vendredi 11 novembre 2005
« Si vous ne croyez pas à la science-fiction, c’est bien sur que vous n’avez jamais vécu en banlieue » Maurice G. Dantec, in Villa vortex .
Banlieue : lien de bannissement , situé à une lieue d’éloignement de la cité. No man’s land (terre sans homme)
Les banlieues flambent ; les explications de l’embrasement aussi. Selon les retours de flamme, la faillite des banlieues, c’est la faute (dans le désordre) : du logement, de l’emploi, l’immigration, la sécurité, l’éducation, la vie quotidienne, le modèle social français. 7 causes comme au jeu des 7 familles, c’est en tout cas ce que résumait le Figaro du 9 novembre. La question, c’est qu’on a beau s’attaquer à des remèdes sur ces 7 plans, rien n’y fait. Qu’on tire à droite ou qu’on porte à gauche. On savait bien, ça se disait, que ça allait péter, mais on l’a pas vu venir ou on n’a pas voulu le voir. Chacun cherche des causes extérieures aux jeunes eux-mêmes. Les seuls mots pour les désigner, toujours de l’extérieur, échappés de la bouche d’un représentant du peuple : racaille , terme apparu au XII é siècle, « qui racle » et fait un travail de bas étage ; et le soir-même : gangrène , membre pourri qu’il faut couper. Autres mots entendus dans d’autres bouches : vermine, rats… Autant d’explications qui visent une stigmatisation et une déqualification. Que disent ces jeunes gens de ce qu’ils vivent, et y compris de leur propre violence ? Nul ne le sait. Personne ne le leur a demandé. Qui va se faire passeur de leur parole ? Lorsqu’un certain ministre va soi-disant à la rencontre de la population, c’est pour se mettre en scène en vue d’une échéance électorale. La dite population sert de marche-pied, de faire-valoir, voire de décor : on tourne en live sous les sunlights. Quant aux journalistes ils ne recueillent que des bribes, des phrases et des images tronquées qu’ils enfilent comme des perles pour le journal de 20 heures.
Où sont les lieux d’écoute, les lieux d’adresse du malaise, du malheur ? Seuls les travailleurs sociaux pourraient tenir cette place de chambre d’écho et de passerelle vers les hautes sphères. Les tambours du Bronx battent depuis longtemps : personne ne les entend, que comme un écho lointain, voire folklorique. Où sont les clubs de prévention, les éducs de rue ? Deux éducs pour toute une cité, faut pas rigoler. Le travail social est une visée à long terme, pas dans l’urgence. Avec une hypothèse de base unique, clinique : ce qui ne peut se dire avec des mots se dit avec … des maux. Et ça fait mal ! Question subsidiaire : en quoi les centres de formation préparent-ils à ce travail de soutien, d’accueil, d’écoute, d’accompagnement au long cours ? Ce n’est pas un cours en amphi sur la sociologie urbaine, ou quelques statistiques sur le chômage ou la pénurie de logements, le tout agrémenté d’un témoignage d’une Régie de quartier qui peut permettre à de futurs travailleurs du social de soutenir cette place. Cette place à soutenir est, je le répète, clinique, au sens premier de rencontre de celui qui est en souffrance, là où il souffre. Elle s’instaure dans une relation de confiance et de « transfert » avec les habitants d’un quartier et chaque habitant qui demande un soutien, un par un. C’est un travail sur le long terme, peu visible. Les résultats ne peuvent être quantifiés simplistement. Un travail où chaque sujet compte. Ça demande pas mal d’humilité. Y aurait-il des cours d’humilité dans les centres de formation ? ça se saurait. ça s’apprend, ça ne s’enseigne pas, cette posture. Ça s’apprend comment ? Dans des espaces d’élaboration où l’on croise pratique et concepts pour la lire. Qu’en est-il dans les espaces de formation et sur le terrain de ces lieux d’élaboration ? Que font savoir les travailleurs sociaux de ce qu’ils vivent au quotidien ? Où écrivent-ils ce qu’ils font ? Où témoignent-ils de ce qu’ils savent à côtoyer à longueur d’année les plus démunis? Si l’on prenait les choses par ce bout peut-être alors que les questions d’évaluation et de rendre-compte prendraient tout leur sens. Faute de ce retour on a beau jeu alors de faire peser l’incurie sur le politique. Tous, quelle que soit notre place, avons un engagement politique à tenir.