mercredi 21 décembre 2005
Intro
Lorsque j’ai proposé ce titre, mon intention était de faire ressortir une tension, un paradoxe souvent exprimé entre différentes conceptions de la formation des éducateurs. Il existe, en effet, plusieurs positions idéologiques antagonistes qui sont souvent citées, en référence, par leurs tenants pour défendre telle ou telle proposition. Pour ma part, je souhaite, autant que faire se peut, me tenir en dehors de l’idéologie et rester le plus pragmatique possible. Je vous propose donc de partir de la pratique éducative pour chercher à définir, non pas une conception de la formation, de faire un tri entre ce qui me paraît central dans la formation et l’accessoire.
Savoir, savoir être et faire savoir : le trépied de l’éduc .
Pour aborder le plus simplement possible ce qui fait le cœur du métier d’éducateur, je vous propose une petite vignette d’illustration.
Un repas dans un établissement accueillant des enfants déficients intellectuels léger (ime). L’éducateur est assis avec 3 enfants à sa table, l’un, Paul , refuse de manger, Pierre lorgne lourdement vers la table des filles, et Jaques ne semble avoir d’autre but que de raconter tout et n’importe quoi.
Notre éducateur décide de lancer un sujet de conversation commun, le récit de la matinée en classe, tout en encourageant pierre à entamer son repas. Résultat : fiasco total, Paul ne change pas d’attitude, Pierre se lève pour mieux parler aux filles et jaques ne semble même pas avoir entendu la question de l’éduc et poursuit dans sa logorrhée.
Petit haussement de ton de l’éducateur, sans prévenir Paul jette son assiette par terre. Elle éclate dans un grand bruit en projetant de la sauce tout autour, ce qui provoque un grand silence dans la pièce pourtant occupée par 20 enfants et 6 éducateurs.
Arrêtons ici la scène et, pour une fois, laissons les enfants pour nous préoccuper de l’éducateur. Reprenons la question si souvent posée : Que fait il ?
Son travail, ici, est d’aider les enfants à mieux aborder ce haut lieu de la vie sociale qu’est le repas. Or ces trois protagonistes résistent manifestement pour des raisons différentes. Pour la suite des évènements, l’éducateur va devoir s’appuyer sur plusieurs éléments :
-La connaissance qu’il a des chacun de ces enfants. Le travail éducatif s’inscrit dans la durée. Un éducateur travaille auprès de personnes presque 35 h par semaine et le temps passé en commun, lui a permis de réaliser des observations précises. Ce travail a été mis en perspective par les connaissances qu’il a de l’anamnèse de l’enfant, des observations des autres collèges, psychologues, cadres… etc. Enfin ces éléments ont été travaillés en équipe. Ainsi l’éducateur s’est forgé lentement un point de vue, une théorie quant aux difficultés personnelles de Paul, de Pierre et de Jaques. Il a pu s’appuyer sur ses propres connaissances en psychologie, en psychiatrie, en systémique… pour ne pas subir la crise frontalement et pouvoir la mettre en perspective.
-La relation qu’il a avec chacun de ces enfants. Travailler auprès des mêmes enfants dans la durée n’engage pas qu’une position technicienne. Petit à petit, une relation se noue entre l’éducateur et chacun de ces enfants. Lacan nous dit que le transfert c’est de l’amour. Sans doute pourrait on dire, sans trahir sa pensée, le transfert c’est de l’amour, de la haine, du mépris de l’adoration.. . Bref un très large ensemble de sentiments humains. Etre éducateur, c’est s’exposer à devenir la cible de sentiments plus ou moins échevelés, mais aussi à en éprouver beaucoup. Dans notre exemple, la relation éducative déjà instaurée, va permettre à l’éducateur de se situer. Il va pouvoir replacer cet événement dans une histoire partagée. Peut être est ce la première fois, peut être Paul est il coutumier du lancer d’assiette…
Ma manière de traiter cet aspect peut paraître un peu rapide aux éducs, car ils savent que la trame relationnelle ne se limite pas à la relation entre l’éducateur et Paul, mais que les regards de Pierre et de Jaques se sont brusquement acérés après que l’assiette ait éclatée, guettant la réaction de l’éduc qu’ils vont prendre en compte pour eux même. Mais ce n’est pas tout car le regard des 5 autres éducs, et du chef de service se sont également portés sur lui, et c’est sous les feux de la rampe que l’éducateur va devoir réagir au bris de l’assiette.
Pour rassembler ces propositions, je vous propose de distinguer deux grands champs de compétences de l’éducateur, d’une part ce qui se rapporte au savoir et d’autre part ce qui a trait au savoir être. Puis nous aborderons le troisième pied de l’éducateur, le faire savoir.
-Le savoir : L’attitude de Paul pose question ! Pour l’éducateur, il va falloir réagir « a chaud » mais aussi, dans un deuxième temps, s’interroger sur l’énigme que lui propose Paul. Pour cela, il est tout a fait évident que l’éducateur doit asseoir sa pratique sur des champs de connaissances reconnues. En particulier, le droit me semble particulièrement important dans la mesure où il délimite l’intervention de l’éducateur. Le secret professionnel, la question des interdits en matière de sanction, les révolutions des lois du 2 janvier 2002 et du 12 février 2005, sont autant de cadres de l’action des éducateurs qui ne peuvent être éludés. Mais l’éducateur ne peut non plus se passer de connaissances en psychologie, en psychanalyse, en psychopathologie… De plus, indépendamment des compétences propres de l’éducateur, le travail d’élaboration réalisé dans l’institution, au long des réunions d’équipes où vont se croiser les regards venant de champs professionnels différents, va constituer, peu à peu, un regard particulier, plus aiguisé, au sujet de Paul.
-Le savoir être : Le travail auprès de publics aussi particuliers que les enfants déficients, les toxicomanes, les personnes gravement handicapées demande d’adopter des attitudes particulières. Des notions d’empathie élémentaire, de respect sont de mises. Mais l’éducateur doit aussi savoir garder pied dans les jeux relationnels complexes suggérés par ses vis à vis. C’est une véritable posture professionnelle que l’éducateur va devoir se construire.
Ainsi, dans notre exemple, s’il pense que Paul est confronté à des difficultés d’ordre psychotique d’envahissement de sa personnalité par le bruit ambiant, il ne serait pas choquant qu’il le prenne dans ses bras pour le rassurer. Par contre, s’il pense que Paul a jeté son assiette pour provoquer l’autorité dans la mesure où ses difficultés sont liées à une intégration difficile de la loi, alors une bonne remontée de bretelles sera de mise.
-Le faire savoir enfin : Une action éducative qui resterait dans l’entre deux ou l’entre plusieurs d’une relation, même étayée de savoirs savants resterait sans doute sur place. Il faut encore, pour l’éducateur rendre compte de ce qu’il a fait pour pouvoir mutualiser les intelligences. Ainsi l’éducateur, après son repas, pourra partager ses impressions avec ses collègues, il rapportera l’événement dans un cahier de liaison ou d’observation. Plus tard, lors de travail d’équipe, cette petite tranche de vie sera mise en relation avec d’autres et un sens se dégagera. Mais aussi, on l’oublie souvent, l’éducateur pourra « reprendre » la petite crise avec Paul. Cela peut donner : « tu as encore lancé ton assiette à midi, bon, tu est punis, mais qu’est ce qui t’a pris ? Tu n’a pas voulu me dire que cela n’allais pas ? » Rendre compte de son action auprès du « bénéficiaire » c’est aussi lui donner la possibilité de dépasser l’agir de l’instant.
Le rendre compte se décline sur plusieurs niveaux. Celui de l’enfant trop souvent oublié, celui de l’équipe lors de réunions cliniques, de l’institution tel que la loi du 2 janvier le définit maintenant et enfin celui des instances décisionnaires (JE, CDES…)
Vers l’éducation spéciale.
Pour quelle raison les éducateurs interviennent ils auprès de leurs « bénéficiaires » ? De quoi bénéficient donc les personnes ayant à faire avec des éducateurs ? La raison doit être importante puisque le prix de journée des établissements peut être très élevés(de 500 à 700 Euros pour les CER)
Le truisme serait de répondre « Les enfants sont confiés à des établissements pour leur délivrer une éducation » la réponse que je préfère est celle que Joseph Rouzel nous propose « pour délivrer une éducation spéciale ». C’est plus précis qu’éducation spécialisée dont on voit mal en quoi elle est spécialisée. Spéciale car individualisée, adaptée à l’enfant et à ses difficultés singulières (alternative ou complémentaire à celle des éducateurs naturels : les parents). Spéciale également car délivrée par des personnes particulières, formées pour cela : les éducateurs.
C’est dans c’est dans sa capacité à lier des connaissances avec un comportement authentique que l’éducateur va tirer la légitimité et surtout l’efficacité de son action. Revenons à l’éducateur, figé avant sa réponse. Il ne s’en tirera pas en débitant à l’enfant une tirade sur l’importance de la nutrition ou de la bienséance. Il va sans doute réagir avec ses tripes, mais en ayant intégré, au préalable, toutes les données relatives au « savoir » Pour produire un discours qui ne serait pas du semblant, pour reprendre l’expression lacanienne, l’éducateur va devoir avoir opéré, au préalable, une assimilation de savoirs très divers, et en tenir compte pour produire une réponse valable.
Si l’éducateur récite une réponse qu’il croit la bonne, de manière plaquée, ses attitudes, le grain de sa voix son corps vont trahir et contredire le contenu de ce qu’il a dit. Sa compétence première, c’est d’être capable de prendre en compte l’ensemble des éléments théoriques et cliniques concernant Paul, et de lui donner une réponse authentique non récitée donc vraie. C’est un véritable engagement de sa personne, un acte de création dont il s’agit.
En reprenant l’exemple qui nous sert de fil rouge, au moment où les débris de l’assiette de Paul viennent de retomber. Le silence s’est fait et tous les regards se sont tournés vers la scène. Ce que va dire l’éducateur deviendra l’une des petites briques, qui mises ensemble deviennent la fameuse éducation spéciale délivrée à Paul dans cet établissement. L’enjeu n’est donc pas mince. Pour définir l’éducation spéciale délivrée à Paul, il est possible de dire qu’elle est constituée, très concrètement de toutes les interactions que Paul aura avec l’ensemble des éléments de l’institution. Le rapport qu’il avec les éducateurs est la part la plus importante, mais il ne faut pas négliger ce qu Winnicott nous rappelle dans un beau texte intitulé « le placement en institution considéré comme thérapeutique » :
« je devais bientôt découvrir que, dans cette institution, les véritables thérapeutes étaient les murs et le toit, la serre dont les vitres servaient de cibles aux briques…//… Les véritables thérapeutes, c’étaient aussi le cuisinier, la régularité des repas, les couvertures assez chaudes et parfois même agréablement colorées… »
Pour résumer tout cela, l’éducation spéciale, c’est l’ensemble des actes éducatifs des éducateurs dans le cadre fixé par l’institution.
Or si nous venons de définir assez succinctement le contenu de cette éducation spéciale comme l’assemblage de trois champs de compétences de l’éducateur (savoir, savoir faire et faire savoir), c’est pour mieux observer la manière dont la formation des éducateurs les préparent à leur futur métier.
Les mémoires.
Je ne suis pas formateur. Cette conception du métier d’éducateur que je viens de développer est avant tout la mienne. Si j’ai accepté avec plaisir cette occasion de prendre la parole autour du thème de la formation des éducateurs, c’est que j’ai le sentiment que les écoles délivrent une formation de plus en plus éloignée de que je viens de décrire.
Par le biais de quelques articles que j’ai rédigé, j’ai attiré l’attention d’étudiants qui ont bien voulu me faire parvenir leurs mémoires en cours de rédaction pour que je le lise, et leurs donne un avis. Par ailleurs, j’ai suivi de nombreux stagiaires. Or j’ai été très étonné de certaines problématiques de mémoires. Quelques exemples : usages et mésusages de la résilience, mémoire sur le déterminisme, La psychose dans un IME… A chaque fois, j’ai eu l’impressions que ces étudiants cherchaient à confirmer sur le terrain ce qu’ils avaient lu dans les livres. Très souvent la logique était de partir d’un champ théorique, ou d’une catégorie sociologique (populations migrantes, psychotiques…) pour partir à la recherche de ce qui serait une bonne pratique. Or, si l’on s’en tient au type d’éducation que je vient de proposer, alors, il devient évident que ce qui est utile à l’éducateur, ce n’est pas d’avoir des compétences théoriques, mais de se construire un « savoir être » fondé sur des connaissances. La première remarque que je me suis faite est que l’on forme les éducateurs à l’envers.
En poursuivant cette démarche d’observation un peu distanciée, il est des questions qui naissent spontanément. De quel suivi bénéficient les étudiants ? Quel est le lien véritable entre ce qui se vit en formation et en stage ? Comment aider les étudiants à avoir des connaissances transférables et utilisables en pratique ? J’ai donc cherché à échanger avec des formateurs et des étudiants. Une rapide étude sémantique quant à nos échanges m’a ramené inexorablement à un signifiant unique :« crédits », qui brille, bien entendu, par son absence.
Dans la mesure où le temps nous est ici compté et pour illustrer les effets de ce manque, j’ai choisi de développer deux points : les concours d’entrées et la VAE.
Actuellement, il est courant que les postulants à la formation d’éducateur spécialisés passent plusieurs concours. Pour eux, c’est un instant assez étrange et surtout très cher. Ils vont en effet constater que dans telle école, il devront produire tel ou tel type d’écrit, ici un petit test, là une synthèse... La formule retenue pour sélectionner les postulants est très variée. D’ailleurs, il arrive qu’une personne ayant échoué au concours de moniteur éducateur soit reçu à celui d’éducateur spécialisé. Le côté aléatoire de ce type d’épreuve encourage les intéressés à multiplier les concours, dans l’espoir d’être reçu à l’un d’eux.
Lorsqu’on questionne les écoles sur le bien fondé de ce dispositif, l’argument qui est avancé est précisément les manques de crédits. Les écoles ont trouvées, par ce biais, un moyen substitutif de financement de leur activité. C’est un peu un mal nécessaire selon elles, et il est plutôt rare qu’un formateur s’engage dans une franche critique de ce dispositif.
Et pourtant, on peut repérer plusieurs effets largement contre productif.
-La proximité est mise à mal par des étudiants venant de toute la France. En effet, il est très courant d’être reçu dans une école située à l’autre bout de la France. Les belles idées sur le partenariat privilégiée avec les lieux de stages ne tient plus avec des étudiants qui vont chercher à effectuer leurs stages dans leur région d’origine pour des raisons de logement.
-Il est possible de se demander où se fait la véritable sélection pour l’accès à la profession car, une fois la promotion constituée, les écoles mettent un point d’honneur à conduire le plus d’étudiants au diplôme. Tout au plus, en cas d’échec, est il possible de repasser le diplôme l’année suivante. Près de 95 % des promotions réussissent alors que le taux d’échec au concours d’entrée est de l’ordre des 90%. Qu’en dire ?
-Ce concours, malgré l’effort des écoles pour le rendre le plus juste possible, est particulièrement partial et conduit à une sélection arbitraire. Très souvent, les postulants sont étonnés de leurs résultats. Sans compter que le coût de ces modes de sélection conduit à une discrimination par l’argent. Rare sont ceux qui réussissent du premier coup et chaque tentative se solde par un nouveau coup au portefeuille.
-Cette modalité de sélection pèse aussi sur le dispositif de la formation. En effet, dès que l’on oublie la manne financière que représente ces concours, plus rien ne s’oppose pour inventer toutes les formules qui soient. Par exemple il est permis d’imaginer une école d’accès libre pour la première année. Durant cette période, les étudiants sont invités à acquérir des connaissances précises, mais aussi à se déterminer un cursus particulier. Car cette première année serait commune pour les cursus d’Educateur Spécialisé, d’Assistant Social, de Moniteur Educateur et d’Educateur de jeunes enfants. Elle serait principalement dédiée à l’acquisition de savoirs avec, tout de même un passage en stage. Ensuite, au moment du passage en deuxième année, les étudiants se verraient proposer différents cursus, en fonction des dispositions qu’ils ont manifestés. Ainsi, il serait possible de mettre en réelle adéquation les compétences des étudiants et les cursus ultérieurs de formation. Ce passage commun permettrais de préciser les différences entre les différents champs professionnels. Enfin, la disparition du concours permettrait la mise en place de véritables partenariats de proximité entre centre de formation et institutions éducatives. Du coup, la question du lien entre le contenu des formations et la pratique pourrait être véritablement mis au travail.
-Ce qui pèse réellement c’est en fait l’incapacité des institut de formation à dépasser la question du financement. A leur décharge, il faut reconnaître que la contribution des postulants (environ 100 euros * 800 postulants pour l’écrit et 100 euros * 200 postulants pour l’oral) n’est pas anecdotique. Au niveau des instances finançantes, l’absences de contre proposition, la non explication des effets dommageables des concours d’entrées ne les incitent pas à chercher des alternatives et les confinent à leur pente naturelle : les économies.
Ce serait une manière de mettre en cohérence la conception de l’éducation développée plus avant. Si la compétence centrale de l’éducateur est sa capacité à mettre en accord une pratique et des connaissances apprises. Si le savoir faire devient prioritaire, alors, inexorablement le concours d’entrée devient problématique.
Outre la formation initiale, l'apprentissage et la formation professionnelle continue, la validation des acquis de l'expérience (VAE) constitue une quatrième voie d'accès aux diplômes, titres et certificats de qualification professionnelle délivrés en France. Introduite par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Elle s'est substituée à la validation des acquis professionnels, avec pour objectifs de toucher de nouveaux bénéficiaires et de simplifier les procédures.
Il y a plutôt lieu de se réjouire de ce qu’un nouveau mode d’accès au diplôme d’éducateur existe. D’autant plus que le nombre des « faisant fonction » est tellement important dans notre secteur que ce serait véritablement faire preuve d’esprit chagrin que de ne pas soutenir les personnes qui s’engagent dans ce dispositif. Par contre, nous pouvons tout de même en souligner quelques limites.
-Des questions peuvent légitimement se poser lorsque l’on met en relation deux faits : L’aspect démographique qui nous indique que les éducateurs, issus du baby-boom vont partir à la retraite prochainement, et les restrictions budgétaires dont font état les centres de formation. La VAE ne viendrait elle pas à point nommé pour combler le déficit d’éducateurs qui se profile ? Ne serait il pas tentant de ne prendre en compte que l’aspect « savoirs » dans l’évaluation ?
-Par ailleurs, la tentation au découpage en « blocs de compétences » des aptitudes de l’éducateur interroge. En effet, si comme nous venons de le voir c’est la liaison entre les savoirs et le savoir être qui est la véritable spécificité du métier d’éducateur, alors toute tentative de découpage perd de son sens. Concernant la dimension relative au savoir, c’est très légitime, pour ce qui est du savoir être par contre, c’est totalement hors propos. C’est même une certaine forme de dénaturation de l’éducation spéciale dont il s’agit.
J’ai pu lire des travaux de personnes préparant la VAE ES. Il leur est demandé de rédiger de nombreuses pages quant à leur pratique, ainsi qu’a sa formalisation. Mais la base d’évaluation reste pourtant l’idée qu’ils occupent, dans les faits, les fonctions d’éducateurs. Le véritable problème des postulants est de montrer la manière dont ils peuvent faire le lien entre savoir et pratique. La VAE est adaptée pour valider des éducateurs, non pour les former. Toutefois, la capacité à délivrer une éducation spéciale ne peut s’acquérir que dans les aller et retours réguliers et patients entre espace de formation et terrain. Faut il oublier certains critères pour que la VAE puisse, exister contre vents et marées.
L’instance représentative de l’éducation spéciale.
Si l’on rassemble les remarques que l’on peut faire au sujet de la formation, c’est la question des crédits qui vient en tête des préoccupations. Plus de VAE, moins de places en écoles d’éducateurs. Lors de ma formation, nous avions des petits groupes de travail, très réguliers dont la fonction était de faire la passerelle entre le « terrain » et l’école. Le travail qui s’y tenait ne consistait pas en l’apprentissage de savoir, mais dans l’élaboration des difficultés qui surgissent lorsqu’on confronte la théorie et la pratique. Cet espace tiers, je peux en témoigner plusieurs années après, a été l’un des plus importants de mon cursus de formation. Or, la question des coûts entraîne la limitation des petits groupes. Les cours magistraux avec le plus d’étudiants possibles sont privilégiés, et un petit espace comme celui là, qui nécessitait une stabilité du formateur et un nombre restreint d’étudiants fait directement les frais de la course à la rentabilité. D’autant, que sa suppression ne grève en rien les chances des candidats d’obtenir le diplôme.
Nous avons bien vu que l’efficacité en matière d’éducation, ne réside pas en un quelconque et mythique « savoir être » isolé, ni dans l’accumulation de savoirs divers, mais dans la capacité à utiliser, à bon escient ses connaissances dans le cadre de sa pratique. Sous couvert d’économies, les centres de formations ont de plus en plus de mal à défendre les espaces tiers dont j’ai parlé. De plus, fasciné par certaines théories soutenant que l’action éducative peut se réduire à une action orthopédique de réduction de symptômes, ils cèdent à ce que certains ont appelés « la vampirisation par la psychologie ». Or, ces évolutions vont dans le sens d’une perte de l’efficacité des éducateurs, une fois diplômés. Donc, ce sont des économies à courte vue qui vont se payer, sans doute très largement, plus tard.
L’action sociale ne bénéficie pas d’une visibilité à sa mesure auprès de l’ensemble des citoyens. Ainsi , lors du 75e congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), les présidents de conseil général ont déclaré qu’ils consacrent 60 % de leurs budgets de fonctionnement au domaine de l'action sociale, " notre cœur de métier " selon eux ! Or j’ai lu récemment plusieurs petit journaux où chaque conseil général détaille son action pour ses administrés, et le plus souvent l’action sociale n’y figure qu’en dernière page, en quelque lignes. Aucune trace d’une politique ou d’une volonté particulière. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la logique financière prenne toute la place !
Pour conclure, après ce cheminement, je voudrais avancer une proposition. Ce qui manque, c’est une instance composée d’éducateurs, partant de leur pratique pour défendre leur conceptions. En effet, les instances finançantes ne s’engagent pas dans cette voie par choix idéologique, mais par manque d’alternatives. Ceci est d’autant plus d’actualité avec le transfert très récent, de l’état aux régions, de la responsabilité des formations.
Une instance représentative de l’éducation spéciale (IRES) formée de professionnels du terrain (AS, ES, ME, AMP, EJE) pourrait émettre des propositions quant à la formation des éducateurs, à l’utilité du concours, aux modalités des diplômes… Nous avons souvent peur du corporatisme, mais dans le cas du travail social, nous en sommes loin. Du reste, l’idée n’est pas de défendre une idéologie, mais, de manière le plus pragmatique possible d’évaluer la pertinence des dispositifs de formation.