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Anthropie (Manifeste)

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Joseph Rouzel

lundi 05 mars 2007

1- L’Être dit humain, tiré de l’humus, naît (n’est) pas fini. Cette infinitude, cette incomplétude de l’Être constitue sa structure de base, son camp de base. De structure, cette constitution dont on ne connaît aucun autre exemple dans le règne animal, en fait un Être ouvert. La non-finitude du naître se double d’une non-finitude de l’Être. Cette incomplétude n’offre pas d’autre voie au petit d’homme, tout au long de sa vie, que celle de sa faire naître (n’être) à chaque instant.

2- Cette structure de base comme incomplétude ne lui offre qu’une voie pour survivre : tenter de s’appareiller, pour se compléter, à la culture qui l’accueille et lui sert de berceau. Tentative jamais achevée, toujours incomplète et insatisfaisante.

3- La culture, c’est-à-dire ce qui permet à l’Être dit humain de se tenir éloigné du règne animal et aux humains de se supporter entre eux, lui est présentée dès sa venue au monde par un autre humain. La culture, à travers ses divers relais sociaux, a pour fonction première de transmettre ce point d’incomplétude qui se traduit par une perte radicale de jouissance.

4- La culture, figure première de l’Altérité (Autre), ne vit que par la transmission qui passe par tout un chacun (autre).

5- Du fait de l’incomplétude structurale de l’Être, la culture se présente comme une prothèse, une greffe, un appareillage, une marque.

6- L’essence même de la culture, ce qui en assure le vivant, ce qui l’irrigue en permanence et en garantit la transmission, tient au langage.

8- Cette structure trouée du langage humain implique un appareillage particulier dans le corps du petit d’homme, une forme de parasitage. À savoir que ce qu’on nomme éducation consiste avant tout à inscrire à même sa chair, un trouage syntone au trouage du langage. Cet appareillage produit, dans son assujettissement, un sujet, c’est-à-diree un être de lettre.

9- L’autre, parental dans un premier temps, puis social, ne tient sa légitimité pour cette opération de trouage que de la puissance de l’Autre, figure dans la culture de l’Altérité, de toute altérité. C’est donc au nom de l’Autre que l’autre opère. L’autorité lui est de fait conférée par cette instance d’Altérité. On trouve ici ce que les anciennes philosophies ont coutume de nommer : transcendance.

10- Les sociétés d’humains se sont inventées, tout à long de leur histoire, des figures tutélaires, masques de l’Altérité, pour border ce point de vacuité à l’origine, pour ne pas laisser le petit d’homme en déshérence.

11- Les sociétés d’humains sont des machines à inventer des d’Hommesticateurs 2 , dieux ou idéaux qui transcendent chacun de leurs membres et permettent d’en décliner une organisation sociale (politique), de dégager des principes moraux (éthique), de fonder les prémisses des représentations (esthétique).

12- Les grands d’Hommesticateurs, création géniale des hommes, se constituent comme tiers, comme figure de l’Autre, comme source de l’Altérité. Chaque homme en s’y soumettant se fait sujet. Les dieux, les esprits, la Nature, les diverses entités jusqu’au Dieu unique des trois monothéismes, sont à ranger dans ce catalogue des inventions humaines.

13- Depuis la révolution industrielle, dès le fin du XIX éme siècle, Dieu, qui sous-tendait depuis 2000 ans la civilisation judéo-chrétienne, sous les auspices du patriarcat (Dieu le Père) est mort (Nietzsche, 1896), les dieux sont tombés sur la tête (titre d’un film célèbre des années 80), et l’homme est en mauvaise passe (Michel Foucault, 1960)

14- Chassés par les idoles spectaculaires et marchandes, ces formes lisibles et visibles de la transcendance, se sont tues. Les dieux sont devenus les invisibles et les muets. Les marques des objets manufacturés les ont remplacés. Les marques (logos) parlent pour les dieux, mais ne parlent pas d’eux. Elle parlent pour se vendre.

15- La civilisation hypermoderne qui dans un premier temps avait mis aux commandes les lois du marché, la libre circulation des biens et des richesses, avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication soutenue par le numérique, a produit un Être débranché des grands principes qui ont jusque-là accompagné et soutenu son évolution. De citoyen, donc être manquant, situé dans la communauté des hommes comme un parmi d’autres, il a été transformé en consommateur unique et élu : le client est roi ! Au lieu de se donner une place du fait de la parole et du langage, c’est marqué, tatoué, incisé du logos marchand, que le consommateur déserte les rives de l’humaine condition, pour tenter de supprimer l’incomplétude structurale de l’Être. Il ne peut qu’en effacer les emblèmes et les blasons, en gommer l’écriture dans le texte des sociétés.

16- Le consommateur est tel qu’il se consomme et se consume soi-même dans ce qu’il produit. Il se mord la queue et s’auto dévore.

17- L’industrialisation de la vie quotidienne est en grande partie organisée autour des images publicitaires qui envahissent l’espace public, l’espace où les Êtres parlants se rencontrent. Les télépulsions, diffuseurs d’images, aliènent le désir né de l’incomplétude de l’Être, en le saturant d’objets rêvés, pour en recycler l’énergie vitale dans les circuits de la manchandisation. 3

18- L’opposition à ce système est impossible : toute forme de critique, d’analyse, de dénonciation nourrit le système et l’entretient. La société spectaculaire et marchande fait feu de tout bois. Toute tentative de destruction du spectacle participe du spectacle de la destruction.

19- Comment résister à cet état de fait ? Que faire ?

20- Il s’agit d’inventer des poches de résistance qui échappent à la marchandisation et à la mise en spectacle des forces désirantes. Et de réunir ces poches de résistance en réseau. Les résistances isolées : micro politiques, artistes (poètes, slameurs, grapheurs…) détournent les technopouvoirs pour circuler et se connecter. Internet, par exemple est le théâtre d’une tentative permanente de mise au pas par le système, mais qui lui échappe.

21- Il y a lieu de soutenir toute tentative de création et de subversion dans les arts, les sciences, la littérature, mais aussi toutes formes de pratique sociale qui sans cesse relancent l’infinitude de l’Être, sans la laisser capter par l’aliénation des objets de consommation. Cette relance incessante est produite par ce que l’on nomme : désir. Le désir né de l’incomplétude de l’Être, ne saurait se satisfaire d’aucun objet du marché ni du spectacle.

22- C’est ce qu’ont bien capté les prétendants à ce qu’ils nomment la gouvernance de la République française, qui misent tout sur le désir. Entre un pouvoir nommé désir et un désir d’avenir, lancés comme miroir aux alouettes, c’est l’avenir du désir qui se joue. Et l’avenir du désir est entre nos mains.

23- La gouvernance n’est que la forme abâtardie du gouvernement, induite par le neo-libéralisme, qui met le politique au service du marché.

24- La mise en scène médiatique qui accompagne les candidats participe d’une volonté spectaculaire de se vendre. Petites phrases et effets d’image ne produisent aucune pensée. Ces processus ne servent qu’à accaparer des « tranches de cerveau » pour les mettre à disposition du marché.

25- … à suivre…

Joseph Rouzel, psychanalyste, Directeur de Psychasoc

1 Cf. Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire , Denoël, 2007.

2 Cf. Dany-Robert Dufour, On achève bien les hommes , Denoël, 2005.

3 Cf. Bernard Stiegler, Télécratie contre démocratie , Flammarion, 2006.

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