mercredi 17 septembre 2008
Reconnaissance s'il en est, Martin Hirsch ancien président d'Emmaüs est entré au gouvernement en tant que haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Il a été chargé par le président de la république et le premier ministre de mettre en œuvre la réforme du RMI (revenu minimum d'insertion) et de l'API (allocation parent isolé) qui seront remplacés par le RSA (revenu de solidarité active).
L'idée qui prévaut à l'instauration de cette nouvelle allocation part d'une bonne intention. Une famille devrait pouvoir bénéficier, lorsque l'un-e de ses membres est salarié-e quelques heures par mois, d'une marge de manœuvre financière plus importante que lorsqu'il n'y a aucun revenu du travail. Le RSA est pourtant loin d'être idéal. En tout premier lieu son financement se concrétisera dans des conditions pour le moins douteuses en redistribuant la PPE (prime pour l'emploi) des moins riches vers les plus pauvres et en taxant l'épargne des classes dites « moyennes ». Les plus aisé-e-s bénéficieront pour leur part du bouclier fiscal qui les exonèreront de cette participation. Ensuite son élaboration a vingt ans de retard sur les besoins des bénéficiaires. De plus sa mise en œuvre occulte la question de la formation professionnelle qualifiante et diplômante pour les moins pourvu-e-s d'entre nous. C'est pourtant une question cruciale dans le monde globalisé dans lequel nous évoluons. Les délocalisations de l'avenir seront dues à la recherche de technicien-ne-s et ingénieur-e-s compétent-e-s dans des pays qui auront fini d'émerger.
Pour les personnes directement concernées, il y a souvent une marge entre un principe et sa traduction dans la réalité. Le RSA est un exemple édifiant de cette dichotomie. Pour comprendre cette assertion, il est intéressant d'observer ce qui se passe dans certains pays européens -l'Allemagne, les Pays-Bas comme les États-Unis d'ailleurs- qui ont mis en place selon des modalités qui diffèrent, depuis deux décennies parfois, un contrôle social de type incitatif pour les personnes ne travaillant pas. Nous nous attarderons sur le cas du Royaume-Uni pour la lisibilité de son système compensatoire : aide conséquente contre contrôle important. La conséquence directe de la mise en place de cette pratique a été de sortir du système de l'emploi toute une frange de la population, pour qui le travail représente l'inatteignable pour des raisons sur lesquelles je ne m'attarderai pas ici. Ainsi, au Royaume-Uni, nombre de personnes sont passées du statut d'inadaptée à celui... d'handicapée. D'un point de vue symbolique il n'est pas anodin de constater la dénomination du ministère chargé, à l'époque par Tony Blair, de ces questions : ministère de l'emploi et de la réforme de l'assistance sociale . La collusion des notions en présence donne quelques indications sur l'éthique sous-tendant le projet politique.
En France, alors même que l'expérimentation du RSA est en cours dans quelques départements, les associations œuvrant dans le domaine du handicap ne sont pas en reste. L'assistance aux personnes handicapées réside aujourd'hui dans la possibilité d'obtention d'une allocation adulte handicapé (AAH) d'un montant mensuel de 628 euro. Le collectif d'associations Ni pauvre, ni soumis se fait l'écho d'une revendication qui voudrait changer la donne. Il préconise la création d'un revenu de remplacement égal au moins au montant du SMIC brut (soit plus de 1300 euro) auquel s'ajouterait la possibilité de lui cumuler un revenu professionnel selon le principe du RSA. Le changement de statut des personnes handicapées inhérent de cette revendication est fondamental. Pour ceux qui ne peuvent pas travailler accéder à un revenu d'existence personnel -assorti de cotisations sociales et soumis à l’impôt- c'est sortir de la logique d’assistance et désirer être pleinement citoyens.
Le pacte inter associatif est signé par 95 organisations nationales œuvrant dans le domaine du handicap et/ou de la maladie invalidante. Malgré cette cohésion exceptionnelle et l'aide d'une agence de conseil en communication le collectif a obtenu des pouvoirs publics une revalorisation qui devait atteindre 5%. Mais après déduction de la revalorisation de 1,1% déjà appliquée au 1er janvier 2008, celle de septembre prochain n'atteindra que 3,9 %. C'est peu par rapport à la revendication de départ. Le collectif a t-il pour autant failli en quoi que ce soit ? Non. Fort d'une pression médiatique conséquente, d'une manifestation réunissant 30 000 personnes -selon les organisateurs- et d'une mobilisation locale qui perdure, le collectif Ni pauvre, ni soumis a montré sa capacité à rassembler, mais aussi à convaincre l'opinion. Pourtant, il est à craindre que le temps et l'ampleur grandissante de la mobilisation, ne changent rien à l'issue du combat.
Pourquoi l'état n'est-il pas prêt d'accéder à la demande du collectif Ni pauvre, ni soumis et qu'il n'augmentera pas, dans la situation actuelle, le montant de l'AAH au niveau de celui du SMIC? Il semble bien que la mise en œuvre du RSA y soit pour beaucoup. Car nul besoin d'être devin pour se rendre compte que le système français du RSA risquera de produire peu ou prou les mêmes effets qu'au Royaume-Uni. Les mères isolées -bénéficiaires de l'API- seront exposées, face à la pression du système, à devoir trouver une activité salariée au plus vite après la naissance de leur enfant. La menace est au moins aussi grande de voir des individus -bénéficiaires du RMI- broyés, comme au Royaume-Uni, par les incitations à rechercher un travail et contraints d'accepter la deuxième ou troisième offre d'emploi proposée sous peine de perdre leur allocation. Pour ceux et celles qui subissent des troubles relationels graves et/ou dans des dépendances diverses depuis de nombreuses années, le danger est de voir s'accélérer très vite la spirale d'échecs dans lequel ils et elles se trouvent déjà.
C'est comme si les théories économiques libérales avaient orienté notre perception de la notion d'insertion. Jusqu'à maintenant chacun de nous avait des droits pour accéder avec équité au travail, décrit comme le modèle « insertionniste » par excellence. Aujourd'hui le salarié potentiel n'aurait plus que des devoirs et devrait se modeler selon des critères pré-établis pour espérer accéder à ce même travail. Quid de ceux et celles qui ne seront pas en adéquation avec cette grille de lecture? Il ne s'agit pas là de l'ensemble des allocataires du RMI -futur RSA- mais bien de la frange la plus en marge, celle pour qui se déplacer dans une administration est déjà une violence en soit. La seule issue pour pouvoir vivre, sera alors pour eux de faire une demande d'AAH, ce qui permettra à cette portion d'individus de sortir d'un dispositif pour en intégrer un autre. L'AAH sera considérée comme plus clémente car l'aide est apportée sans contrepartie apparente.
Si à moyen terme les exclu-e-s du système social viennent enfler le nombre des bénéficiaires de l'AAH, le budget alloué à cette allocation va fortement varier à la hausse. Pour les décideurs politiques, accroître ce type de ressources au niveau du SMIC comme le réclame Ni pauvre, ni soumis , c'est potentiellement inciter des personnes à en bénéficier. Cette façon de penser serait-elle fondée sur l'idéologie dominante du pauvre qui ne chercherait qu'à être assister tout en profitant des allocations pour acquérir un téléviseur à écran plat ?
D'un point de vue symbolique ce n'est pas qu'une question de chiffre que l'on déplace d'une case à l'autre pour savoir quelle collectivité devra payer. Les empêchements des personnes en difficulté sociale, dans le système actuel -très imparfait j'en conviens-, seraient potentiellement surmontables grâce à un soutien approprié, dans le domaine de la formation par exemple. Bénéficiaires demain de l'AAH il s'agira pour la société d'assumer le fait qu'elle définisse ces sujets comme étant handicapé-e-s. Selon la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ce terme désigne l'incapacité passagère ou durable, pour cause de déficience d'une fonction motrice, sensorielle ou mentale entraînant un désavantage dans l'exercice de sa vie . On imagine aisément que le fait de subir une myopathie ou une trisomie, d'être atteint du VIH ou de vivre avec les conséquences d'un grave accident de la route empêche la plupart du temps de travailler. Mais il s'agira ici d'une logique inverse. Ce ne sera pas une situation de handicap qui excluera du travail, mais l'impossibilité d'accéder au travail qui créera une situation de handicap.
Les conséquences de ce qui deviendra un état de fait seront catastrophiques pour les individus concernés, leurs familles et le rapport qu'ils et elles entretiendront avec la société. Nous vivons aujourd'hui les répercussions de ce qui a été la première étape de ce processus d'exclusion. Le rapport actuel au travail des jeunes dits de banlieues n'est-il pas directement influencé par la politique salariale « smicardisante à vie » que leurs parents ont subi? Et pourtant nombre de ces parents travaillaient, une partie de la génération qui les suit ne pourra même pas le faire. Il faut s'interroger sur la façon dont la troisième génération va considérer une société qui organise, administrativement parlant, l'exclusion de leurs parents. Dans quels buts? Pour diminuer le nombre de chômeurs? Pour limiter le nombre de précaires, nouvelle catégorie qui tend à devenir la norme du salariat moderne?
Il ne s'agit pas de monter de légitimes attentes contre d'autres tout aussi légitimes, encore moins de dévaloriser le travail militant accompli. Il s'agit par contre de montrer que les actions réalisées actuellement sont trop morcelées pour atteindre l'objectif d'équité dont tous les acteurs associatifs semblent être porteurs, mais chacun de leur côté. La pauvreté est un problème de société, elle n'est pas marginale. Elle ne touche pas que les personnes en situation de handicap ou en difficulté sociale mais aussi des personnes âgées, des salariés, des enfants, les sans-papiers, des artistes... des hommes et des femmes en somme. Les conséquences de cette pauvreté sur la vie quotidienne détruisent petit à petit la force du désir de chacun et chacune et amenuisent les capacités créatrices qui permettent de « réaliser son oeuvre et savourer la vie ». Une mère ne devrait pas avoir à dire en 2008 qu'elle n'est pas fière de ce qu'elle achète à manger à son fils, une enfant ne devrait pas s'empêcher de demander un jouet à son père sachant qu'il ne pourra pas lui offrir. Les travailleurs sociaux sont pourtant confrontés à ces situations beaucoup trop régulièrement.
Cessons les demandes parcellaires et corporatistes. Elles sont un palier essentiel de la prise de conscience du problème de la pauvreté. Chacun sait aujourd'hui qu'elle est partagée par beaucoup, beaucoup trop. L'étape maintenant est de regrouper ces collectifs pour que la lisibilité des revendications et des actions soit à la hauteur de la force d'inertie de l'état. L'intérêt des uns ne doit plus être un faire-valoir pour que d'autres continuent d'avoir moins. La loi créant le RSA semble avoir créé un effet de sidération. Il est probable que l'artifice gouvernemental et présidentiel consistant a faire voter dans un même texte législatif « fourre-tout » des mesures impopulaires -le paquet fiscal- aux côtés d'autres plus sociales participent de cet état de stupeur qui invalide la pensée. Mais dans l'état actuel, le RSA n'est qu'un sparadrap sur une blessure dont il serait urgent qu'elle soit recousue dans les règles de l'art. Le RSA rassure les bonnes consciences, car quelque chose se fait. Mais sa mise en place vient a l'encontre de l'idée que les personnes en situation de handicap ou atteintes d'une maladie invalidante se font de leur place dans la société. Il est à craindre que l'avenir réveille beaucoup plus que de vieilles douleurs. La blessure reste ouverte et les coutures manquantes, créatrices de liens, vont nous faire défaut, à tous, trop vite. Agissons donc aujourd'hui pour permettre à chacun, qu'il ou elle soit en difficulté physique, psychique, matérielle ou relationnelle de pouvoir potentiellement inventer sa vie.
Patrick PRESSE
éducateur spécialisé, cadre du secteur médico-social
Septembre 2008