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La spirale de la violence va-t-elle finir par détruire l’humanité ?

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François Simonet

mercredi 05 janvier 2011

La spirale de la violence va-t-elle finir par détruire l’humanité ?

Quels que soient les motifs évoqués, la violence, physique autant que symbolique, vise à dominer, contrôler, réprimer, réduire, en imposant des valeurs comme modèle. Y aurait-il une seule société, qu’elle soit traditionnelle ou moderne qui, dans son fonctionnement, ne s’appuierait pas sur la violence ? Les religions et autres croyances ne se sont-elles d’ailleurs pas imposées ainsi avec leurs principes, leurs saints, leurs martyrs, leur icônes… ? Et que dire des colonisations, aux marques indélébiles !

Le monde technocratique a installé des relations de soumission qui ont pour effet de réduire l’autre, monde où la propagande et la manipulation psychologique sont devenues des armes redoutables : les régimes totalitaires stalinien, nazi, fasciste, franquiste ; les dictatures avec les militaires en Grèce, au Chili, en Argentine ; les Khmers rouges au Cambodge, sans oublier les conflits plus récents : au Rwanda, en Irak, en Afghanistan, en Tchétchénie, au Congo… Les méthodes utilisées, avec des instruments toujours plus sophistiqués au gré des époques, versent désormais dans l’horreur du raffinement et met l’humanité au bord de ses limites. Méthodes efficaces pour ceux qui veulent arriver à leurs fins et reposent sur les mêmes artifices, dont certains au rang d’expériences ignobles[1] qui perdurent au XXI e siècle.

Le fait même que des individus puissent concevoir de tels agissements envers leurs congénères pose que la violence est de l’ordre du pensable et du réalisable. Les parties obscures de l’homme deviennent incompréhensibles pour la raison. Entre la guerre, considérée comme l’art d’exercer un métier, et les camps concentrationnaires, les procédés sont nombreux, jusqu’aux pratiques sordides de médecins et autres spécialistes.

Dans nos démocraties, au nom du sécuritaire, de la protection des biens et de l’intégrité des personnes, de multiples techniques sont mises en œuvre, intrusives et inquisitrices : au nom de la protection de l’ordre public, des organisations et des États, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ou de pandémies, tout semble permis ! S’appuyant sur des conceptions et des principes, chaque régime qui gouverne la “ cité ”, qu’il soit politique, militaire, religieux, philosophique, industriel, et sous des formes bureaucratiques, use et abuse de moyens particuliers. Aujourd’hui, avec la cybernétique, l’enfer n’est pas seul à être pavé de bonnes intentions ! Et comme pour l’opinion : «  il est du devoir du gouvernement de garantir la liberté de la société de l’intérieur comme de l’extérieur, et si besoin au moyen de la violence  »[2], que n’est-on prêt à accepter !

Sous des apparences parfois anodines, la violence est une réalité quotidienne : violences conjugales, infanticides, dans le milieu scolaire, le milieu carcéral. Le bizutage a été longtemps considéré comme “ initiatique ”, le viol déconsidéré dans sa réelle problématique, etc. Nous consommons en fait la vision médiatique esthétisée de cette violence barbare, construite à grand renfort d’effets spécieux – consommation d’autant plus facile qu’elle est située hors l’espace de notre confort. Une banalisation de la violence !

Pour exercer un pouvoir et maintenir la pression sur les masses, les démocraties elles-mêmes produisent leur propre violence. Leurs “ logiques ” sont parfois des plus surprenantes[3] autant qu’absurdes, et radicales. Quel sens prend donc cette pratique de la violence dans un État Nation dont l’organisation repose sur la domination légale et rationnelle, et qui assoie son autorité sur une violence symbolique visant à soumettre le peuple aux normes, aux règles et autres procédures ? Du reste, quel régime démocratique n’est pas construit sur les cadavres de celles et ceux qui ont payé de leur vie pour sa réalisation ?

La violence est devenue intolérable autant que la souffrance insupportable. Au point que des associations existent pour défendre le bien être d’animaux d’élevage ou leur exécution dans les abattoirs. Pourtant, un fait reste surprenant : les régimes totalitaires semblent exercer un certain attrait, morbide, sur les esprits. La filmographie, la littérature, les œuvres d’art sur le seul nazisme sont considérables. Quelle part d’exorcisme, et quelle part de délectation ? Une ambiguïté reste présente : à la fois combattre la mauvaise part de l’homme, ce qui nécessite une vigilance permanente, et en même temps être abusé par une fascination, avec une certaine jouissance. Serait-ce que l’existence même de la violence répond à des croyances puissamment enracinées dans le social et dans l’imaginaire au point de vouloir la rendre “ légitime ” ? D’autant que nombre de tortionnaires bénéficient d’une certaine mansuétude, de leur vivant, ce qui laisse perplexe quant à la volonté de limiter, voire de sanctionner la violence.

Comment recevoir, en direct, le témoignage d’une personne violentée ? Qu’est-ce qui est audible et recevable du récit qui est exprimé ? Qu’est-on en mesure d’entendre de l’autre ? Que peut-on accepter et croire d’un vécu dans lequel le récitant n’est plus ? A quoi la violence renvoie-t-elle ? Comment prendre réellement en compte les sévices et les tortures racontés, sans se laisser détourner, en écho, par ses propres fantasmes, ses considérations et ses visions de l’humanité ? L’émotionnel brut devient insupportable lorsqu’il évoque les déchirures qui brisent toutes relations humaines, annihilant par là-même les lois qui les ont établies. C’est au prix d’un permanent effort d’éloignement que nous limitons la peur que nous en avons ; peur de basculer dans la violence à notre tour.

Ce serait oublier que nos sociétés surdéveloppées, « progressistes » se sont approprié l’aspect brutal d’un mythe : la version sophocléenne d’Oedipe, particulièrement violente. De telles sociétés sont construites sur la hantise de l’inceste et du meurtre, ces aspects qu’elles condamnent fortement, exigeant leur dépassement. Sociétés violentes de leur propre aveuglement, assoiffées du sang de leur peuple.

Aucune violence n’est justifiable. Nombreux sont encore les pays où des individus sont victimes des violations de droits fondamentaux[4], où la torture, sous toutes ses formes, est utilisée pour des raisons d’appartenance sociales, politiques, confessionnelles, philosophiques ; pour des choix personnels. Les sévices sont quasi systématiquement orientés avec l’intention de diminuer, de dégrader, d’humilier l’autre. L’homme semble se défouler d’une frustration si particulière qu’il perd tout contrôle de lui-même. Tout cela démontre la préoccupation permanente de l’être avec son identité, et son propre rapport à lui-même, notamment son mal être. La violence augmente avec la spirale qui la nourrit.

Une violence aujourd’hui d’autant plus insidieuse qu’elle est érigée au rang de méthode, participant de la mise en œuvre d’un nouvel ordre mondial, pour imposer ses vues, ses valeurs, ses critères, utilisant la communication comme moyen d’endoctrinement. Sur ce plan, le capitalisme, dont la valeur essentielle est le profit, est d’une violence sociale permanente. Celle-ci repose sur la sémantique qu’elle crée et distille dans les esprits : elle procède de la disqualification d’individus catégorisés dont elle accentue la dévalorisation, en les assignant à des catégories : les « exclus », les « pauvres », les « précaires », imposant une victimisation qui dénie à l’autre toute humanité.

En ce sens, la remarque d’Eugène Enriquez à propos de nos démocraties est lourde de réalité sur le fait que : «  nous sommes entrés dans des sociétés où les violences, les aliénations sont dans l’ensemble plus subtiles, plus nuancées  »[5]. Au nom de la productivité, de l’efficacité, de la performance, logique de concurrence et de compétition, tous les coups sont permis, sans limite. C’est ainsi que dans les organisations, le harcèlement, tant moral que physique et psychologique, a pris des proportions considérables, y compris dans ses effets funestes. La violence est un moyen justifié comme mode d’organisation, de “ management ”, de “ gestion ”, de “ gouvernance ”, qui donne une idée de l’intention et des buts recherchés, très lourds de conséquences.

L’homme s’est libéré des dieux pour n’en choisir qu’un seul, l’esclave s’est affranchi de sa servitude, l’individu s’est mis à souffrir de sa condition, et l’humanité a mal d’elle-même. Comme un certain discours considère que l’individu se construit avec la maîtrise de ses désirs et le dépassement de ses frustrations, est-ce à dire que la société réalise ses progrès par la maîtrise de ses violences, pour le moins destructrices ? Dans ce cas, quel devenir pour l’humanité ?

Décembre 2010

François SIMONET

[1] Gordon Thomas, Les armes secrètes de la C.I.A. ; tortures, manipulations et armes chimiques , Paris, Nouveau Monde éditions, collection “ Points ”, traduit de l’anglais par Valérie Clouseau et Mickey Gaboriaud, 2006.

[2] Hannah Arendt, Introduction à la politique II , in Qu’est-ce que le politique ? , texte établi par Ursula Ludz, traduction de l’allemand et préface de Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Seuil, coll. “ Points Essais ”, 1995, p. 110.

[3] Naomi Klein, La stratégie du Choc ; la montée d’un capitalisme du désastre , Canada, Leméac / Actes Sud, traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, 2008.

[4] Il suffit de consulter les différents rapports d’Amnesty international.

[5] Eugène Enriquez, Claudine Haroche, La face obscure des démocraties modernes , Ramonville Saint-Agne, Éditions  érès, collection “ Sociologie clinique ”, 2002, pp. 86.

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