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Père-fille

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Père-fille
Une histoire de regard
Albin Michel
31/12/2005

Lacan inscrivait les relations mère-fille à l’enseigne d’une certain « ravage ». Bref, non seulement ça chauffe, ce qui constitue le lot commun des relations entre générations, mais ça dévaste. La relation père-fille du coup a été un peu estompée par ce battage. Le passage de fille à femme et de femme à mère suppose un cheminement pour un sujet, qui se soutient de l’orientation paternelle. Question de regard , soutient l’auteur. C’est bien dans le regard qui témoigne d’une jouissance interdite - ombre profilée de l’interdit de l’inceste d’abord ancré sur le corps dérobé de la mère - que le père peut, non seulement se faire l’accueil des premiers émois du désir de sa fille, mais aussi indiquer, indexer des voies de garage, des substitutions, des tenant-lieu. Soutenir le désir , sans s’y dérober et sans y céder. Telle est la position, digne d’un Socrate invitant Alcibiade à faire circuler l’objet qui cause son désir : est-ce que ce ne serait pas Agathon que tu aimerais ? C’est aussi bien la conclusion du « banquet » père-fille. Là où le désir du père se doit de le laisser « interdit », là aussi s’ouvrent les portes de cette autre face de l’interdit de l’inceste, - qui a deux côtés comme toute médaille, mais un métal unique, - que l’on oublie trop souvent, faisant de cette structure de base de l’humain une question morale et coercitive, cette autre face qui légitime le soutient du père pour sa fille : d’aller se faire voir ailleurs pour ce qui est de jouir. Cet ailleurs, que j’épingle ici de façon triviale, engage tout le désir d’une jeune fille avançant sur son chemin de femme. Du coup la question du regard se dialectise. Si le père soutient du regard le devenir-femme de sa fille, il le laisse tomber au moment dit, il baisse les yeux ou détourne son regard, il la laisse s’éloigner, loin des yeux, mais près du cœur, révélant pour sa fille que lui aussi est vu de cet ailleurs. Il autorise ainsi que se libère le désir féminin pour d’autres objets : circulez, il n’y a rien à voir ! L’objet scopique, objet qui s’il existait dans le regard ferait jouir une fille et un père, chute et s’en trouve voilé. C’est sous ce « vois-le » qu’une fille passée à la position féminine pourra alors s’autoriser à une certaine mascarade, modes et travaux, pour soutenir d’un point de manque le désir d’un homme sans se laisser engluer par celui qui l’aurait définitivement à l’œil. Cet œil borgne - c’est ainsi que Claude Nougaro décrivait le pénis dans une de ces chansons - a définitivement fermé « les yeux ». « Déception initiale » certes, comme le souligne l’auteur dans sa conclusion, mais condition même pour que le désir trouve sa voie du lieu même de l’interdit. Le penisneid se fait la malle et dérive, telle « péniche n’aide », au gré des canaux vers d’autres cieux, d’autres yeux, qui jamais ne feront l’affaire. Les femmes le savent d’emblée, c’est ce que leur enseigne leur père : pour ce qui est de la jouissance, pas d’espoir. Faute de quoi une femme risque de passer beaucoup de temps à faire appel désespérément au père, comme dans l’hystérie, exigeant des hommes rencontrés qu’ils se logent en une place où jamais aucun ne sera à la hauteur. D’autres, castration en berne, en viennent à creuser dans leur corps propre ( anorexie , boulimie, drogues diverses et avariées) un trou pour évider un trop plein de jouissance. Reste pour certaines à explorer cette autre jouissance, hors langage, voie mystique par excellence, où ont justement excellé certaines grandes béguines, mais aussi bien un écrivain comme Marguerite Duras. En rabattre sur la jouissance pour frayer les voies du désir est la seule issue à cet acte impossible et interdit entre père et fille. S’il n’y a pas de rapport sexuel, c’est bien de ce lieu d’origine où la plonge la filiation, qu’un sujet qui se range sous le signifiant « femme », en prend acte. C’est-à-dire s’assujettit au rapport qu’il n’y a pas. Didier Landru dans cet ouvrage offre l’avantage de s’appuyer sur ces histoires singulières de femmes qui viennent lui parler dans son cabinet d’analyste. Mêlant réflexion théorique et cas cliniques, l’approche s’en trouve facilitée. Demeure une question en ces temps obscurs, que l’auteur ne prend pas en compte : comment repenser la question à partir du moment où comme le signalait Lacan dans « Les complexes familiaux » dès 1933, on assiste à un déclin du père. Déclin du père, disons du fonctionnaire, mais pas de la fonction paternelle. Quelles formes épouse alors la fonction dans les familles décomposées, recomposées, Remercions l’auteur cependant d’avoir ouvert un chemin depuis longtemps laissé en friche dans la théorie et la pratique de la psychanalyse.

Joseph Rouzel, directeur de L’institut Européen Psychanalyse et Travail Social (Psychasoc)

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