lundi 08 janvier 2007
Sommaire
Pour cette deuxième année de formation de moniteur éducateur, il me fallait trouver un lieu de stage qui m'apporte une expérience différente de ce que je connaissais déjà. Deux années passées comme candidat élève en Maison d'enfants à caractère social suivies d'un stage long dans un Institut Médico-Pédagogique 3 lors de ma première année de formation de moniteur éducateur m'avaient permis de rencontrer des enfants dans des situations très diverses avec pour objectif commun de les aider à mieux s'adapter socialement.
L'objet du présent rapport est de faire apparaître l'évolution de ma réflexion et de ma pratique tout au long de ces mois de stage : après une présentation du Séjour et des personnes accueillies, puis de mon travail au sein de l'établissement, on y trouvera trois situations tirées de mon journal de bord et rédigées sur le vif. A partir de leur analyse se dégage une question centrale ayant trait à mon action éducative et c'est la question de la crise qui s'est imposée lorsque j'ai confronté la réalité avec mes a priori . Enfin on verra que la réflexion, mes lectures et de nombreux échanges avec mes collègues sur mon lieu de travail et en Groupe de Recherche et d'Analyse des Pratiques Professionnelles (GRAPP), ainsi qu'avec mes formateurs de terrain m'ont permis de poser un autre regard sur les situations que j'avais vécues et de dépasser certaines de mes idées préconçues pour faire évoluer ma pratique dans l'accompagnement de la vie au quotidien.
Dans une première partie, je décrirai l'établissement dans lequel j'ai choisi d'effectuer mon stage de deuxième année ; une seconde partie sera consacrée aux objectifs et aux méthodes de travail du Séjour ; la troisième partie reprendra trois observations tirées de mon journal de bord de deuxième année ; dans la quatrième partie, j'indiquerai le cheminement qui m'a conduit à la question de départ et à mes premières hypothèses ; enfin la cinquième et dernière partie proposera les pistes de réponses qui se sont dégagées à l'issue de mes réflexions, de mes lectures et de ma pratique lors de ce stage.
I. Où le stagiaire découvre un foyer d'action éducative,
ses résidentes et son personnel
1) Le Séjour
Le Séjour est un Foyer d'Action Educative qui accueille des jeunes filles de quinze à vingt et un ans connaissant des difficultés sociales et/ou familiales. Il s'agit d'une association privée de droit local (loi de 1908) à but non lucratif et à durée illimitée. Le Séjour occupe un bâtiment de cinq étages que rien ne distingue des immeubles mitoyens. Il faut ajouter à ce bâtiment des studios extérieurs où sont logées des jeunes filles dont la situation est plus stable (scolarité régulière, formation professionnelle, travail…) et dont la fin du placement est proche. Ces dernières sont toujours suivies par des éducateurs de référence.
Le Séjour emploie à la fois un personnel éducatif et un personnel technique et administratif, encadrés par une directrice qui fait partie intégrante de l'équipe éducative. A cette équipe permanente viennent s'ajouter trois stagiaires : une éducatrice spécialisée, un moniteur éducateur et une psychologue.
2) Les personnes accueillies et les modalités de l'accueil
Le Séjour accueille vingt-trois jeunes filles de quinze à vingt et un ans connaissant des difficultés sociales et/ou familiales. Les placements sont de deux types : placement administratif et placement judiciaire.
1° Le placement administratif est établi sur la base d'un contrat entre la famille et l'aide sociale à l'enfance. Ce sont les mineures ou leurs parents qui font la demande de placement. Cette demande ne relève pas de la décision d'un juge. Le placement est d'une durée d'un an renouvelable. Suivant l'évolution des situations, il peut être judiciarisé.
2° Le placement judiciaire est imposé et repose sur deux types d'interventions : l'Assistance Educative qui prévoit d'accorder une aide à tout mineur en danger 4 et le principe de responsabilité atténuée (Ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante) qui privilégie les mesures de protection, d'assistance et d'éducation par rapport à la sanction pénale. Dans les faits, presque toutes les jeunes filles du Séjour (sauf deux qui se trouvent sous contrôle judiciaire 5 ) faisant l'objet d'un placement judiciaire relèvent du premier cas.
Dans le cadre de l'Assistance Educative, il existe deux types de placements pour les mineurs : le placement direct du mineur en danger dans un établissement par le juge des enfants (l'établissement est alors désigné comme gardien) et le placement indirect où le juge confie l'enfant à l'Aide Sociale à l'Enfance (ici, c'est l'Aide Sociale à l'Enfance qui est désignée comme gardien), chargée de trouver elle-même un foyer. Le placement en foyer est ordonné en général pour six mois avec possibilité de renouvellement.
Des jeunes majeures âgées de dix-huit à vingt et un ans peuvent également faire la demande au département (Aide Sociale à l'Enfance) ou au juge des enfants pour la prolongation d'une action éducative jusqu'à vingt et un ans 6 . Dans ce cas le Séjour peut poursuivre la prise en charge d'une jeune fille majeure et la place de ces jeunes filles est un peu différente puisque le placement se fait alors à leur propre demande.
II. Où le stagiaire apprend que la parole, le respect et l'écoute sont les options de travail de l'établissement
Dès mon arrivée au Séjour, il m'a été remis un document, rédigé d'après les principes posés par le Conseil d'administration où étaient clairement exprimées les valeurs sur lesquelles repose le travail de l'équipe. Trois principes sont ainsi énoncés :
- le respect de la personne
- la primauté de la parole face à la violence
- l'indissoluble responsabilité des adultes vis-à-vis d'une jeunesse en devenir
La volonté marquée est de ne pas avoir recours à un trop écrasant pouvoir institutionnel mais de laisser la place à la parole et à la rencontre entre les jeunes filles et l'équipe éducative.
En pratique, l'équipe éducative du Séjour s'est donné les outils de fonctionnement suivants :
- les éducateurs de référence : chaque jeune fille a un/e éducateur/trice de référence qui est son interlocuteur privilégié et assure son suivi et son accompagnement.
- l'éducateur scolaire : sa fonction est d'assurer le suivi scolaire ou professionnel des jeunes filles. Il propose des entretiens individuels réguliers aux jeunes filles et s'occupe également du suivi avec les écoles, centre de formations et d'apprentissage.
- les réunions : elles sont de trois types :
1° la réunion institutionnelle, hebdomadaire : tous les mardis matin de neuf heures à midi elle réunit tous les membres de l'équipe éducative, la chef de service, la directrice et le psychiatre pour faire le point sur la situation des jeunes filles, les échéances (mesures de fin de placement) et l'organisation de la vie quotidienne. C'est un moment de restitution d'informations sur ce qui s'est passé au cours de la semaine et qui prépare la semaine suivante.
2° la réunion de synthèse, bimensuelle : elle a lieu certains mardis à l'initiative des éducateurs de référence, de huit heures à neuf heures. Son but est d'évoquer la situation individuelle d'une jeune fille et son évolution. L'éducateur/trice de référence synthétise pour le reste de l'équipe toute la situation, des causes du placement aux projets de la jeune fille, en passant par son évolution depuis son arrivée au Séjour. Ce qui a été dit au cours de cette réunion est ensuite restitué à la jeune fille concernée par l'éducateur/trice de référence afin qu'elle soit tenue au courant de ce qui la concerne et soit associée aux décisions prises lors de son placement ; cela permet de faire une synthèse avec elle.
3° l'assemblée générale, mensuelle : c'est le lieu de rassemblement de toutes les personnes vivant et travaillant au foyer. Tous les premiers lundis du mois, de 18 h à 19 h, elle réunit l'ensemble du personnel du foyer et les jeunes filles. Ce sont des jeunes filles qui occupent les fonctions de présidente de séance et de secrétaire afin de les impliquer pleinement dans la vie du foyer. "C'est un lieu où se discutent les problèmes rencontrés au niveau du groupe, les projets de week-end. C'est un lieu, aussi, où peuvent se discuter les règles négociables du Séjour." 7
III. Où le stagiaire peut observer que le travail éducatif n'est pas un "long fleuve tranquille"
J'ai commencé mon stage au Séjour au mois de septembre 2005, à raison de vingt-six heures par semaine en moyenne. Dans un premier temps, j'ai été à la rencontre de l'équipe. J'ai tout d'abord dû observer comment fonctionnait l'établissement, les relations existant entre les adolescentes, la manière dont l'équipe y répondait, pour progressivement moi-même proposer des activités et aller plus à la rencontre des jeunes filles.
Mon planning, comme celui des autres éducateurs, est établi à l'avance sur un mois par la chef de service. Mes temps de présence se répartissent sur des plages horaires différentes suivant les jours : journée, après-midi et début de soirée jusqu'à 22 heures. Les nuits sont assurées par des veilleurs de nuit en semaine et des éducateurs en poste les week-ends.
Le rythme des journées
A mon arrivée, je lis le cahier de transmission où sont inscrites des informations importantes concernant les jeunes filles, des rendez-vous à venir, des incidents éventuels qui ont eu lieu. Ce cahier est réservé aux éducateurs et doit rester confidentiel. Certains jours débordent d'activité car plusieurs jeunes filles ont besoin d'être accompagnées dans divers lieux alors que d'autres restent au foyer mais sont en demande d'attention. D'autres jours, au contraire, il n'y a pas de jeunes filles au foyer, car elles sont sur leur lieu de travail ou de formation, ou encore en sortie. Comme ce sont des adolescentes qui ont le droit de sortir (avec un contrôle pour les mineures), on ne peut pas prévoir exactement combien d'entre elles resteront car elles préviennent de leur sorties souvent au dernier moment, ce qui se comprend en dehors des sorties planifiées de longue date. Ces moments que je passe au Séjour en l'absence des jeunes filles sont aussi des temps qu'il faut investir, ce qui m'a surpris alors que j'ai plutôt l'habitude de "faire". J'ai alors des discussions avec mes collègues et ces moments sont propices à la réflexion. J'observe que les éducateurs en poste profitent de ces moments calmes pour rédiger des rapports ou des notes d'information, ce que je n'ai pas à faire en tant que stagiaire. En semaine les repas sont préparés par un cuisinier et le service est assuré par une jeune fille suivant un roulement. Je participe aussi à la préparation de la salle avant les repas en mettant la table, ou après en la débarrassant et je prends alors ce temps pour parler avec le cuisinier. Cela me permet de trouver des idées de repas pour les week-ends où je suis de service, car ce sont alors les éducateurs et les jeunes filles qui font la cuisine.
Mes relations avec les membres de l'équipe
J'ai régulièrement des discussions avec tous les membres de l'équipe sur des questions de la vie quotidienne et j'ai pu observer que chaque éducateur/trice me répondait chacun à sa manière selon son propre style. J'ai pu m'apercevoir au cours de ces échanges, qui sont pour moi un temps de travail et de réflexion, que les choses ne sont pas figées au Séjour et qu'une grande place est laissée à l'écoute et à la souplesse pour que l'organisation de la vie quotidienne puisse évoluer selon les circonstances. Les jeunes filles se sentent ainsi plus à l'aise, le souci des éducateurs étant de leur apporter un mieux-être. Quand je rencontre une difficulté ou si j'ai une question sur le fonctionnement interne de l'établissement (par exemple si le goûter peut changer selon l'envie des jeunes filles, leur nombre, le jour de la semaine), je la pose à l'éducateur qui travaille ce jour là. Je ne me permets pas de prendre une décision sans en référer à un membre de l'équipe mais cela ne veut pas dire que je ne propose pas d'activités. Pour compléter le suivi des stagiaires, la directrice organise quand les emplois du temps le permettent une rencontre, à laquelle elle assiste, entre les stagiaires dans l'établissement et leurs responsables de formation. Nous sommes trois stagiaires actuellement : une éducatrice spécialisée, une psychologue et un moniteur éducateur. Pendant une heure, chacun est invité à parler du déroulement de son stage, de ses éventuelles difficultés et c'est un temps d'échange et de discussion qui reste très ouvert.
Mes tâches vis à vis des jeunes filles
Avec les jeunes filles, je participe au même titre que les autres à la vie quotidienne, en prenant part à l'organisation et à l'animation propres aux fonctions de moniteur éducateur dans les tâches que je vais détailler plus bas. Même en tant que stagiaire, un lien se tisse avec les jeunes filles qui m'ont bien accepté. La rencontre s'est faite dans un respect mutuel et dans le dialogue. En pratique, mon travail consiste à accompagner les adolescentes dans toutes leurs activités à l'intérieur ou à l'extérieur du foyer et l'éventail de ces activités est très varié ; en effet certaines ont un caractère obligatoire, comme les rendez-vous médicaux ou administratifs, et il y a même des situations d'urgence auxquelles il faut faire face : il s'est agi pour moi par exemple d'accompagner une jeune fille chez son orthophoniste mais aussi d'en emmener une autre à l'hôpital après un accident. Dans ces cas-là les tâches sont dictées par les contraintes extérieures : il faut simplement faire ce qui est prévu à un moment donné ou réagir à l'urgence. Parfois j'ai dû avec mes collègues éviter des intrusions dans le foyer et faire partir des personnes ayant un comportement violent. D'autres sorties sont facultatives, comme tout ce qui concerne les loisirs et me demandent une certaine imagination : j'ai ainsi organisé avec un collègue pour un petit groupe qui était présent des sorties au musée d'art moderne, et au carnaval de Strasbourg. Ces sorties ont lieu en particulier le week-end et je préfère favoriser les moments hors du foyer en proposant une activité. J'apprécie beaucoup cette partie du travail qui crée des moments privilégiés entre éducateurs et adolescentes. Mon regret est ne pas réussir à motiver suffisamment les jeunes filles pour des activités sportives. Tout ce que j'ai pu organiser avec mes collègues dans ce domaine a dû finalement être annulé, faute de participantes. Lorsque je reste au foyer, il s'agit à la fois d'organiser le quotidien, en suivant le rythme des repas ou du coucher, mais aussi d'être disponible pour l'écoute des jeunes filles. Celles qui se trouvent là ont souvent besoin de parler, mais ce n'est pas dans le cadre d'une discussion formelle tenue dans un bureau que la parole se libère le mieux. Au contraire, c'est avec le support d'une activité qui fait diversion que les problèmes et les questionnements vont apparaître, spontanément. C'est pourquoi j'accorde beaucoup d'importance à tout ce qui entoure les repas (préparation, rangement) et à tout ce qui permet de créer des petits moments détendus (goûter) ou de sortir du Séjour.
Je trouve l'expérience enrichissante, en particulier grâce à la qualité de l'échange avec les jeunes filles. Le dialogue avec elles est quotidien et tout est prétexte au tissage du lien ; mon souci est d'être à l'écoute, de saisir les opportunités du dialogue sans pour autant être intrusif. Je m'inscris ainsi dans les Options du Séjour en donnant toute son importance à la parole.
Observations
Ces observations ont été prises sur le vif. La réflexion est toujours immédiate et improvisée. Les notes de bas de page permettent de repérer l'écart entre la situation du moment et des modifications intervenues peu après.
Situation 1 : Séjour, mercredi 28 septembre 2005.
En arrivant au Séjour au tout début de mon stage j'ai été confronté à plusieurs situations dont une m'a particulièrement posé question, avec une jeune fille de seize ans, Annabelle. 8 .
Cette jeune fille, qui suit un cursus scolaire classique puisqu'elle est en classe de Seconde malgré des absences répétées, a été hospitalisée pendant deux mois pour une fracture des deux chevilles suite à une chute du deuxième étage du Séjour. A son retour, elle devait avoir une canne pour se déplacer mais elle ne voulait pas de celles de la pharmacie. Elle a souhaité commander un modèle pliant qu'elle pouvait dissimuler dans son sac, ce qui laisserait présager qu'elle ne s'en servira pas et me semblerait caractériser sa volonté de contrôler ce qui l'entoure (n'est-ce pas d'ailleurs une particularité de l'adolescence ?). Sa chute avait eu lieu depuis une salle où elle se trouvait en compagnie d'une autre jeune fille. Annabelle m'a dit qu'elles avaient essayé de passer par la fenêtre pour sortir avec sa camarade à l'insu des éducateurs. D'après ce que j'ai appris des éducateurs, cet accident s'est produit après qu'on eut opposé un refus à sa demande de sortie.
J'ai très vite constaté moi-même que son seuil de tolérance était très bas face à une frustration : elle discutait avec nous dans le bureau des éducateurs et voulait un café malgré l'heure tardive (22 heures) et notre refus de lui en donner un alors qu'elle devait dormir pour se lever tôt le lendemain afin d'aller en cours ; elle venait d'ailleurs de nous dire qu'elle avait des difficultés à trouver le sommeil. Sa réaction a été vive, mais elle a réussi à se tempérer lorsqu'une éducatrice présente lui a rappelé ce qui s'était déjà produit dans une situation similaire.
Je suis rentré chez moi en me disant que dans notre travail nous rencontrions des situations très délicates ou un manque de réflexion pouvait avoir des conséquences tragiques. En passant par la fenêtre, cette jeune fille aurait pu perdre la vie. Cette situation, comme d'autres que j'ai rencontrées antérieurement, me rappelle des attitudes de toute puissance 9 de l'enfant et je me demande quelle position adopter alors en tant qu'éducateur.
Situation 2 : Séjour, dimanche 2 octobre 2005
Voilà maintenant une semaine que j’ai commencé mon stage au Séjour.
A 12H30, Dominique l'éducateur et moi-même avons préparé le repas avec deux jeunes filles, et Dominique fait retentir une sonnerie pour prévenir celles qui sont encore dans leur chambre que le repas va être servi (je trouve que ce système est pratique car il permet de prévenir toutes les jeunes filles dont les chambres sont réparties sur trois étages, mais le son est à mon goût trop strident et aurait tendance à m'agacer).
Tout le monde se met à table et mange de bon appétit le plat constitué de rosbif et de purée de pommes de terre que nous avons cuisiné, lorsque deux jeunes filles, Muriel et Barbara, qui, actuellement, ont quelques difficultés à respecter les règles de fonctionnement, descendent de leur chambre avec dix minutes de retard. L'éducateur les invite à se joindre à nous. Muriel nous répond d'entrée de jeu que "la bouffe est dégueulasse dans ce foyer de merde"; selon moi elle exprime ainsi son mal-être dans un sentiment de toute-puissance en tenant tête à l'éducateur avec un comportement très agressif. De par son retard et sa réaction, elle prend beaucoup de place dans la salle à manger : d'une manière générale, ces derniers temps, elle exprime bruyamment son mécontentement lors des repas et des autres temps de la vie quotidienne. Elle sait depuis une semaine qu'elle va quitter le Séjour 10 . N'est-ce pas précisément parce qu'elle ne trouve plus sa place qu'elle agit ainsi ?
Barbara contribue aussi à créer cette ambiance électrique. J’observe que ce climat de tension dérange les autres jeunes filles alors que nous étions en grande discussion dans une atmosphère de convivialité. Après l'arrivée de Muriel et Barbara, toutes continuent leur repas dans un silence qui me semble lourd, ce qui me laisse penser que Muriel et Barbara occupent une position de meneuses au sein du groupe. Ces dernières ne veulent d'ailleurs rien manger du repas et réclament du fromage ; l'éducateur accède à leur demande. Je pense qu'il a bien senti la tension et le fait que les filles cherchaient à tout prix à rendre le moment explosif ; le fait d'accepter permet de désamorcer le conflit en laissant une ouverture aux jeunes filles. Toutefois, la question que je me pose est si ce n'est pas dans une certaine mesure légitimer ce sentiment de toute-puissance, d'autant plus que Muriel et Barbara ne remercient même pas et se servent largement de fromage au détriment du groupe alors que les autres jeunes filles continuent leur repas normalement.
A la fin du repas nous demandons à des volontaires de nous aider à faire la vaisselle et c’est le détonateur : Muriel se met à crier qu’elle a déjà débarrassé son assiette la veille et que les éducateurs "ne foutent rien dans ce foyer de merde", elle s'approche avec une attitude menaçante de Dominique en vociférant des insultes violentes ("je t’emmerde, ferme ta gueule"). Pour ma part j'observe la scène sans intervenir. Dominique lui demande de ne pas lui parler sur ce ton et la jeune fille part en claquant la porte. Barbara reprend le flambeau en commençant à crier elle aussi, mais à ce moment-là Gabrielle, une jeune fille qui est enceinte de six mois (c’est une jeune fille qui a beaucoup de charisme et pour laquelle les autres ont de la considération) exprime son ras-le-bol de les entendre crier et dit qu'elle voudrait un peu de calme pour elle et son bébé. Sur ce, Barbara part à son tour en nous insultant.
Ce qui me pose question dans cette situation c’est la violence qu’ont pu dégager ces deux jeunes filles dans un sentiment de « toute-puissance » et quelle réponse donner (si réponse il y a) ou quelle attitude éducative tenir face à ces manifestations d’agressivité.
Situation 3 : Séjour, lundi 3 octobre 2005
Dans l’organisation du Séjour, une assemblée générale d'une heure a lieu tous les mois. Cette assemblée est l'un des outils pédagogiques permettant aux jeunes filles et à l’équipe d’échanger sur des sujets de la vie quotidienne de l’établissement. Je trouve que cette assemblée est une idée intéressante dans le sens où c’est un espace de dialogue qui permet aux jeunes filles de participer personnellement et activement à leur mieux-être dans le lieu qui les accueille. Le but de ces réunions mensuelles, qui sont présidées par une jeune fille, est de parler de l’organisation et du fonctionnement de l’établissement concernant le groupe, mais ce n’est pas un moment où sont discutées des situations individuelles. En fait, c'est l'enjeu du "vivre ensemble" qui apparaît là. C'est également une jeune fille qui prend les notes.
A 18 h, dès le début de la réunion, l’ambiance est très électrique, du fait de deux jeunes filles qui ont des revendications à présenter. Muriel prend la parole en premier et, comme à son habitude, crie son mécontentement. Cette jeune fille, m'a-t-il été dit, risque de quitter la structure prochainement parce qu'elle est descolarisée depuis longtemps, qu'elle ne respecte pas les règles et qu'elle fait preuve d'un manque de savoir-vivre-ensemble qui met de la tension dans le groupe. Il me semble qu'elle est dans une relation de loyauté avec son amie Barbara avec laquelle elle a une forte complicité et qui ne trouve plus non plus sa place dans le groupe mais dont le placement est maintenu. Ma question est alors : quelle pertinence y a-t-il à la poursuite du placement de cette dernière au Séjour 11 ? D'un autre côté, cette violence n'est-elle pas le signe d'un mal-être auquel il faut apporter une réponse ? Ce "mal-être" me semble reflété par le fait qu'elle a du mal à trouver sa place, aussi bien au foyer que dans sa relation avec son ami ; lors d'une dispute au téléphone avec ce dernier, nous l'entendions crier de la laisser tranquille, disant qu'il "voulait qu'elle déprime". Elle n'arrive pas non plus à s'inscrire dans un projet, et est depuis longtemps descolarisée. Je peux observer qu'à chaque fois qu'elle est en groupe elle se réfugie dans une forme de désinvolture et d'opposition permanente, alors que quand on réussit à avoir un moment en tête à tête avec elle, elle exprime alors sa lassitude d'être au foyer. Elle ne me semble trouver de la sécurité que dans sa relation avec Barbara basée sur une certaine forme de loyauté. On peut se demander ce que va être le devenir de cette jeune fille hors de l'établissement.
Mais la question de leur place dans le groupe se pose d'autant plus que ces deux jeunes filles transforment la réunion qui se veut constructive en une espèce de procès où les éducateurs sont mis au banc des accusés. A elles deux, suivies de quelques autres jeunes filles, elles les jugent. Elles leur reprochent notamment avec une très grande violence de s'être fait poser internet dans leur bureau, sur un ordinateur avec écran plat, alors que le leur n'en a pas ; de ne pas les écouter lorsqu'elles demandent par exemple de la viande halal ; de ne pas accorder autant d'importance au Ramadan qu'à des fêtes comme Noël ou Pâques ; de ne pas donner l'argent de poche en temps et en heure ; de ne pas avoir de scrupules à renvoyer des jeunes filles du Séjour ; lorsqu'on leur répond que ce point est du ressort des juges, elles reprochent aux juges pour enfants de ne pas faire leur travail.
Un petit groupe de jeunes filles, dont la présidente de séance, suit les deux meneuses, en appuyant leurs arguments et en se servant de toutes les failles que peuvent montrer les adultes. Les autres m'ont l'air de subir passivement ce moment de revendication violente. D'ailleurs une de ces dernières jeunes filles qui depuis le matin a des problèmes à régler avec Barbara croise son regard. Barbara lui ordonne violemment de cesser de la regarder en la traitant de "pute". Elles questionnent et remettent en cause l'institution qui les accueille en présentant les adultes comme des tortionnaires.
La réaction de l'équipe vient d'abord de certains éducateurs qui prennent la parole pour expliquer que leur fonction n'est pas que de leur donner de l'argent. La directrice rappelle les objectifs de cette réunion ainsi que la chef de service, et dit que de telles insultes ne sont pas acceptables en utilisant un terme qui me paraît pertinent : "on ne s'entend plus".
J'ai l'impression que ce moment vient cristalliser une tension qui monte depuis quelques temps et qu'elle s'exprime ici avec la violence d'une soupape qui saute. Je me demande quelle réaction avoir face à de telles accusations et comment on a pu arriver à un tel paroxysme. D'ailleurs la directrice nous dit après la réunion que cela fait seize ans qu'elle n'en a pas vu d'aussi violente.
Je me demande ce qui fait que ces questions n'ont pas pu être résolues au quotidien et pourquoi on arrive à un moment à "ne plus s'entendre". Est-ce une question d'autorité et qu'est-ce que doit être l'autorité face à des adolescentes ? Quelle est la place de l'éducateur dans un foyer d'action éducative quand des jeunes se révoltent de cette manière avec ce qui me fait penser à un sentiment de toute-puissance ? Les filles se positionnent comme des victimes. Comprennent-elles le sens de leur placement ? J'en doute. Mais cette opposition n'est-elle pas aussi un trait de l'adolescence qui cherche à tester la fiabilité de l'adulte ou est-elle d'une violence très excessive et très déplacée chez ces deux jeunes filles ? La communication des adolescentes se ferait-elle aujourd'hui sur un mode beaucoup plus violent qu'auparavant, copié sur celui des garçons tant dans le langage ordurier que dans la violence verbale et l'intimidation ?
Mon hypothèse est que c'est surtout la forme que prennent les revendications qui est différente et qui est la nouveauté chez ces jeunes filles et non le fait de contester ou d'être mécontent. Je pense qu'une partie des doléances a un fondement 12 mais c'est le mode de communication qui ne me paraît pas approprié, en excluant tout dialogue et en instaurant un climat violent où c'est la loi du plus fort qui prédomine, alors que l'assemblée générale devrait être une occasion de réfléchir ensemble pour le mieux-être de chacun au sein du groupe.
IV. Où le stagiaire commence à s'interroger
Dès le début de mon stage, je me suis retrouvé spectateur de situations que je qualifiais simplement de violentes de la part de certaines jeunes filles. Leur fréquence et leur intensité m'ont fait penser qu'une question importante était posée là : s'agissait-il d'une manière de lancer un appel pour être écoutées ? En tout cas, il y avait une signification à ces manifestations et elles me semblaient nécessiter une réponse, mais quand : immédiatement ou plus tard ? Lors de l'atelier décentralisé 13 du Séjour le vendredi 28 octobre, j'ai pu pour la première fois échanger des reflexions sur ces situations et les nommer "crises". Pour moi, la crise est ce temps où on ne "s'entend plus" 14 (à tous les sens du terme), où la communication devient de plus en plus difficile jusqu'à être impossible et qui pour moi fait cependant partie d'une certaine forme de communication. Ces crises sont-elles un élément nécessaire de cette étape de leur vie ?
Par la suite, dans le prolongement de cet atelier, j'ai fait l'expérience de coucher sur papier quelques mots qui évoquaient pour moi la crise. Puis, j'ai pensé que ces termes peuvent être organisés suivant une forme de chronologie de la crise, certains pouvant d'ailleurs apparaître dans plusieurs étapes .
1° Avant
Les termes qui me semblaient se rapporter à la période précédant la crise sont : signaux (y a-t-il des signes précurseurs ?), prévention, maux, souffrance, incommunicabilité, conflit, violence (violence institutionnelle).
L'adolescence est un état qui me semble propice aux crises du fait qu'il s'agit d'un cap important à passer. L'adolescent serait un intermédiaire entre deux états bien différents que sont l'enfance et l'âge adulte. Le corps change et ce changement peut être difficile à vivre. C'est une période où il y a des crises et il vaut peut-être même mieux qu'il y en ait à ce moment-là plutôt que pas du tout.
2° Pendant
D'autres termes me paraissaient évoquer le moment même de la crise : violence, démonstration, brusque, point culminant, incommunicabilité, cri, rage, colère, moyen d'expression (la crise est expressive, tournée vers l'extérieur), rupture, (la crise ne se fait peut-être pas en solitaire, ou alors elle est tournée contre soi-même ; elle provoque une réaction immédiate de l'entourage)
3° Après
Les derniers termes me semblaient se rapporter à la période qui suit la crise : communication (ou pas), institution (rôle du moniteur éducateur), utile (ou non), positif ou négatif, légitimité de la crise, reprise, recommencement (ou continuité). Est-ce une rupture qui s'inscrit toutefois dans la continuité de la vie dans l'institution ?
Cette réflexion sur la chronologie de la crise m'a amené à cette proposition de question centrale :
Comment en tant que moniteur éducateur puis-je prendre en compte 15 les situations de crise des adolescentes accueillies en foyer d'action éducative ?
La violence de ces crises m'a d'abord mis mal à l'aise. Malgré la diversité des aspects qu'elles peuvent revêtir, elles ont en commun une certaine forme de théâtralisation dont je me demande jusqu'où elles vont mener ses protagonistes (j'ai souvent observé une exagération, des cris pouvant aller jusqu'aux insultes ; la posture de la personne face à l'éducateur était menaçante avec une grande agitation des mains, très démonstrative ; les jeunes filles se plaçaient souvent dans une position de victime). C'est l'absence d'un autre moyen de communication qui, peut-être, conduit à cette ultime forme d'expression. Se pose alors la question de la maîtrise du langage, de la parole. J'ai assisté à ce qui m'a semblé être des formes d'affrontements entre les jeunes filles elles-mêmes mais aussi souvent dirigées vers les éducateurs et c'est sur ces crises-là que je vais concentrer ma réflexion. Je me pose alors la question de l'attitude à adopter pour l'éducateur.
Mon hypothèse est qu'il faut utiliser une parade à la manière de l'escrime (c'est-à-dire éviter le coup en se décalant au lieu de le recevoir, ce qui arrive si l'on reste en position d'affrontement) et éviter l'affrontement direct à ce moment-là. Je pense que la réponse ne doit pas être immédiate. Si l'éducateur met en avant son statut pour avoir le dessus, il peut faire lui aussi acte de toute-puissance sans s'en rendre compte. Me vient alors à l'esprit la phrase de Paul Ricœur : "N'exerce pas le pouvoir sur autrui de façon telle que tu le laisses sans pouvoir sur toi." Pour la jeune fille qui vit une situation de crise, il est rassurant d'avoir quelqu'un qui la contient sans réagir en miroir ( je crie-tu cries ) et du même coup se place aussi dans une attitude de toute-puissance 16 . Si le moniteur éducateur ne laisse pas un espace à la jeune fille pour se sortir de la situation sans qu'elle se sente humiliée, il ne se donne pas la possibilité d'une reprise (discussion à froid à propos de la situation) dans une relation de confiance qui suppose un respect mutuel.
Ces moments de crise, j'en suis conscient, font partie d'une vie en collectivité, et peut-être surtout à l'âge de l'adolescence qui est un âge de mutation, intermédiaire entre deux états bien différents, aussi bien physiquement que psychologiquement. Le fait de se retrouver à plusieurs confrontés à des difficultés analogues risque toujours d'exacerber les réactions des différentes personnes. D'après moi, il ne faut pas craindre ces moments de crise ou obligatoirement les éviter mais savoir les analyser pour les prendre comme point de départ pour la discussion en mettant des mots sur des maux. Ce qui est important, c'est de revenir ultérieurement sur l'incident, car je pense que la communication verbale, qui permet la réflexion et le dialogue, est interrompue au moment de la crise. Pour revenir à la "raison", il faut du temps et peut-être l'intervention d'une tierce personne. Parfois la crise peut être bénéfique dans la relation mais si elle devient un mode de communication, c'est probablement l'expression d'un malaise caché qui se verbalise très difficilement. Je pense qu'elle peut devenir de la matière pour l'éducateur, pour la construction de la relation sur la durée : nous vivons au quotidien avec les jeunes filles et lorsqu'on rencontre une difficulté avec l'une d'entre elles, il ne faut pas bloquer la situation ; on doit chercher à savoir en tant qu'éducateur quelle part on a dans ce qui s'est passé et pouvoir permettre à l'autre de reprendre le dialogue en renforçant le lien et la confiance. Pour moi, il faut toujours avoir à l'esprit que notre mission de moniteur éducateur est d'accompagner l'adolescente vers un mieux-être.
V. Où le stagiaire apprend à se remettre en question
Les adolescentes étaient un public avec lequel je n'avais jamais travaillé auparavant et j'avais au départ quelques a priori en ce qui concernait le mode de communication avec elles. Je pensais rencontrer des difficultés dans ce domaine et ce qui m'a surpris est que là où j'attendais plutôt des comportements de séduction, j'ai rencontré chez certaines d'entre elles (une minorité) des débordements violents qui ne correspondaient peut-être pas à l'idée que je me faisais des jeunes filles. J'ai compris depuis qu'il s'agissait de moments de crise .
Même si le terme "crise" 17 a une origine médicale, la crise n'est pas une maladie, mais c'est un point où l'avenir est engagé et il ne faut pas négliger son importance. Je l'ai bien senti dans la situation d'Annabelle (Situation 1) : le passage à l'acte n'était pas loin, il y avait un précédent, et c'est cela qui m'a frappé sur le moment. Dans les situations 2 et 3, ce à quoi j'ai assisté est bien un déséquilibre, Muriel et Barbara provoquant un brusque changement dans l'atmosphère de ces moments. Elles ont d'ailleurs quitté le Séjour peu de temps après ces événements qui apparaissent comme des ruptures. Il m'apparaît donc absolument pertinent de vouloir tenir compte 18 de ces moments puisque, comme j'en avais l'intuition, beaucoup se joue à cette occasion.
Les trois situations peuvent être comprises comme des réactions à une violence antérieure ressentie par les adolescentes 19 : le refus de sortir ou de prendre un café pour Annabelle, les contraintes imposées pour Muriel et Barbara dans les situations 2 et 3, qui s'expriment tout particulièrement dans la réunion où c'est le foyer dans son ensemble qui est rejeté. Depuis, d'autres manifestations du même type ont eu lieu : des jeunes filles ont détérioré les lieux. Dans le cas du moniteur éducateur, la maîtrise du langage, du raisonnement logique et du vocabulaire, ainsi que le pouvoir que lui confère l'institution (notamment celui de remettre l'argent de poche ou de permettre une sortie) peuvent être perçus comme violents. C'est bien contre cela que Muriel et Barbara se révoltaient. Cela confirme mon intuition qu'il ne s'agit pas alors pour l'éducateur d'affirmer sa puissance car il court le risque d'exacerber la réaction de la jeune fille.
Ce qui me semblait violent était surtout la manière dont la crise s'exprimait mais au fond, cette expressivité de la crise, ce qui m'avait d'abord choqué, n'est-elle pas une forme de communication, alors même que la crise me semblait être un espace d'incommunicabilité 20 .
En réalité, c'est un seul type de communication, la communication verbale qui était interrompue pendant la crise où c'est plutôt dans les manifestations gestuelles et auditives que le message s'exprime, et c'est après qu'il faut renouer avec elle au cours de ce que j'appelle la reprise . Si l'on veut filer la métaphore, la crise est un accroc dans la relation entre la jeune fille et l'éducateur, mais la reprise peut permettre de consolider cette relation. En revanche, si la réponse du moniteur éducateur est inappropriée ou absente, la déchirure persiste et risque même de s'agrandir avec le temps 21 .
Quant au lien que j'établissais entre les crises et l'adolescence, il me faut le nuancer quelque peu : peut-être que les éléments déclencheurs de ces crises étaient davantage la situation des jeunes filles concernées que le fait qu'il s'agissait d'adolescentes. Le lien n'est peut-être pas à établir aussi systématiquement entre situations de crise et adolescentes comme je l'ai d'abord pensé mais c'est plutôt la personnalité de certaines jeunes filles qui trouve dans le contexte un point de départ pour des crises. Il s'agissait bien de situations vécues par des individus particuliers, à un moment donné dans un contexte précis.
D'après Jean-Richard Freymann 22 dans une perspective psychanalytique, l'adolescence est une période de rupture aussi bien physique que psychique, après une certaine stabilité à la période de latence. A la puberté se produit selon lui une véritable "bascule adolescente" lors de laquelle l'adolescent ne peut plus s'appuyer sur les transferts affectifs qui faisaient de ses parents et de ses proches des protecteurs. Il se trouverait dans un nouveau scénario œdipien, à la recherche de la fonction que Lacan appelle le "père réel" capable d'assurer l'articulation du désir et de la loi ; dans cette quête même, il ferait apparaître les fragilités et les limites des adultes qui l'entourent, ce qui me conforte dans l'idée que les situations de crise que je relate sont bien dirigées vers nous, les éducateurs, qui sommes en position d'adultes. Les adolescentes qui se sont trouvées en situation de crise et que je décris dans mes observations sont cependant minoritaires au Séjour. D'ailleurs, pour prendre à contre-pied les théories associant l'adolescence à la crise, Michel Fize 23 part du principe que les principaux auteurs qui ont décrit l'adolescence comme période de crise (Rousseau, Freud) n'ont fait qu'universaliser des expériences individuelles et que c'est donc sur une vision particulière que s'est bâtie notre représentation de l'adolescence comme période de crise. Il écrit à propos de notre vision de l'adolescence :
"Nous voyons là, une nouvelle fois, les effets et les limites de la théorie psycho-psychanalytique de l'adolescence considérée comme "âge critique". C'est parce que cette théorie s'appuie quasi exclusivement sur l'observation de sujets en état de perturbations psychologiques ou/et de difficultés sociales graves qu'elle vient abusivement qualifier un âge tout entier de "problématique".
Or justement les trois adolescentes dont je parle dans mes observations se trouvent dans des situations de difficulté et de déséquilibre. Les autres jeunes filles accueillies au Séjour le sont également et toutes ne connaissent pourtant pas les mêmes crises.
Quant à la temporalité de la crise, elle est bien marquée par J.-R. Freymann : "La crise sous-entend l'idée d'un déclenchement, d'un déroulement, d'une fin, d'une nouvelle évolution secondaire à cette crise."
Dans la première situation, le rappel d'une situation antérieure a mis fin à la révolte d'Annabelle. C'était une manière de lui montrer que l'éducatrice la connaissait, se souvenait de ce qui lui était déjà arrivé. Les mots étaient posés sur une situation et ont permis de désamorcer le conflit. L'idée d'écoute et de communication me paraît plus que jamais primordiale. Comme l'écrit Charlotte Herfray 24 :
"S'il nous faut des mots pour nous dire, il en faut aussi pour entendre ce que nos interlocuteurs essaient de nous dire. C'est par la porte étroite du sens que les idées s'échangent et que s'établissent les liens avec ceux qui sont différents de nous."
En tant que moniteur éducateur, je pense qu'il est salutaire de chercher les mots justes pour entretenir ou renouer le dialogue. Ce qui me paraissait de la violence de la part des adolescentes est le reflet d'une violence qu'elles ressentent elles-mêmes. Ce qu'écrit Charlotte Herfray de l'nfans (c'est-à-dire celui qui n'a pas encore le langage, qui ne maîtrise pas la langue de la raison) me semble s'appliquer aux adolescentes que j'ai observées dans des moments de crise :
"Quand l'Autre se dérobe, quand il vient à manquer, quand son mutisme nourrit l'angoisse, quand la frustration devient insupportable, ces affects violents et incontrôlables font retour en nous. Certains auront appris non à les éradiquer mais à les contrôler en imposant le sceau de la raison à la folie et au désordre des pulsions. C'est tout de même ce à quoi sert l'éducation…"
C'est qu'une réponse doit être apportée à ces crises.
Sur la question de l'assemblée générale 25 , j'étais tenté de me dire que c'était l'occasion de débattre posément, d'énoncer ses problèmes afin de les résoudre. C'est ainsi que les choses sont voulues. Mais Muriel et Barbara étaient dans l'impossibilité de dialoguer avec l'institution. Je me posais la question du sens de leur placement. Le problème de ces placements, y compris dans un lieu comme le Séjour où l'écoute est mise en avant et énoncée comme principe de base, c'est que les adolescentes les ressentent la plupart du temps comme une contrainte. Et à l'âge où elles se sentent devenir des adultes dans un corps qui l'est déjà, certaines supportent mal de recevoir des interdits, non seulement de leurs parents, on le sait, mais encore plus de la part d'éducateurs qui n'ont aucun lien avec elles et auxquels elles n'accordent pas la légitimité pour leur donner des ordres. D'où l'importance de ce que j'appelle le tissage du lien. Chez Annabelle, le jour où j'étais présent, le lien avec l'éducatrice existait et a retenu sa colère. En revanche, chez Muriel, le lien était rompu et n'a pu être rétabli.
Les moments que je passe avec les jeunes filles et que je cherche à rendre sereins, ma position de stagiaire peut-être et le fait que je ne sois pas présent toutes les semaines, me permettent de créer une relation interpersonnelle où chacun a sa place. Je ne cherche pas à me mettre dans une position que je qualifierais de "copinage" avec les jeunes filles car je reste avant tout un adulte. Mais le fait de se positionner ainsi ne signifie pas que je ne les respecte pas en tant que personnes. Une bonne attitude de l'adulte avec des adolescents est décrite par plusieurs auteurs dont Charlotte Herfray 26 :
"L'adolescence est ainsi le temps des conflits, de l'opposition critique, voire de la révolte contre l'ordre établi, le temps de la désidéalisation des parents et des Anciens et du rejet de tout ce qui est "vieux". C'est un temps où des répondants sont nécessaires à condition qu'ils restent discrets, puisqu'ils ne sont pas souhaités."
Il me semble que ma fonction de moniteur éducateur me conduit à tâcher d'être ce "répondant", à être toujours dans l'échange. Dans la chronologie de la crise telle que je la définissais plus haut dans mes premières pistes de réflexion, cela revient à être attentif aux signaux précurseurs et à entretenir la communication avec la jeune fille, ce qui peut permettre d'éviter d'en arriver au paroxysme qu'est la crise. C'est ce qui s'est produit en ma présence entre l'éducatrice et Annabelle dans la situation 1. Si la crise a lieu, il me semble que l'attitude la plus souhaitable est d'éviter qu'elle n'aboutisse à des passages à l'acte dangereux pour l'adolescente ou pour autrui, sans entrer dans le jeu de l'affrontement direct ; les cris ou la violence sont à interpréter aussi comme des marques d'expressivité. L'éducateur a ainsi cherché à calmer la tension face à Muriel et Barbara dans la situation 2. Enfin, après la crise, il s'agit de revenir un autre mode de communication et pour cela choisir le moment opportun. J'ai remarqué que, souvent, les adolescentes revenaient d'elles-mêmes vers moi si je leur avais laissé une sortie honorable. Alors, on peut faire un retour constructif sur ce qui s'est passé et sur ce qui s'est dit pendant la crise. La jeune fille apprécie de sentir qu'on la prend on considération et qu'on cherche toujours la communication avec elle. On retrouve dans cette posture éducative à la fois la "discrétion" qu'évoque Charlotte Herfray et le respect qui apparaît dans la phrase de Paul Ricœur : "N'exerce pas le pouvoir sur autrui de façon telle que tu le laisses sans pouvoir sur toi." Si l'adulte n'abuse pas de sa position, la communication peut se faire librement, et il y a autant de place chez chacun (l'adulte et le jeune) pour l'écoute que pour la parole. J'insisterai pour terminer sur le fait que cet usage de la communication et de la parole ne signifie pas laisser l'adolescente libre de faire n'importe quoi : à travers la violence même de la crise, la signification du message ne peut-elle pas aller jusqu'à : "Protégez-moi de moi-même" ?
Conclusion
Depuis mes premières observations, mon positionnement a évolué grâce à mes recherches et à mes lectures. En effet, les crises qui me paraissaient simplement des moments de violence m'apparaissent maintenant comme un moyen d'exprimer un malaise, inhérent non seulement à l'adolescence mais simplement à la condition d'"être humain" et qui peut devenir particulièrement aigu chez des jeunes filles placées en foyer parce qu'elles sont déplacées de leur envionnement familial et dans des situations difficiles, en recherche de repères.
Au départ, je liais la crise à l'impossibilité de communiquer. Au contraire, j'ai découvert que c'est un véritable lieu de communication, essentiellement non verbale, et c'est ce qui explique son expressivité que je qualifiais de "théâtrale". Dans l'outrance même des comportements, un message est délivré, que le moniteur éducateur doit interpréter, et autour duquel il agit. La verbalisation doit se faire à posteriori, car la crise n'est pas le lieu de la parole posée et de la réflexion. Comme on a pu le voir, le temps de la crise est celui où tout ce qui pourrait être dit par l'autre risque d'être mal perçu et où la communication se fait plus sur un mode théâtral par les gestes, les cris ou les attitudes.
Je peux constater à l'issue de ce travail que mon regard sur les adolescentes a changé, par le biais de l'étude de ces situations de crises et surtout par les rencontres. Contrairement à ce que je pensais auparavant, j'ai pu observer que les jeunes filles étaient issues de milieux sociaux très divers et qu'elles dépassaient largement le stéréotype de l'adolescente placée en foyer d'action éducative tel que je me l'imaginais.
A force d'aller à la rencontre des jeunes filles, à force d'y ajouter des discussions et des lectures, j'ai passé outre le masque de la crise qui m'effrayait et me faisait reculer. Les nombreux échanges avec mon formateur de terrain m'ont beaucoup éclairé et ont imperceptiblement fait évoluer mon regard. J'ai l'impression de travailler différemment et d'avoir une intervention éducative différente de celle que j'avais au début de ce stage. J'ai le sentiment d'être davantage dans la compréhension et à l'écoute de l'autre et des signaux qu'il envoie et qui montrent si cet autre va bien ou mal. Je soutiens qu'adopter cette attitude, c'est "être bien-veillant ", c'est-à-dire être toujours attentif, ouvrir un champ de communication où chacun peut s'exprimer et où chacun a sa place. Je garde ma place d'adulte que viennent souvent questionner les jeunes filles dans une relation d'aide pour les adolescentes en situation de trouble. J'ai maintenant envie de qualifier les situations qu'elles vivent d'"orages affectifs" et leur communiquer qu'après la pluie vient le beau temps.
Dans ce cadre là, le rôle de l'éducateur peut être facilitant, aidant et constructif dans le projet avec la jeune fille. Ces crises-là permettent de tisser un lien avec la jeune fille et de la faire aussi travailler sur ses a priori et ses façons de penser afin de lui faire prendre conscience que des éléments importants de son avenir sont en train de se jouer.
Quand je suis allé à la rencontre des jeunes filles j'ai appris à apprendre. Elles m'ont frappé par leur courage car malgré leur jeune âge elles vivent des situations difficiles qui relèvent de circonstances souvent graves et elles doivent grandir plus vite que les autres.
Se remettre en question n'est pas une tâche facile et j'avais des réticences au début. Je me suis senti quelque peu désarmé quand je me suis retrouvé à questionner les certitudes que j'avais. Ce travail de recherches ouvre plus de portes qu'il n'y paraît, bien au-delà de la crise puisque ce sont les personnes, et non la crise, qui sont au centre de mes préoccupations. La question reste ouverte puisque chaque situation, mettant en jeu un individu, est forcément unique, même si elle peut présenter des similitudes avec d'autres. Ma réflexion maintenant dans le cadre de mon travail de moniteur éducateur s'ouvre sur l'objectif de conserver à l'autre sa place en tant qu'individu à part entière afin qu'il puisse exister en tant que personne dans son identité propre, et ne se perde pas dans le système institutionnel.
Bibliographie
Ouvrages :
FIZE Michel, Ne m’appelez plus jamais crise ! , Toulouse, ERES, 2003.
HERFRAY Charlotte, Les figures d’autorité , Un parcours initiatique ,Toulouse, ERES, 2005.
Articles :
FERREUX Jean, "Crise, créativité, communication", publié sur le site Thigodal.net .
FREYMANN Jean-Richard, "La crise adolescente : désintrication et intrication pulsionnelle", Crises , 1° Adolescence , collection Apertura , Strasbourg, Arcanes, 1999.
Jeunes, du risque d'exister à la reconnaissance , Sixième Congrès européen, Strasbourg, juin 2005 (colloque).
Document :
Les options du travail éducatif du Séjour , Dossier d'habilitation octobre 1997
Remerciements
Je tiens à remercier tout particulièrement toute l'équipe du Séjour et plus particulièrement mon formateur de stage ainsi que ma formatrice GRAPP qui ont su faire naître en moi l'expérience du déchiffrement de soi qui permet de mieux se comprendre mais aussi de mieux comprendre les autres.
1 Claude Vigée est un poète juif alsacien né en 1921 qui accorde beaucoup d'importance au pouvoir de la parole. Cette phrase résonne différemment dans son contexte et dans le mien, mais il me semble en effet que la parole est primordiale dans ma fonction de moniteur éducateur.
2 Cette phrase est citée dans Les options du travail éducatif du Séjour et m'a paru particulièrement juste à mesure que je progressais dans mon stage et dans ma rencontre avec les jeunes filles. J'ai acquis la conviction qu'on ne peut travailler avec l'autre en tant qu'humain que si on lui laisse toute sa place d'individu. Il me paraissait donc important de placer mon travail dans la ligne directrice de cette phrase par rapport à mon expérience au Séjour.
3 Cet I.M.P. accueille des enfants présentant des déficiences intellectuelles légères, profondes ou lourdes.
4 Selon la loi 375 et suivants du Code Civil, si la santé, la sécurité, la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger ou si l'éducation est gravement compromise, peuvent alors être prononcées des mesures d'assistance éducative. Des mesures existent également en ce qui concerne les jeunes majeurs, comme nous le verrons plus loin.
5 Pendant une durée définie par le juge, elles doivent respecter les horaires de sortie en vigueur au Séjour, suivre une formation ou une scolarité, et le juge est tenu régulièrement au courant de leur situation.
6 Cela suppose la signature d'un "Contrat Jeune Majeur" avec l'Aide Sociale à l'Enfance ou une "Prolongation Jeune Majeur avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
7 "Les options du travail éducatif du Séjour"
8 Les noms propres ont été changés pour respecter l'anonymat des personnes accueillies.
9 La posture de toute-puissance signifie pour moi l'attitude consistant à s'octroyer le droit de faire ce qu'on veut quand on veut en dépit des autres. Le terme est également utilisé dans "Les options du travail éducatif du Séjour" avec le sens de pouvoir institutionnel écrasant.
10 Après des actes qu'elle a posés à l'encontre d'autres jeunes filles du foyer ou des éducateurs (insultes violentes), il a été décidé en réunion d'équipe qu'il n'y avait plus de pertinence à son placement au Séjour, compte tenu de l'absence de projet et d'un comportement qui était préjudiciable aux autres et à l'équilibre de la vie en collectivité. Il a été décidé qu'elle serait hébergée en auberge de jeunesse, avec l'accord du juge qui a été régulièrement tenu au courant de la situation et qui pourra par la suite se prononcer soit pour une poursuite de placement dans un autre foyer ou un retour en famille.
11 Depuis le moment où j'écrivais ces lignes, et après un passage à l'acte auquel je n'ai pas assisté (menaces de mort accompagnées de coups de pied contre une jeune fille en situation de faiblesse), le placement de Barbara a été levé et elle a été confiée à sa tante. Je pense en effet que le placement en collectivité ne lui convient plus et qu'il lui faudrait peut-être un environnement différent avec moins de jeunes. Peut-être en allant chez sa tante, sera-elle prête plus tard à revenir d'elle-même à un placement dont elle aura compris le sens et l'utilité. J'ai le sentiment en l'observant qu'elle est si insécurisée dans ce groupe qu'elle est obligée de se donner une place de meneuse sur un mode violent. Lorsque j'ai discuté de cette hypothèse personnelle avec mon tuteur de stage, il m'a cité Lévinas : "Mes maîtres m'ont enseigné que chacun dans son unicité est nécessaire à la vérité". Ainsi chacun s'insère comme il le peut dans un groupe et y trouve sa place à sa manière.
12 Il me semble en effet légitime que les jeunes filles demandent à être écoutées sans se sentir humiliées par "le savoir des éducateurs" qui "parlent bien" et devant lesquels elles n'ont pas le pouvoir du langage. Il est normal également que soient respectés les engagement pris par les éducateurs, comme les dates de remise de l'argent de poche.
13 C'est un atelier qui réunit cinq stagiaires exerçant dans différentes structures, leurs formateurs de terrain et notre formatrice GRAPP pour échanger autour de nos pratiques professionnelles.
14 Terme utilisé dans "Les options du travail éducatif du Séjour" .
15 ou "être attentif".
16 Les Options du travail éducatif du Séjour p. 4 montrent la limite de ces postures : "Or, si c'est une rencontre qui se souhaite, il nous faut lâcher sur cette position - illusoire - de toute-puissance."
17 "emprunté au latin impérial crisis au sens de “phase décisive d'une maladie”.(…) Crise est donc à l'origine un terme médical, qui développera, par extension au domaine psychologique le sens d'“accès avec manifestations violentes”." Dictionnaire historique de la langue française , sous la direction d'A. Rey, Paris, Le Robert, 1992.
18 "prendre en considération, accorder de l'importance" (Petit Robert , édition de 1967).
19 "La possession d'un bien, d'un savoir, d'un savoir-faire peut être ressentie par ceux qui en sont démunis comme violence qui leur est faite par le possesseur. D'où leur violence en retour." Dictionnaire de Psychologie , sous la direction de R. Doron et F. Parot, Paris, Presses Universitaires de France, 1991.
20 "L'éthologie humaine, notamment, décrit les comportements expressifs comme des faits de communication non verbale." ( Dictionnaire de Psychologie , Paris, Presses Universitaires de France, 1991).
21 A propos de la communication (verbale) et de la crise, d'un point de vue sociologique, on peut lire un article de Jean Ferreux, "Crise, créativité, communication", publié sur le site Thigodal.net dans lequel il est écrit " la communication, ce n'est pas ce qu'on veut dire, mais ce que l'autre comprend", ce qui signifie que parler n'est pas communiquer et que la communication claire suppose une attention à la personnalité et aux réactions de l'interlocuteur.
22 "La crise adolescente : désintrication et intrication pulsionnelle" Crises , 1° Adolescence , collection Apertura , éditions Arcanes, 1999. Psychanalyste, psychiatre de formation, chargé d'enseignement à l'université Louis-Pasteur de Strasbourg. J.-R. Freymann est le président de la Fedepsy (Fédération européenne de psychanalyse et École psychanalytique de Strasbourg) et le directeur scientifique des éditions Arcanes.
23 Ne m'appelez plus jamais crise ! , Toulouse, Eres, 2003.
24 Les figures d’autorité , Un parcours initiatique , Toulouse, ERES, 2005, p. 129.
25 L'assemblée générale est la réunion qui rassemble mensuellement toutes les jeunes filles et tous le personnel administratif et technique.
26 Les figures d’autorité , Un parcours initiatique , Toulouse, ERES, 2005, p. 100.
important
joséphine
mardi 06 janvier 2009