« La culture désigne la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie d’éloigne de celle de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux » Sigmund Freud, Malaise dans la culture .
« Die Menschen sind autoritätsglaubig. (Les hommes ont foi en l’autorité). » Sigmund Freud Lettre à Einstein de septembre 1932, « Pourquoi la guerre ? » in Résultats, idées, problèmes .
L’autorité n’a rien de naturel, elle est essentiellement culturelle. Elle s’organise autour de deux pôles. D’abord des représentations sociales, des valeurs fortes, des principes, des grands organisateurs sociaux ( religions, philosophie, art, politique…), des mots - phares (liberté, égalité, fraternité), une Référence affirmée à ce que le philosophe Dany-Robert Dufour nomme « des grand sujets » 1 , « un Grand Tiers » comme le souligne le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun 2 , autant de reprises de la notion de transcendance. Bref une société ne s’organise qu’autour de ce qui fait autorité et permet de réguler la jouissance de chacun de ses membres.
Ensuite, un deuxième pôle découle logiquement du premier, l’autorité ne se décrète pas, elle est conférée. Elle ne se déploie qu’à travers des agents, des représentants, des passeurs qui s’autorisent de cette source forte transcendante et que l’organisation sociale autorise. Ils s’en autorisent en s’y soumettant. Parents, enseignants, travailleurs sociaux, magistrats, policiers, politiques… participent ainsi dans notre espace social, de cette mise en œuvre de l’autorité, notamment en direction des plus jeunes. La « fabrique de l’homme occidental », pour reprendre l’expression de Pierre Legendre 3 , se fonde de ce qui fait autorité, de ses passeurs et des mises en scène institutionnelles qui en permettent la mise en œuvre : famille, école, quartier, espaces publiques… Les rituels de socialisation constituent autant de mise en acte de l’autorité.
Face à cette question, l’ouvrage de Charlotte Herfray s’avère précieux. Le discours dominant qui ordonne aux parents, aux éducateurs, aux enseignants, aux politiques, de faire preuve d’autorité, voire de la restaurer, font fausse route. Nul n’est maître en la matière. En cela l’autorité se distingue radicalement du pouvoir. Il est des représentants légitimes de l’autorité - pensons aux différences de places imposées par la différences des générations – qui n’osent plus dire « non », qui n’osent plus dire les mots qu’il faut pour humaniser la jouissance. Ils n’osent plus parce que le discours ambiant les désavoue. Charlotte Herfray qui est psychanalyste, docteur en psychologie et en sciences de l’éducation a enseigné pendant des années à l’Université de Strasbourg. Elle a déjà signé en 1993 un très bel ouvrage intitulé La psychanalyse hors les murs dans lequel elle mettait à l’épreuve de l’éclairage analytique les questions soulevées dans le champ social. Dans ce dernier ouvrage elle décline « les figures de l’autorité » à partir de Freud, Lacan et quelques autres. Elle sait aussi faire flèche de tout bois pour nous faire toucher du doigt tous les motifs de sa démonstration : les mythes, la Bible, les anecdotes, l’histoire, l’actualité, la littérature ne cessent de nourrir une pensée en marche. Des distinctions très utiles sont aussi opérées entre le pouvoir et l’autorité, mais aussi entre la Loi symbolique (avec un grand L) et les lois , ce que les anciens grecs sépareient en Nomos et nomoi . L’auteur ici produit en acte (en acte d’écriture) ce dont elle parle. C’est à dire que c’est bien le langage, cette « forme la plus haute d’une faculté inhérente à la condition humaine, celle de symboliser » comme l’écrit Emile Benveniste, qui constitue en dernier recours le seul fondement de l’autorité. En s’y assujettissant chaque sujet se fait alors passeur de ce dont il s’autorise, à savoir qu’il parle et que la parole dans son mouvement fait l’assemblage du lien social. Du coup chaque sujet peut se tenir pour responsable de l’autorité car, comme le souligne Lacan « de notre position de sujet nous sommes toujours responsables ». Responsable au sens d’avoir a répondre en paroles, de nos actes. Les textes qui composent cet ouvrage sont issus de conférences prononcées au cours des dernières années. La parole ici coule dans les mots de l’écriture. Elle lui donne son souffle. On pourra en savourer le style direct , mais non simpliste. Sans jamais lâcher sur la rigueur du raisonnement, Charlotte Herfray nous ouvre un chemin praticable dans ces questions hautement d’actualité de l’autorité. Le fil rouge qui relie l’ensemble, précise l’auteur, « a trait au devenir humain ». Quels mots assez puissants dans les années qui suivent nous soutiendront dans notre humanité contre le retour de la bête barbare ? Tel est l’enjeu soulevé par ce « bel ouvrage », comme on le dit du produit d’un artisan. On ne peut que remercier l’auteur d’avoir transmis un enseignement pour ce qui constitue l’enjeu majeur de notre post-modernité. « Transmettre, conclue-t-elle, ce n’est pas transmettre notre expérience (ce qui est impossible) mais c’est permettre, à travers nos discours et nos actes, à d’autres de tenter l’aventure de leur « désir », en leur nom et en assumant le prix exigé ».
Joseph ROUZEL, Directeur de PSYCHASOC
1 Dany-Robert Dufour, On achève bien les hommes , Denoël, 2005.
2 Jean-Pierre Lebrun, (sous la dir.), Avons-nous encore besoin d’un tiers ? érès, 2005.
3 Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occidental , Milles et une nuits, 2000.
4 Cf. Le texte de Joseph Rouzel sur le site de psychasoc, intitulé « Dire non à la jouissance ».