mardi 26 août 2008
" La tragédie nous le rappelle : le réel de la transmission n'assure en rien la survie de la civilisation. L'homme, toujours, est à refaire, ex nihilo. A créer".
Laurent Cornaz 1
La loft story, déjà son annonce, m'a mise en boule, expérimentation in vivo des relations humaines pour gagner quelque chose, et ce, sous l'œil du plus grand nombre. Y avait-il encore une place pour la pudeur? Je n'ai regardé que quelques minutes mais j'ai lu les commentaires que cette story suscitait et participé à de nombreuses conversations à son propos, souvent très passionnées, voire virulentes. J'ai voulu écrire pour regarder cet événement, et puis le temps a passé. Reprise de ce désir en septembre, je commence, mais, le 11 septembre 01et le surgissement de l'horreur qu'il re-précipite me laisse de nouveau en panne. Là les échanges sont plus difficiles, ils ouvrent un blanc. Ecrire sur le loft après cet acte paraît dérisoire voire obscène, et pourtant s'impose petit à petit à moi que l'un et l'autre de ces événements, assurément incomparables, peuvent se questionner à la lumière de chacun pour penser ce qui aujourd'hui touche au plus profond la question humaine et ce qu'il en est, d'être un homme ou une femme. Après l'événement du 11 septembre il est banal de dire que "rien ne sera plus comme avant", mais qu'acceptons-nous de savoir de l'avant qui joue déjà avec le hors-limite. La tâche de civilisation n'est-elle pas oubliée au cœur même des sociétés démocratiques, luxe inutile pour nous, et seulement à universaliser auprès des autres, voulons nous oublier que la transmission même, l'acte de transmettre demeure une tâche toujours à faire au 21ème siècle ? La transmission de la fonction signifiante dépasse les signifiés.
La loft story
Juillet 2001 : le loft est démonté, le décor servira sans doute rapidement ailleurs ; les lofteurs ont tous "gagné "une part de fascination sociale et des contrats sonnants et trébuchants assurant leur avenir matériel proche…la vie …la vraie…Auchan…Que nous arrive-t-il pour que cela soit ?
Sur France Culture 2 , Dominique Schnapper, femme, philosophe, mettait en rapport trois événements :
- la controverse de Valladolil au milieu du XVIème siècle dont l’enjeu était de décider si les indiens (vaincus) avaient une âme; la découverte du Nouveau monde (dont le Nord aujourd'hui semble en même temps le centre et parfois la totalité du monde) les avait fait rencontrer, mais étaient-ils des inférieurs ou des enfants de Dieu eux aussi comme leurs vainqueurs?
- les expositions coloniales et universelles parisiennes de 1878 et 1889 qui présentaient au jardin zoologique d'acclimatation ou dans des cages des Nubiens, des Esquimaux des Kanaks, etc. L’exposition c’est la mise en avant des richesses, des savoirs et des techniques de l'empire, de ses valeurs mais aussi la projection d'un imaginaire social sur l'autre.
- et ce temps présent (début du 21ème siècle) où des jeunes, avec leur consentement, sont exposés aux regards de tous, quasiment à temps plein (11 jeunes de 20 à 30 ans, vivant ensemble avec comme fin une élimination progressive pour ne garder qu’un couple qui alors gagnera une maison et des millions).
Dans ces trois mises en scène (mais qui sont le metteur en scène et le commanditaire ?), il semble que surgit quelque chose qui vient mettre à mal ce qu’il en est de l’humain, et du rapport des hommes entre eux. Quel lien social s’exhibe en des époques de l’histoire différentes et éloignées spatialement ? Qu'en est-il de la jouissance convoquée et de ses modalités aujourd'hui ? Rappelons que l'humanité ne relève pas d'une donnée (biologique, physique, génétique,… ), elle est toujours à construire - tache infinie pour chaque un et pour l'être ensemble - et s'adosse au désir et au pro-jet quant au vivre, nécessairement "avec"; la question de l'altérité s'y posant sans cesse. La mondialisation fait-elle surgir maintenant la clôture de cette question (le monde est connu, toutes les frontières ont été franchies, les "sauvages "sont domestiqués), à l'aune du marché il n'y aurait plus à échanger que du même. Hélas l'autre quand il fait retour comme le 11 septembre 01 est alors l'abject, le monstre, le radicalement autre, l'inhumain et en plus il est sans visage mais pas sans image.
Dans ces trois situations il s’agit toujours d’exhibitions d’êtres, exhibitions qui font disparaître leur présence réelle ; ce qui singularise le loft c’est que des milliers de jeunes (38000) se sont précipités pour en être, en naître ?,…et que les mères (très présentes dans les interviews, où dans les sorties du loft) participaient de ce/se " voir- être vu – se faire voir ".Dans ce temps visiblement régressif (les biberons et doudous sont ressortis), ce qui était dit manquant était essentiellement les mères.
Retour sur l'origine ou plutôt sur le commencement, le loft invite des jeunes gens à une fiction de vie, c'est d'ailleurs la première fiction réelle selon les producteurs, en direct, 24h sur 24 (limité un peu par le Conseil supérieur de l'audiovisuel !) pendant soixante dix jours. De quel récit s'agit-il dans cette story en direct caractérisée entre autre par un espace clos avec tout sauf des livres, envahi de caméras et de micros ("Loana, ton micro n'est pas branché"). A quelle expérimentation sommes nous conviés (peut être est-il vraiment question de boulotter quelque chose, de le mâchouiller.. ) ceux qui en sont, dans la boîte, mais aussi ceux qui regardent(jusqu'à 10 millions certains instants) et tous ceux qui en parlent, commentent, écrivent et s'agitent autour. Dans cette unité de temps et d'espace qui a pu tour à tour évoquer un travail : ils ont un contrat et ils sont payés (même si c'est de manière minime), une activité de comédien : le scénario est déjà complètement écrit, un simple jeu : des vacances avant emploi, se rappelle incontestablement à nous que, indépendamment de nos catégories de découpage du quotidien, la pulsion est toujours là avec son insatiabilité.
Comment frayer un chemin de pensée qui évite l'écueil de nos boîtes à clichés qui nous les font plaquer sur ce qui nous divise (horreur et séduction), il a été question de nouveau Big Brother, de fascisme rampant, ou à l'inverse d'événement banal, de divertissement ordinaire, de possibilité comme une autre de "se faire un nom" (il faudrait se le faire ?), une place. Que re-présente, là, la télévision (cette boîte à images qui assure la célébrité et sa transmission) qui pourrait "précipiter" une reconnaissance sociale (y paraître fait signe d'existence) qui se fait attendre. La sélection des candidats s'est accompagnée ou devait s'accompagner (dans l'après coup, et les énoncés produits pour faire taire les critiques on ne sait plus ce qui relève du vrai et du faux ) de tests pour s'assurer que ceux-ci n'étaient ni porteurs du sida ni pour les jeunes filles enceintes. Et ..pour quoi donc? Pour éviter que certains n'utilisent cette caisse d'amplification pour leur cause …on croit rêver, mais non nous ne savons plus séparer moyens et fins, nous pensons utiliser les outils (mais n'est ce qu'un outil dans ce cas) de la modernité et c'est nous qui sommes utilisés par nous peut être pour commencer. Des lathouses disait Lacan pour nous faire oublier la perte…
Le 11 septembre 01
Le 11 septembre 01 toutes les télévisions du monde ont transmis en direct et en boucle les images d'avions fous percutant les tours du Wordl Trade Center et provoquant la mort de 7000 personnes. Chacun, pendant un instant plus ou moins long, a été saisi par l'impossibilité de différencier réalité et fiction, étions –nous dans un film dont nous pourrions sortir peu de temps après?.La bande annonce allait-elle défiler présentant successivement réalisateur, producteur, acteurs, figurants, etc …non c'était nous qui devions nous projeter hors de, parce que ce crime, réel incontournable non seulement n'avait pas de visage mais faisait retour d'un autre crime lui sans images (le meurtre sans trace de millions d'humains dans les chambres à gaz de la guerre de 40) qui avait ouvert la porte à l'horreur, même si se répétait comme un leitmotiv "plus jamais cela", plusieurs fois dénoncé par la violence d'autres charniers maishors de nos frontières démocratiques. Ici le trou des tours, qui maintenant ne sont plus, marque à jamais leur présence, elles n'ont jamais été aussi réelles. Un américain, spectateur depuis son loft décrivait ce qu'il voyait : des virgules noires qui tombaient du ciel, il parlait des personnes qui se jetaient par les fenêtres pour échapper à la mort …Ici la mort est en direct à plus d'un titre : Un flot ( anagramme de loft) d'images, pour un crime sans visage mais aussi sans revendications (les terroristes ne demandent rien à personne), passage à l'acte radical où victime et bourreau sont fondus ensemble dans la mort, où l'essence même de l'homme vole en éclat, violence sourde sans un mot. N'est-ce pas d'ailleurs ce silence qui pousse à venir le colmater par un enchaînement de commentaires ( ce dernier mot nous révèle alors ce qu'il tente d'effacer dans sa prolifération mais en vain…). C'est sur le lieu même où la peine de mort résiste et où les armes sont en vente libre que surgit un trou rappelant jusqu'ou l'amour de la mort (comme seule compagne) peut emporter. Vertige de la jouissance. Le trou des deux tours, même si une nouvelle construction vient le boucher plus tard, troue l'obscénité de la pensée d'un monde un, c'est aussi cette totalité qui est fissurée, nous ne sommes pas tous unis sous les mêmes signifiants.
Il paraîtra sans doute abusif de mettre en rapport cet événement tragique avec la loft story, fureur abjecte dans un cas qui ouvre déjà à des milliers de morts (les suites y en adjoindront d'autres ?), aucune mort d'homme dans le premier, pas de conflits, une convivialité bon enfant, ou plutôt une promiscuité générale avec parfois quelques anicroches (mais en tout cas rien qui relève d'une conflictualité à l'œuvre ou d'une singularité intempestive –ne l'est –elle pas toujours ? ) et la réalisation en direct d'un couple (un homme et une femme) par exclusion des autres, exclusion douce puisqu'il ne s'agit que d'une mise hors du loft. Ce qui restait encore un peu une énigme se réalise sous nos yeux avec nous, votants ; la télé cause le couple, des adolescents de 25 ans sont conduits sur "l'autel " de la télévision par leurs parents. L'ère des sondages, à propos de tout, et rendant tout équivalent, nous confronte à une expérience (mais ce mot est –il approprié pour l'époque contemporaine ?) de démocratie radicale qui, précisément, la sape dans ses fondements. Au sans visage du 11 septembre peut s'opposer un montage fait des visages des participants, de leurs corps même, c'est sûr, mais éjectés de leur singularité effacée par les impératifs du médiatiquement correct, c'est passable à la télévision. L'altérité a disparu dans l'intimité surexposée, il n'y a plus que du même. Il s'agit ici de tout voir, les choix du montage ne relevant que des limitations imposées par la loi (pas trop de cigarettes, pas d'insultes, pas de …pas de …) : filmage organisé mais anémié de son sujet : "une réalité dont le spectacle imite la fiction au risque de voir disparaître la figure de l'auteur" 3 Quelle quête est à l'œuvre dans cette impatience d'occuper l'écran pour apparaître. Téléguidés ces jeunes trouveront-ils là à se soutenir pour ne plus être orphelins de leur propre image ? Auteur de quoi, chacun peut-il être dans ce temps quand il s'agit de donner les signes pour être gardé, maintenu dans le regard?.
Pour Giorgio Agamben 4 , l'homme contemporain s'est dépossédé de son expérience, "il rentre chez lui le soir épuisé par un fatras d'évènements –divertissants ou ennuyeux- insolites ou ordinaires – agréables ou atroces – sans qu'aucun d'eux se soit mué en expérience". Il ajoute que c'était le quotidien, précisément, et non pas l'extraordinaire qui constituait jadis la matière première de l'expérience que chaque génération transmettait à la suivante. Car dit-il "l'expérience trouve son corrélat moins dans la connaissance que dans l'autorité, c'est à dire dans la parole et le récit"…." Ce qui caractérise le temps présent c'est au contraire que toute autorité se fonde sur ce qui ne peut être expériencé, éprouvé, (le savoir, l'expertise, l'avoir, la puissance notés par nous). A une autorité qui seule légitimerait une expérience personne n'accorderait le moindre crédit. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'expériences aujourd'hui, mais elles s'effectuent en dehors de l'homme et l'homme, curieusement, se contente de regarder avec soulagement".A propos du dopage dans le cyclisme et au vu des contorsions de Virenque sur le sien, les Guignols de Canal+ lui faisaient dire "cela aurait été fait à l'insu de mon plein gré". Cet énoncé paradoxal fut repris, par tous, en boucle lui aussi pour dé-signer des événements personnels ou sociaux. Mais n'est-il pas le propre du sujet qui fait avec lui et sans lui la plupart des actions quotidiennes, en toute méconnaissance de cause, étourdit par les signes de la vie à donner et à se donner. La science moderne a réuni dans un même sujet expérience et connaissance, jusqu'alors le savoir humain était séparé du savoir divin, ainsi était exclue toute possibilité de prévoir, c'est à dire de connaître quoi que ce soit avec certitude, voire avec exactitude comme on le dit aujourd'hui, la science expérimentale nous assurant qu'elle s'occupe de nous fournir des objets toujours plus indispensables à notre vie et les savoirs pour la fonder.
Sommes-nous sûrs d'avoir gagné un surcroît de liberté dans la mort de Dieu (le Père suprême) dans nos sociétés et son remplacement par la science (ou plutôt les technosciensces) et l'extension du capitalisme qui vise l'expansion des marchés et des marchandises (jusqu'à l'indifférenciation entre les choses et les personnes), la jouissance étant le maître mot. Le maître change mais la servitude volontaire reste, le consentement n'ayant même plus besoin d'être arraché. Quel que soit le pays d'origine, quel que soit le niveau de développement ne s'agit-il pas toujours pour chacun de s'arracher au regard de l'autre (ce que dit la norme, la science, le droit, le maître) pour ex-ister, il n'y a rien qui puisse dire ce qu'est un homme ou une femme.
Dans le cri de Busch lancé à la face du monde "je veux Ben Laden mort ou vif " (n'est ce pas d'ailleurs la question du sujet quant à sa propre existence : suis-je mort ou vif) s'entend la revanche de celui qui s'est senti humilié et l'oubli de ce qui peut encore éviter d' assigner dans l'autre l'inhumain la bête, le monstre pour se conforter dans sa propre humanité. Nous savons pourtant qu'il n'y a pas d'un coté l'humain et de l'autre l'inhumain , mais logés au cœur de chaque un l'un et l'autre. Ce cri est peut être aussi le retour de la déflagration déchirante éprouvée en soi quand se présente dans le miroir, en face, son propre fils, celui qu'on a éduqué - c'est lui qui se devine sous le sans visage- alors honte de l'engendrement, honte de l'oubli que les générations ont à endosser le crime des pères, nous voudrions penser que ce temps est révolu ; nous ne naîtrions que de la science… Les deux discours celui du civilisé et celui du terroriste (hélas civilisé aussi…si la civilisation aujourd'hui se confond avec le savoir et le niveau de vie) se répondent dans une surenchère sur le bien, le mal. Ils invoquent, tous les deux, Dieu, mais pas le même, comme point d'appui à leur action, celle-ci est au nom de… d'un autre. A la fin de son discours avant les bombardements, Busch en appelle à une petite fille qui aime son papa, militaire, mais l'offre pour l'Amérique, ici aussi la pudeur a disparu, pornographie de l'époque ?
Le monde vu à travers l'écran, depuis que les images se déchaînent n'est pas devenu plus regardant. Nous savons tous (même si c'est d'un savoir qui ne se sait pas )que nous avons soutiré à l'événement du 11 septembre que nous réprouvons consciemment sa plus value de jouissance inconsciente.
Le sujet humain n'apprend pas le langage, il est plongé dedans, "pris "dedans et donc irrémédiablement coupé des déterminations du monde naturel, alors sa vie durant il va chercher à annuler, nier, déplacer ce gouffre surgi de cet irréductible, il est exilé à tout jamais "du paradis animal du jouir instinctuel, le paradis perdu" 5 .Il est "fait" par le langage, les premiers signifiants portés par le premier autre en l'occurrence la mère. Ce qui le constitue, le plus intime est cependant ce qui lui est le plus extérieur, l'extime. Cette mortification : les mots ne lui appartiennent pas et il est soumis à la logique de l'autre, est en même temps sa jouissance, ce qui fait l'événement intime du sujet c'est l'absence. Pour la mère le cri de l'enfant à la naissance ce n'est pas de la chair qui crie, mais un sujet supposé à cet appel, là, sujet alors fabriqué par le langage puisque la mère va prêter ses mots à cette opération. Le vivant de la chair se trouve donc appareillé par le langage qui a pris corps. Cette opération ouvre pour toujours un vide entre la quête de satisfaction et l'objet de la satisfaction, la réponse de l'autre ne sera jamais adéquat. Mais la pulsion, articulée aux trous du corps va utiliser n'importe quel objet pour jouir, elle ne s'arrête jamais, mais elle rencontre un barrage, la culture, il y a déjà notre corps qui ne se laisse pas faire, l'autre non plus et le monde, la nature qui se met en travers. Le "parlêtre" souvent ne veut rien en savoir, la limite ça l'empêche de jouir et il rêve de trouver dans le monde un objet qui pourrait le satisfaire. Ce rêve c'est aussi sa mort, l'attente des lendemains qui chantent, d'un jou(i)r meilleur et l'oubli de l'acte de naissance qui le concerne.
Le monde contemporain en surenchérissant sans cesse sur les paradis qu'offre la possession d'objets ou de produits qui nous illimitent, expose le plein, le tout, le plus comme fin ultime de la vie, il consomme l'écart radical entre les besoins et le désir. Aujourd'hui le pensable doit s'extendre pour être coextensif du possible, la réduction de leur différence jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'impossible s'appelle d'ailleurs parfois progrès. Du fait que nous parlons nous sommes tous des exclus de la jouissance mais cependant chacun nous avons à répondre de la façon dont nous faisons avec notre propre jouissance, même si nous n'en sommes pas maître. "Je" n'est pas choisi, nous n'avons pas demandé à venir mais nous devons faire avec ce désir d'autres et nous en défaire pour nous compter un .Au début de notre vie l'immersion dans le langage nous a inscrit mort à l'équivalence biologique, il reste à être…., divisé dans sa parole, inventant ses propres réponses face au réel (l'impossible du lien social pour chaque un). La sépulture à la fin de celle-ci permet la séparation des vivants et des morts. Ce n'est sans doute pas un hasard si la naissance et la mort, aujourd'hui réactivent les fondements qui touchent à l'humain. L'homme a toujours voulu dépasser ses limites mais les performances techniques actuelles ouvrent des possibles dans la conception de l'humain (rêver et rendre possible la venue d'un enfant sans rapport sexuel, espérer trouver du père dans le cadavre d'un mort, penser qu'on pourrait "calculer" l'homme dans le gêne), qui ne peuvent pas être sans effets sur notre façon d'habiter notre corps, le monde, et de faire avec l'autre (celui du dehors et celui du dedans). A l'autre bout de la chaîne les massacres actuels rendent d'une certaine façon impossible la sépulture sauf dans la masse ou l'anonymat et poussent à la nécessité de re-trouver un geste symbolique qui puisse séparer les vivants des morts. Deux visions du monde, une qui prône une vie pleine un individu complet (on vit mieux quand on a tout, pub d'internet ou Axa l'assurance à plusieurs vies ) avant la mort, un autre la vie après la mort sont opposées alors qu'il s'agit de tenter d'être entre deux morts et pas tout.
Le loft peut alors évoquer chacun enfermé dans son moi à la recherche de l'objet qui pourrait le satisfaire, ne voulant rien savoir du vide qui le constitue, l'image de soi vient le boucher. Donner les signes, faire le beau , se soumettre à l'injonction de l'autre pour le servir, en croyant se servir n'est ce pas mourir à l'humain et participer de la pulsion de mort …surtout que rien ne bouge, que le nirvana , la colle avec l'autre continue.
Le père a été détrôné ainsi que la soumission qui lui était due. La psychanalyse a dévoilé l'impossibilité des valeurs érigées au nom du père pour mettre un terme à l'énigme de l'existence (donner un sens à la vie ….mais la vie est un risque..). Elle révèle aussi l'échec de la prétention de la raison à cerner par le savoir la vie, et effectivement il n'y a pas de raison que…,il n'y a qu'un sujet qui fait avec sa jouissance, son désir (indestructible) et les entraves qu'il y met. En devenant les enfants de la science, les enfants ne risquent-ils pas d'être des enfants de la mère sans tiers. Peut-être est-ce dans ce sens que Lacan en 1968 parle de la production de " l'enfant généralisé " à partir de l'universalisation du sujet de la science. Dans ses "Anti-Mémoires" Malraux rapporte la parole d'un religieux : "j'en viens à croire, voyez-vous, en ce déclin de ma vie, qu'il n'y a pas de grandes personnes", la science ne permet pas de penser ce qu'est une grande personne.
Dans la tragédie grecque, l'appel à la loi (des oracles, des dieux, de la cité) est une tentative de faire avec les impasses de l'existence. Mais lorsque le drame surgit, le voile qu'elle est se déchire. Antigone pour donner à son frère une sépulture quand la loi de la cité l'interdit, trouve le terme radical de son désir mais au prix de sa perte comme sujet, c'est à ce prix qu'elle ex-iste.
"En chacun de nous il y a la voie tracée pour un héros" écrit Lacan et il ajoute "c'est justement comme homme du commun qu'il l'accomplit" 6 sans doute pas sans perte de garantie et peut-être en payant le prix de ne pas être..
"La mort n'arrive jamais plus tard : elle est ici et maintenant dans les parties mortes de notre vie. Je suis comme vous, je ne mourrai pas : j'aurai passé dans la mort une partie de ma vie"…"Il y a en nous, très au fond, la conscience d'une présence autre, d'un autre que nous même, accueilli et manquant, dont nous avons la garde secrète dont nous gardons le manque et la marque"…"Ce que nous avons chassé du monde cherche aujourd'hui en chaque homme son refuge" 7 .
Octobre 2001
1 Laurent Cornaz, L'écriture ou le tragique de la transmission,L'Harmattan1994
2 Les chemins de la connaissance – septembre 2001
3 Michaël Majster, Dans le néant de "Loft Story", Rebonds Libération, août 01
4 Giorgo Agamben, Enfance et histoire, Destruction de l'expérience et origine de l'histoire",Payot,1978
5 M.-M. Chatel, "Sens et effet de sens ", Littoral, n° 39, EPEL, Paris, février 1994
6 Lacan, Séminaire, Livre 7, L'éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986
7 Valère Novarina, Le Théâtre des paroles, P.O.L 1989