de la communication sur la réalité de l’échange et surtout le mythe de l’individualisme au dépend du lien social.
- C’est le triomphe du paraître, du leurre de l’individualisme qui viennent s’articuler à une économie de marché et à un discours gestionnaire envahissant tous les champs de l’existence.
Il est question de savoir gérer sa santé, son avenir, sa vie en référence à des normes, à un savoir unifié qui se veut comme une culture dominante et labellisée.
Pensée unique qui nous aspire dans un fonctionnement de gestion, de technologie et qui nous met en difficulté de par son hégémonie et son pouvoir d’attraction.
Désir de classification, d’universalité, de transparence qui entretient le règne de la norme et du protocole.
La psychiatrie comme toute les autres spécialités médicales est confrontée à cette évolution avec une orientation du côté de la technologie.
Jamais il n’y a eu autant de progrès scientifiques en si peu de temps avec des conséquences thérapeutiques et une amélioration notable de la vie des patients.
L’impératif technique déroule ses protocoles, ses examens, ses expériences, en un mot sa recherche pour un bien-être apparent et selectif.
Tout cela se veut comme une approche objectivante et rationnelle des technologies, paradigme « d’une certaine idéalisation de la réalité ».
La psychiatrie avec cette biotechnologisation est entraînée sur un chemin ultra compartimenté où elle se retrouve représentée dans une dimension pathologie par pathologie, quand ce n’est pas, comportement par comportement notamment pour la dangerosité comme le préconisent certains.
Dans ce fonctionnement, il y a un discours vide de toutes traces d’interlocutivité avec comme conséquence un rejet du sujet hors de son champ pour produire du savoir et une norme applicable à tous moments.
Application technologique ou le savoir passe de façon de plus en plus fréquente par le carcan expertal de professionnels sollicités pour donner la preuve.
Il suffit pour s’en persuader de voir ce qui se passe en pédopsychiatrie, avec toutes ces consultations où l’on voit se déployer une kyrielle de bilans avec une recherche tout azimut d’un étayage scientifique pour une stratégie ciblée.
Errances, imposées aux jeunes et à leurs familles qui s’appuient sur des positions d’experts et des sachants de tous poils !
Dans cette mouvance actuelle, on est interpellé par une quête de la vérité, d’un Autre qui ne trompe pas.
Cette « science » apparaît alors comme celle qui maintient une exigence du vrai et le « social » mais aussi le « médical » deviennent hypersensibles aux sirènes du scientisme ambiant.
À quoi bon échanger entre humains, si la science dit la vérité, la parole ne vaut plus rien, seul compte la voix des experts.
Par cette visée technologisante, « une certaine » Pédopsychiatrie actuellement dit sa défiance de la parole et sa récusation du symbolique.
Les problématiques sont remplacées par des énumérations, sans aucune dialectique et on parle alors de jeunes qui ne rentrent pas dans les cases mais que l’on répertorie pour mieux les cibler.
Mais que faire des jeunes qui n’ont pas de places ou qui ne rentrent pas dans les normes du plan ?
Que dire de ces « nouvelles populations », cas impossible qui embêtent tout le monde et qui se mettent toujours au lieu même où ça craque……..
Des jeunes qui bouleversent le dehors et le dedans, jouant les notions de frontières, provoquant les frontières et faisant sauter les repères institutionnels.
Tout ce qui sera à la marge et qui ne rentrera pas dans les normes va se retrouver en difficulté voire exclue.
Cette déferlante qui échappe à la norme est venu interpellé par sa complexité les limites de la biotechnologisation.
Mais, l’insupportable du vide et le besoin de réponses adaptées dans le domaine de la santé mentale ont impliqués d’autres approches.
Il s’est agi alors pour réagir à cette problématique de redéfinir la clinique en fonction de la diversité des stratégies thérapeutiques.
Dans cette approche, on a ajusté la nosographie, on a « démembré » la clinique en symptômes identifiés, repérables et candidats à la pharmacopée ou à tout autres marqueurs ….
Le fait de « démembrer » la clinique pour son « bien être », pour mieux démontrer son efficacité, modifie les approches, la méthode et on n’aborde plus la clinique en termes de sujet mais en termes de maladies à traiter, de maladies en attente, de stratégies à adapter et à renouveler.
Cette parcellisation, cette fragmentation de la maladie en termes de symptômes et de troubles, fausse ou plutôt oriente le débat vers des stratégies thérapeutiques qui excluent la complexité.
-Il ne s’agit pas à travers ce propos de rentrer dans une querelle passionnelle, un clivage stérile entre les supporters du sujet et les défenseurs de la médecine des preuves.
Le fait psychique, c’est justement ce qui fait lien, ce qui prend en compte la complexité du rapport corps/esprit et donc qui nous impose de la prudence dans nos interprétations du fait de nos limites et de notre éthique.
Il n’y a pas un pragmatique appliquant des mesures à tour de bras pour soulager et un intellectuel interpellant le sujet pour qu’il se questionne mais plutôt une clinique du cas par cas qui prend en compte les progrès de la technologie sans mettre fin à ce qu’il en est de la subjectivité.
Appliquer l’un au dépend de l’autre peut entraîner un repliement sur des dogmes et aboutir à des dérives dangereuses car cautionner par les nouveaux gourous des temps modernes que sont certains « psy ».
Pour se convaincre il suffit de lire le rapport de l’INSERM qui
compile, additionne des signes, des troubles, en référence à des critères statistiques de temporalité et d'aggravation pour apporter des éléments de réponse et de stratégies dans un but de prévention.
L’imposture intellectuelle et les dérives de ce rapport sont tellement manifestes qu’on ne peut que s’inquiéter et s’alarmer sur le fait même de sa parution avec une caution « scientifique ».
Dans le domaine de la santé mentale, l’absence d’approche globale fait que cette dite prévention aboutit à produire ce qu'on veut prévenir et on quitte le champ scientifique pour entrer dans d’autres objectifs.
On ne ramène plus l'enfant qu'aux facteurs de risques qui finissent par le représenter complètement et à devenir finalement son destin.
« Le regard qui voit est un regard qui domine », la visibilité est un piége et ce désir de transparence est un leurre mais aussi un assujettissement.
Cela représente le début d’une nouvelle morale qui met à distance une réflexion éthique et vient gommer un débat, une contradiction, pour laisser la place à l’expert savant, qui n’est plus le clinicien qui a fait sa preuve mais le supposé savant qui sait la preuve et décide de ce qui est conforme.
Nouvelle morale, cadrant la pensée d’une option sécuritaire, là ou elle devrait au contraire s’appuyer sur l’observation clinique et la responsabilité du passage, véritable cadre d’humanisation de notre travail.
On assiste ainsi à une pratique sans la clinique qui devient un acte lié à un savoir qui ne questionne plus l’éthique et qui devient l’instrument d’un Autre (science, politique, marché).
Les normes du bon soin n’auront plus qu’à se mettre à régenter la diversité, souvent tragique, toujours humaine de notre pratique enrobée du prestige de ce « scientisme » mais dans un champ dévasté, en ruine et avec un rôle de collaborateur qui ne fera que renforcer la fabrique des exclus.
Tout cela pour baliser, redistribuer le marché de la santé mentale et ainsi planifier et contrôler tous les comportements sociaux et individuels.
Dans le contexte actuel nous sommes ordonné à une politique de santé publique qui cherche à mettre en place des stratégies thérapeutiques de masse beaucoup plus qu’a favorisé des soins individuels.
Ceci va dans le sens d’une normalisation qui ne peut amener qu’une réification du patient car il est réduit à un objet de soins.
La psychiatrie ne repose pas sur des discours partiels qui se voudraient représentatifs d’une totalité et qui entraînent une réduction des approches aux dépens les unes des autres avec une négation de la complexité.
Nous sommes dans une ère de post-modernité individualiste où toute véritable communauté, avec un sentiment d’identité et de solidarité, semble avoir disparu ou avoir subi le discrédit.
L’émancipation individuelle consolide la domination de la technostructure et elle aboutit à ce paradoxe ; jamais les hommes n’auront été à la fois aussi bien portants et aussi malheureux.
Notre pratique, se soutient d’une clinique qui s’étaye de nombreuses références et s’appuie sur la dimension subjective ce qui doit nous éviter des impostures du côté d’un certain discours de la science qui comme le rappelle G Ganguilhem « une recherche qui fait évanouir son objet n’est pas objective ».
Il est nécessaire de soutenir une position épistémologique et le cadre de la psychiatrie pour éviter une réduction syndromique et des dérives, des collaborations en contradictions avec les exigences de notre pratique et de notre éthique.
Prévention et psychiatrie sont des liaisons dangereuses et demande la plus grande prudence, pour ne pas dire plus, pour éviter la création de dispositif de normes, de contrôles et ainsi d’exclusions.