vendredi 30 novembre 2012
Faire intégrer la loi (les limites) pour éviter l'enfant-roi
La remise en cause des sociétés patriarcales a permis, dans les pays occidentaux, d’inscrire dans la loi et avec l’approbation d’une très grande majorité des populations, l’égalité entre les hommes et les femmes. Ces conquêtes féministes ont bouleversé la place de l'homme et de la femme dans la famille. Les rôles traditionnels sexistes ont été abandonnés et si le partage des tâches n'est pas encore totalement équilibré, il est possible de dire, que les hommes passent beaucoup plus de temps qu'avant à s'occuper de leurs enfants et le font beaucoup mieux. L'éducation de ces derniers est même devenue une priorité pour les parents modernes soucieux de leur assurer le meilleur avenir possible. Et pourtant, les assistants maternels, les enseignants, les éducateurs le disent, ils sont confrontés, de plus en plus, à des enfants difficiles à gérer... ! Alors, est-ce une fatalité ? ...
Pendant des siècles, les rôles des hommes et des femmes ont été cadrés avec rigueur par la société patriarcale. Depuis le XVème siècle, celle-ci a été contestée par une vision du monde que l’on peut appeler « féministe » dans la mesure où elle est totalement opposée à l’autoritarisme et au sexisme des hommes au pouvoir. Elle a favorisé la montée des idées libérales et avec elles des idées démocratiques.
La démocratie a fait d'énormes progrès en un siècle. Elle reste malgré tout encore difficile à exercer dans la famille et dans l’éducation des enfants. L’interprétation des valeurs de liberté et d’égalité conjuguée à l’évaporation de l’homme ne simplifie pas la tâche. Faire intégrer les limites indispensables aux enfants est ainsi devenu de plus en plus problématique et les conséquences sont visibles à l’école et dans toute la société.
Les règles ne sont plus aujourd’hui dictées à tous par des autorités incontestables. Considérées comme des obstacles à la liberté, elles sont soit oubliées, soit inventées dans l’instant et suivant des impressions personnelles. S’il semble difficile de les concevoir, il est encore plus difficile de les fixer et de savoir non seulement comment mais par qui.
La loi donne maintenant l’autorité « aux pères et aux mères ». En ne disant pas encore « aux parents », mais « aux pères et aux mères », cette loi pointe nettement la différence des sexes que l’idéologie égalitariste a parfois des difficultés à assumer. Et pourtant, la petite fille mise au monde par une personne du même sexe qu’elle et le petit garçon né d’une personne du sexe opposé n’ont pas le même rapport avec la maman qui leur a tout apporté et qui pour cela est perçue toute-puissante. Quand, en découvrant la différence des sexes, l’une se sent, comme sa référence, hors des limites, l’autre souffrira de ne plus pouvoir s’identifier à son modèle premier. Pour supporter cette castration psychique primaire, il a besoin de la refouler en se prouvant qu’il n’a jamais voulu devenir comme sa maman et qu’il n’a donc aucune raison de souffrir. Pour cela, il lui faut dénier sa fascination pour le féminin et se persuader qu’il est préférable d’être un garçon. Ceci l’amène à exhiber ses attributs masculins et à dénigrer ce qui appartient à la féminité. Si ce machisme grotesque n’a pas lieu d’être cautionné par l’adulte, il est pourtant indispensable pour l’enfant qui a besoin, à ce moment, de trouver un modèle d’homme dont il est fier pour pouvoir sortir de sa sidération de la femme et se construire différemment.
Cette structuration différente du psychisme conditionne le rapport à la loi. La maman n’est perçue ni comme le papa et ni pareillement par les petits garçons et par les petites filles. Fantasmée toute-puissante, elle ne peut jouer les mêmes fonctions symboliques que le père. Ce qu’elle fait et dit est toujours interprété différemment par le tout petit enfant qui, s’il peut enregistrer énormément de sensations n’a pas encore les moyens de tout comprendre. Cette maman peut tout à fait faire preuve de sévérité. Si elle fixe seule des limites sans faire intervenir un tiers, l’enfant peut lui obéir mais cherche surtout à lui faire plaisir pour ne pas la perdre. Son but est de la copier pour rester dans la toute-puissance avec elle. Quand la maman veut le limiter, l’enfant lui n’a en fait qu’une idée : l’imiter. Et même s’il ne ressent pas un chantage affectif, il n’est jamais question de loi à respecter puisque les mots viennent d’un lieu où, pour lui, la limite n’existe pas. Il reste hors la loi (contrairement à l’enfant victime de l’autoritarisme qui peut la rejeter, lui, ne la connaît pas !).
Le compagnon (qui n’est pas forcément le géniteur ou le papa) n’a pas mis au monde l’enfant et a « neuf mois de retard ». Il n’est pas perçu tout-puissant. Il peut faire intégrer les limites aux enfants. Pour cela il doit non seulement jouer la fonction symbolique de père en disant la loi mais aussi être écouté. Et il ne le sera que s’il est nommé père et donc valorisé par la mère.
En consentant à se présenter comme quelqu’un qui écoute le père, la maman entre alors dans la fonction de mère. En lui donnant l’autorité, elle signifie à l’enfant qu’elle n’est pas toute-puissante puisqu’elle manque et qu’elle a besoin de quelqu’un. Cet homme mérite alors d’être écouté et la loi à laquelle il se plie et qu’il se contente de dire (il ne s’agit pas de faire sa loi), sera plus facile à accepter. L’exemple de ses parents acceptant leur non toute-puissance (L’homme au pouvoir absolu ne peut être dans la fonction de père) permettra aussi à l’enfant de mieux assumer sa propre castration.
Il semble donc que le tout petit enfant qui ne voit pas la réalité comme l’adulte, ait besoin de ce jeu pour intégrer la loi dans les premières années. Ce n’est que s’il l’assimile à cet âge, qu’il pourra, par la suite et après des années d’explications, comprendre que la loi puisse être dite aussi par la mère. Si la tendance est de le considérer très vite comme un grand, lui n’aspire qu’à fusionner avec sa maman. De même qu’il a eu des difficultés à supporter que sa maman ait eu besoin d’un homme pour enfanter (le mythe de la vierge Marie), il résiste longtemps à admettre que sa maman puisse être limitée et dans la loi. C’est en effet, pour lui, assumer qu’il n’est pas tout-puissant alors qu’il veut rester l’enfant-roi sans contrainte ! C’est pour cela qu’il reste longtemps nécessaire de répéter ce qui n’est qu’un jeu.
La maman pouvait parfois se soumettre par obligation et faire de l’homme un ennemi à l’autoritarisme inefficace. Elle doit aujourd’hui faire jouer ce jeu à un homme qui doit s’efforcer de se faire aimer pour le mériter, parce que c’est nécessaire pour l’éducation des enfants et pour bien vivre ensemble.
La différence des sexes est une limite qui n’autorise pas les discriminations. Lorsqu’elle est assumée et donc gérée, elle permet aux hommes et aux femmes d’entrer en relation, de se structurer et de grandir. Elle n’est pas la cause ou la conséquence de la guerre des sexes mais au contraire source de liberté !
* Avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Jean GABARD
Auteur de « Le féminisme et ses dérives – Rendre un père à l’enfant-roi »,
Les Editions de Paris, réédition novembre 2011