mercredi 07 décembre 2011
CHOISIR
Déclaration des droits de l'homme ARTICLE 27
Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté,
De jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent .
J'ai trouvé cet article de la déclaration des droits de l'Homme, en préambule d'une intervention, sur la culture et les personnes, d'un psychiatre. J'ai trouvé que ces deux lignes sont l'embryon de cet atelier, un "carburant" qui mue l'atelier.
D'abord le lieu d'écoute, la médiathèque Max Pol Fouchet, de Givors, les salariés, la directrice de lieu municipal et le maire soutiennent l'atelier depuis sa création. La médiathèque est située au centre d'une ville ouvrière, Givors.
Durant le voyage aller, nous reprenons ensemble la séance précédente. D'abord, un tour de "banquette" permet de savoir qui a choisi la dernière séance. Je leur demande à chacun de commenter le choix de l'autre, si cela leur a plu, mais ce commentaire se fait toujours à posteriori. Notre déplacement entre lieu où nous nous garons et la médiathèque, 600 m, améne le groupe à la réalité. Une rue à traverser, sans passage protégé. L'accompagnement peut être rapproché, une partie marche groupée. Deux résidents, en retrait, flânent, traînent, se détachent du groupe ou tout simplement fument une cigarette. A chaque voyage, suivant son tour, chacun monte à la place de devant.
L'atelier s'appelle "choisir", depuis sa création en 1995.
J'ai senti le besoin de poser des mots, les écrits relatent ce temps, l'atelier "choisir". Ecrire est mettre des mots, leur dire tu es. Je me rends compte, que face à des difficultés, déjà travaillées, mes réponses différentes avec le temps, je ne réutilise pas la recette écrite en 98 ou 56 avant JC. Ces écrits ne sont pas un palymseste, un parchemin lavable. Elles sont gravées dans l'édifice que nous construisons. Ces mots assemblés en phrase, sont ce ru qui irrigue le travail, semant un temps, une jachère, un espace de cultures.
Choisir, vient du gothique, kausjan, "éprouver, goûter". Cette définition renforce mon projet de l'atelier, son contenu. Nous goûtons une musique qui n'est pas forcement celle que nous apprécions.
Le projet initial est de stimuler le résident, dans le choix, dans ses désirs, dans ses préférences, tout en n'intervenant pas sur ceux-ci. Chaque résident diffère d'un autre. Animer cet atelier, c'est d'abord respecter la différence culturelle et la préférence de chacun en individualisant le choix, tout en prenant en compte qu'il appartient au groupe. La diversité des choix permet la découverte de différentes musiques. La difficulté est d'éviter que le choix reste limité à un ou deux chanteurs en vogue ces temps-ci. Ensemble, plusieurs fois durant le dernier trimestre, nous avons essayés de faire l'inventaire des chanteurs ou des musiques connues par eux. Il est arrivé plusieurs fois, qu'un bibliothécaire propose l'écoute d'un CD en recherche de choix. La culture est le sel, le poivre ou l'eau qui agrémente ce plat musical, qui donne du goût au plat présenté chaque mercredi, après midi.
A aucun moment, j'influence le résident, mon "rôle" est de l'aider à trouver le CD choisi dans les présentoirs, mettre en marche le lecteur et l'ampli. Un tour s'est institué pour la sélection, il parait difficile d'écouter 3 CD durant les 2 heures.
Il est difficile d'émettre une réponse personnelle à l'interrogation du résident sur mes choix personnels, sans risquer une influence de ma part sur leur choix. J'ai peur que mes goûts deviennent les leurs. Chacun maîtrise la communication verbale différemment, je permets à chacun d'exprimer son choix, en prenant parfois du temps, donc en réduisant le temps d'écoute. En décembre, devant la difficulté d'un résident d'exprimer sa préférence, une discothécaire a proposé au groupe un chanteur, la proposition a été reprise par le groupe.
Certains résidents annoncent leur choix en arrivant à la médiathèque. D'autres se baladent devant les bacs contenant les disques compacts, feuillettent, comme on peut le faire avec un livre avant de l'emprunter ou de l'acheter, et prennent un disque compact. Le choix peut être juste un mot, un son et le nom du chanteur. La reconstitution du choix est dure, alors.
L'écoute d'un disque compact permet parfois un lien avec un temps d'internat, avec sa propre discothèque ou avec un proche.
La culture peut être conjuguée en plusieurs temps, sur des rythmes différents.
Rapidement, le temps des "plaisirs" prend le pas sur le choix. Comme le dit J.Michel Ribes, acteur et producteur, " la vraie culture est le plaisir". Le plaisir est la médiation. Il permet à l'autre de communiquer des non-paroles, des choses immatérielles, éphémères. Ce moment devient un loisir où le désir et le plaisir sont les locomotives du mercredi après midi. Je pense que ce moment de goûter, se situe au dessert, temps généralement composé de douceurs.
Le groupe s'est installé dans ce temps de loisir, de goûter musical. Choisir c'est goûté à des musiques différentes et réussir à exprimer ses ressentis. Il y a quelques années, je leur avais proposé l'écoute des "garçons bouchers". En sortant, l'ensemble des résidents m'a exprimé, qu'ils n'avaient pas aimé. L'écoute musicale est un apprentissage perpétuel, de découverte. Je pense que goûter est possible quand une palette musicale est proposée. L'écoute s'offre à l'imaginaire du résident. En transformant ses différentes écoutes, le résident semble se transformer. En cultivant sa palette musicale, il cultive peu à peu son goût, et raffine dans le dégoût. L'atelier développe "le souci de partager, la convivialité, la commensalité". La musique a rapidement bouté un peu le projet, les résidents aussi privilégiant la musique. La musique mobilise chez chacun d'entre nous, des sensibilités différentes comme un être diffère de l'autre. Vivaldi permet une évasion au niveau de la nature, tandis que Sardou nous parle de choses ou d'autres. La musique permet au résident de se fluidifier, les notes de musique fluidifient son mal être.
La musique, le jazz crée une enveloppe de la personne, pouvant l'amener à une fixation sur l'imaginaire, juste fixer une partie de son corps (un doigt, une voix). Une odeur, une couleur, un son différent, change, met une touche en plus, dans leur vie de personne. Ou tout simplement d'être. La musique a permis d'installer une quiétude. La musique est une enveloppe de note de musique qui rassure, protège le résident. La musique est cette rosée qui ravive le résident, le rafraîchit.
J'aime beaucoup cette image d'enveloppe sonore qui réchauffe, qui permet de
Rencontrer un son, rencontrer un chanteur, un musicien.
La musique est apaisante, elle semble panser les dégâts causés par les difficultés et
permet de penser à une prise en charge de ses difficultés, de vivre malgré elles.
La musique, comme le dit Fêla, saxophoniste, chef d'orchestre et politique nigérien, est « l'arme du futur ». La musique permet à l'autre de construire quelque chose.
Le temps d'écoute semble un temps de repos où la musique berce l'autre.
Je travaille autour de cet appétit que je leur ai fait connaître, cette faim de culture.
Nous n’avons pas naturellement faim de culture. Ce besoin vient de notre construction. La faim de culture nous nourrit de note, de son, de mot, d’image.
Quelqu’un qui ne connaît pas la culture, pourrait être « anorexique ». Il lui manquerait des « oligo élément » vitale, des éléments pour son échafaudage que j’appellerais « psychique ».
Le temps « musique » a changé durant ces années. Au départ les 3 résidents du groupe dansaient, battaient la mesure, bougeaient leur corps. Aujourd'hui les résidents s'assoient , écoutent la musique en silence. Pendant le temps d'écoute, des mots peuvent s'échanger, des regards ou simplement des silences. Cet état me fait penser à ce qu'écrit Alomée PLANEL, musicothérapeute "Dans la compréhension du Mythe de la Tour de Babel, on peut dire que la seule note avec laquelle les peuples se rassemblent est le silence." Le silence semble les unir pendant ce festin musical. Ils restent immobiles, ferment les yeux, regardent leur doigt, se tiennent la joue tout simplement ou tout simplement s'allonge sur les marches moquettées.
Ce temps n'est pas seulement un moment culturel, mais aussi un temps humain. Ce temps a permis d'entamer pour un résident le travail de deuil de sa mère, pour les résidents le travail de deuil de J.Louis, éducateur au foyer. Nous avons écouté Ferrat car la maman et J.Louis aimaient ce barde. "Choisir" serait une aide à faire le deuil ou à se souvenir de moments sympas partagés ensemble.
En février 2010, Didier est mort, après une longue maladie. Lors de son stage au foyer, il avait goûté à l'atelier, après son intégration au foyer, il demande de participer à l'atelier. Il faisait partie de l’atelier " choisir ". La veille de son enterrement, pendant le temps de l’atelier, le groupe souhaite écouter un des chanteurs que Didier nous faisait écouter.
Le groupe a échangé sur la place de Didier dans le groupe. Sa participation par une phrase, d’autres fois, par son allongement sur le sol moquetté. J’ai noté les pensées des résidents que j’ai lus le lendemain, devant le cercueil de Didier.
Le groupe "choisir" accueille régulièrement des stagiaires d'école de travail social, mais aussi des résidents inscrits dans l'accueil temporaire. Pendant le dernier trimestre 2006, le groupe a accueilli, pendant 3 mois, une stagiaire d'un autre foyer. Catherine a du respecté cette quiétude du banquet, ce temps de "non cigarettes" difficile pour Catherine. Après des départs difficiles du foyer, au bout de quelques instants, la musique la détendait, lui permettait de surmonter ses angoisses.
L’image qu’il renvoie à l’extérieur, peut être négative de compassion ou dite normale. La différence avec les autres ne doit pas venir de son hygiène, de sa tenue ou de la “grosseur” du groupe. Avec l'équipe du module, nous avons travaillé avec Pierre. Il vient à Givors habillé proprement. Le résident est rappelé à la réalité. Le regard de l'autre peut construire ou détruire la personne. Lorsque Jacques est nommé avec le bonjour, Jacques est une personne. Pierre ou Marc sont des adultes, ils ont le droit au vouvoiement, à la considération. Les usagers de la médiathèque de Givors ne peuvent accepter de se faire "agresser". Le groupe n'a jamais exporté le foyer à la médiathèque. Certains résidant ne sont pas venus à la "musique", ils étaient dans un tel état d'angoisse, tendus même violents verbalement.
L'atelier "choisir", la médiathèque comme le nomme certains résidents a traversé les histoires, l'histoire du foyer. Je m'interroge souvent sur les bien faits ou le mal faits de cet atelier. La musique lie le groupe. J'ai envie d’écrire, que la musique les pense, les panse, qu'il pense à la musique. Le résident par son écoute pense la musique, pense à lui. La médiathèque fait contenant. L’atelier « choisir » est un lieu en dehors du foyer, un tiers, une médiation ancienne, plus de 15 ans. L’enveloppe auditive accompagne le résident, le berce, le câline, tout semble lui permettre d'être bien.
J’ai envie d’écrire que le la, le do ou le si sont des traitements auditifs. La musique est complément de vie, qui épice, colorise ou tout simplement met un fumet de Rock, de variété ou de jazz.
J’essaie par la musique de pénétrer chaque parcelle, chaque surface de l’atelier, comme l’écrit, un poète et peintre russe Kandinsky : « le plus profond, c’est la surface ».
L'écoute par les résidents diffère suivant la personne. JPL souhaite écouter des chanteurs des années 60 et toujours une chanson précise. Ce choix pose souvent la question de la disponibilité du CD, dans le catalogue. Souvent il choisit de nouveau, devant les bacs des C.D. Il n'écoute que la chanson demandée, entonnant le refrain. Il reste à regarder l'index de sa main droite. Les autres fois, il s'assoit, ne laisse apparaître aucune réaction, pendant l'écoute. Pendant ces 45 minutes de musique, il reste dans son monde. Il vaut mieux laisser le temps se dérouler, en étant attentif, pour saisir des laps de réaction. Après l'écoute d'un CD, que j'avais choisi, il me dit qu'il n'a vraiment pas aimé, première fois qu'il réagit et qu'il ne répète pas une phrase entendue quelques minutes avant.
J'aime ce temps musical, et j'essaie de transmettre ce temps de plaisirs, de leur communiquer une pensée. Cette pensée évolue par la lecture autour de la musique comme médiation.
Il a fallu parfois se battre pour conserver ce temps régulier, mis à mal par le nouveau planning concocté par ceux qui savent.
Parallèlement à ce temps, je fais parti depuis 26 ans de l'équipe de bénévole, du Rhino jazz(s), festival de jazz de la Loire. Le groupe assiste à l'inauguration du festival. Le groupe a fait plusieurs rencontre avec des musiciens. Certains sont venus jouer au foyer, dans des temps particuliers, lors de la fête de la musique. Depuis plusieurs années, le directeur du Rhino Jazz(s) propose de donner un concert au foyer, chaque année, dans le cadre des concerts hors festival. Le Rhino jazz(s) donne chaque année depuis 3 ans un concert au foyer. C'est un instant où musique, joie, plaisir sont partagés avec le foyer. Des fleurs s'épanouirent, ailleurs qu'au jardin. Un véritable bouquet champêtre de notes, de clefs de sol, de portées compose la musique berçant le foyer en rythme avec le ruisseau "le Reynard", qui borde ce dernier. C'est une pollinisation du foyer, un printemps avant date ou en même temps.
La musique sème des graines qui vont grandir, qui vont fleurir en vie.
Jean-Pierre Meyer