jeudi 09 février 2012
« I’ve a dream », après avoir croisé le bus
Ce matin, 7h17, je mets le contact. C’est reparti pour une journée de labeur. Les lumières de la ville, les phares des voitures aussi matinales que la mienne, les feux, rouges, verts etc… Je descends la grande artère principale qui me conduit de chez moi aux boulevards intérieurs, qui, eux, me tracent la route jusqu’au bureau. Et c’est à cet endroit même de cette artère que je croise un bus qui affiche, « ce bus ne prend pas de voyageurs ». Aussitôt, je complète l’annonce par « mais il prend des rêveurs », voilà c’était fait, la machine à imaginer était en mouvement…
Dans ce bus qui fait le tour des popotes institutionnelles se trouvait un chauffeur à grosse moustache noire, que l’on appelait affectueusement « Zarathoustra », en hommage à l’illustre Friedrich. Zarathoustra recueillait sur le bord des institutions, les rebelles au système gestionnaire que la loi 2002-2 avait infligé aux secteurs du social et médico social, et les conduisait à l’ »Agorive ». Espace en demi-lune et dont le nom renvoyait à l’espace public et à la fonction de l’éducateur en tant que passeur d’une rive à l’autre, était voué à la dispute éducative, où ceux qui pensaient encore, venaient faire échouer leurs aphorismes contrariés par les tenants du cognitivisme.
Et c’est en cet endroit que naissaient de nouveaux établissements et que la question de l’éthique s’imposait.
L’éthique… Nombre de controverses s’inscrivaient autour de cette posture, chacun y proposant son grain de sel avec pour seule préoccupation la question du sujet au cœur de la cité, «
De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables
»[1], disait Joseph en citant Jacques Lacan, encore un fou pensant pour les managers, dis-je.
Mais heureusement, les débats fleurissaient toujours, ils exposaient des préoccupations au centre de l’esplanade, dont une qui interrogeait l’éthique au cœur de la relation éducative.
Comment pouvait-on parler de relation sans évoquer la question de l’éthique ? Cela leur était intenable que l’on puisse ne pas adhérer à ce point de vue et encore plus insupportable que l’esprit n’en soit même pas effleuré. D’autant que certains osaient prétendre la neutralité de la relation. « Aberration !!!! », hurlaient-ils à travers l’Agorive, car « dire comme on l’entend souvent, et comme parfois on l’enseigne malheureusement dans les écoles de travail social, sous le prétexte d’une neutralité bien illusoire, qu’il s’agit de travailler sans tenir compte de ce qui est touché en soi dans toute rencontre éducative, est une bêtise. Il s’agit au contraire d’apprendre à faire avec. Un éducateur, pas plus que tout un chacun, n’est ni de marbre, ni de bois. »[2]
La relation ne saurait être neutre en ce qu’elle est de fait, bien dérangeante, « que vient-il me demander celui-ci ? », « que me veut-il ? » complétait Joseph[3], « que me prête-t-il ? » surenchérissait Sigmund, bien évidemment la relation ici, invite à la convocation de soi à travers l’autre et de l’autre à travers soi, cette relation qui nous fabrique « humain » et ce mot que les gestionnaires exècrent, le « transfert »[4]. Alors pour soutenir cette insoutenable proposition aux oreilles managériales, tous ces impossibles éducateurs rappelaient dans leurs controverses avec la société consumériste, que l’institution n’était pas une entreprise mais le lieu où se lie et s’unit ce qui maintient ensemble une coalition humaine. Qui dit humanité, dit relation… qui dit relation parle de rencontre humaine et pour l’éducateur il s’agit bien d’une rencontre éprouvante avec des sujets en souffrances.
Forts de ces propos, tous ces « éduc-rêveurs », voyageurs de l’improbable réponse à apporter aux sujets en souffrance, prirent la décision d’inscrire au cœur de leur praxis la question de l’éthique,… laisser le sujet advenir et l’accueillir. Alors il leur fallait un lieu, une institution. Ils demandèrent à Jean un avis.
Une institution libre !!! Voilà ce que dessinait la pensée de Jean. « Une institution au service du transfert » dit-il en adressant un clin d’œil à Sigmund, non loin de là. Oui, il s’agissait de faire de l’institution l’espace de possibles rencontres et l’espace d’une fonction du côté de l’étayage et de l’accueil. Il fallait donner un nom à ce lieu éducatif, comme chacun se désespérait de l’ambiance consumériste et managériale de la cité, avec un humour cynique qui en disait long, ils s’adressèrent à Thomas… et la nommèrent « Utopia » !!!!
Un lieu sans lieu ? Etait-ce possible ? Non, bien sûr… mais en ces temps scientistes et rationnalisés au nom du coût et de l’ordre dans les rangs, les « éduc-rêveurs » redonnait du sens à la rencontre en ne trouvant qu’un seul lieu possible, la relation ! Drôle de vocable, en cette époque Que Georges et Ray avaient anticipé quelques années plutôt dans leur littérature témoin de la catastrophe humaine que l’humanité vivait aujourd’hui, la bêtise cognitiviste !!!!
Utopia… disait en son nom, le manque d’espace à la pensée. Ainsi fût bâtie l’institution quand à mon grand étonnement je me retrouvais à tourner la clé dans la serrure de la porte du bureau… La bêtise institutionnelle se rappelait à moi ! Réunion, 10h, avec la direction générale, objet : « l’accompagnement au changement », mais quel changement ????
Laurence Lutton, cadre pédagogique
[1] Joseph Rouzel, Le transfert dans la relation éducative , éd. Dunod, 2002
[2] Joseph Rouzel, Op. Cit., p.5
[3] Joseph Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé, éthique et pratique , Dunod, 2 ème édition, 2004
[4] Joseph Rouzel, Mise au point sur deux concepts : sujet et transfert, « L’étymologie du mot « transfert » nous fait remonter jusqu’à une racine indo-européenne : « bher » qui se décline en – pher, en grec, donnant naissance à pherein , porter, phoros , porteur, et à métaphorein (d’où est issu notre métaphore) : qui porte au-delà . », Psychasoc, 28 décembre 2006
I've a dream
Lutton
jeudi 16 février 2012