lundi 13 février 2012
L’Ecoute : l’indispensable qualité du travailleur social
« - Oh ! Tu m’écoutes ou tu fais semblant ?
- Ben… si je t’écoutais pas, je t’entendrais pas ! »
Il y a quelques mois de cela, j’ai été sollicitée par Guy Benloulou de Lien Social pour participer à un article sur la thématique de « l’Ecoute », sous la forme d’une interview écrite parue fin 2011.
Je profite de la publication de celle-ci sur le site de Psychasoc pour préciser que des erreurs ont été produites sur Lien Social quant à la présentation – je ne suis pas formatrice, et mon nom a été remplacé par mon adresse mail ! - et le texte a été coupé, pour des raisons bien légitimes de mise en page. Je vous livre ici l’intégrale de l’interview.
« Bonjour Guy,
Voilà le fruit de mes réflexions, je ne sais pas si cela correspond bien à ce que vous attendiez mais j’espère que vous pourrez trouver un peu de matière là-dedans!
Je me permets de vous joindre un petit préalable à l’interview, même si vous ne le publiez pas !
Il convient de vous rappeler le contexte dans lequel je me place pour répondre à vos questions.
Je répondrais en tant qu’éducatrice de Prévention Spécialisée, même si à ce jour je ne le suis plus (depuis peu !) pour deux raisons : la première est que la Prévention constitue ma toute dernière – et la plus longue - expérience, dans laquelle j’ai donné toute ma mesure et qui m’a beaucoup apporté. La seconde réside dans le fait que, malgré le changement (ponctuel) de cap, je reste partie prenante de la Prévention Spécialisée en poursuivant mes engagements qui visent en premier à défendre et promouvoir ce secteur d’intervention sociale mal connu et souvent déprécié, et plus largement à vouloir préserver les métiers de l’Education Spécialisée – aujourd’hui bien galvaudés, tous secteurs confondus - en leur redonnant leurs lettres de noblesse.
Je sais que beaucoup d’autres collègues travailleurs sociaux se battent aussi chaque jour pour se faire entendre (comme cela tombe bien, puisque nous devons parler de « l’Ecoute » !), et en réunissant nos efforts et nos moyens, je suis sûre que nous parviendrons à opérer des changements au bénéfice de tous, usagers et professionnels. Des réseaux se constituent en ce sens, il ne faut pas s’en étonner, pour mettre en synergie les voix, les pensées et les cœurs, la foi en l’humanité, le besoin d’être entendus et compris – sans que nos propos soient filtrés, détournés, interprétés, utilisés, récupérés - pour résister contre les politiques sociales qui peuvent paraître incohérentes et dangereuses.
Voilà, maintenant, je peux répondre à vos questions !
Question 1 : Comment analysez-vous les différentes formes d’écoute de la part des professionnels de l’éducatif et leur efficacité auprès des usagers ?
A mon sens, il n’existe pas des formes différentes d’écoute, mais des postures différentes pour être à l’écoute qui influent sur la qualité de « réception » et de fait sur la qualité de « réaction ».
Que l’on travaille dans la rue, dans un bureau ou dans un internat, l’écoute procède toujours d’une démarche « d’aller vers » l'Autre et précède le « aller avec » l'Autre, quel que soit le type de public avec lequel on travaille.
Cela suppose une disponibilité réelle physique et intellectuelle, sans préjugé ou procès d’intention, sans volonté de manipulation. Allégoriquement, c’est une page blanche offerte à l’Autre pour qu'il soit complètement libre de s'exprimer, condition selon moi incontournable pour permettre au sujet d’être véritablement (réd)acteur de sa vie, en lui reconnaissant le droit et les capacités à évoluer et à changer.
Il paraît toujours compliqué aux travailleurs sociaux de faire abstraction des informations orales ou écrites qu’ils peuvent posséder sur telle personne ou telle situation, tant la culture du « risque zéro » est prégnante dans notre société actuelle! L’exigence à l’égard de ces professionnels sensés tout maîtriser, tout savoir et tout prévoir - mieux que les agents des Renseignements Généraux et les météorologistes! – conjuguée à la réduction des moyens financiers et humains ainsi qu’à la contractualisation à outrance, ne favorisent pas l’Ecoute, ne donnent pas le temps nécessaire à l’établissement du lien de confiance indispensable pour amener l’Autre à accepter notre présence à ses côtés afin de l'aider à s’intégrer dans un système dont il ne comprend pas toujours les enjeux, les règles, les codes et surtout l’intérêt d’en faire partie! Parlez-moi de la manière dont on impose des projets individualisés ou prises en charge personnalisées, alors que la majorité des usagers ignorent ce qu’ils veulent vraiment pour eux-mêmes, ce qu’ils valent, ce qu’ils attendent de la vie… et de nous autres, travailleurs sociaux!
De fait, beaucoup de décisions et d’orientations se prennent sur des impressions, des sentiments, des intentions, des interprétations, des projections, et aussi par omission ou par défaut, dans l’urgence ou dans la confusion. Néanmoins, pour rester un tant soit peu lucide et pertinent malgré toutes les pressions sociales, professionnelles et politiques, pour véritablement œuvrer au bénéfice des publics, pour que les notions de « bientraitance » et de « respect des droits des usagers » ne soient pas que de vains mots, je pense que la vraie question que devrait se poser chaque professionnel avant toute rencontre ou entretien est celle-ci : de quelles informations ai-je réellement besoin pour aider la personne en face de moi à avancer ? Il est nécessaire d'interroger en quoi celles-ci peuvent affecter mon écoute et ma relation à l’Autre pour en établir leur véritable utilité.
N’oublions jamais, ainsi que le dit le proverbe, qu’« on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » ; traduit autrement, on ne peut aider les personnes – jeunes, adultes, familles, quel que soit le type de problème rencontré - qui n’en font pas la demande de leur plein gré ET qui ne soit partie prenante de leur vie. Donc, il faut les écouter. Pour de vrai!
Question 2 : Les travailleurs sociaux ne se sentent pas toujours écoutés soit des institutions soit par les politiques actuels qui gèrent les politiques sociales. Quelle analyse faites-vous de ces paradoxes ?
Le sentiment de n’être pas écouté par nos politiques est récurrent, touchant non seulement notre secteur mais toutes les sphères professionnelles et sociales.
Ne pas écouter l’autre, c’est l’ignorer ou purement l’annihiler. Pense-t-on résoudre les problèmes de société en les ignorant ? Pensent-ils (les politiques) faire disparaître les tensions et malaises sociaux en fermant les yeux, en bouchant leurs oreilles ou en envoyant « la cavalerie » ?
Ils me font penser souvent à ces enfants qui croient qu’en faisant cela ils agissent sur le monde, que plus rien n’existe autour d’eux, ou que l’utilisation de la manière forte, dans une illusion de toute-puissance, pourrait tout résoudre. Un peu immature, comme posture, n’est-ce pas ?
Ne pas écouter les professionnels de terrain, c’est ne pas reconnaître leur utilité et leur professionnalisme, réduire ce qui les anime à une simple force de travail, les transformer en agents exécutants où chaque acte éducatif n’est plus qu’un acte mécanique référencé et tarifé. Et la rationalisation opérée telle qu’en ce moment, selon moi, se situe aux antipodes des valeurs humaines.
Aujourd'hui, l’Ecoute des politiques ne sert que d'alibi électoral. L’absence d’écoute des politiques est une réalité. On n’a jamais autant parlé de droits d’expression, « consultation et participation des habitants », « participation des usagers » ou des professionnels, tout en déployant des sommes phénoménales pour organiser des débats, des colloques, des assises, ayant pour enjeux et effets d’orienter les échanges et induire les réponses afin de minimiser l’expression « débridée », dangereuse parce que spontanée, pour mieux faire passer des vessies pour des lanternes… en tout bien tout honneur ! Que de déception et de frustration j'ai ressenti - en dépit de la richesse des rencontres avec les autres professionnels de terrain de France ou d’Europe - à l'idée que des orientations et décisions politiques ont été préconisées à partir de ces simulacres démocratiques!
Je ne comprends pas comment nos politiques peuvent se permettre de traiter comme éléments négligeables les travailleurs sociaux, seuls vrais « experts » de terrain qui, mieux que tout « expert » labellisé par les ministères, constituent les meilleurs « thermomètres » du climat social et les interlocuteurs les plus légitimes en matière de politiques sociales. Mais nos politiques préfèrent s'entourer de profiteurs ou courtisans qui acceptent de jouer les courroies de transmissions contre honneurs et subsides financiers… On peut, j’en suis persuadée, faire de la politique ou fréquenter la sphère politique tout en restant juste, honnête avec soi-même, fidèle à ses convictions, sans trahir pour autant nos valeurs républicaines.
Il ne faut donc pas que nos politiques s’étonnent de la multiplication du nombre d'associations, de réseaux de professionnels, qui se constituent avec pour seule ambition d’user de leur droit d’expression pour se faire entendre et porter la voix des citoyens les plus exclus et démunis. L'envie demeure en chaque professionnel que je rencontre de résister à l’exploitation de la misère, de continuer à défendre les droits des personnes, de ne jamais renoncer aux valeurs humanistes qui les animent… Il faut que ces envies se rencontrent pour devenir un élan et enfin une force capable de changer les choses. Et moi, je continue d’y croire !
Question 3 : Dans une société où existe une massification de l'exclusion et où la pression des Autorités de Tutelles se porte sur la « prise en charge du collectif et des groupes » pour les éducateurs, la capacité d'écoute des professionnels ne s'en trouve-t-elle pas réduite ?
Quelle ironie et quel paradoxe, ne trouvez-vous pas, qu'à l'heure où l'on ne cesse de harceler les travailleurs sociaux de se conformer à la Loi 2002-2 et aux recommandations « bientraitantes » de l'A.N.E.S.M. pour la mise en œuvre des Projets individualisés et Prises en charge personnalisées, qui sous-entendent une construction basée sur l'écoute des usagers et leur collaboration volontaire, on continue, dans un souci de rentabilité et d'économie, de raisonner sans plus s'interroger sur des modèles de prises en charge collective obsolètes sous prétexte « d'apprendre à vivre ensemble » pour pouvoir ensuite « apprendre à faire société »?
Que de lieux communs à ce sujet : le collectif, ça va lui faire du bien ! Il va connaître ce que c'est que de vivre avec d'autres... apprendre à partager... à respecter des règles...
Sauf que vous aurez beau avoir 100 moutons, le loup que vous aurez parachuté dans la bergerie ne se transformera pas pour autant en mouton...
Sauf que généralement, nos loups sont tous enfermés ensemble, même les loupiots, les demi-loups... Dur de sortir du lot, avec ça !
Par expérience, qu’il s’agisse de publics captifs entre quatre murs ou de groupes constitués – de manière plus ou moins spontanée - en milieu de vie ordinaire, pour réussir à traiter l’individuel, il faut d'abord que le groupe aille « bien », condition préalable sine qua non. Pour qu'un groupe aille « bien » il faut que chaque élément qui le compose aille suffisamment « bien » aussi pour permettre à l'éducateur de s’autoriser à « lâcher le groupe » afin de se consacrer à un individu en particulier.
Chaque éducateur sait que les prises en charge collectives ne peuvent servir que de supports pour amorcer des relations plus individualisées et donner jour à des accompagnements personnalisés. Ces prises en charge collectives nécessitent une approche bien éloignée de l'écoute des personnes dont l’expression individuelle est assujettie à la loi et aux règles du groupe, et plus proche de l'intendance psycho-rigide qui laisse peu de place et de temps à la prise en compte de l'individu.
A mon avis, ce qui est dommageable pour les travailleurs sociaux, c’est que les Autorités de tutelles ne puissent concevoir ce paradoxe comme tel, ne raisonnant que par alternance, privilégiant tour à tour le collectif ou l’individuel. Elles ne savent pas porter un regard plus systémique sur ces mouvements, causes et effets, du groupe à l’individu ; cela les amènerait pourtant à être sans doute moins manichéennes sur leurs façons d’aborder et de traiter les informations et demandes émanant du terrain et leur éviterait de couper sans doute moins les cheveux en quatre sur la question des moyens à mettre à disposition des professionnels – à part égale entre le collectif et l’individuel - pour rendre leur travail pertinent et de qualité.
Question 4 : Pensez-vous que le « savoir écouter » devrait être intégré dans le corpus des formations des travailleurs sociaux ?
Si le « savoir écouter » pouvait être un vrai savoir dispensé selon une méthodologie exhaustive et efficace, ça se saurait et je crois que ce serait déjà fait !
Malheureusement (et heureusement !?), il ne s'agit là que d'une qualité humaine se déclinant en autant de nuances qu'il y a d'individus prédisposés à ce don. Il y a des choses qui ne s'apprennent pas de façon théorique.
Les écoles de formation de travailleurs sociaux ont une responsabilité dans leurs manières de reconnaître, traiter et valoriser les ressources humaines naturelles de leurs élèves. Il faut convaincre les (futurs) professionnels que de la qualité de leur écoute dépend réellement la qualité de leur travail.
Par conséquent, je trouve qu'il serait souhaitable de doter les futurs professionnels d'outils pouvant aider à développer et améliorer cette qualité naturelle, en créant des réflexes de distanciation nécessaire à une bonne écoute (déconstruction de ses propres pensées, se détacher des idées préconçues, des informations parasites, maîtriser son empathie...).
Je pense aux jeux de rôles filmés, qui peuvent permettre de travailler des mises en situations et de se connaître mieux soi-même dans ses rapports à l'Autre (techniques d'entretiens, gestion de conflits, animations, analyse des comportements...) ; je pense à l'apport de la philosophie qui permet de sortir d'une situation sclérosante particulière en la ramenant à des questions d'ordre éthique et des réflexions plus ouvertes, plus générales d'ordre sociétal, économique, politique ; je pense à l'analyse systémique qui offre un support non négligeable à l'écoute, pour comprendre les enjeux de relations, traiter le plus objectivement possible les informations, co-construire un travail pertinent au plus près des besoins exprimés (consciemment ou non) par les usagers...
Les échanges avec les collègues, les partenaires, sont tout aussi précieux, en terme de références et d'expériences, sur ce sujet (déjà, ce n'est pas une mince affaire que d'apprendre à s'écouter entre professionnels !)
Pour moi, il n'y a pas de recette miracle, il s'agit seulement d'un (long) travail sur soi, qui ne cesse jamais, tout au long de la vie. Savoir écouter, c'est avant tout savoir se taire, au sens propre et figuré !
_________________________________ R.MONTEIL – février 2012 __________________________________
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Odile Gattini (EJE)
jeudi 08 mars 2012