lundi 17 janvier 2011
L’Appel
Pour un point de convergence:
« L’avenir du discours du psychanalyste résulte de la responsabilité politique des psychanalystes »
C'
est
quand la
psychanalyse aura rendu ses armes devant les impasses croissantes
de notre
civilisation
(malaise que Freud en pressentait),
...[1]
Après une inter-action avec P.Valas, je dois prévenir que cet ajout qui terminait mon texte « Mohamed Bouazizi, et tous les autres, en Tunisie, en Algérie, dans les banlieues… » ne me semble plus être tel quel à sa place. Ajout en plus, qui y soulignait une "jouissance", plus ou trop présente.
D'un discours sans concession mais distancié, à l'inter-face entre discours du psychanalyste et celui du maître, dans la version sans ajout, on glisse et passe du côté d'une invocation franche qui peut être confondante.
Deux places dans le discours risquent de se confondre et se contredire ou s’annuler. « Etre avec la rue » dans une « commune », « soutenir les peuples en révolution » doivent pouvoir s’entendre dans la préservation des espaces de ces discours.
La brûlure d’une contagion sociale est le propre d’une position hystérique en quoi je pense « consiste » le symptôme révolutionnaire. Mais le psychanalyste, dont la fonction contemporaine est de faire circuler la personne dans les discours, ne peut tenir sa fonction que dans le lieu de son discours, c'est-à-dire que dans une proposition d’ouverture de son cabinet, de la cure aux signifiants de la révolution, où ils peuvent se travailler.
La question de la connexion du social et de l’individuel que rapporte la parole qu’on accrédite à Lacan, « L’inconscient, c’est le social », n’est pas ici mise en cause. Ce qui est mis en cause, c’est une confusion des espaces de discours et des moments qui empêche alors la dialectisation de ces discours dans l’espace du parlêtre. En réfléchissant à cette question, je relisais aussi la page de présentation du site psychasoc: « …nous voulons mettre à l'épreuve cette idée que la psychanalyse représente un savoir spécifique qui interroge non seulement les divers champs des savoirs et de savoir-faire, mais aussi le désir qui pousse chacun à s'y engager. »
1) Place du discours du psychanalyste .
De quel savoir la psychanalyse est-elle la représentante ? Si je ne me trompe pas, c’est d’un « savoir inconscient » dont la personne est affectée par le signifiant, dans sa restriction la plus petite d’écriture d’une lettre propre et singulière à chacun, dont en fin de compte, on ne sait rien dire. (C.Soler). C’est là toute sa spécificité. Ce n’est pas en terme de signifié, de sens apporté à un événement, à une situation sociale que ce savoir fonctionne. Il n’est supposé fonctionner que dans l’espace de la cure et du transfert analytique.
Si le savoir en question est pris comme « un savoir de conscience, de sens », il n’est déjà plus purement « ce savoir spécifique ». Il est à l’interface de la cure, car il faut bien en parler, en dégager un savoir, une théorie, mais cette théorie, aussi lumineuse et belle soit-elle, tourne déjà son visage vers le discours du maître.
Seul le dispositif de la cure, la décentration qu’il opère permet à l’analysant de quitter l’ordre de l’être, de sa recherche dans ou comme une ontologie religieuse, philosophique, sociologique ou transversaliste pour « trouver » l’ordre du sujet, c'est-à-dire celui qui « représente un signifiant pour un autre signifiant » dans son articulation, dans un dire qui selon Lacan, « ne sait pas ce qu’il dit ». C’est ce que Lacan introduit notamment dans le séminaire Encore, au chapitre 4 avec la métaphore du mouvement des astres. « La révolution » n’est pas copernicienne, ce qui est « le point vif », c’est que « ça tourne en ellipse et… en mettant en question la fonction du centre », que le « ça tombe ne prend son point de subversion qu’à aboutir à ceci -la formule de la gravitation » Pg43
Et dans cette « homogénéisation du ça tourne et du ça tombe » (C.SOler) il faut repérer que ça se tient !
Ce travail d’ouverture au savoir inconscient (c’est qu’on en arrive à ce que ça tombe) se fait dans la condition d’un transfert (la gravitation) pendant la cure (c’est le « que ça tourne d’une certaine façon décentrée, la répétition) et ensuite se poursuit dans un transfert d’Ecole, autour du « discours analytique » dans ses livraisons théoriques qui s’échangent, se proposent, et s’interdi-ctent. (castration).
Cette théorie est toujours caduque dans ce qu’elle rapporte, mais elle donne des signes, des orientations qui lient l’expérience de la cure à une logique, à une raison prise dans le discours.
Si la théorie psychanalyque permet une lecture approximative du social, c’est donc en se déportant toujours un peu, du lieu du savoir du sujet inconscient. Elle n’en rapporte que la trace. Et ce discours, dans sa théorie doit toujours -c’est ce que cette inter-raction avec P.Valas m’apprend- revenir vers le lieu initial de la cure, dans le questionnement des signifiants dans un transfert. L’analyste est toujours en position d’ analysant pour soutenir l’analyse.
Autrement, nous nous déportons insensiblement vers une capture dans le discours du maître qui s’empare du discours de la science, dans une de ses nouvelles formulations.
Autour de l’action même, comme analyste, à part la soutenir du signifiant « révolutionnaire », nous ne pouvons que nous taire.
C’est au sujet… non à la personne, non à l’être, mais au « sujet lacanien» dont il est si difficile de parler et à l’ inconscient de son désir d’exister à lui, dans le dire d’un « je » qui parle, « qui ne sait pas ce qu’il dit » (C. Soler in L’ICST réinventé pg 43) mais qui « comme être du parlêtre à un corps à jouir » (C.Soler l’ICST réinventé pg 70)
2) Place de la condition du discours de la psychanalyse. La question politique.
Dans ce parlêtre qui a un corps à jouir, là, se repose la question sociale dans sa dit-mension politique. A ce parlêtre, il faut bien des conditions, un environnement, un espace, les moyens d’une « liberté », d’un mouvement pour pouvoir s’articuler dans une réalité. Et le « corps à jouir » du psychanalyste n’y échappe pas.
Dans quel discours le parlêtre peut-il affirmer ces nécessités ? Dans le discours du maître ; dans celui qui fait de la politique une ouverture à l’inconscient. Exit le discours du capitaliste.
On perçoit à nouveau la difficulté. Car les psychanalystes devraient-il toujours se taire?
Il y a bien un lieu politique pour eux, c’est où ils doivent s’associer dans un mouvement politique de revendications de conditions liées à leur existence, à leur pratique. C’est même une nécessité face aux orientations visant la prise de nouvelles lois les concernant.
Là, il faut bien qu’ils réfléchissent, qu’ils justifient une position qui prenne place dans le discours du maître. Et pour la prendre, cette position, ils sont obligés de penser la psychanalyse, ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas, la définir pour prendre et supporter à l’égard de leur objet social une position s’y rapportant, qui n’y contrevient pas, à ce qui la substantifie comme ouvrant , comme ouverture à l’inconscient.
Et là, nous savons déjà ce qu’il y a à répondre. C’est que personne, aucune légalité, aucune théorie ne peut venir dire ce qu’est la psychanalyse pour l’enfermer dans un discours de maître, qu’elle est toujours en invention, dans son essence même, susceptible d’être réinventée par chaque analysant (Lacan) au sein de la cure et dans ce qui la fait exister dans le désir du futur, de l’analyste de la conduire, de la produire vivante et, qu’à ce titre, elle doit rester ouverte, en position de se creuser à partir du point intangible qui la condense et la désigne comme « praxis d’un je ne sais pas qui s’affirme et se construit, au principe d’une incertitude, d’un non-savoir.
Cela suffit à délimiter son champ à ceux et celles des psychanalystes qui peuvent soutenir pratiquement, politiquement qu’elle ne peut en aucun cas se satisfaire d’une légifération de son domaine !
C’est « absolu », c’est « radical ». Hors de cette position, il n’y a pas de psychanalyse lacanienne.
Cela c’est un savoir du maître dont peut se saisir le discours analytique et pour lequel la psychanalyse peut réellement se battre. C’est un savoir politique qui découvre les analystes et qui pour le même prix ferait aussi qu’ils pourraient disparaître. Ne le sachant pas, ne se sachant pas comme fondé de ce « ne sachant pas » les psychanalystes ne pourraient s’ériger en obstacle, en ennemi du ravalement de la psychanalyse à l’ordre du discours du faux-maître capitaliste adossé à celui de la science et qui est « parlant » dans le domaine politique, des hommes politiques voulant légiférer. Faute de ce savoir -car on avance quand même un peu- les psychanalystes ne pourraient plus se pourvoir en producteur d’une position qui définit la position de l’inconscient, celle du «maître véritable», qui postule le refoulement, qui postule de différer la jouissance, un lieu, une existence pour l’Autre. Ils auraient perdu la partie en faisant part de leur part : fini le discours du psychanalyste…et ouverte, la porte à la dissolution de « la ronde des discours », à leur désarticulation dans le déchaînement de tous les excès où ces discours peuvent chacun dans leur coin, dans leur déliaison, sévir ravageusement.
Ce qui unit le discours du psychanalyste au discours du maître c’est un nouage dans sa dit-mension politique, dans « la défense de son corps à jouir » en tant que ce corps de parlêtre pour lui, n’est pas une abstraction, mais un corps nécessiteux d’un espace à lui réserver dont l’octroi dépend un peu quand même d’une science de son savoir pour que puisse aussi s’amorcer cette « autorisation » suffisante à établir la place de son autorité.
C’est ce nouage au politique qui situe la psychanalyse dans la société, dans le social.
Aussi y a-t-il à distinguer
1) la place qu’occupe dans les 4 discours que définit Lacan, celui du psychanalyste, discours et effet de discours qui résultent de la cure, qui produisent aussi la théorie du discours psychanalytique avec d’autres effets encore de ce discours dans le social,
2) de la place, telle qu’elle est prise, occupée ou non, par des psychanalystes dans une position commune, politique, dans un discours de « maître », autour de quelque chose qui dit et défend ce qu’est la condition de place de la psychanalyse dans le social.
Nous la disons, cette place ne pouvoir en aucun cas résulter d’une intervention du législateur sinon, justement sous la forme abstenue de sa non-intervention.
La compréhension du bien-fondé de cette position résulte d’un savoir de la psychanalyse, savoir de son réel, de l’impossible du rapport sexuel, de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ».
Comment définir dès lors la psychanalyse y compris dans ce qui pourrait la garantir aux yeux de l’autre? Quand « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres ? » dans sa recommandation profane depuis son invention par Freud ?
Aussi, la psychanalyse ne peut-elle être que représentée et s’écrire que dans une théorie boîteuse, de ce qui surgit comme nouvelle écriture issue de sa praxis, comme « ce qui cesse de ne pas s’écrire », depuis la contingence du signifiant, dans un signifiant nouveau -« ex-nihilo » de son savoir- en tenant l’ouverture de son impossible. Aucune dérogation à cette nécessité du trou, de l’impossible devant la « loi » ne peut se soutenir de son point de vue de discours, sans que sinon elle se perde à elle-même.
La psychanalyse n’appartient à personne, à aucun maître tenant et aboutissant d’aucune procédure qui en offrirait la garantie susceptible de satisfaire à l’angoisse d’un législateur. Elle contredit même éthiquement à la satisfaction de cette angoisse si ce n’est en passant par la cure analytique, en passant par la place du discours du psychanalyste.
Au mieux, elle peut l’interroger, cette angoisse, comme alertant de quelque chose dont ce législateur aurait plutôt à s’interroger.
« Pourquoi voudriez-vous donc boucher le trou ? Et de quel trou s’agirait-il, métaphore ou expérience de quoi dans cette configuration de l’espace social en ce subterfuge d’une « appropriation légale» du Réel par le symbolique? »
« Nous avons à réinventer la psychanalyse-parce que la psychanalyse est le processus par lequel elle se renouvelle-et rien d’autre »[2]
Elle en est le fruit et la racine.
L’avenir du discours psychanalytique résulte de la responsabilité des psychanalystes à se saisir de ce lieu commun, de ce dénominateur le plus petit, à leur essence, qui puisse, face à la détermination du discours du faux-maître capitaliste, ségrégationniste et toutalisant, rassembler en eux la figure d’un « maître véritable ».
Se reconnaître en s’associant prioritairement dans ce rejet de toute législation en la matière.
Ni stratégie ni calcul politicien, ni séduction démagogique : position de principe.
Politiquement
Psychanalytiquement
Le 17 /01 /2011
Daniel DEMEY
[1] Conférence au « Magistero » de l’Université de Rome, le 15 décembre 1967 à 18 heures, en la présence de notre ambassadeur. In Scilicet n° 1, pp. 42-50, Seuil, Paris, 1968
[2] Marie-Jean Sauret : sujet, lien social, seconde modernité et psychanalyse pg 55 in Essaim