vendredi 02 mars 2007
Résumé : La Validation des acquis de l’Expérience souffre encore après quelques années d’existence d’une suspicion de « déqualification » au sein de l’éducation spécialisée. Nous tentons d’argumenter le fait que cette suspicion est infondée. A partir de notre expérience de la VAE qui se poursuit au travers de la création d’un site de guidance sur ce sujet, nous identifions trois stratégies d’opposition à la VAE. Nous essayons de leur répondre. Même si la formation et la validation sont des modes d’apprentissage différents, ils contribuent l’un et l’autre au développement et à la reconnaissance de la capacité d’analyse indispensable pour obtenir le Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé. L’un part du savoir pour aller vers l’expérience, l’autre part de l’expérience pour aller vers le savoir.
Mot clés : Validation des Acquis de l’Expérience, Qualification, Déqualification, Stratégies d’opposition à la VAE, Analyse, Savoir, Rupture, Autoformation.
Introduction
Nous abordons ce thème de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE, dorénavant) à partir d’une double position. La première position est un statut obtenu par la validation du Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé (DEES, dorénavant) en 2005. La deuxième est un rôle : je suis porteur d’un projet de guidance VAE pour ce diplôme au moyen d’un site internet dont l’adresse est www.lavae.org (1). Pour des raisons pratiques nous limiterons notre exposé à la seule VAE du DEES. Cela fait maintenant cinq ans que ce mode de validation est inscrit dans la loi, deux ans qu’il est effectif (en région parisienne, peut-être plus ailleurs) mais les réserves, les blocages et les freins au sujet de la VAE ne semblent pas avoir évolués, ou très peu. Qu’est ce qui vaut à ce mode de validation une telle méfiance ? Pourquoi ce secteur d’activité a autant de mal à accueillir la VAE ? Avec ces constats il nous semble nécessaire de contribuer à un travail d’ordre pédagogique pour transformer ce rapport de force social qui détermine la qualification (2) de la VAE au sein de l’éducation spécialisée en rapport d’intelligence.
A la croisée des chemins entre compétences et qualification : L’employabilité
Les échanges sur la Validation des Acquis et des Expériences (VAE) en éducation spécialisée commencent à être investis par les professionnels depuis l’accessibilité du DEES par cette voie. Le sujet intéresse. Certainement pour différentes raisons ; les uns pour entreprendre ce parcours VAE (3) ; d’autres pour apporter une réflexion sur le sujet et certains enfin pour s’interroger sur le bien fondé de cette réalité. Le contenu de la parole de cette troisième catégorie a capté notre attention pour deux raisons : les propos tenus sont d’une implacable sincérité et ils sont transcrits par une personne faisant partie d’une catégorie professionnelle susceptible d’employer des éducateurs spécialisés sortant de ce parcours VAE :
« Le 05-07-2006 12:10 par stephane : Estelle, Je suis ES de formation(pas en VAE) (sic) ,CSE et actuellement en formation CAFDES. Meme (sic) si rien n'est clairement exprimé par les cadres, mes echanges (sic) avec mes collégues (sic) m'aménent (sic) à penser que l' on refusera de cautionner ce nivellement par le bas qu'est la VAE.Entre (sic) un ES formé pendant 3 ans et une personne aussi professionnelle qu'elle soit qui n'a fait que remplir un formulaire(meme (sic) si il est complexe)le choix est vite fait. La fonction d'ES(remarque tout aussi valable pour ME et AMP) necessite (sic) une formation,une reflexion (sic) pratique et théorique. Stéphane » (4)
Ce verdict de l’embauche s’avère être à nos yeux l’aspect pratique qui valide ou invalide la représentation « qualification » acquise par le dispositif de la VAE en éducation spécialisée. Refuser à priori un éducateur spécialisé sortant d’un parcours VAE montre à l’évidence la défaillance du dispositif. Nous ne souhaitons pas ici entrer dans un jugement de valeur par rapport aux propos tenus, ce qui nous intéresse c’est qu’ils ont été écrits. Ainsi ces propos manifestent par cette mise en mots une des représentations objectives de la VAE du DEES. Sans vouloir succomber à la tentation de la généralité cette représentation certainement partagée (5) au sein du secteur social et médico-social illustre l’enjeu du thème choisi : « VAE : faux-semblants ou vraies qualifications ? » (nous suivons le thème donné par le Sociographe). A ceux qui ont obtenu leur certification par cette voie la VAE va-t-elle permettre d’être employable ? A quoi servirait d’entreprendre un tel parcours pour que cela n’aboutisse à rien en termes d’embauche ? Officiellement avec un même diplôme nous nous retrouvons dans une situation potentiellement discriminante si cette parole citée ci-dessus est appliquée. De plus les éducateurs spécialisés ayant obtenu leurs certifications par la VAE sont identifiables même s’ils ne le mettent pas dans leur Curriculum Vitae : tous les diplômes délivrés en dehors de la session de juin sont des certifications VAE. La faisabilité de la discrimination peut effrayer. Toutefois, loin de nous l’idée de brandir le drapeau de la législation pour travailler une représentation, cela ne nous semble pas la meilleure approche. De plus les professionnels qui embauchent sont assez intelligents pour ne pas motiver explicitement leur refus sur des bases illégales même si l'intention peut être là. Alors nous choisissons d’interpeller cette intelligence.
Expérience égale Formation : Ah, bon !
La nouveauté a toujours suscité des réactions quels que soient les domaines où elle montre son visage. Le concept de validation existe depuis plusieurs années dans le monde professionnel avec la Validation des Acquis Professionnels (VAP). Par contre aujourd’hui avec la loi du 17 janvier 2002, la VAE permet d’obtenir un diplôme professionnel sans passer par une école de formation. La nouveauté est bien là, ni la VA ou la VAP ne permettaient la certification complète sans passer par l’école. La loi a ouvert cette perspective par le moyen de l’expérience qui est de fait implicitement « reconnue comme formatrice, équivalente aux actions de formation … » (6). Cette nouveauté d’une part rompt avec la tradition pédagogique de ce secteur d’activité et d’autre part est venue bousculer voire déstabiliser le statut quo sociologique établi entre les centres de formation et la profession d’éducateur spécialisé. Avec la VAE ce secteur ferait face à une double dichotomie : nous faisons l’hypothèse que cette rupture pédagogico-sociologique est à l’origine de l’accueil « surpris et forcé » de la VAE au sein de l’éducation spécialisée. Il nous importe donc de comprendre les réactions que déclenche cette rupture pour y apporter une réponse objective sur la qualification des « éducateurs spécialisés VAE » (7).
Réactions de certains professionnels au sein de l’éducation spécialisée
Nous comprenons tout à fait le mécontentement des diplômés par la voie classique qui ont fait pour les un trois ans d’études et pour les autres quatre ans par alternance. Voir arriver sur le marché du travail un certain nombre de professionnels qui en moins d’un an peuvent décrocher le même diplôme, il y a de quoi avoir « la moutarde qui monte au nez » (8). Ils ont le sentiment d’avoir travaillé dur (contrôle continu, stage, rapport, entretien, mémoire, examen) alors que d’autres déposent "un simple livret" pour obtenir le même diplôme. Le sentiment d’injustice est palpable. C’est clair, ces professionnels n’ont pas compris la quantité et la profondeur du travail qu’exige cette validation (9). De plus pour que la VAE fonctionne il est nécessaire que ces diplômés par voie classique participent aux jurys qui délivrent le DEES (délégation du possesseur de la certification). Ils doivent avoir certainement l’impression qu’on leur donne le bâton pour qu’ils se tapent eux-mêmes dessus (10). Ils doivent reconnaître les compétences des candidats avec lesquels ils seront inévitablement en concurrence sur le marché du travail. Pas facile. Au moins avec le système de la formation il existait des quotas : un nombre de places fixes : "On ne prenait que les meilleurs". Là, tout le monde peut prétendre au DEES. De plus avec la VAE s’en est fini des rites de passage tels que les sélections pour entrer à l’école, tels que la formation elle-même. Elle en créera certainement d'autres. La VAE touche alors à l’identité même du corps professionnel des éducateurs spécialisés tel qu’il est constitué aujourd’hui. Dorénavant, les éducateurs spécialisés n’auront pas tous le même parcours. On peut donc tout à fait comprendre cette forte réticence que suscite la VAE chez certains professionnels actuellement.
Trois stratégies d’opposition à la VAE
Grâce à ce travail de guidance VAE, toujours au sein de cette troisième catégorie, nous avons remarqué au moins trois expressions de cette réticence qui sont à nos yeux trois stratégies d’opposition à l’encontre de ce mode de validation. La première stratégie est une opposition simple, de fait, non réfléchie qui ne va pas plus loin que les éléments précités : ils suffisent pour un désaccord de principe. La deuxième stratégie est une infiltration du processus de certification : une opposition mise en acte, un barrage une tentative de blocage du système pour réduire la vague VAE (11). La troisième stratégie correspond à une critique du dispositif VAE (non pas qu’il ne soit pas critiquable) qui se répercute inévitablement sur les personnes. A coté de ces trois stratégies un grand nombre de professionnels sont dans une attitude d’attentisme mais intéressés ; « on verra bien ce que cela va donner ». Nous évoquerons rapidement la deuxième stratégie et nous échangerons avec la troisième : la plus intéressante. Les réponses que l’on va donner aux questions que posent ces stratégies d’oppositions sont à nos yeux essentielles pour faire avancer la négociation de ce rapport social qui détermine la qualification en terme de reconnaissance sociale des éducateurs spécialisés VAE.
La deuxième stratégie d’opposition à la VAE
Même si nous souhaitons regarder de plus près la troisième opposition nous ne pouvons pas ne rien dire de la deuxième. Ici nous ne parlons pas des éducateurs spécialisés qui ont acceptés d’être présents dans ce processus de certification de manière constructive. Ils ont été des agents qui ont contribué à la reconnaissance professionnelle de nombreux « faisant fonction » ou de personnes ayant des diplômes de niveau V ou IV à qui on demande de faire un travail d’éducateur spécialisé. Certaines motivations peuvent tout à fait se comprendre et sont légitimes : vérifier que l’on ne « donne » pas le diplôme n’importe comment, vérifier la qualité des professionnels qui candidatent à la VAE en relation avec le référentiel, être présent dans ce système pour faire évoluer ses propres compétences … Par contre il doit bien exister un certain nombre de personnes présentes dans les jurys qui ont d’autres motivations. La différence entre les 40% de validation et les 90% de réussite aux examens du DEES en 2005 est trop importante pour ne pas se poser la question. D’autant plus qu’il est probable que les premiers à bénéficier du parcours VAE du DEES sont des professionnels en poste dans ce secteur depuis certainement de longues années (5, 10, 15, 20 ans). Et nous avons sincèrement du mal à croire que 60% d’entre eux ne sont pas au niveau du DEES. Aussi la qualité du jury est essentielle. Etre jury n’est pas simple et le travail effectué mérite certainement plus de félicitations et d’encouragement que de réprobation. Aussi nous espérons que ces derniers recevront une formation qui peut apporter un regard renouvelé sur l’essence de la VAE : réfléchir reste nécessaire pour travailler à l’équité des chances portées par la loi. Cette loi a fait de la VAE un droit individuel sur la base d’éléments objectifs mais si elle peut mesurer la quantité, il en va autrement de la qualité. Et c’est bien cette question de la qualité que nous allons aborder maintenant. Il nous semble que la clef de la difficulté pour accepter la VAE au sein de l’éducation spécialisée est cette équivalence que porte la loi entre expérience et formation.
La Troisième stratégie d’opposition à la VAE
Les tenants de la troisième stratégie d’opposition à la VAE l’ont bien compris en dénonçant ce dispositif sur ce point. L’argument qui semble revenir le plus souvent n’est pas tant celui de l’absence de compétences mais celle de la suspicion de l’autonomie de la pensée du professionnel et de son appauvrissement par cette voie de qualification. La raison d’être de ces défaillances serait le manque de formation, de type classique. Ce simple soupçon place au dessus de la VAE une épée de Damoclès que nous nommerons «déqualification». Les tenants de cette troisième stratégie voient leur position renforcée par la « conception scolaire » qui imprègne toute notre société selon laquelle les « savoirs généraux et théoriques sont seuls capables de faire acquérir une autonomie de pensée, personnelle et professionnelle… » (12). L’inconscient collectif leur est acquis. Dans cette perspective utopique, la réalité de la VAE « disqualifierait » le Savoir. Donner un diplôme sans que de la théorie soit inscrite dans le cursus de certification est totalement impensable, pour eux, si l'on veut des professionnels autonomes ; c'est à dire en capacité de restituer cette autonomie aux citoyens en difficulté. La déqualification serait là.
Pour les tenants de cette conception le paradoxe de ce parcours VAE met clairement en danger l’utopie de l’autonomie de la pensée et donc la capacité des futurs professionnels VAE à mettre en oeuvre une réflexion libre. La présupposition de l'érosion de la capacité d'une pensée éducative libre déqualifierait donc la valeur du diplôme. Cette accusation se porte d'abord sur le dispositif VAE qui, lui, touche inévitablement les personnes ayant obtenu cette certification par cette voie. Pour les tenants de cette troisième stratégie, le risque perçu serait que cette catégorie professionnelle deviendrait une sorte de pâte à modeler, entre les mains du pouvoir (politique, employeur, des usagers ...), qui se mettrait en action sans capacité de discernement qui incomberait à de "vrais" professionnels. A mes yeux le non fondement et la subtilité rhétorique de cette perception met concrètement en danger l'employabilité de centaines voire de milliers de professionnels à venir. Là, il nous semble important d'apporter une autre parole pour alimenter le débat.
Que répondre : la question de l’adaptabilité, entre savoir et capacité d’analyse
Une question inévitable se pose alors : quelle différence pouvons nous faire entre un parcours de formation classique et la VAE. Nous reprenons ici les propos de M. Pinte :
« …les diplômes de la formation initiale reconnaissent par la validation des savoirs un potentiel à développer des savoir-faire ; la VAE a une fonction d’enregistrements de savoirs et de savoir-faire. On a bien deux logiques : une a priori et une autre a posteriori. » (13)
La formation classique porte en elle ce pari, cet a priori, sur l’avenir du développement de savoirs faire chez l’apprenant alors que la VAE « valide » a posteriori ces derniers qui induisent tout ou en partie un savoir. On pourrait croire que se serait un avantage pour ces derniers d’être opérationnels tout de suite. L’argument est retourné sur la question de la capacité d’adaptation de ces professionnels. Implicitement les tenants de cette troisième stratégie d’opposition à la VAE pose de manière anodine la question : les éducateurs spécialisés VAE ne sont-ils pas en capacité d’accompagner uniquement le public en difficulté avec lequel ils travaillent au moment de l’obtention de leur certification ? Le législateur a entendu la faille « théorique » et la résout dans la « pratique » en rendant obligatoire l’expérience auprès de différents publics, une seule expérience de trois ans ne suffit plus pour prétendre aller jusqu’au livret 2 afin de valider des diplômes en éducation spécialisée.
De fait, c’est bien cette relation dynamique d’expériences, d’acquis-compétences (14) et de savoirs identifiés que la société attend aujourd’hui en termes de qualité de ses professionnels. Et c’est bien cette relation que la société valide en terme de certification au travers de la VAE. Incontestablement cette relation n’est pas un acquis (et elle ne l’est pour personne), d’où l’enjeu de la formation continue pour maintenir ce lien entre les réalités des besoins et les compétences demandées. Ainsi la VAE est un dispositif qui reconnaît et développe chez l’individu cette capacité à l’adaptation car l’enjeu de la validation n’est pas comme on le croit la compétence (puissance d’agir en situation) mais bien la démonstration de celle-ci (15). Effectivement c’est bien la démonstration des acquis de l’expérience en terme de compétences qui conduit à la reconnaissance sociale d’une qualification par la VAE. La société permet avec la VAE à des hommes et à des femmes de montrer leur réflexion par le moyen de l’analyse(s) de leurs pratiques professionnelles afin d’obtenir une certification. Cette capacité d’analyse effective, traduite au sein d’un référentiel VAE, et démontrée par la validation permet alors à la fois un pari sur l’avenir : sa réutilisation envers tout public en difficulté, gage de la capacité d’adaptation du professionnel et de son autonomie, et la certitude d’une réalité utilisable « hic et nunc ». L’éducateur VAE comme l’éducateur formé par la voie classique sont égaux quant à leur adaptation envers un nouveau public. Elle reste un pari que l’on prend soin d’un côté comme de l’autre de ne pas trop laisser au hasard.
La question de l’autoformation : Mythe ou Réalité.
Il existe à l’évidence différentes manières d’entrer dans ce cheminement professionnel, certainement autant qu’il existe de candidats à ce parcours VAE. Nous abordons par ce « biais » ce que M. Lassaire perçoit du travailleur social ; la revendication de son « empirisme et de ses qualités personnelles » (16). Fort de ce constat voilà toute la difficulté de la VAE : parler de soi en se faisant objet tout en restant sujet. Cette relation à soi objet en tant que sujet nécessite une décentration de soi. Là, l’expérience joue le rôle de tiers pour permettre cette distanciation. Et à partir de l’observation de l’expérience, les sciences humaines fournissent pour l’analyse des pratiques des critères, des repères pour construire une connaissance de l’autre, de sa situation et de son soi professionnel, « un contenant ». Ce travail de soi sur soi ne se fait pas n’importe comment mais à partir de son environnement, mais c’est bien le savoir transformé en connaissance par son appropriation qui ouvre la porte de la compétence par l’autoformation (17).
Cette autoformation dans le cadre de la VAE n’est pas laissée à elle-même. Ce n’est pas elle qui fixe les règles de la validation du DEES et avec Mme Cécile Josse nous en convenons « jouer le jeu, c’est se donner le maximum de chances de réussite » (18). Cette nouvelle règle du je(u) fixée par le possesseur du diplôme permet apparemment le dialogue en dehors de toutes institutions de formation. Apparemment car la formation ne se limite pas uniquement à recevoir un cours dans une salle de classe. Elle produit et diffuse son savoir en dehors de son lieu d’existence physique. Les livres, les articles produits au sujet de l’éducation spécialisée en sont un bel exemple et contribuent sans s’y réduire à l’élargissement de l’environnement autoréflexif du candidat VAE, aspect de l’autoformation. La porte du savoir est effectivement béante (19). Cet accès au savoir est aisé à mettre en œuvre car le niveau demandé pour le DEES ne vise pas à faire des éducateurs des spécialistes des savoirs savants mais demande uniquement « des notions fondamentales … Aussi faut-il admettre que la formation des éducateurs n’est pas une formation scientifique. Il s’agit plutôt d’une initiation dans une perspective « applicationniste » » (20). Cela n’enlève rien à la complexité de la « tâche » éducative. Celle-ci nécessite des hommes et des femmes en capacité de faire du lien dans la banalité du quotidien. Nous nous approprions ici, par exemple, la clinique éducative de M. Rouzel. On peut penser que ce lien est donné en formation alors que pour la VAE le candidat doit démontrer sa capacité dans son écrit à faire ce lien sur la base de sa pratique en la mettant en relation avec ces « notions fondamentales ». Nous pourrions alors émettre l’hypothèse que la formation fait ce lien de la théorie vers la pratique (21) alors que la VAE, elle, le fait de la pratique vers la théorie. L’une et l’autre restent indissociables. Nous reconnaissons que l’une et l’autre cherchent à comprendre avec dans les deux cas de figure la nécessité pour le candidat de montrer à l’évidence qu’il a bien compris ce qu’on lui demande, le pourquoi de son action et le comment, tout en participant à leurs élaborations. Et pour comprendre par l’analyse les pratiques professionnelles, le candidat a besoin de son expérience de terrain et de références théoriques. Pas d’analyse sans théorie, sans connaissance, sans expérience et c’est bien ce que demande le parcours VAE : la démonstration que le candidat possède cette capacité d’analyse avec ses outils à partir de l’expérience. L’expérience se hisse alors au statut de valeur, elle devient une valeur professionnelle. Au final l’éducateur VAE qu’est-il et que fait-il de plus ou de moins que n’importe quel autre professionnel ? A notre avis rien, quand allons nous simplement le reconnaître ?
Conclusion : donner sa véritable place à l’Expérience
Au niveau pédagogique : l’expérience n’est pas formatrice en tant que telle, il est nécessaire pour que cela soit le cas que la personne mette en œuvre un processus d’apprentissage à partir de celle-ci. L’autoformation dans ce contexte de la VAE correspond à ce processus formatif en vue de la validation de compétences à partir de l’expérience. De plus, même si la VAE est un parcours que bon nombre compare à celui du combattant, elle permet un véritable cheminement qui peut aller au-delà du diplôme. Pour comprendre l’expérience va à la recherche du savoir. La tentation serait alors qu’elle en fasse un moyen alors que notre société croirait qu’il est une fin. Le choc social de la VAE serait peut-être là.
Au niveau sociologique pour le DEES : la VAE peut être considérée comme une mise à niveau au travers de la reconnaissance sociale des compétences acquises par des milliers de faisant fonction ou des diplômés de niveau IV et V au sein de l’éducation spécialisée. Actuellement il nous semble que la VAE est une voie d’accès au diplôme par défaut. Elle prendra sa place, cette place n’est pas, comme nous l’avons vu une question de compétence dans le paysage français de la qualification mais de représentation, lorsqu’elle sera reconnue au même titre que la formation classique. Cela peut prendre un certain temps et comme le débat reste ouvert il n’y a pas de raison que cette reconnaissance ne soit pas effective, bientôt.
Ensuite nous sommes convaincus qu’il est suicidaire en terme de démarche de qualité du travail fourni d’opposer la compétence, dimension individuelle de la puissance d’agir qui englobe les différentes facettes identifiées dans la note n°14, à la qualification, dimension statutaire de la reconnaissance sociale de la compétence acquise et/ou en devenir. La formation et la validation peuvent apprendre l’une de l’autre car on apprend à travailler en faisant et en réfléchissant à ce que l’on fait à partir de ce que l’on sait, l’un ne va pas sans l’autre. Ne pas reconnaître l’expérience comme une valeur professionnelle c’est maintenir une opposition entre savoir, réflexion et action : c’est à nos yeux « une écharde dans la raison ».
Jean-Louis Martinez
Notes de fin de document
(1) Je m’explique sur la création de ce site sur http://www.lavae.org/mod/resource/view.php?id=267 . C’est l’occasion pour moi de remercier publiquement Karine et ses amis sans qui ce site n’existerait pas, Olivier et Priscille qui se sont joints au projet ainsi que tous ceux qui contribuent à la vie de www.lavae.org .
(2) Selon M. Claude Dubar « la qualification à la française … dont Pierre Naville a très bien montré, dès 1956, que c’était un rapport social … entre, d’une part le mode de la formation, celui des diplômes, de la hiérarchie des valeurs de l’enseignement et, d’autre part le monde du travail et de la détermination de la classification et des salaires … la qualification est donc une notion collective qui résulte de négociations, et qui aboutit à des compromis entre deux logiques : entre une logique gestionnaire de l’organisation, de sa performance, de son profit et une logique de la valorisation professionnelle, statutaire, de la protection des salariés contre les aléas économiques du marché et de l’activité. » in « Genèse des notions », sous la direction de Michel Chauvière et Didier Tronche, « Qualifier le travail social », éd. Dunod, 2002, Paris, p. 76-77.
(3) Nous définissons le parcours VAE comme étant la démarche qui débute par le dépôt d'un dossier VAE et qui se termine si possible par l'obtention du diplôme ou par l'arrêt explicite ou implicite de la demande de validation.
(5) Nous ne savons pas à quel degré.
(6) DEBON Claude, « Parcours de la reconnaissance le processus de validation des acquis » in « Penser la relation expérience formation », sous la direction d’Hélène Bazille et Bernadette Courtois, édition chronique sociale, Lyon, Juillet 2006, p. 189.
(7) Identifier ces éducateurs spécialisés comme des « éducateurs VAE » c’est déjà contribuer à faire vivre cette dichotomie dans un secteur qui à notre avis a davantage besoin de faire vivre une véritable unité. Nous l’employons uniquement pour faciliter la compréhension.
(8) La question de la durée est ici un temps administratif qui correspond au parcours VAE. La récolte des éléments d’écriture du Livret 2 pour répondre au référentiel de compétences fait référence à plusieurs années. La loi en demande trois. Sur ce point nous sommes en désaccord avec la législation. Autant nous acceptons le principe d’équivalence entre formation et expérience, autant sur la question de la durée nous sommes sceptiques. La validation nécessite plus de temps que la formation. En formation le sens et le lien sont apportés sur un plateau, par contre, dans le cadre de la validation le plateau est à créer et le candidat doit mettre lui-même les éléments dessus. Alors logiquement la durée de l’élaboration des acquis de l’expérience et leurs démonstrations - formulations nécessitent un temps plus important que celui de la formation en éducation spécialisée. Nous reconnaissons que dans certains cas cela peut aussi dépendre de la capacité du candidat, de son cursus scolaire et de son parcours professionnel. Nous aurions bien vu une expérience de 5 années dans ce secteur.
(9) Se sera certainement l’objet d’une explication ultérieure pour aider à mieux comprendre et clarifier l’engagement et la mobilisation que demande une VAE.
(10) Nous savons que le marché du travail pour les éducateurs spécialisés n’est pas aussi florissant qu’on veut bien nous le faire croire, il suffit par exemple en province de regarder les offres d’emploi pour s’en rendre compte. De plus, les perspectives des départs en retraite ne nous semblent plus être en relation avec les discours de grande pénurie de professionnels que l’on nous présente depuis des années. Le dernier regroupement d’Unifaf à Paris en Octobre 2006 a confirmé cette intuition. La compétition règne.
(11) On peut ajouter un autre aspect que nous ne faisons pas entrer dans cette stratégie : une volonté de présence pour que la VAE ne se fasse pas sans … associer à une volonté de contrôle. C’est ici la question du pouvoir lié à bien des éléments : le pouvoir lui-même, l’enjeu économique, l’information …
(12) DEBON Claude, « Parcours de la reconnaissance le processus de validation des acquis » in « Penser la relation expérience formation », sous la direction d’Hélène Bazille et Bernadette Courtois, édition chronique sociale, Lyon, Juillet 2006, p. 189.
(13) PINTE Gilles, « La Validation des acquis de l’expérience (VAE) à l’intersection de la formation professionnelle continue et de l’éducation permanente » in Esprit Critique, Revue internationale de sociologie et de sciences sociales, Hiver 2003, Vol. 05, n°1, p. 71
(14) Nous apprécions particulièrement la définition que M. Alex Lainé propose lorsqu’il parle de la notion de compétence : « la compétence est la puissance d’agir d’un sujet en situation, puissance d’agir qui s’actualise dans les initiatives qu’il prend et la responsabilité qu’il assume pour résoudre les problèmes auxquels il est confronté. » in VAE, quand l’expérience se fait savoir, éd. Eres, 2005, p. 101. Cette puissance d’agir mobilise systématiquement un certain nombre de ressources : « des savoirs théoriques …, des opérations logiques de l’ordre du raisonnement, … des savoir-faire et des procédures techniques, … des connaissances nouvelles construites pour la circonstance lorsque les savoirs et savoir-faire préexistants ne suffisent pas à effectuer la tâche, … l’image que le professionnel se fait de lui-même, la confiance qu’il s’accorde… » ibidem p. 108
(15) A notre avis c’est sur ce point que les écoles d’éducateur vont devoir s’adapter à l’avenir en travaillant à un rapprochement visible d’avec les lieux d’actions pour faire la démonstration que leurs apprenants sont en phase avec leurs terrains professionnels.
(16) LASSAIRE Jean-Paul, Les théories métisses des éducateurs : Savoirs professionnels et représentations, Edition L’Harmattan, 2004, p. 15
(17) L’autoformation se décline selon M. Carré sous différents aspects : http://fr.wikipedia.org/wiki/Autoformation . Avec M. Pineau nous sommes en présence de trois pôles : « hétéro » (formation reçu des autres), « éco » (expérience directe des choses) et « auto » (un double processus réflexif : premièrement être conscient que l’on est formé par les autres et les choses, deuxièmement s’approprier le pouvoir de se former par soi-même et de se l’appliquer à soi-même). En cela nous nous rapprochons de la définition que propose M. Galvani « L’autoformation exprime l’action de mise en forme et de mise en sens personnel qui articule différentes sources de formations : l’existence, l’expérience et la pratique et les connaissances offertes dans l’environnement social »
(18) JOSSE Cécile, « Réussir sa démarche de VAE », éd. Dunod, Paris, 2006, p.2
(19) Les différents auteurs en éducation spécialisée sont pratiquement tous en relation ou ayant eu des relations avec des instituts de formation. A titre indicatif voici une liste non exhaustive d’auteurs dont je possède au moins un ouvrage : Alföldi, Barreyre, Bechler, Bernoux, Bertaux, Blatier, Bouquet, Camberlein, Capul, Cauquil, Danancier, Dréano, Gaberan, Gacoin, Garbarini, Hatzfeld, Hirlet, Jaeger, Lemay, Morasz, Lefèvre, Lebailly, Peintre, Petitclerc, Prépin, Raoult, Robin, Rouzel, Streicher et bien d'autres ….
(20) LASSAIRE Jean-Paul, Les théories métisses des éducateurs : Savoirs professionnels et représentations, Edition L’Harmattan, 2004, p. 37
(21) Une question se pose dans ce contexte : Que penser du mode de la formation par alternance ?