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L'errance active

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L'errance active
Politiques publiques pratiques professionnelles
Editions ASH
31/12/2000

François Chobeaux , en 1996, avec la parution de son ouvrage Les nomades du vide chez Acte Sud, nous avait ouvert des horizons insoupçonnés sur la vie des jeunes errants qui parcourent nos villes, sac au dos, chiens en laisse, cheminant de festival en festival, sur une piste improbable, à la recherche de dieu sait quoi ou qui, une rencontre, peut-être avec eux-mêmes, peut-être.

Des éducateurs, des travailleurs sociaux, des bénévoles associatifs ont construit des points de rencontre dans ces divers lieux d’animation festive. On les attend, on les accueille, on les reconnaît. Il y a des retrouvailles dans l’air. Comme des points de ponctuation, des cailloux de petits Poucets sur le chemin. Chobeaux est directeur pédagogique aux CEMEA, ce vivier d’invention en matière d’éducation active, à la source duquel il sait puiser, pour soutenir une façon d’être éducateur, que l’on disait « nouvelle » il y a 50 ans, lors de sa création, mais qu’on peut dire actuelle, tant elle n’a jamais été autant d’actualité. En ces temps d’obscurantisme où les retours d’une barbarie douce se font sous le manteau dans le champ de la pédagogie et de l’éducation, il n’est que temps de revenir à l’esprit de ces pionniers qui en leur temps prônaient pour tout acte éducatif l’implication, entière et sans concession, des sujets concernés. Education du sujet, accompagnement, soutien. Il n’y a pas, face à ces jeunes en errance, à juger de la façon dont un sujet mène sa barque. Il n’y a pas à juger de la façon dont un sujet bricole son symptôme dans un monde où survivre en tant qu’humain s’avère de plus en plus difficile. Voilà des jeunes que l’on stigmatise parce qu’ils échappent aux lois du marché. Ils font objection au règne de la marchandisation de la planète. L’errance est inscrite dans une tradition culturelle refoulée par les modèles normosés de la pensée dominante. Stabilité, fixation, sédentarité sont les maîtres mots de la machine néolibérale. Et si l’on projette un peu de souplesse, c’est uniquement en terme de flexibilité des emplois, autrement dit une forme moderne d’esclavage où l’employé est corvéable à la merci du maître capitaliste. On rêve depuis longtemps de fixer dans des formes de contention idéologiques les errants de tous poils : trimards, cheminots, bohémiens, romanos, routards, zonards, SDF… Notre société dite moderne est devenue féroce pour ceux qui n’entrent pas dans le moule et bougent sans arrêt. Heureusement il y en a encore qui résistent, et partent sur les routes comme ça, sans raison apparente, que celle de faire la route, courir le monde… Ecoutons Guillaume Apollinaire, poète de son état, dans son Bestiaire :

Avec ses quatre dromadaires

Don Pedro d’Alfaroubeira

Courut le monde et l’admira.

Il fit ce que je voudrais faire

Si j’avais quatre dromadaires.

C’est pourquoi le concept que dégage François Chobeaux d’ « errance active » est précieux. Il dit la part du sujet dans son déplacement. Il témoigne d’un sujet pris par l’agir, sans doute là où la parole s’effrite. L’errant met en scène une sorte de fluidité qu’il ne peut pas dire. Ce n’est pas une raison pour le ranger dans des catégories psychopathologiques aliénantes. Comme tout un chacun le jeune errant cherche son chemin dans l’obscure forêt de la vie. Ça ne va pas sans risque ni sans souffrance. Chercher son chemin se dit en psychanalyse symptôme, une façon pour un sujet de se débrouiller avec le manque-à-être. Finalement qu’il soit en vadrouille ou bien « fixé à mort », fonctionnaire, rond de cuir… est-ce bien le lieu de produire une ségrégation entre bons et mauvais citoyens, entre les éternels voleurs de poule et les prétendus bien pensants. La marge que je sache fait bien partie de la page. Les marginaux font du hors texte, en inscrivant dans la marge leur commentaire d’un texte social de plus en plus étouffant. Les représentations dont s’affublent les normes donnent la part belle au sédentaire et honnissent l’acte de l’errant.

Alors finalement le pari que font Chobeaux et ces accompagnateurs de la jeunesse en errance, n’est-il pas que ces jeunes trouvent à qui parler ? La création de réseaux actifs répond à ce souci : que l’errant trouve à lire dans ces rencontres instituées, le chemin dont il laisse la trace. Si l’errant trace son chemin d’une écriture invisible mais vitale, celle-ci demeurerait illisible, si de temps à autre, il n’y avait ces points d’accueil, où il puisse en recueillir le sens. Du coup à partir de cette expérience singulière on peut dégager un autre concept, dévoyé celui-ci au point de perdre tout sens dans les actuelles politiques sociales en direction des jeunes, celui d’insertion. L’insertion c’est ce que produit un sujet pour s’approprier son espace physique, psychique et social. En tant que tel Chobeaux et les animateurs de ces réseaux actifs d’accueil des jeunes en errance, sont bien, au sens propre, des agents d’insertion sociale. Ce qui se distingue clairement des agents de normalisation que tentent de promouvoir des politiques sociales où marcher au pas représenterait le fin du fin. Certains continuent à marcher de travers. Parmi eux ces jeunes que l’on dit en errance. Il n’est pas sur que le mot soit bien choisi. Et si on les disait aventuriers ?

- Joseph Rouzel

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