mardi 09 janvier 2007
SOMMAIRE
Introduction
I. Présentation de la situation
1.1 Présentation et analyse du contexte de la situation
1.2 Anamnèse de Joseph
1.3 Présentation de la situation
II. La question du « jeu » : données théoriques
III. Analyse de la situation
3.1 Une réalité qui ne doit pas être facile à porter
3.2 Le jeu : un moyen pour sortir de l’emprise du réel
3.3 Le jeu : « Je est un autre »
Conclusion
Bibliographie
Glossaire
Annexe
Introduction
J’effectue mon troisième et dernier stage dit « à responsabilité » au sein d’une Maison d’Enfants à Caractère Social. Cette institution sociale, qui se situe comme un lieu d’accueil en mesure d’apporter les réponses, souvent immédiates et les plus adaptées, aux problèmes rencontrés par les services sociaux du département dans les milieux familiaux en difficulté, a pour mission principale d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille et aux jeunes majeurs confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. En raison de son antenne d’« Accueil d’urgence », cette structure, qui est habilitée pour accueillir 55 jeunes âgés de 6 à 18 ans (voire 21 ans dans le cadre de suivis « contrats jeunes majeurs »), est ouverte toute l’année, jours et nuits, 365 jours sur 365. Cette structure se situe au niveau de l’assistance éducative.
La situation clinique que je vais présenter ici m'a semblé intéressante car elle nous offre la possibilité de penser la dimension du « jeu ». Il m’est apparu, au travers des diverses lectures que j’ai entreprises pour pouvoir, en définitive, en proposer une analyse, que la question du « jeu », que le fait de « jouer », a toujours fait partie de l’existence de l’homme. De là, je me suis posé de nombreuses questions, cruciales me semble-t-il, pour essayer de traiter ce vaste sujet : « Pourquoi l’homme joue-t-il ? » ; « Qu’est-ce que ça lui apporte ? » ; « Est-ce qu’il cherche à se fuir et à sortir momentanément de sa réalité, de sa condition (sa mortalité, son insuffisance, sa tristesse, son malheur, son impuissance, etc.) ? » ; « Est-ce qu’il cherche à se divertir ? » ; « Est-ce qu’il cherche tout simplement à se procurer du plaisir ? ». Ainsi, j’ai tenté de lier certaines de ces questions au travail qui nous réunit ici, et j’en suis venu, dans un premier temps et à titre d’hypothèse, à avancer que le jeu donne à l’homme la possibilité de sortir momentanément de sa réalité. Comme nous le signifiait J. Lacan : « le réel n’a d’existence qu’à rencontrer l’arrêt du symbolique et de l’imaginaire ». Enfin, dans un second temps, j’ai émis l’hypothèse selon laquelle le jeu donne à l’homme la possibilité de se détourner et de se détacher de l’être. Comme le disait si joliment A. Rimbaud : « Je est un autre ».Pour ce faire, nous tenterons d’analyser le matériel apporté par Joseph (prénom d’emprunt), âgé de 13 ans et quelques mois. Mais, avant de nous y employer, il est apparu comme primordial de permettre au lecteur de se situer. Pour répondre favorablement à cette nécessité, nous prendrons connaissance de plusieurs éléments relatifs au contexte dans lequel s’inscrit la situation qui sera ensuite présentée puis analysée. En outre, notons que nous donnerons des prénoms fictifs aux personnes que nous engageons dans notre travail pour préserver leur anonymat.
I. Présentation de la situation |
1.1 Présentation et analyse du contexte de la situation
Je suis de retour à la Maison d’Enfants. Entre le moment où j’en suis parti et le moment où j’y reviens, soit une semaine, un jeune, Joseph, a été accueilli. Je prends note de cette information au cours d’un échange avec une éducatrice. J’apprends aussi, au cours de ce même échange, que Joseph, je cite : « est un jeune qui ne respecte ni le cadre ni les adultes ». J’entends également qu’il faut le cadrer en permanence. Ce qui m’interpelle davantage, c’est qu’il m’est aussi dit, je cite : « de toute façon, on ne va pas le garder longtemps, c’est un Accueil Provisoire (A.P.). Il n’est là que pour deux mois et ensuite, il part en séjour de rupture ». Enfin il m’est dit qu’il rentre en fin de journée à la Maison d’Enfants et qu’il faudra donc aller le chercher en gare. Je dois admettre que je suis choqué par les propos tenus par cette éducatrice et je me demande, sans aucun jugement de valeur, si elle a conscience de la violence de ses propos. Bien sûr, ce n’est pas sur cette voie que je m’engage auprès d’elle, mais je lui signifie tout de même, en prenant la précaution de "m’introduire" dans la position que je prends, que nous devons veiller à ne pas « l’enfermer dans la case du mauvais garçon » sans quoi, il ne faudra pas nous étonner de le voir occuper, en tant que pris dans le transfert, la place à laquelle il est assigné. Autrement dit, j’ai en tête, à ce moment là, qu’il faut veiller à ne pas « forcer » Joseph à se constituer en tant qu’ « objet de la demande de l’éducateur » qui, pour le coup, consiste à le faire se vivre en tant que "mauvais garçon". D’une part, si Joseph "ressent" qu’il est rejeté, nous pouvons envisager, à titre d’hypothèse, qu’il mettra tout en œuvre pour vérifier si ce qu’il ressent est justifié. D’autre part, s’il est repris en permanence sur son attitude et qu’aucune place n’est laissée à l’expression de ses difficultés, nous pouvons imaginer, à titre d’hypothèse de nouveau, qu’il mettra tout en œuvre pour sortir de cette impasse. Dans les deux cas, nous pouvons supposer que l’attaque du cadre sera, pour Joseph, le seul moyen auquel il aura recours pour pouvoir, en définitive, se substituer de « l’objet » auquel il est réduit au « sujet » qu’il est. En avançant de tels propos, je tiens pour acquis que cette « opération » ne serait pas consciente, mais inconsciente. Ainsi, à partir de ces deux éventualités, nous pouvons supposer que ses différents troubles seraient indéniablement redoublés. En outre, si Joseph est effectivement un jeune qui "malmène" le cadre et les adultes, ce n’est pas une raison, en regard de la profession que nous exerçons, pour le malmener. Au contraire, ne devons-nous pas le "ménager", ce qui bien entendu ne veut pas dire qu’il nous faut être permissif et tolérant à outrance ? N’est-ce pas notre mission ? Et puis, si, pour Joseph, "exister", c’est pour l’instant malmener le cadre, ne devons-nous pas veiller à laisser "libre cours" à ses fantasmes inconscients tout en lui indiquant, avec délicatesse ou avec fermeté selon la gravité de ses actes, qu’il a la possibilité de se vivre autrement ? Si Joseph se comporte tel qu’on me l’a décrit -et je ne doute pas de ce qui m’a été dit-, ne faut-il pas "ne pas" perdre de vue qu’il a besoin, pour l’instant, de manifester, de revendiquer "quelque chose" ? Si nous abordons les données de cette situation sous cet angle, nous en arrivons à la question suivante : ce quelque chose, qu’est-ce que c’est ? De cette question en émerge une autre : avons-nous besoin de savoir ce que revêt ce quelque chose ? Selon moi, non ; je pense d’une part que cette question appartient à Joseph. Par contre, ne devons-nous pas l’amener à se la poser ? D’autre part, même si nous avions connaissance des raisons qui amènent Joseph à se revendiquer tel qu’il se revendique, je ne suis pas sûr que cela favoriserait sa prise en charge. En effet, il me semble que cette prise de conscience, que la connaissance de ce "quelque chose", n’a d’utilité que si elle est au service de Joseph : c’est à lui de se comprendre et c’est en se comprenant lui-même qu’il pourra, après coup, agir sur ses difficultés : lorsqu’il comprendra que son comportement répond en écho à des difficultés, à des souffrances, liées à un ou à plusieurs points précis (son histoire familiale et personnelle peut-être), il sera peut-être en mesure de donner un autre sens à son existence. Pour résumer ce qui vient d’être dit, retenons que les propos tenus au sujet de Joseph ne sont pas très valorisants, au contraire. Même s’ils sont fondés (et nous verrons dans le chapitre consacré à son anamnèse qu’ils tendent à l’être), ils tendent à avoir une influence négative sur ce que je pourrais avoir à penser de lui. Or, je ne l’ai jamais vu ni rencontré et je ne peux pas me laisser "envahir" par ce qui est dit à son sujet, même si ce qui est dit est vrai. En effet, il me faut le rencontrer avant d’émettre quelque point de vue que ce soit. Ceci étant dit, nous pouvons maintenant tenter d’interroger ma position subjective. Ce qui m’interpelle chez moi, en terme de ressenti, c’est que je suis impatient à l’idée de rencontrer Joseph. Pourquoi ? Je pense, en regard des propos qui ont été tenus à son égard, que c’est parce que je le sens "en danger", rejeté, mais également parce que je ressens le besoin de comprendre ce qui chez lui provoque autant d’animosité. Pour autant, je n’ai pas la prétention de pouvoir y apporter des réponses. C’est en partie pour cette raison que je me propose pour aller le chercher en gare, avec en tête tout ce que je viens de décrire. Notre rencontre, qui a lieu sur le quai de la gare, se passe plutôt bien. Joseph, qui ne m’a jamais vu, est surpris en me voyant lui dire que je suis venu le chercher. La présence d’un autre jeune de l’institution semble le rassurer et il me suit sans problème. Au bout de quelques minutes passées en sa compagnie, il me dit, d’un ton plutôt moqueur : « T’es pas un peu jeune pour être éduc’ ! » J’ai comme l’impression qu’il me provoque mais, de mon plein gré, je n’y prête pas attention. En fait, je reste silencieux pour essayer "de l’inscrire" d’emblée dans une relation qui ne soit pas basée sur le rappel à l’ordre et le conflit ; ce qui ne veut pour autant pas dire que je vais "me laisser faire" si d’aventure il venait à attaquer la fonction que je représente. La soirée se passe plutôt bien. Néanmoins, je remarque, d’une part, que Joseph peut se montrer très provocateur avec ses camarades et qu’il tend à prendre une grande place au sein du groupe. D’autre part, je remarque qu’il prend en considération les rappels à l’ordre dont il fait l’objet. Enfin, je constate que Joseph est plutôt distant avec moi mais cela ne me pose aucun problème : cela me donne, au contraire, la possibilité de l’observer. Face à cette réalité, je laisse donc le soin à mes collègues de le rappeler à l’ordre lorsque cela s’avère nécessaire. Pour conclure, notons que je ne reverrai Joseph qu’à deux reprises avant que ne se présente à moi la situation sur laquelle je vais m’appuyer pour tenter d’explorer, en terme d’analyse, la dimension du « jeu ».
1.2 Anamnèse de Joseph
Voir annexe (p.31)
1.3 Présentation de la situation
Un groupe de 7 jeunes (filles et garçons) âgés de 13 à 17 ans est parti passer 5 jours (du lundi 7 août au vendredi 11 août 2006) de vacances. Le groupe, qui séjourne dans un camping, est pris en charge à tour de rôle par deux équipes de deux éducateurs (Lundi et mardi : 1ère équipe ; Mardi et mercredi : 2ème équipe ; Mercredi et jeudi : 1ère équipe ; Jeudi et vendredi : 2ème équipe). En ce qui me concerne, je fais partie de la seconde équipe. Je travaille avec Paul. Totons que Maxime (le psychologue de l’institution) sera présent en journée.
Il est 9 heures et nous (Paul et moi) prenons notre service. Maxime est déjà présent sur les lieux. Un temps de coordination (1 heure) nous permet de faire le point avec la première équipe. Nous prenons connaissance des consignes, des règles et autres modalités de fonctionnement et nous prenons également connaissance du déroulement de la première journée et de la première nuit. Dans le même temps, les jeunes se lèvent à tour de rôle et prennent leur petit déjeuner. Je remarque que ce dernier a été soigneusement préparé par la première équipe. Les jeunes n’ont qu’à s’installer autour de la table. Au menu, il y a du lait, du cacao, des croissants (1 par personne), du pain, du beurre, de la confiture et du nutella.
La 1ère équipe attire particulièrement notre attention sur la prise en charge de Joseph. Le retour qui nous est fait à son sujet n’est pas très positif. D’après elle, il est particulièrement grossier avec ses camarades et il peut se montrer très insolent avec les adultes. D’une certaine manière, il nous est dit que « Joseph n’accepte pas l’autorité des adultes » et qu’il est donc nécessaire de le « cadrer » pour éviter qu’il ne déborde de trop.
À ce moment là, je me demande intimement et à titre d’hypothèse si je ne suis pas en train de faire face à la circulation d’une idée reçue le concernant. En effet, les propos tenus sont les mêmes pour chaque éducateur. Ceci dit, rappelons-nous que Joseph est arrivé à la Maison d’Enfants il y a à peine 12 jours. Joseph est comme un "objet" auquel on a attribué une caractéristique, celle du "mauvais garçon". Ainsi, c’est comme s’il finissait par se prendre pour cet objet ; il devient, en tant que pris dans le transfert, "objet de la demande de l’éducateur", à savoir un « jeune qui ne respecte pas le cadre ni l’autorité des adultes » ; un « jeune qui a besoin d’être cadré ». Pour autant, nous ne devons pas perdre de vue que ce n’est pas parce que ce jeune présente de nombreuses difficultés en terme de comportement que nous devons le réduire à cette condition. Si les professionnels n’avaient pas eu son dossier personnel entre les mains, auraient-ils tenus les mêmes propos ? (Je ne cherche nullement à remettre en cause les difficultés qui ont été repérées chez Joseph au cours de ses prises en charges antérieures et au cours de sa récente prise en charge au sein de l’établissement où je suis en stage ; j’essaie seulement d’interroger les possibilités qui lui ont été offertes pour qu’il puisse se montrer autrement que comme il est décrit, même si, pour le moment, il n’en est peut-être pas encore capable.) En ce sens, cette ouverture nous amène à nous demander si le " discours" qui est tenu à son sujet prend appui sur ce qui a été réellement observé chez lui depuis son arrivée au sein de l’établissement où je suis en stage ou s’il repose sur les propos qui sont tenus dans son dossier personnel. Un discours qui, nous le savons, se traduit de la même manière de part et d’autre : Joseph est un « jeune qui ne respecte pas le cadre ni l’autorité des adultes » ; un « jeune qui a besoin d’être cadré ». Autrement dit, si Joseph a été perçu d’emblée comme un mauvais garçon et que cette perception a circulé d’une bouche à l’autre (de professionnel à professionnel : « Tiens y’a un jeune qui vient d’arriver, il faut le cadrer car il ne respecte ni les règles ni les adultes » et des professionnels à Joseph : « Je ne te laisse pas déborder car je sais que tu as besoin d’être cadré »), il ne faut pas s’étonner de le voir se manifester sous l’angle auquel il a été réduit, de la même manière qu’il ne faut pas s’étonner d’entendre le même discours dans la bouche de chaque professionnel.
Pour illustrer leurs propos, la 1ère équipe nous fait part d’une situation qu’elle a vécue la veille avec lui. La voici. Le groupe est parti faire les courses. En sortant du magasin, Joseph trouve 1 euro par terre. Il demande une autorisation à une éducatrice pour aller s’acheter des bonbons dans un bureau de tabac qui se trouve à côté du magasin. Elle accepte. Quelques minutes plus tard, l’éducatrice entend des cris en provenance de ce bureau de tabac. Lorsqu’elle arrive sur les lieux, Joseph est en train d’insulter la vendeuse. L’éducatrice le reprend fermement sur son attitude ; elle lui demande de présenter des excuses et lui ordonne de rejoindre le groupe. Puis, elle demande des explications à la vendeuse. Cette dernière lui explique que Joseph est tout bonnement entré dans le bureau de tabac et qu’il est passé devant tous les autres clients. Pour cette raison, elle a refusé de le servir et elle lui a demandé d’attendre son tour pour être servi. Son attitude a mis Joseph en colère et il s’est mis à l’insulter. Revenons maintenant à ce début de journée. Il est environ 9h45. Notre temps de coordination touche à sa fin. Au même moment, Joseph se lève et s’installe pour prendre son petit déjeuner. Tout en maintenant la communication avec mes collègues, je l’observe. Je remarque qu’il est en train de "jeter un œil" dans notre direction. Peut-être nous a-t-il entendu parler de lui et nous entendre tenir -il faut l’admettre- des propos pas très gratifiants à son égard ? Peut-être imagine t-il, dans le sens où il ne nous a pas entendu parler de lui, que nous sommes justement en train de parler de lui et cela en raison de ce qu’il s’est produit la veille au bureau de tabac ? Peut-être a-t-il " senti " que je l’observe ? En réponse à ces diverses interrogations, je veille donc à ne pas jeter sur lui des regards un peu trop insistants ; en d’autres termes, je l’observe discrètement car je ne veux pas le gêner ou le perturber. Quelques minutes plus tard, il nous interpelle en disant :
« Où sont les croissants, j’ai faim. » L’éducatrice (qui l’a repris la veille) lui répond :
« C’est un croissant par personne ; il y a du pain, de la confiture et du nutella si tu veux… » Joseph "peste" et laisse échapper des grossièretés :
« Putain fait chier… C’est quoi ce camp de merde… Je veux rentrer chez moi. » L’éducatrice, qui est sur le point de partir, intervient de nouveau :
« Bon Joseph, tu ne vas pas commencer… La journée a été bien assez difficile avec toi hier alors je te conseille de vite changer d’attitude. Tu n’as peut-être pas demandé à être ici mais c’est comme ça, il faut que tu fasses avec... Sache que nous ne te laisserons pas faire n’importe quoi et sache également qu’il y a des règles qu’il va te falloir apprendre à respecter. Ici, tu ne fais pas ce que tu veux ! » Joseph reprend la parole :
« Quoi c’est bon, j’ai rien fait hier… » L’éducatrice reprend la parole :
« Non mais tu te moques de qui ? Il ne s’est rien passé hier au bureau de tabac ? Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ? Et puis change de ton, ça commence à bien faire ! Si tu n’es pas capable de la faire, alors tais-toi ! On n’a pas à supporter ton insolence. Si tu continues, ça va mal aller pour toi. » Joseph baisse la tête. Il peste mais nous ne comprenons pas ce qu’il dit. C’est peut-être pour cette raison que personne n’intervient. Il est alors l’heure pour la première équipe de s’en aller, ce qu’elle fait après avoir salué tout le monde. Je pars m’installer autour de la table, là où Joseph mais également d’autres jeunes (Simon, Sylvie et Patrick) sont en train de prendre ou de finir leur petit déjeuner (les autres jeunes sont partis faire leur toilette). Maxime nous rejoint et s’installe lui aussi autour de la table. Paul, quant à lui, range ses affaires personnelles.
Il me paraît important, à ce moment là, d’intervenir pour essayer de "désamorcer" la situation mais également pour donner à Joseph la possibilité de se "montrer" différemment ; ce qui ne veut pas dire pour autant que je me sens la capacité de pouvoir y parvenir. Ce que je ressens, au moment où je pars m’installer vers Joseph, c’est le désir de le sortir de la condition à laquelle il est réduit, une condition qui ne lui laisse apparemment pas la possibilité de montrer autre chose que ce qu’il montre. En effet, j’ai l’impression qu’aucune chance ne lui a été laissée pour qu’il puisse se montrer autrement. Par ailleurs, je ressens également le besoin de me faire ma propre opinion car je dois admettre que je le vois surtout comme un jeune en difficulté plutôt que comme une jeune qui pose des problèmes.
Tout d’abord, je lui fais remarquer que nous allons passer plusieurs jours ensembles et qu’à cette occasion, il serait sans doute préférable pour lui mais également pour les autres que tout se passe pour le mieux sans quoi il risque de passer de mauvaises vacances.
À ce moment là, Simon, Sylvie et Patrick quittent la table. Maxime, quant à lui, reste à table.
Ensuite, je lui dis :
« Allez, essaie de faire des efforts sur ton attitude et tu verras, tout ira mieux. » Pour terminer, je lui propose de faire une partie de pétanque. Il accepte et me dit :
« On peut demander à Simon s’il veut jouer avec nous, c’est mon pot. » Je lui réponds :
« Bien sûr mais il faut qu’il soit d’accord. » Joseph me dit :
« C’est sûr qu’il va vouloir. » Puis, il sollicite son camarade qui se trouve à quelques mètres de nous. Ce dernier accepte. Je leur explique qu’il serait préférable de trouver un quatrième joueur pour pouvoir faire une doublette. Maxime -qui est toujours assis autour de la table- se propose pour être le quatrième joueur. Les deux jeunes acceptent. Joseph, qui avait pourtant -nous pouvons le dire- pas très bien débuté la journée, semble ravi à l’idée de partager ce moment : il s’empresse d’aller chercher les boules. Nous tirons les équipes. Maxime jouera avec Simon et Joseph avec moi. Nous faisons cinq parties. Simon souhaite arrêter au bout de la troisième partie. Il est remplacé par Gérald. Joseph et moi perdons les deux premières parties et gagnons les trois dernières. Je remarque assez rapidement, durant le jeu, que Joseph se décourage très vite lorsqu’il perd ou lorsqu’il "rate un coup" : « J’en ai marre, j’ai envie d’arrêter » et je constate également qu’il se dévalorise beaucoup : « J’suis nul. Je sais rien faire. » Ainsi, en réponse à ce que j’observe, je veille à banaliser les "ratés" (« Mais ce n’est pas grave, on s’amuse », « Tu as vu, moi aussi je ne joue pas très bien mais je m’en moque car c’est un jeu ») et je veille à valoriser les "bons coups" qu’il produit (« C’est bien jouer », « Bravo », « Continues »). Au fil des parties, nous constatons avec Maxime que Joseph est beaucoup mieux qu’en début de journée : il sourit, il rit, il fait preuve d’humour et il se montre particulièrement respectueux avec nous. Il n’est en quelque sorte plus du tout le même. En fin de journée, nous observons (Paul et moi) que nous ne sommes presque pas intervenu pour le rappeler à l’ordre. Il a en effet, tout au long de la journée, su respecter à la fois notre autorité et les diverses consignes que nous avons eues à lui donner. D’autre part, il s’est montré particulièrement volontaire pour participer aux diverses tâches liées à la vie en collectivité (mettre la table, débarrasser, etc.). Au moment du "coucher", nous (Paul et moi) lui faisons remarquer que nous sommes plutôt satisfaits de son attitude et nous l’invitons à poursuivre "sur le même chemin".
II. La question du « jeu » : données théoriques |
Avant de traiter ce chapitre, il convient d’indiquer que nous ne donnerons qu’une petite partie de la théorie du « jeu ». Ce chapitre a pour but de donner quelques éléments théoriques ; il n’a nullement l’intention ni la prétention de recouvrir toute la théorie du jeu.
Pour R. Caillois, le jeu se définit comme une activité : « 1° libre : à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt sa nature de divertissement attirant et joyeux ; 2° séparée : circonscrite dans des limites d’espace et de temps précises et fixées à l’avance ; 3° incertaine : dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalablement, une certaine latitude dans la nécessité d’inventer étant obligatoirement laissée à l’initiative du joueur ; 4° improductive : ne créant ni biens, ni richesse, ni élément nouveau d’aucune sorte ; et, sauf, déplacement de propriété au sein du cercle des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie ; 5° réglée : soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires et qui instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte ; 6° fictive : accompagnée d’une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante » 1 . Nous pourrions nuancer certains propos comme ceux tenus à propos du jeu comme étant une activité « improductive » mais ce serait au détriment d’autres éléments. Par conséquent, je préfère ne pas m’y employer.
J. Henriot nous invite à penser que le phénomène "jeu" « appartient à l’ordre du signifiant. Ce qu’il y a de jeu dans un acte ludique relève uniquement du sens. […] On peut faire quelque chose sans jouer ; on peut faire la même chose par jeu » 2 . Mais alors comment distinguer le jeu du non-jeu ? Il apparaît que « la mimique de l’enfant suffit à montrer s’il joue » 3 . Ceci dit, nous savons que l’enfant « reproduit parfois dans ses jeux des situations pénibles, revit des scènes qui l’ont éprouvé. Dans ce cas, l’attitude et la physionomie du "joueur" n’expriment pas, du moins de façon immédiatement évidente, le plaisir que l’on considère à priori comme révélateur du jeu » 4 . En ce sens, la mimique ne semble pas une garantie suffisante de la réalité de jouer. Ceci étant dit, arrêtons-nous un instant au « fort/ da » ou « jeu de la bobine » observé par Freud. Le jeu du « fort/da » introduit quelque chose d’essentiel qui est une symbolisation des allées et venues, des absences/présences de la mère : « l’enfant se dédommageait pour ainsi dire de ce départ et de cette absence, en reproduisant, avec les objets qu’il avait sous la main, la scène de la disparition et de la réapparition » 5 . L’enfant, dans un processus psychique de symbolisation, met en scène l’absence de sa mère et la joue. Il sait non seulement représenter l’absence de sa mère, mais il en représente aussi la présence. Quand sa mère est absente, l’enfant fait jouer sur le registre symbolique présence et absence ; avec la bobine puis avec son image dans le miroir. Ce processus de symbolisation est inscrit dans deux signifiants, deux mots : lorsque l’objet disparaît, « fort », qui signifie « au loin, parti » ; et « da » qui signifie « le voilà ». Ce jeu est d’une portée symbolique plus forte que ce qu’emporte le chagrin et l’émotion de la perte. Il éclaire non seulement l’au-delà du principe de plaisir mais aussi l’accès au langage avec la dimension de perte que celui-ci connote. À partir du moment où il parle, le sujet renonce à la "chose" et pas exclusivement à la mère comme premier objet de désir. Sa satisfaction passe par le langage et c’est désormais son action elle-même (faire apparaître et disparaître) qui constitue l’objet du désir. C’est là la racine du symbolique, où l’absence est évoquée dans la présence et la présence dans l’absence. Ceci étant dit, nous pouvons revenir à la théorie que nous propose J. Henriot. Ce dernier distingue deux formes de jeu : « le jeu à quoi joue celui qui joue […] et le jeu qu’il joue quand il y joue […] » 6 . En outre, il nous invite à penser que « tout acte de jouer est par lui-même une opération dialectique. Le jeu se joue de ce qui n’est pas lui. C’est là sa condition, l’impératif qui fonde son existence. […] Le jeu se joue du non-jeu : c’est en cela qu’il est jeu » 7 . Pour J. Henriot, le jeu n’a donc d’existence qu’à rencontrer l’arrêt du "non-jeu". Puis, il nous invite à penser le jouer comme une attitude. Tout d’abord, il propose de considérer « l’incertitude comme le caractère le plus apparent de la conduite ludique » 8 : jouer, c’est ne pas savoir où l’on va ; jouer, c’est perdre « le contact avec le réel pour pénétrer dans l’univers féerique de la fiction » 9 . Autrement dit, c’est se laisser emporter par la « magie » (« l’irréalisme »). Ensuite, il nous amène à reconnaître, au principe de l’attitude ludique, « une conscience, une intention d’illusion » 10 , une illusion qui ne résulte pas du jeu, mais qui « l’instaure » 11 : même si le joueur perd le contact avec le réel, il « reste lucide » 12 : il sait que le bâton avec lequel il joue n’est pas une épée ; il sait qu’il joue avec un bâton. Autrement dit, le joueur garde une certaine « lucidité » (« le réalisme »). Enfin, il y a « l’illusion » (le « surréalisme ») : « un jeu dans lequel on n’entre pas, auquel on ne se laisse pas plus ou moins prendre n’est pas un jeu […] : qui n’entre pas ne joue pas ; qui se laisse prendre ne joue plus » 13 . En somme, J. Henriot nous invite à penser que la conscience de jouer est « l’élément constitutif du jeu » 14 . Mais qu’est-ce que jouer ? Selon J. Henriot, jouer, « c’est faire quelque chose d’une certaine façon, et non n’importe quoi n’importe comment. La façon de faire est comprise dans la définition du jeu. Dans tout jeu, il y a une opération par laquelle le joueur se lie. Jouer c’est s’obliger » 15 . Ceci étant dit, nous serons sans doute d’accord avec J. Henriot lorsqu’il nous indique « qu’il y a nécessairement dans tout jouer une passion, un entraînement, un vertige » 16 . Mais alors comment jouer sans se laisser "prendre au jeu" si, comme J. Henriot, nous considérons que cette passion est en même temps la mort du jeu ? Pour autant, pourrait-il ne pas y avoir de passion ? Qui n’entre pas ne joue pas ; qui se laisse prendre ne joue plus. Par conséquent, jouer, c’est savoir que l’on "joue à jouer". Jouer, c’est "jouer le jeu du jouer". À partir de là et tout en sachant que nous ne chercherons pas à répondre à cette question maintenant car nous tenterons de le faire dans la troisième partie du chapitre consacré à l’analyse de la situation (« Le jeu : Je est un autre »), nous pouvons nous demander quelle est la signification de ce jeu qui s’insinue entre le sujet et lui-même, jeu à la faveur duquel le sujet se découvre et s’invente à la fois comme auteur et acteur de son acte ? Ceci étant dit, poursuivons notre travail de conceptualisation et réfléchissons aux propos que tient Pascal sur le jeu. Pascal nous invite à distinguer deux degrés dans le jeu : « le divertissement de surface par lequel l’homme se détourne de lui-même, et qui revêt la forme des "plaisirs" et des "jeux", et le jeu secret d’un être inquiet et malheureux, dépendant et vide. Ce vide, c’est le jeu en lui, d’où naît l’insupportable ennui. Telle est la signification métaphysique du divertissement : mouvement par lequel l’homme se fuit. C’est parce qu’il est impuissant à assumer son être que l’homme se trouve réduit à faire. Incapable de demeurer en tête-à-tête avec soi-même, il ne vit que d’agir » 17 . J. Henriot, quant à lui, nous propose de réfléchir à l’hypothèse suivante : « par le jeu, l’homme se fuit. En agissant ainsi, il se détourne et se détache de l’Être. Il se conquiert sur l’Être. Il se fait être. La négativité première devient négation de l’autre que soi, c’est-à-dire affirmation de soi » 18 . Ceci dit, J. Henriot ne manque pas de nuancer ses propos en nous rappelant que le jeu « n’est pas le tout de l’existence et qu’il ne fait qu’en exprimer la forme possible, l’ouverture » 19 . Ainsi, c’est en prenant conscience de sa « situation, des problèmes qu’il doit résoudre, de ses pouvoirs et de ses tâches, que le sujet peut désormais se conduire. Non seulement il peut, mais il doit, car il découvre qu’il a à se faire pour être » 20 .
III. Analyse de la situation |
3.1 Une réalité qui ne doit pas être facile à porter
Ce chapitre a pour but de sensibiliser le lecteur sur la réalité de Joseph ; une réalité qui, nous allons le voir, ne doit pas être facile à porter. Pour autant, Joseph "vit avec" quotidiennement. En regard de ses difficultés -en terme de comportement-, que nous pouvons, par ailleurs et sans jugement de valeur, lier à son histoire familiale, nous pouvons, à titre d’hypothèse, supposer que chaque instant est une occasion donnée à l’autre (ses semblables) mais également à l’Autre (le tout-puissant, "celui qui sait qu’il n’est que cela" : l’éducateur en tant que pris dans le transfert), pour le confronter à sa réalité/à ses difficultés. À partir de là, nous pouvons, à titre d’hypothèse de nouveau, avancer que Joseph vit actuellement dans une réalité qui ne peut que le faire souffrir. Essayons donc de voir pourquoi il apparaît nécessaire qu’il puisse s’en détacher à certains moments, non pas pour la fuir, mais pour sortir momentanément de son emprise.
Comme nous l’avons vu au cours du chapitre réservé à son anamnèse, l’histoire de Joseph est relativement compliqué. Non seulement il n’a jamais connu son père et en plus, sa mère semble être, depuis de nombreuses années, dans une très grande souffrance psychique ; une souffrance qui, nous l’avons vu, l’empêche d’assumer son rôle de mère. Son parcours personnel n’est pas des plus "simples" : elle a été placé dans une Maison d’Enfants lorsqu’elle était âgée de 16 ans ; elle a des antécédents de toxicomanie ; elle présente un fond dépressif important lié à des traumatismes personnels antérieurs ; elle se sent responsable des difficultés de Joseph et elle ressent, à cet égard, un profond sentiment de culpabilité. Ceci étant dit, il ne semble pas inintéressant, même si nous nous écartons un peu du thème qui nous réunit dans le cadre de ce travail, de nous arrêter sur la question de l’absence du père, une absence qui nous amène à penser que Joseph souffre indéniablement d’une altération des représentations paternelles. Pour commencer, nous pouvons, à titre d’hypothèse, supposer que son père ne lui a pas permis de résoudre son « complexe d’Œdipe ». Nous savons que le complexe d’Œdipe est une structure constituante du sujet. Sa résolution passe par le renoncement au parent du sexe opposé en tant qu’objet d’amour et par une identification au parent du même sexe. Le père est, pour le petit garçon, un "rival à éliminer". Paradoxalement, le père est un objet d’admiration car il incarne la puissance. Par sa présence, le père lie inséparablement le désir à la Loi et incarne l’interdiction fondamentale du tabou de l’inceste. Par l’autorité paternelle, par le "Non" de son père -par le Nom-du-père-, l’enfant apprend qu’il porte un nom, qu’il est un "sujet" (un "être de langage") et le désir incestueux qu’il ressent à l’égard de sa mère est symboliquement anéantit. L’enfant prend alors conscience des autres et il s’ouvre en sujet à la sociabilité. Cette étape fondamentale du développement de l’enfant n’a peut-être pas été résolue chez joseph. Pour cette raison, nous pouvons envisager, d’une part, que le sentiment de frustration, qui est d’une importance capitale en ce qui concerne l’intégration de la Loi, n’a pas été suffisamment éprouvée par Joseph. C’est peut-être pour cette raison qu’il cherche, inconsciemment, à se confronter à la Loi ; à la Loi du Père. Si nous prenons en compte ces différents éléments, nous pouvons envisager, d’autre part, que ce jeune garçon n’a peut-être pas encore renoncé à sa maman en tant qu’objet d’amour. À défaut d’obtenir la satisfaction recherchée, nous pouvons peut-être présumer qu’il a, à un moment donné, plutôt ressenti de la frustration face au refus/rejet que lui a renvoyé l’objet d’amour - sa mère -, ce qui nous amène à proposer qu’il a ressenti de la colère contre sa mère. Cette possibilité explique peut-être les attaques (l’insolence, l’arrogance, l’opposition, les provocations) que Joseph manifeste à l’endroit de sa mère. Ainsi, c’est peut-être pour cette raison qu’une « relation fusionnelle » entre Joseph et sa mère est mise en avant dans son dossier personnel, une relation « dont mère et enfant ont du mal à sortir ». La prise en compte de ces différents éléments nous laisse à penser que Joseph évolue, depuis toujours, dans des conditions que nous pouvons, sans jugement de valeur, qualifier de difficiles : il souffre à la fois de l’absence de son père et il souffre également de la situation de détresse de sa mère. Autrement dit, sa réalité familiale est très lourde à porter. Maintenant, arrêtons-nous sur la situation personnelle de Joseph. Autrement dit, arrêtons-nous sur ses difficultés et sur sa condition d’ « enfant placé ». Comme nous l’avons vu au cours du chapitre consacré à la présentation de la situation, Joseph a bénéficié très tôt d’une prise en charge éducative : il était à peine âgé de 5 ans et 9 mois lorsque sa mère a bénéficié d’une mesure d’Aide Éducative à Domicile. Ce fut là le commencement d’un long parcours : il a 7 ans et 6 mois lorsqu’il est placé dans une Maison d’Enfants ; de ses 8 à ses 11 ans, il est placé dans un foyer sur les mercredis, certaines soirées ou nuitées, en fonction de l’état de la maman ou en fonction de ses demandes ou de celles de son fils ; il a 11 ans lorsqu’il rejoint, à temps complet, le domicile familiale mais sa mère bénéficie toujours d’une mesure d’Aide Éducative à Domicile ; il a à peine plus de 12 ans lorsqu’il est placé dans une Maison d’Enfants ; il a à peine plus de 13 ans lorsqu’il est placé à la Maison d’Enfants où je suis en stage. Lorsque nous abordons le parcours personnel de Joseph sous cet angle, nous ne pouvons que constater combien il est difficile. Ce jeune garçon a été pris en charge à trois reprises par trois structures différentes ; sa mère a bénéficié d’une mesure d’Aide Éducative à Domicile ; il a rencontré un(e) voir plusieurs psychologues. De toutes évidences, il a été pris en charge par une multitude d’intervenants ; peut-être beaucoup trop, mais c’est encore un autre problème. De part et d’autre, il lui a été renvoyé, à juste titre sans doute, ses difficultés (en terme de comportement) ; en quelque sorte, son "insuffisance". Pour autant, en est-il vraiment responsable ? En regard de son histoire familiale, non. En effet et d’un point de vue général (de sa naissance à aujourd’hui), Joseph n’a, me semble-t-il, pas vraiment pu "jouir" d’un environnement « suffisamment bon » qui lui aurait sans doute permis d’évoluer honorablement. D’une part, sa mère a toujours rencontré des difficultés pour assumer son rôle de mère. D’autre part, son père est, depuis toujours, absent de sa vie. Pour autant, c’est à Joseph qu’on demande de "rendre des comptes". Certes, il paraît nécessaire de le confronter à ses difficultés pour qu’il puisse en prendre conscience mais pour qu’il puisse également se rendre compte qu’il se met en danger (du point de vue de la Loi). Ceci dit, il semblerait surtout avantageux pour lui de l’amener à prendre conscience qu’il est un « sujet », un "être de langage". Autrement dit, il serait surtout avantageux pour lui de l’amener, d’un point de vue éducatif, à opérer une substitution du « passage à l’acte » à la « dimension de la communication ». Maintenant, essayons de nous arrêter sur ce qui se passe concrètement pour Joseph au sein de la structure où je suis en stage. D’un point de vue général, nous pouvons indiquer, sans aucun jugement de valeur, que les professionnels le renvoient en permanence à ses difficultés et à son "insuffisance" ; ils font preuve, en quelque sorte d’un certain rejet vis-à-vis de lui. Il semblerait qu’ils agissent davantage en fonction de l’idée qu’ils se sont faits de Joseph, à savoir que c’est un « jeune qui ne respecte pas le cadre ni l’autorité des adultes », un jeune qui « a besoin d’être cadré ». Ainsi, Joseph est en permanence confronté à ses difficultés et à son insuffisance, ce qui, je pense, le projette dans un climat très insécurisant, un climat qui le confine et le réduit à sa problématique. La prise en compte de ces diverses pistes de réflexion nous laisse à penser que Joseph évolue dans des conditions que nous pouvons qualifier de difficiles. En ce sens, nous pouvons nous accorder à dire que la réalité de Joseph en tant qu’ « enfant placé » est particulièrement difficile à porter. À partir de l’analyse de la situation familiale et personnelle de Joseph, nous pouvons, sans risquer de nous égarer, avancer que Joseph souffre énormément.
3.2 Le jeu : un moyen pour sortir de l’emprise du réel
Lorsque je propose à Joseph de jouer à la pétanque, je souhaite, en définitive, le faire entrer dans une "aire de jeu", une aire où il pourra avoir la possibilité de se montrer différemment, une aire où il pourra éventuellement prendre du plaisir, une aire qui pourra peut-être lui offrir la possibilité, sans qu’il n’en ait vraiment conscience je présume, de constater que sa "condition" ne se limite pas à celle d’un "être de souffrance". Autrement dit, je souhaite le faire sortir, momentanément, de sa réalité qui, comme nous l’avons vu, semble être particulièrement lourde à porter. À titre d’analyse, nous pourrions dire ici que ma démarche tend donc à opérer une séparation entre Joseph et sa souffrance. Autrement dit, ma démarche tend à séparer la "souffrance ressentie" du « sujet » qui la ressent. Il est vrai que cette "séparation" reste temporaire, passagère, mais elle s’inscrit dans le « réel » de Joseph. Par ailleurs, elle lui offre la possibilité de prendre de la distance avec ses difficultés personnelles et familiales et les souffrances qui peuvent s’y associer. Ceci dit, il semble nécessaire de préciser qu’il ne s’agissait pas de détourner Joseph de sa situation, mais de l’aider à s’en séparer pendant un certain laps de temps, ce qui est bien différent.
Maintenant, arrêtons-nous sur le comportement de Joseph lorsqu’il est en train de jouer à la pétanque. Nous observons deux phases dans le jeu. Dans la première, Joseph se décourage très vite lorsqu’il perd ou lorsqu’il "rate un coup" et il se dévalorise beaucoup. Ainsi, nous pouvons avancer, à titre d’hypothèse, que Joseph ne semble pas avoir conscience qu’il est en train de jouer ; au contraire, nous pouvons même supposer qu’il ne joue pas. Cette éventualité mérite d’être mise en lien avec ce que J. Henriot avance sur le jeu : pour lui, « un jeu dont on n’est pas conscient n’est pas un jeu […] même si, à l’opposé, un jeu dont on est conscient n’est plus un jeu » 21 . Mais, en regard de ce qui va suivre, retenons seulement que jouer, c’est tout d’abord savoir que l’on joue. Dans la seconde phase, Joseph sourit, il rit, il fait preuve d’humour et il se montre particulièrement respectueux avec les adultes. Ainsi, nous pouvons avancer, à titre d’hypothèse de nouveau, que Joseph a, dans cette seconde phase, conscience qu’il est en train de jouer. Mais alors comment expliquer cet "enchaînement" ? En effet, ce n’est qu’au bout d’un certain laps de temps de jeu que Joseph nous montre, en définitive, qu’il a pris conscience qu’il était en train de jouer. De là, pouvons-nous envisager que le point de départ de ce changement progressif de comportement réside dans le fait que je lui indique, dans les moments où il se décourage et se dévalorise, que nous sommes en train de jouer ? Autrement dit, prend-il conscience qu’il est en train de jouer à partir du moment où je lui dis qu’il joue ? Si nous considérons cette possibilité, cela nous amène à penser que Joseph se décourageait et se dévalorisait parce qu’il ne jouait pas. De là, nous pouvons concevoir l’idée selon laquelle le "jouer" n’a de sens qu’à partir du moment où celui qui joue a conscience du jeu auquel il s’adonne. En ce sens, la conscience de jouer se présente comme l’élément constitutif du jeu. C’est peut-être pour cette raison que J. Henriot nous invite à penser que « la première question à poser lorsqu’on observe le comportement d’un enfant n’est pas : "pourquoi joue-t-il ?", mais : "joue-t-il ?" » 22 . Ceci étant dit, nous pouvons maintenant nous arrêter sur la question de la "perte de contact d’avec le réel". En effet, il apparaît que l’entrée dans un jeu marque inévitablement le fait de "sortir de quelque chose" : s’il y a une "entrée dans", il y a forcément une "sortie de". Mais quel est ce quelque chose ? Autrement dit, s’il y a une sortie, de quelle sortie s’agit-il ? À l’évidence, il apparaît qu’il s’agit de la sortie de l’aire du réel. Ainsi, l’entrée dans une aire de jeu traduit une certaine perte de contact avec le réel, à une nuance près, celle de savoir que l’on est en train de jouer. Pour Joseph, il y a donc eu, à partir du moment où il a pris conscience qu’il était en train de jouer, une perte de contact avec ses difficultés et la souffrance qui semble s’y associer. Ainsi, si, comme nous venons de le souligner, Joseph est sorti de l’aire du réel, nous pouvons donc, en contrepartie, nous accorder à dire qu’il est entré dans l’aire du symbolique et de l’imaginaire. En effet, comme le disait J. Lacan, « le réel n’a d’existence qu’à rencontrer l’arrêt du symbolique et de l’imaginaire ». À partir de là et en regard au travail qui nous réunit ici, nous pourrions dire que le symbolique et l’imaginaire n’ont d’existence qu’à rencontrer l’arrêt du réel et que l’aire du jeu n’a d’existence qu’à rencontrer l’arrêt de l’aire du "non-jeu". Pour conclure ce chapitre, retenons que le jeu a donné à Joseph la possibilité de sortir momentanément de l’emprise que le réel peut avoir sur lui. Par le jeu, Joseph s’est donc détourné de lui-même, de sa condition propre. Cela nous amène à aborder le chapitre suivant.
3.3 Le jeu : « Je est un autre »
Avant de traiter ce chapitre, il nous a semblé nécessaire de nous référer à la théorie du jeu car elle nous invite à prendre conscience de la signification du jeu qui s’insinue entre le sujet et lui-même, jeu à la faveur duquel le sujet se découvre et s’invente à la fois comme auteur et acteur de son acte. Comme le souligne J. Henriot, « ce n’est pas l’objet qui se trouve métamorphosé dans le jeu, mais le sujet. L’objet n’est jamais qu’un moyen, un accessoire, un prétexte à métamorphose » 23 . Ainsi, si « le jouer produit le joueur, c’est parce que le jouer est, pour le joueur, exercice du pouvoir de soi. Jouant, il joue à être » 24 . Ainsi, pour pouvoir jouer, le joueur doit être « capable de prendre ses distances à l’égard de l’être qu’il est » 25 . Autrement dit, il doit avoir conscience que son existence ne se limite pas à sa condition. Comme nous l’a montré le père de la psychanalyse, notre appareil psychique se divise en trois instances : le Moi , le Surmoi et le Ça (voir glossaire) ; la première et la seconde s’opposant l’une et l’autre pour faire face aux poussées instinctuelles de la troisième. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est que ces trois instances constituent l’être que je suis, à savoir le Je . Mais il est nécessaire de bien comprendre que le Je tend à s’assimiler au Moi . Pourtant, on ne peut les considérer l’un et l’autre comme réciproquement identiques. En effet, le premier (le Je ) désigne en moi « la fonction sujet, capacité de conjugaison de l’ensemble des verbes qui expriment mon action -à commencer par le verbe être, puisque la réflexion que je veux effectuer sur mon propre pouvoir de penser ne m’autorise pas seulement à dire qu’"il y a Je" ou que "Je est", mais me commande de traduire le fait que j’existe par la formule conjuguée "Je suis" » 26 tandis que le second (le Moi ) « représente le contenu objectif de l’être que je suis, tant pour moi-même que pour les autres ; il comprend aussi l’état de mon être tel qu’il m’apparaît réfracté au travers de l’image ou de l’idée que je m’en fais » 27 . Pour le dire autrement, Je a la possibilité de se décliner sous différentes formes que nous appelons Moi . Autrement dit, le Je renvoie au signifiant tandis que le Moi renvoie au signifié. Ainsi, c’est « cette disjonction qui rend possible le mouvement par lequel le sujet se choisit et se fait obligateur de soi. Sans cette relation à soi impliquant distance à l’égard de soi, le sujet ne saurait en venir à se prendre pour objet, à se réfléchir. Le propre de la conscience est de le maintenir toujours à la fois en deçà et au-delà de ce qu’il est et de ce qu’il fait. C’est parce qu’il est capable de s’imaginer et de se juger, de se vouloir et de se voir, qu’il est en même temps capable d’exercer la fonction de sujet. Il faut en déduire que la fissure même et la disjonction qui font de l’être un sujet existant introduisent au cœur de l’être le pouvoir de jouer » 28 . C’est sans doute pour cette raison que J. Henriot nous invite à penser que « l’être-jouant du Je précède et fonde le jouer » 29 . Pour J. Henriot, le jeu « tient à l’intervalle qui sépare le sujet de lui-même, mais aussi lui permet de s’attacher à une image de soi sans la représentation de laquelle il ne pourrait se vouloir autre qu’il est » 30 . Par conséquent, le Moi et le Je ne peuvent pas être mis sur le même plan, et nous ne pouvons pas les considérer comme réciproquement identiques. Selon J. Henriot, c’est donc à partir de cette disjonction que s’instaure la capacité de jouer. Maintenant, essayons de lier ces données théoriques à la situation de Joseph. Précisément, essayons de les lier au changement de comportement (progressif et repérable) dont Joseph fait l’objet à partir du moment où il comprend qu’il est en train de jouer. Pouvons-nous imaginer qu’il s’est opéré un glissement d’un Moi à un autre Moi ? Autrement dit, pouvons-nous envisager que le Je et le Moi de Joseph, qui étaient apparemment mis sur un même plan, ont été (enfin) séparés ? Pouvons-nous supposer que son incapacité de jouer que nous avons repéré dans la première phase du jeu répondait en écho à la confusion Je-Moi à laquelle il était soumis ? À l’inverse, pouvons-nous supposer que sa capacité de jouer, que nous avons repéré dans la seconde phase du jeu répondait, quant à elle, en écho à la dissociation du Je et du Moi ? Notons ici que par Je , j’entends un Moi , un Moi qui fait que Joseph est perçu comme un mauvais garçon, un Moi qui amène l’autre (ses semblables) et l’Autre (le grand Autre) à les mettre sur un même plan. En écrivant ces lignes, je me rends compte combien ces partie de pétanque ont été bénéfiques pour Joseph. En apparence, et c’est ainsi que j’ai de prime abord vécu et analyser cette situation, nous retenons que Joseph a pu momentanément sortir de l’emprise que le réel a sur lui. Mais, lorsque nous approfondissons l’analyse de cette même situation, nous nous rendons compte, même s’il de s’agit que de pures hypothèses, que le jeu a permis une opération psychique chez Joseph, une opération qui de toutes évidences est venu s’inscrire dans la réalité de Joseph, une opération qui ne nous laisse pas indifférent dans le sens où elle est une valeur constitutive du sujet. Par conséquent, le jeu, dans cette situation, a donné à Joseph la possibilité de se montrer à lui-même et aux autres qu’il n’était pas seulement un "être de souffrance" et un être qui pose des problèmes aux autres en terme de comportement. Quand je repense à la situation vécue, je me dis que tout aurait pu être différent si par mésaventure je ne lui avais pas indiqué, à de nombreuses reprises, que nous étions en train de jouer au moment où nous jouions à la pétanque. Pour autant, je n’avais, à ce moment là, qu’une très petite idée de la portée de ces quelques mots. Aujourd’hui, après avoir tenté d’explorer cette situation, je me dis qu’ils ont peut-être joué un rôle important chez Joseph. Pour conclure, je retiendrai combien il est nécessaire, pour nous éducateurs, de veiller à ne pas enfermer les personnes qui nous sont confiées dans ce qu’elles tendent à nous montrer ou dans ce à quoi nous pouvons, en tant que pris dans le transfert, les réduire. Au contraire, je retiendrai, d’une part, qu’il est préférable de les amener à prendre conscience qu’elles ne sont justement pas que ce qu’elles nous montrent et, d’autre part, qu’il nous faut, en tant que professionnels, ne pas perdre de vue que nous pouvons facilement nous laisser emporter par ce qu’elles tendent à nous montrer.
Conclusion
Ce travail d’analyse aura été, pour moi, très riche en enseignements. J’ai beaucoup appris sur la dimension du jeu mais j’ai également beaucoup appris sur la question du sujet. Je réalise aujourd’hui que j’ai toujours accordé une grande importance aux « espaces de médiation » ; j’ai pu, à divers moments, en mesurer la portée mais je dois admettre que je ne leurs avais jamais reconnus les opérations psychiques qu’ils sont en mesure d’induire.
En regard des diverses expériences professionnelles et des diverses lectures qui marquent l’évolution de ma propre pensée, je constate aujourd’hui combien il est nécessaire, pour nous, éducateurs, de disposer de divers outils théoriques pour pouvoir, en définitive, intervenir professionnellement auprès de personnes qui sont en difficulté.
BIBLIOGRAPHIE
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Winnicott, D. W. , Agressivité, culpabilité et réparation , Petite bibliothèque Payot. Ce texte est extrait de D. W. Winnicott, Déprivation et délinquance , Payot, 2004, 144 pages.
Winnicott, D. W. , Jeu et réalité. L’espace potentiel , © Editions Gallimard, 1975, pour la traduction française. Traduit de l’anglais par Claude Monod et J.-B. Pontalis. Préface de J.-B. Pontalis. Titre original : Playing and reality , © D.W. Winnicott, 1971, 222 pages.
En cours de lecture:
Rouzel J. , L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée , © Editions Erès, 2005, 233 pages.
Freud, S. , Au-delà du principe de plaisir , In Essais de Psychanalyse, Payot, Paris, 1976.
GLOSSAIRE
Acte (passage à l’) : « Dans la théorie lacanienne, le passage à l’acte, généralement violent, traduit le "désespoir" du sujet, son impuissance à contrôler ses pulsions et trouver sa place dans la vie. Le passage à l’acte est motivé par une incontrôlable poussée à agir dans le sens symbolique du terme : il ne s’adresse à personne. Il est purement destructeur et traduit la victoire de la jouissance ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 23.
Ça : « Selon Sigmund Freud, le Ça est une instance de l’appareil psychique, c’est-à-dire à la fois un lieu psychique et le vivier des pulsions dépourvues de représentations. Cette instance est inconsciente ; elle serait selon Freud, directement liée à l’organique, et la satisfaction pulsionnelle est son seul objectif. Pour y parvenir, le Ça est en permanence en conflit avec les deux instances civiles : le Moi et le Surmoi ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 41.
Complexe d’Œdipe : « Le complexe d’Œdipe est une situation conflictuelle qui se présente à l’enfant entre 3 et 5 ans. Le noyau central de cette situation correspond à un investissement, un attachement amoureux et jaloux de l’enfant pour le parent du sexe opposé et un sentiment de haine ou d’ambivalence affective à l’égard de l’autre parent. Ce désir incestueux, cet amour exclusif doit être barré (castration) par le père afin que l’enfant y renonce et consente à l’autorité paternelle. En ce sens, le complexe d’Œdipe est un organisateur psychique aboutissant à la position hétérosexuelle et à la formation du Surmoi ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 46.
Comportement : « Un comportement est une séquence d’actes et de postures ayant une unité de signification, comme le comportement alimentaire par exemple. Il constitue une réalité observable, enregistrable, analysable et quantifiable. Il est une expression de la manière dont un être vivant vit les événements, construit son monde ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 46.
Freud (Sigmund) : « Neurologue autrichien (1856-1939), il est l’inventeur de la psychanalyse. Ses idées sont révolutionnaires : son expérience clinique le conduit à affirmer que les maladies mentales sont provoquées par des conjonctures sexuelles. La sexualité est à entendre dans le sens d’une "procédure", c’est-à-dire d’une manière de faire, de s’arranger tant bien que mal de la condition humaine, qui est le produit d’une alliance entre l’organisme vivant voué à la mort et le langage ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 69.
Frustration : « En psychologie et en éthologie, sentiment déterminé par l’absence ou la disparition d’un événement souhaité, mérité, etc. Il peut entraîner de la tristesse ou de l’agressivité ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 69.
« (…) Le Docteur R. A. Spitz dénonce les éducateurs naïfs qui croient souhaitable d’élever un enfant en lui évitant toute frustration ». Docteur R. A. Spitz, dans Mireille Lescure, « Les carences éducatives », Edouard Privat, 1978, page 96.
Spitz explique que « Plaisir et déplaisir ont un rôle également important dans le modelage de son psychisme et de sa personnalité. Faire disparaître l’une ou l’autre de ces influences affectives va déséquilibrer son développement. C’est pourquoi, élever des enfants suivant la doctrine d’une permissivité excessive conduit à des résultats assez déplorables. L’importance de la frustration pour le progrès du développement ne peut pas être surestimé ; après tout, la nature elle- même l’impose. En premier lieu, nous sommes soumis à l’effrayante frustration de l’asphyxie à la naissance qui provoque le remplacement de la circulation fœtale par la respiration pulmonaire. Les frustrations répétées et pressantes de la soif et de la faim viennent ensuite ; elles forcent le bébé à devenir actif, à rechercher la nourriture et à l’incorporer, (au lieu de recevoir passivement la nourriture à travers le cordon ombilical) et à activer et développer la perception. Le pas le plus important qui vient ensuite est le sevrage, qui oblige à se séparer de la mère et augmente l’autonomie du bébé ; et cela continue ainsi d’une étape à l’autre. Qu’est-ce qui fait croire à l’éducateur moderne, au psychologue de l’enfant ou aux parents, qu’il peut épargner à l’enfant le sentiment de frustration ». Docteur R. A. Spitz, dans M. Lescure, op. cit. , pages 96, 97.
Imaginaire : « En psychologie, monde construit par des images mentales qui sont plus ou moins éloignées de la réalité. On parle de l’imaginaire de l’enfant, par exemple. En psychanalyse, l’imaginaire fait partie des trois instances introduites par Jacques Lacan pour représenter la structure du sujet. Le registre de l’imaginaire fait référence à l’aliénation du sujet dans l’image de soi et renvoie au phénomène des identifications. Le stade du miroir montre que l’enfant ne prend conscience de lui-même que dans son image inversée que lui renvoie le miroir. Cette image va devenir le témoin de son existence et il va s’aliéner à elle. L’être humain se construit par des identifications à des traits qui ne lui appartiennent pas mais qu’il prélève sur ses semblables (il en construit son moi). Il croit se connaître mais il se leurre. Le travail de la cure analytique consiste à conduire le sujet à sortir de cet imaginaire par la reconnaissance des identifications comme étant étrangères à lui ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 81.
Lacan (Jacques) : « Ce psychiatre et psychanalyste français (1901-1981) utilise les connaissances de la linguistique, de la philosophie et de la logique afin de réaliser un "retour à Freud". Il fonde l’école freudienne de Paris en 1964. » Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 18.
Moi : Le Moi est « l’instance psychique relative aux identifications. L’enfant construit son Moi en prélevant chez l’autre (son semblable) des traits qui lui servent de repères et qui vont l’aider à être "conforme" au monde dans lequel il vit. Cette instance, contrairement au Ça, entretient de bonnes relations avec le principe de réalité. C’est le Moi qui sert de frontière pour que les pulsions (principe de plaisir) ne viennent pas empiéter et perturber la vie du sujet ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 103.
Nom-du-père : « Le Nom-du-père a une fonction symbolique, celle de conférer à l’enfant, lors du passage de l’Œdipe, un repère psychique structurant. Il s’agit d’une métaphore qui est une substitution du signifiant "désir de la mère" à un autre signifiant, le "Nom-du-père". C’est la loi qui sépare la relation fusionnelle et mortifère qu’il entretient avec sa mère (être tout pour elle, être le phallus), la castration symbolique. Cette métaphore sera donc réussie si il y a élision du désir de la mère. Ce désir supprimé (mis en suspension) fera apparaître pour l’enfant ce qui est désirable. Il pourra acquérir sa place singulière dans la triade familiale ainsi que dans l’ordre de la société ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 108.
Objet : « La psychanalyse attribue une signification particulière au mot objet. L’objet n’est pas considéré comme une chose mais comme ce vers quoi le sujet, inconsciemment ou consciemment, dirige ses investissements. Il est le moyen par lequel la pulsion cherche à atteindre son but, sa satisfaction (objet partiel), par exemple le sein. Par rapport à l’amour, il est ce qui est attrayant pour le sujet (objet total), par exemple une personne ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 109.
Opposition (crise d’) : Il s’agit d’un ensemble de comportements qui, le plus souvent, se manifeste chez l’enfant en réaction à sa famille. Pour Henri Wallon, vers 3 ans, c’est par cette opposition, par ce négativisme, que le moi de l’enfant se constitue : le non devient alors la réponse systématique à toutes les questions ou demandes qui lui sont adressées ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 112.
Père (imaginaire, réel, symbolique) : « La psychanalyse s’est confrontée très tôt à la difficulté de produire un concept unifié du père. Jacques Lacan propose d’ordonner les figures et les fonctions du père aux trois registres de l’expérience humaine : l’imaginaire, le symbolique et le réel.
Le père imaginaire, c’est la figure du père en tant qu’imaginé, souhaité et idéalisé par l’enfant ; il correspond à une image du père que le sujet s’est forgé en rapport avec son désir.
Le père réel, c’est l’homme qui trace la destinée sexuelle de l’enfant ; pour se faire, il doit signifier qu’il possède la mère. Cette position en fait l’agent de la castration de l’enfant.
Le père symbolique, c’est le père de la loi, il est équivalent au signifiant du père (Nom-du-père) et du père mort de Freud (Complexe d’Œdipe). Sa fonction, c’est la castration symbolique de l’enfant, soit l’"interdit" qui circonscrit la jouissance ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 115.
Principe de plaisir : « L’activité psychique a pour but d’atteindre le plaisir et d’éviter le déplaisir. L’accumulation de l’énergie pulsionnelle, sa non décharge, est déplaisir ; sa diminution par la décharge est plaisir (…) ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 118.
Pulsion : « Pour Sigmund Freud, la pulsion est le représentant psychique de l’organisme (excitations). Elle est une "énergie", et c’est elle qui incite le sujet à vivre. Elle se définit par :
- la poussée, c'est-à-dire le travail que doit réaliser le psychisme (c’est la force motrice) ;
- la source (c’est la zone organique où se manifeste l’excitation somatique, par exemple la zone oral) ;
- le but (c’est l’obtention du plaisir qui va décharger cette énergie, par exemple l’incorporation) ;
- l’objet (c’est le moyen que la pulsion va utiliser pour atteindre son but, par exemple le sein) ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, Dictionnaire de la psychanalyse et de la psychologie, Editions Milan, 2004, page 125.
Selon V. Lingiardi (médecin, psychiatre et psychothérapeute), « le comportement serait déterminé par le conflit entre différents facteurs psychiques présent en même temps chez l’individu et par un jeu de forces amorcées par une source instinctuelle, originelle : la pulsion » . Vittorio Lingiardi, « Les troubles de la personnalité ». Flammarion, 1996, page 36.
« J. Lacan mettra en exergue que l’objet, quel qu’il soit, ne satisfait jamais la pulsion, et, de ce fait, la pulsion est condamnée à retourner vers son point de départ, à exciter à nouveau la zone, et cela sans fin ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., 2004, pages 125, 126.
Réel : « Jacques Lacan a écrit : "Le réel n’a d’existence qu’à rencontrer l’arrêt du symbolique et de l’imaginaire". Le réel est donc une notion lacanienne qui ne se définit que par rapport au symbolique et à l’imaginaire. Le réel est la seule instance de la structure psychique du sujet qui ne peut pas se dire (la jouissance), contrairement au symbolique, et qui se soustrait à la pensée, contrairement à l’imaginaire. De ce fait, il limite ces deux autres instances auxquelles il est rattaché. Ce constat a pour conséquence que "l’effet de sens exigible du discours analytique n’est pas imaginaire. Il n’est pas non plus symbolique. Il faut qu’il soit réel…". C'est-à-dire qu’il intervient là où les mots s’arrêtent ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 130.
Signifiant : « Les processus que l’on trouve dans le champ analytique sont déterminés par l’autonomie et la logique du signifiant. Les phénomènes psychiques s’accomplissent au travers du symbolique, et Jacques Lacan va s’employer à démontrer les effets produits sur l’homme par le signifiant. Il écrit dans Le Séminaire , Livre I, Les Écrits techniques de Freud , 1975 : « Le signifiant, c’est le matériel audible, ce qui ne veut pas dire pour autant le son. Tout ce qui est de l’ordre de la phonétique n’est pas pour autant inclus dans la linguistique en tant que telle. C’est du phonème qu’il s’agit, c’est-à-dire du son comme s’opposant à un autre son, à l’intérieur d’un ensemble d’oppositions. » Les signifiants sont détachés de tout signifié, ils s’agencent entre eux en fonction de lois particulières et déterminent le sujet. L’être humain est aliéné à des signifiants non repérables dans le langage conscient et qui, dans un arrangement singulier, phonétique, le contrôlent et le maintiennent dans le phénomène de répétition. Le but de la cure analytique sera de repérer ces lois libres de tout contrôle du moi dans un ordre symbolique préexistant, étranger à l’activité consciente du sujet ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., pages 137, 138.
Sujet : « Instance qui est au cœur de la psychologie, définie comme science du sujet et de son fonctionnement psychologique (affectivité, cognition). En psychanalyse, il est "être de désir", sujet du désir qui ne se manifeste que dans « les formations de l’inconscient », comme le lapsus. Il se différencie du moi, relevant de l’imaginaire et obstacle à la connaissance du désir. La psychanalyse appelle donc « sujet » la partie de l’individu qui est désirante, inconsciente, inconnue. C’est cette partie qui échappe au contrôle et à la volonté de l’être humain et qui pourtant le détermine. Il n’est pas l’homme social, pas plus que le personnage idéal. Le sujet n’est pas à découvrir dans une quelconque profondeur. Il est les fils de chaîne et les fils de trame des mots dont chacun de nous, singulièrement dépendons ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 143.
Surmoi : « Instance psychique qui a pour rôle de contrôler le Moi. Le Surmoi pousse le sujet à rester fidèle à une conscience morale. Il le pousse parfois vers des idéaux impossibles à tenir. Il peut être sadique, exigeant, toujours plus…, il peut ne pas laisser le sujet en paix. Sigmund Freud a décrit cette instance comme s’étant formée par intériorisation des interdits parentaux. C’est une figure d’autorité qui rend coupable celui qui la défie. Jacques Lacan fait remarquer que la fonction du Surmoi excède celle du symbolique, qui est plus pacifiant pour le sujet. Il dira que cette instance qui parle sans cesse pousse à la jouissance. C’est la voix de la conscience qui ne tolère aucun écart et qui dicte la conduite du sujet de façon impérative : "Ne faites pas çà", "Ne dis rien, encaisse", "Tu es un sujet mauvais, tu dois payer", etc. ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 144.
Symbolique : « Pour la psychologie, le symbolique, c’est l’ensemble des signes ou symboles définis comme des substituts, des représentations de la réalité. Pour la psychanalyse, l’être humain est un être de langage et le symbolique traduit la structure de ce langage dont il dépend. L’ordre symbolique est une structure inconsciente universelle conçue comme la chaîne des signifiants extérieure au sujet. Ce fait inhérent à l’être humain a pour conséquence que c’est pas dans la signification que le sujet trouve "sa vérité", mais uniquement dans le "travail" des signifiants qui conditionnent sa vie ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 144.
Transfert : « L’individu qui consulte un psychanalyste et lui demande de l’aider, car, dans sa vie, "ça ne tourne pas rond", suppose que cet analyste sait quelque chose de la nature humaine et donc il va savoir quelque chose de lui. On dit que l’analysant suppose un savoir à l’analyste. Cette position de "demande" créé un lien de confiance, un lien affectif appelé "transfert" ». Evelyne Caralp et Alain Gallo, op. cit., page 149.
ANNEXE : anamnèse de Joseph
Il ne m’a pas semblé nécessaire de présenter la situation personnelle de Joseph dans sa totalité tant cette dernière demeure complexe. Je ne me référerai qu’aux éléments qui pourront nous servir pour alimenter le chapitre consacré à l’analyse de la situation.
Joseph est né le 12 mai 1993. Il a donc à peine plus de 13 ans. Il n’a jamais connu son père (il porte le nom de famille de sa mère) et vit depuis toujours avec sa maman. Il convient ici de préciser que cette dernière a été placée dans une Maison d’Enfants à l’âge de 16 ans. (C’est en ce lieu qu’elle a connu le père de Joseph.) Joseph a un frère, Sylvain, né le 2 mars 1996 (ce dernier porte également le nom de famille de sa mère).
En février 1999 (Joseph a 5 ans et 9 mois environ et son frère a presque 3 ans), la maman de Joseph bénéficie d’une mesure d’Aide Éducative à Domicile suite à un signalement qui, après évaluation, avait aboutit aux constats suivants :
- Pas de maltraitance de fait ;
- Instabilité, fragilité et culpabilité de la mère ;
- Enfants insécurisés, problèmes de limites.
D’un point de vue général, l’évaluation de la problématique a mis en évidence une relation fusionnelle mère/enfant particulièrement installée avec Joseph, un état dépressif de la mère limitant considérablement une progression sur le plan éducatif. Par ailleurs, la maman de Joseph a pu exprimer certains événements de sa problématique personnelle : antécédents de toxicomanie ; dépendance au subutex ; fond dépressif important lié à des traumatismes personnels antérieurs ; souffrance qui l’empêche d’assumer son rôle de mère et qui la met en situation d’échec à répétition. La mise en lumière de ses difficultés personnelles l’amène à prendre la décision de se faire soigner (sevrage aux produits de substitution) : du mois de novembre 2000 au mois de décembre de cette même année, elle est hospitalisée. Joseph, qui est âgé de 7 ans et 6 mois, bénéficie d’un A.P. dans une Maison d’Enfants et son frère est accueilli à la Pouponnière.
Malgré des avancées de la maman de Joseph en début d’année 2001, l’efficacité de l’aide éducative trouve ses limites auprès de cette mère qui peut vite se décourager et qui a du mal à changer son fonctionnement vis-à-vis de ses enfants. La relation avec Joseph révèle un dysfonctionnement chronique dont mère et enfant ont du mal à sortir.
La maman de Joseph s’efforce d’évoluer dans ses attitudes éducatives. Joseph résiste, s’oppose, provoque et essaie parfois de pousser sa mère à bout (paroles, regards, passages à l’acte…). Sylvain s’adapte un peu mieux même s’il peut réagir par des caprices, des cris…
Devant la persistance des difficultés, un A.P. dans un foyer sur les mercredis, certaines soirées ou nuitées, en fonction de l’état de la maman ou en fonction de ses demandes ou de celles de Joseph, est mis en place pour Joseph. Cet accueil a pour objectif :
- De faire baisser la tension que revêt, à certains moments, la relation mère/fils, permettre une prise de recul, limiter les conflits susceptibles d’entraîner une escalade et des passages à l’acte ;
- D’aider Joseph à accepter, donc à mieux intégrer les règles, limites éducatives et sociales et à se repositionner à sa place d’enfant, par rapport aux adultes et aux autres enfants ;
- D’aider la maman de Joseph, par un soutien renforcé et la sécurisation apportée par l’accueil relais, à continuer à évoluer dans son positionnement parental.
Cet A.P. (souple et séquentiel) prend effet le 18/12/2001. Il sera reconduit à deux reprises et il se terminera le 01/08/2004, l’équipe du Foyer souhaitant laisser « une chance » à la maman de Joseph dans son rôle mais émettant des doutes importants sur l’évolution de Joseph. Durant ces trois années, tout un travail de partenariat est mis en place entre l’intervenante en Aide Éducative à Domicile, la psychologue du C.M.P.P., le foyer et la maman de Joseph.
Les bilans font apparaître pour la maman de Joseph :
- Une lucidité quant à ses difficultés, une demande d’aide et des efforts pour changer de fonctionnement ;
- Des périodes d’état dépressif très importants ;
- Problème de distance et de cohérence dans son mode de relation aux enfants, surtout vis-à-vis de Joseph (cadeaux démesurées, sanctions sans fin).
Pour Joseph :
- Une évolution en dent de scie, passant par des états où la séparation d’avec sa mère le stabilise puis lui devient insupportable ;
- Enfant très intelligent, cultivé, capable de réussite scolaire importante ;
- Est conscient du rôle séparateur et médiateur du Foyer vis-à-vis de sa mère. Il apprécie cette aide mais son vœu le plus profond reste de vivre chez lui ;
- Difficulté de se soumettre aux règles et limites posées par l’adulte ;
- Questionnements autour de « l’abandon » de son père et de l’échec du couple parental ;
- Souffre de la situation : cauchemars, difficultés d’endormissements, eczéma ;
- Arrogant et désobéissant avec sa mère.
Du 1er août 2004 jusque fin août 2005, la maman de Joseph, qui bénéficie toujours d’une Aide Éducative à Domicile, a pu tenir à minima sa fonction parentale mais dès la rentrée de septembre 2005, elle a exprimé sa fatigue, sa détresse, sa peur de « craquer ». Autrement dit, les difficultés parentales persistent. Par ailleurs, la dépendance aux produits est toujours présente ; elle ne dort plus la nuit, s’endort sur le matin et se réveille en fin de matinée. Le médecin qui la suit constate de nouveau un état dépressif. En outre, sa situation financière se dégrade. Les conflits et les difficultés augmentent avec les enfants. Joseph, qui pourtant obtient de très bons résultats scolaires, est renvoyé du collège en décembre 2005. Un A.P. pour les deux enfants est proposé à la maman de Joseph qui l’accepte. Il s’étend sur une période allant du 19 décembre 2005 au 31 août 2006. Joseph est placé dans une Maison d’Enfants et son frère est accueilli par une assistante familiale.
Le bilan qui est dressée par les professionnels de cette institution au sujet de Joseph n’est pas très positif : s’ils s’accordent tous à dire que Joseph est un jeune qui a de réelles capacités intellectuelles et qu’il est capable d’une réussite scolaire importante, ils constatent en revanche qu’il continue à vivre dans un état de souffrance important et que son comportement est de plus en plus déviant (non respect des règles, vols, dégradations). Une plainte sera même déposée contre lui suite à un vol de bouteilles chez un viticulteur qui habite à proximité de la Maison d’Enfants.
Son accueil au sein de cette structure touche à sa fin et une demande de protection judiciaire est envisagée dans l’objectif de lui apporter le cadre structurant nécessaire à son évolution. Sa mère vit douloureusement cette demande, se jugeant responsable des difficultés grandissantes de son fils et expliquant qu’il ne va pas bien car elle n’est pas une mère suffisamment capable. Le 25 juillet 2006, Joseph est placé à la Maison d’Enfants où j’effectue mon stage. Il s’agit d’un A.P. : sa prise en charge s’étend sur la période de vacances scolaires. À la fin du mois d’août, Joseph quitte la Maison d’Enfant pour partir en « séjour de rupture ».
Décembre 2006
1 R. Caillois, Le jeu et les hommes, © Editions Gallimard pour l’édition revue et augmentée, 1967, pp.42/43.
2 J. Henriot, Le jeu, Ó Presses Universitaires de France , 1969, p.48.
3 J. Piaget, dans : Jacques Henriot, op. cit., p.50.
4 J. Henriot, op. cit., p.51.
5 S. Freud, Au-delà du principe de plaisir , In Essais de Psychanalyse, Payot, Paris, 1976, p.17.
6 J. Henriot, op. cit., p.54.
7 J. Henriot, op. cit., p.72.
8 J. Henriot, op. cit., p.75.
9 J. Henriot, op. cit., p.87.
10 J. Henriot, op. cit., p.79.
11 J. Henriot, op. cit., p.80.
12 J. Henriot, op. cit., p.87.
13 J. Henriot, op. cit., p.88.
14 J. Henriot, op. cit., p.88.
15 J. Henriot, op. cit., p.89.
16 J. Henriot, op. cit., p.90.
17 Pascal, dans : J. Henriot, op. cit., p.98.
18 J. Henriot, op. cit., p.100.
19 J. Henriot, op. cit., p.101.
20 J. Henriot, op. cit., p.104.
21 J. Henriot, op. cit., p.9.
22 J. Henriot, op. cit . , p.49.
23 J. Henriot, op. cit., p.91.
24 J. Henriot, op. cit., p.92.
25 J. Henriot, op. cit., p.92.
26 J. Henriot, op. cit., pp.92/93.
27 J. Henriot, op. cit., p.93.
28 J. Henriot, op. cit., p.93.
29 J. Henriot, op. cit., p.94.
30 J. Henriot, op. cit., p.95.