Claude Guy a été éducateur, puis élève et assistant du psychanalyste Daniel Sibony. Il exerce comme psychanalyste depuis 15 ans. La thèse qu’il soutient dans cet ouvrage propose d’emblée une lecture de l’acte analytique à la lumière des rituels de possession. Claude Lévi-Strauss en son temps, dans un article célèbre de son Anthropologie structurale « L’efficacité symbolique », avait tenté la comparaison entre rite chamanique de guérison chez les Cunas du Panama et le dispositif de la cure analytique. Sans grand succès il faut bien le dire. Ici l’auteur se démarque d’une position ethnologique et on peut dire que le concept de possession prend sens comme analogon. « Etre possédé, c’est être à tel point sous l’emprise d’une valeur maîtresse – familiale, religieuse, identitaire ou idéologique – qu’il n’y a plus aucune place pour soi. » On ne peut sortir de cet état de possession qu’en faisant appel à « une force autre qui soit au minimum, aussi puissante que celle qui a envahi, submergé ». Cette force autre, précise l’auteur, « peut-être le sorcier, le marabout, l’exorciste, le sexologue, le spécialiste des troubles alimentaires ou le psychiatre… » Le psychanalyste n’apparaît pas dans la série, mais il y est inclus cependant. On voit se déployer ici tout le champ de ce que l’on appelle les psychothérapies. Une nuance est apportée à la pratique analytique : la psychanalyse permet d’accepter le manque, qui apparaît sous le symptôme, sans tenter de le réparer, en visant à le transformer « en pulsion vivante, en acte créatif ». En fait dans le vocabulaire de la psychanalyse ce que l’auteur nomme « possession » se dit « transfert », névrose artificielle disait Freud. Quel intérêt nous dira-t-on de passer pas ce détour ? Quel intérêt de regarder la pratique analytique à partir de ce déplacement de signifiant ? Jouons le jeu. Regarder la cure à partir de la fenêtre « possession » produit un léger bougé et force à ré-articuler l’ensemble des concepts. Ça met un peu d’air et de respiration dans les mots qui bornent la pratique qui à force de tourner de bouche en oreille, de texte en colloque finissent par s’anémier. Nous sommes loin évidemment d’un usage ethnologique du concept de possession. En cela le titre semble un peu abusif. L’auteur aurait pu titrer « la psychanalyse au risque de la possession ». . Les possédés d’aujourd’hui, ces « malades de l’âme » pour reprendre un beau titre de Stephan Zweig, sont affectés par le malaise de la civilisation.
« Qu’est-ce qui ne va pas aujourd’hui ? » questionne en 1974, un journaliste pour le journal italien Panorama. Et Jacques Lacan de répondre : « Il y a cette grande fatigue de vivre comme résultat de la course au progrès. »
Voilà un autre nom de cette possession « cette grande fatigue de vivre » produite par le discours de la science et ses retombées qui propulse ses impératifs de productivité, rentabilité, course en avant et tend à considérer l’humain comme une chose. Evidemment du coté des sujets, ça résiste. Cette résistance est ce qu’on nomme symptôme.
C’est bien en prenant sur ses épaules, « à même son corps » comme le dit Freud, cette possession, que l’analyste peut en soutenir le déplacement. En effet le transfert met sous emprise l’analyste et l’analysant. C‘est dans la mise en circulation des affects supportés par le signifiants, dans l’évocation d’impressions archaïques qui pétrifient le sujet dans l’infantile, que l’analysant dénoue les fils qui le retiennent prisonnier ? Evidemment on comprendra que ces deux pratiques que sont les rituels de possession et la cure analytique divergent profondément. Ce qui n’empêche pas de questionner l’un par l’autre.
Joseph ROUZEL